Bon, là, avec ce texte, je te lance une pelote de laine.
A toi de démêler ! Ca révèle bien l’esprit du moment. La confusion, les
doutes, l’hiver, les canards en plastique.
Procrastination, j’écris ton
nom ! Quand tu nous tiens, tu ne lâches jamais, et en petites étapes
insidieuses, nous écarte de nos objectifs. Ce n’est pas une cassure, non, c’est
le temps qui soudain parait élastique. Telle une vidéo qui dure un peu moins
d’une heure. Je pourrais toujours écrire après. Et puis dans le TGV, je vais
juste lire un chapitre, et puis j’allumerais le PC. Juste encore un. Allons,
peut-être pas ce matin finalement, mais au retour ce soir, c’est promis. La
procrastination. Vous croyez qu’elle vous sied ? Je suis né dedans. J’ai
été façonné par elle, bercé par elle, fidèle compagne d’une vingtaine d’années
de travaux inachevés. Il a fallu que je rencontre ma femme pour comprendre
qu’on pouvait faire autre chose que passer le temps. Et parfois, l’obscurité
menace.
Marc Levy, écrivain dont je
n’ai jamais tourné une seule page (l’envie ne m’a pas encore effleuré), a écrit
hier « Internet est le sérial killer du livre ». A quoi j’aurais bien
répondu « mais t’as fumé, Marc ? », si ce n’est qu’à la
réflexion, il a foutrement raison. Oh oui, je sais, c’est révoltant à entendre,
même sortant d’ici. Je lis beaucoup, certains d’entre vous en font autant.
Pourtant, ça se perd, et à une vitesse dont nous n’avons pas idée. Il est
devenu commun de connaître des gens dont l’intelligence ne fait aucun doute et
qui vous répondront « Lire ? Ca ne m’intéresse pas ». Chose qui
m’est aussi incompréhensible que « Les chaussures ? Ca ne m’intéresse
pas ». Mais que je respecte. C’est comme ça. Les heures sont réinvesties
ailleurs, sur des supports qui laissent, je trouve, l’imaginaire bien vide.
Alors quoi, je suis devenu réac ? Non, j’expose, je m’inquiète que mon
centre d’intérêt s’en aille un jour rejoindre d’autres arts délaissés. La
calligraphie, le point de croix, l’écriture…
Quand même, on a une
impression de rester en arrière quand le monde avance. On est dans une époque
extraordinaire. Hier, nous avons réussi à réveiller un satellite à 680 millions
de kilomètres d’ici, qui voyage à 30000km/h depuis dix ans. Et si tout va bien,
cette année, ce vaisseau va déposer un petit robot sur une comète. Une comète,
les gens ! Pendant ce temps-là, moi je digérais noël. En décembre, quand
on pensait Manalas (oui, Manalas, on va pas débattre là-dessus), les chinois
ont posé un robot sur la lune. Et de faire des tours de roue, filmé par le
vaisseau mère. Vache, on se sent petit. On a pourtant deux robots sur Mars,
aussi. Le premier des deux a dix ans, et contre toute attente, il continue
d’envoyer une image de temps à autre, d’avancer sur les collines de la planète
rouge. Voilà ce qui devrait occulter quenelles, affaires présidentielles et
vidéos de chatons (bon, allons, peut-être pas les chatons) pour faire la une.
Qu’y at-il de plus fédérateur que l’espace ? L’écologie peut-être. Voire.
Les deux sont de pures oppositions de concepts. En écologie on sait à peu près
quoi faire, mais personne ne veut l’appliquer à soi. L’espace, le monde entier
en rêve alors qu’on n’en est qu’aux premiers bredouillages (mais quelles
avancées !).
Ca y est, je suis réac. Non.
Si. Non. Enfin, je n’irais pas vous dire que c’était mieux, avant. Avant quoi,
d’ailleurs ? Non c’est mieux maintenant, dans la plus écrasante majorité
des domaines. Et puis, ce sont les avancées dont l’humanité veut se souvenir.
On se souvient de Colomb, en 1492, pas des épidémies de peste des années 1400.
Pareil pour le dix-neuvième, c’est la révolution industrielle et les grandes
inventions, l’automobile, le cinéma… Pas la colonisation et les partages de
l’Afrique. Et alors que se fond à travers les générations la mémoire de la
première guerre mondiale, on se souviendra que le vingtième siècle, c’est tant
de belles choses que les mauvaises en sont éclipsées. Cinquante millions de
morts dans les guerres jusqu’en 1945 ? Oui. La paix depuis, aussi,
dans une majorité du monde. L’aviation, la pénicilline, le Net (dans cet ordre,
d’ailleurs…).
Et donc ?
Et donc il faut se bouger, ma
pauvre Yvette. Ecrire, parce que jusqu’à preuve du contraire je n’y suis pas
trop mauvais. Ne pas oublier qu’il suffit parfois d’un geste pour que tout
bascule. Que c’est en procrastinant qu’on se retrouve au Moyen-Age. La seule
période de quatre cent ans, ou personne ne pouvait dire « c’était mieux
avant ? », parce qu’avant c’était pareil. Et j’aime autant vous dire,
ce n’était pas mieux.
On est trop vieux pour les
promesses naïves, vous et moi. J’ai fait un roman, l’année dernière, merde.
Pour ce que ça me sert. Enfin. Mais ça nous sert à rêver, non ? A penser
aux autres. A imaginer un monde différent à améliorer. Un monde ou les seules
limites ne sont pas les publicités de Youtube, les bords de la liseuse Fnac, la
télécommande de l’écran Samsung. Un petit monde, qui n’appartient qu’à soi et
pourtant que l’on aimerait partager. Pas parce qu’il est meilleur, non.
Parce
que c’est le nôtre.