mercredi 11 décembre 2013

Aventures Marines - Suite

« Lieutenant ? » La voix apeurée d’un marin de dix ans votre ainé, voilà qui aidait à savoir son importance. Cela m’aidait à relativiser mes réveils difficiles, il me suffisait d’imaginer combien de temps l’homme avait pesé le pour et le contre avant de venir me secouer. Je les avais bien formés : on ne me réveillait pas pour n’importe quoi. Surtout à… Deux heures de l’aurore. Enfin, dans notre expédition je pouvais me réveiller sans que mes tempes ne me sonnent les cloches à cause de l’alcool : il était strictement interdit à bord. Et même si cela signifiait que quelques bouteilles circulaient en douce, ce n’était heureusement pas suffisant pour abreuver tout l’équipage… A la longue, cela rendait maussade, voilà tout. Maussade, c’est le premier mot qui me vint à l’esprit.

« - Que se passe-t-il, Monsieur Clavier ? Soupirais-je.
- Selon vos ordres, Lieutenant. Je devais signaler toute présence spaniarde. Il y a un homme, discret mais pas trop, sur le sentier de la baie.
- Vous n’avez pas sonné l’alarme ? Selon vous, qu’est-ce qu’il voulait ? Il est resté longtemps ?
- Il est encore là, Lieutenant, il a pas bougé. Le Premier Maitre Artis pense que c’est votre guide de l’autre jour. »

Ainsi donc je n’étais pas le premier bougre à être réveillé pour cette apparition d’un homme à terre. Clavier n’était pas un idiot (son poste en vigie de nuit le prouvait), il avait d’abord foncé aux trois pièces d’artillerie de babord, parce qu’Artis avait une vue perçante, et qu’il pourrait jauger la portée précisément.
Déséquilibré par la taille de la petite redoute qui nous servait à moi et au second de cabine, tout en assurant la fonction de « carré des officiers » de jour,  j’enfilais avec grand mal mes bottes qui n’étaient pas encore sèches. J’en profitais pour pousser mon colocataire du coude, mais c’était peine perdue : Monsieur ronflerait jusqu’à entendre la cloche des matines. Il était plus que temps de s’élancer dans la minuscule coursive centrale. Le « Cormoran » était une petite goélette de 18 mètres chargée jusqu’à la gueule d’un équipage trop nombreux pour être honnête, de six canons antiques, et de biscuits de mer lui permettant de caboter en toute discrétion le long des côtes spaniardes.

Notre objectif nous avait enfin été dévoilé l’avant-veille, même s’il ne méritait finalement pas le voyage. La Santa Maria del Sol. J’en soupirais de plus belle maintenant que j’avais contemplé les lignes du navire. Magnifique, mais inaccessible : la grande armada et ses 18 bateaux apprêtés au combat se tenait au complet à quelques encablures. Le destin, parfois… Enfin, je prenais de l’expérience, et au moins ici il ne faisait pas froid. J’avais été premier maître sur un baleinier deux années plus tôt, et m’étais promis à cette occasion de naviguer une fois dans ma vie aux caraïbes. Une vie de labeur honnête, ou bien quelques heures de chance et d’audace, ce n’était pas entre mes mains. Pas encore.

« - C’est lui » confirmais-je après avoir replié la longue vue. Pour être franc, j’avais reconnu son âne plutôt que notre petit guide, qui se découpait mal dans les rochers de la côte espagnole. Nous étions ancrés dans l’une des innombrables petites criques qui faisaient la beauté de la région. Accessible par la terre seulement sur un sentier dangereux, l’anse cachait parfaitement notre esquif et ne laisserait passer que de petits navires : il n’y avait pas la place pour qu’une frégate négocie le virage. Surtout pas une espagnole… Tout le monde s’accordait sur ce point : ils étaient excellents pour réaliser des navires magnifiques, aux moulures dorées. Lents, puissants aussi, il ne fallait pas demander à leurs commandants de virer de bord avant d’être aux indes occidentales. Enfin, s’ils se mettaient aux nouvelles lignes qu’ils avaient aperçu la nuit précédente, cela pourrait changer.

Le petit spaniard semblait attendre quelque chose, mais j’étais méfiant. Malgré le risque qu’un coup parte inopportunément, je réveillai Albert, MontCalm et Dugain. Ces trois-là savaient manier le mousquet. Surtout Dugain, un type imposant malgré ses courtes jambes, qui montrait toute son adresse dans les gréements, et quelque chose de diabolique lorsqu’il y manipulait une arme à feu. Je les fis charger discrètement leurs armes, tandis que Clavier allumait une lanterne. Avec la clarté de cette dernière, je perdis de vue le guide, mais je ne doutais pas que lui nous voyait comme en plein jour. J’ordonnais de la lever trois fois avant de l’éteindre. A vrai dire, nous n’avions établi aucun code à ma connaissance, mais le signal était suffisamment universel : je l’avais vu, je lui faisais signe. Lorsque j’entendis sa mule rétive ripper contre la roche blanche de la crique, je laissais les autres sur le pont pour descendre moi-même réveiller le capitaine. C’était obligatoire, car ce dernier était le seul à parler espagnol correctement, et c’était d’ailleurs tout le temps lui qui avait échangé avec le petit guide.

Jacques de Tourqueville ne dormait jamais que d’un œil, et il n’avait pas paru surpris lorsque je vins le tirer de son hamac. Au contraire, ce fut à mon tour de m’étonner de ses ordres lorsque le capitaine ordonna que je l’amène à terre sur notre minuscule yole, plutôt qu’un marin aille chercher l’importun visiteur pour le ramener sur le pont. Ma vision de nuit était à peine rétablie lorsque je pris les avirons, mais dans un rayon de lune, je parvins à déchiffrer une excitation manifeste sur le visage du capitaine. Je lui en touchais mot, mais il resta silencieux jusqu’à ce que nous fûmes hors de portée des hommes d’équipage.

« - Le spaniard a du nous trouver des uniformes corrects »
« - Des uniformes, Capitaine ? Je ne saisis pas.
- Faites un effort, Lieutenant ! Il est tôt, mais tout de même ! Que pourrions-nous bien faire avec douze uniformes spaniards, dans le coin ? » 
Je faillis en lâcher les avirons. Que nous préparait ce renard de capitaine ? J’avoue que bêtement, après avoir découvert les navires militaires espagnols ancrés à moins d’une lieue du bâtiment que nous espérions capturer, j’avais escompté un retour discret le long de la côte, la queue entre les jambes… Jacques de Tourqueville ne semblait pas penser dans mon sens. Retourné à ses pensées, il bondit de la yole lorsque cette dernière râcla les galets de la crique. Et comme il l’avait prédit, la mule était lourdement chargée de deux ballots, que Jacques se fit longuement présenter. Il prit soin de vérifier jusqu’aux coutures, et je regardais moi aussi du coin de l’œil. Du travail de qualité, assurément.

Avec un brin de soulagement, je constatai qu’aucun des uniformes ne comportait de traces sanglantes. Le larcin semblait s’être déroulé sans anicroche. Non que j’eux répugné à passer des espagnols au fil de ma lame (l’occasion ne s’était jamais présentée, voilà tout), mais si nous devions porter ces vêtements, autant que ce ne soient pas ceux de soldats morts. Il se trouverait toujours un superstitieux dans la troupe pour pointer du doigt ce genre de pratiques, puis tous prendraient peur, et une opération de cette envergure pouvait échouer pour moins que cela. Par ailleurs, je n’étais pas le dernier à penser que cela porterait malheur. Mais comme je l’ai déjà mentionné, les uniformes ne présentaient pas trace de combat. Et j’avais l’impression d’être le seul de nous trois à n’être dans la confidence de mon propre capitaine.

De Tourqueville paya l’homme grassement, et le laissa repartir après moult formules de politesses. Je chargeai les deux ballots, et m’apprêtai à prendre les rames quand Jacques de Tourqueville me prit par le bras.
« - Vous n’avez jamais porté Miguel dans votre, cœur, n’est-ce pas ? Le Guide, précisa-t-il lorsqu’il comprit mon étonnement.
- Non, pas vraiment, capitaine. Il nous rend bien des services, mais je ne lui fais pas confiance. Cependant, j’imagine que tant que vous le payez, il restera notre allié.
- Je le pense aussi. Mais je ne pourrais pas me permettre de laisser de tels indices derrière nous. Le moment venu, il pourrait bien jouer un double jeu et faire payer un commodore de l’Armada pour nous tomber sur le dos. Je lui ai donc commandé deux uniformes supplémentaires, qu’il nous livrera dans la nuit de demain.
- Je comprends, capitaine.
- Je tiens à en être sûr, pour qu’aucun de nous ne se méprenne. Vous prendrez avec vous un homme de confiance, et patienterez en haut de la corniche. Ni lui ni sa mule ne doivent repartir, et vous les poursuivrez si vous manquez à votre tâche… Pendant que nous, nous lèverons l’ancre, car si nous sommes découverts par votre faute, je n’aurais plus affaire dans cette partie du monde. Etait-ce bien ce que vous aviez compris ?

- Quelque chose comme ça, capitaine.
- Qui prendrez-vous ?
- Je pensais à Clavier, capitaine. C’est un grand gaillard, un homme d’équipage mais fort et souple et il a deux sous de jugeote, ce qui ferait du bien à une partie de l’équipage. C’est lui qui guettait, cette nuit.
- Je vous fais confiance, Lieutenant. Je sais que vous souhaitez un équipage de pointe, que vous plierez à votre volonté jusqu’aux Caraïbes. Je pense que c’est un rêve accessible.
- Peut-être, capitaine. Mais j’espère que vous n’avez pas oublié mon désir le plus cher.
- Oh ? Et quel est-il, si vous me permettez ?
- J’aimerais bien y arriver de mon vivant, capitaine. » Jacques éclata d’un petit rire, qui pouvait tout signifier, du mépris à la camaraderie tant que je ne voyais pas ses yeux. Nous restâmes silencieux pour les quelques encablures restantes, jusqu’à aborder le « cormoran ». Ce n’est qu’alors que le capitaine debout dans un geste leste, posa sa main sur mon épaule, et me laissa voir son visage pétillant de malice. Il souriait largement, et planta son regard dans le mien.

«  Je vous fais confiance, Lieutenant. Ce ne sera pas évident, mais rendez-moi la pareille ! ». Il me planta là, et me chargeais de remettre la yole à couple avec le bateau, de prendre le commandement, et de houspiller les rêveurs encore présents sur le pont. Je profitais des dernières minutes avant l’aube à m’entretenir avec Clavier à propos de notre mission. Ce n’est qu’en entendant Valentin, notre Homme de Dieu, sonner discrètement de sa clochette dans les coursives, que la révélation me frappa.

J’avais déjà pas mal bourlingué. Six navires de pêche, et deux baleiniers. J’avais subi, commandé à mon tour. Comme tout un chacun, j’avais vu mon content d’hommes mourir à mes côtés, pour des raisons tantôt accidentelles, tantôt criminelles. J’avais même pris part à une petite bataille rangée au nord de l’Ecosse, contre des baltes avinés. Mais ce soir-là, malgré ma bravache et le talent que je croyais détenir pour mener l’équipage, ce serait une première.


Ce soir-là, j’allais tuer un homme. 

mardi 19 novembre 2013

Histoires d'Obéris - Prologue

Quel peuple pourrait se tourner vers l’avenir sans connaître son passé ? A l’aube d’une énième guerre entre Agodies et le Duché de Taltaïs, tandis que chacune de nos trois nations fourbit ses armes, l’histoire des peuples d’Obéris n’est connue que de rares privilégiés. Et lorsque ces derniers connaissent le passé de leur maison, la formation de leur héraldique, bien peu encore savent leurs vraies origines. Chaque jeune écuyer du continent embrasse un jour son épée en bénissant l’Orium, sans savoir que telle n’a pas toujours été la religion universelle en Obéris. Qu’une mosaïque bien différente était en place il y a plus de mille ans déjà. 

Rares sont les écrits qui parlent de l’origine même de notre calendrier, se contentant d’évoquer l’Aube des Temps, c’est-à-dire l’arrivée des peuples « modernes » via le désert du Meikhan. C’est là en réalité bien peu de notre genèse, car nombreux étaient les ethnies déjà présentes. Des tribus païennes, vénérant des dizaines de dieux et vivant dans une violence quotidienne. Voilà, pour parler crûment, qui sont la plupart de nos pères. Et l’Aube ? Qui étaient ces peuples par-delà le désert ? Pourquoi cet exode ?

Je suis Caedric, le cadet du comte de Romeni. Pour moi, alors que la sagesse tant attendue devait venir avec les années, c’est le crépuscule qui approche. Je pers le compte des journées passées alité, entouré de mes centaines, peut-être même de mes milliers d’écrits. Les parchemins tapissent la chambre qui verra la fin de mes jours. Autour de moi, le résultat d’une vie de recherche. Dès mon adolescence, j’ai supplié mon père de m’exempter de la chevalerie et de la guerre pour me consacrer à la recherche de la vérité. De nos origines. Quels sont les mots qui ont su le faire accepter, je ne le saurais jamais car la maladie l’a pris peu après, mais il n’est jamais revenu sur sa décision. 
Ainsi, alors que mes trois frères guerroyaient, liaient plus que jamais le destin de notre famille à celle du royaume d’Agodiès, je voyageais. J’ai parcouru les bibliothèques de tout le continent, amies et ennemies du royaume, avec pour seule arme les sauf-conduits royaux et ducaux de toutes les lignées influentes qui plus d’une fois sauvèrent ma tête. J’ai traversé des régions en guerre, visité des familles qui ignorent jusqu’au concept de violence. Je fus secondé dans ma mission par les Hauts Prètres, par les familles les plus nombreuses et illustres, par les descendants de souverains oubliés, ainsi même que par des branches héritières que l’on croyait éteintes. Tout était là, à portée de nos mains. Sur des pages usées, des manuscrits mités jusqu’aux enluminures, des récits de père en fils. L’histoire d’Obéris.

Une vie de recherches, et pourtant j’emporterais avec moi l’impression de n’avoir que gratté la surface de cette aventure de plus d’un millénaire qui aura porté un continent de sa plus simple origine à un présent riche, tourmenté par le progrès. Mes écrits n’ont d’autre ambition de chercher nos origines, de comprendre ceux de nos ancêtres qui ont mené leurs troupes, formatant nos paysages pour créer l’Obéris d’aujourd’hui. Pourquoi nous battons nous ? Après des siècles d’animosité autour de nos frontières, les grands clivages ne sont, pour l’Histoire dans son ensemble, que querelles stériles et jeux de pouvoirs. Je suis allé chercher aussi loin que possible pour retracer notre chemin, celui des peuples, celui de l’Aube des Temps et de la traversée du Meikhan. Et ce que j’ai découvert me passionne encore, car qui sait si l’histoire ne se répètera pas ? Serons-nous, dans un futur lointain, obligés de tout quitter pour un autre exode ?

Il existe, le long du Fleuve Blanc, à moins d’une centaines de lieues vers le nord, une oasis naturelle dans une vallée encaissée. Là-bas vit en paix et coupée du monde une petite communauté. Une vingtaine de familles cultive la terre et les dattes à l’ombre de grands palmiers qui les protègent d’une chaleur étouffante et meurtrière. Derrière les cahuttes de terre séchée des locaux, quelques moines d’un ordre aussi ancien que le nom du continent lui-même, veillent sur un ancien avant- poste. Le lieu est spartiate : trois étages aux plafonds bas, une salle d’armes transformée en lieu de prière, un four à pain et un petit cellier qu’utilise toute la communauté. 

Mais il y a aussi un sous-sol, dont j’ai juré de ne pas révéler l’entrée, et qui mène profondément sous la pierre. Les étais sont de granit, et les marches s’enfoncent vers les profondeurs que la lumière du jour n’a jamais atteinte. Un courant d’air frais et sec créé comme une respiration de la colline, et court dans une longue salle appuyée sur des voutes hors d’âge, abritant des documents plus vieux encore. Ils dorment là depuis que d’autres les y ont abrités. Certains de ces protecteurs sont d’ailleurs inhumés dans la même crypte, reposant à l’éternité avec leur histoire et la nôtre.

C’est à cet endroit que, dans une langue qui nous est étrangère, réside le passé des millions d’âmes qui peuplent tout notre continent. Notre histoire à tous, sur ces pages vierges des affres du temps, protégées par ce site extraordinaire. Certaines rédigées à la va-vite, d’autres enluminées par des techniques qui dépassent ma connaissance. Accompagné de deux accolytes, j’ai passé une année complète dans ce lieu. Et en ces quelques mois, j’ai appris plus que durant le reste de toute ma vie. Les mystères obscurs de l’Aube des temps m’ont été révélés, en même temps qu’un autre pays, une autre contrée dont aucun d’entre nous n’a probablement jamais entendu le nom. Il est temps qu’en notre langue homme et femmes connaissent leur véritable passé.

C’est ainsi l’histoire d’Obéris, jusqu’à ses origines, que je tente de rassembler. En verrais-je un jour le produit ? Pourrais-je continuer d’étoffer le récit par les évènements qui se cachent dans notre trouble futur ? A mon âge, j’appartiens déjà au passé, mais j’espère léguer à travers ce récit tout l’amour que je porte à notre histoire. Tourmentée, horrible de si nombreuses années et pourtant fondatrice de notre présent. Puissent les générations futures profiter de ce travail, tandis qu’ils écriront eux-mêmes les prochaines pages de cette fresque que j’espère infinie.

Caedric de Romeni

samedi 16 novembre 2013

Pirate de Passage - 3

Troisième et dernière partie de la nouvelle "Pirates de Passage"

Tout en sachant qu’il n’avait pas le choix, Jacques de Tourqueville sentait son estomac se nouer. Le Venteux leur aurait apporté un grand courant, une marge de quelques heures pour se fondre dans les nappes de brouillard qui envahissent la côte du Nouveau Monde la nuit et en matinée. A présent, ils fonçaient droit vers la bande de terre, ses marais et ses bancs de sable. Mais l’alternative était le combat, et la Sans Peur ne pourrait pas en sortir victorieuse.

«  - Capitaine ! Cria un quartier maître. Capitaine, vingt brasses ! » Courant dans un réflexe jusqu’au bastingage, Jacques scruta la surface de la mer sur laquelle ils glissaient. Naviguer sur les hauts fonds n’était ni un exercice facile, ni encouragé dans la capitainerie de par le monde. Et pourtant, Samuel Bellamy, concentré comme jamais, souriait en regardant leurs poursuivants.
«  - Vous savez que la quille de la Sans Peur descend à sept brasses, n’est-ce pas ?
- Mmmh. Si vous y tenez tant, à votre bateau, vous lui paierez bien un petit carénage. Cela ne devrait plus tarder, à présent. » Blanc comme un linge, Jacques venait enfin de comprendre dans quels méandres le pirate les entraînait. « - A vos postes ! Attention à la collision ! »

A peine eut-il prononcé les mots qu’un grondement lancinant se fit entendre. Tel la plainte du navire hurlant de douleur, le grincement fut accompagné de fortes vibrations, qui menaçaient de faire dangereusement tanguer le navire. Puis, alors que Jacques avait sorti son sabre en se dirigeant vers les dernières secondes de la vie de Samuel Bellamy, la Sans-Peur fit une petite embardée en avant, comme plongeant dans un chenal plus profond. Bien qu’ayant la lame posée sur la gorge, le pirate réussit à reprendre suffisamment de voix pour demander au barreur de suivre un cap nord-ouest en s’aidant du travail de la vigie. Comme s’il ne prêtait pas attention au fer qui lui faisait perler quelques gouttes de sang tombant sur son col, il se tourna brusquement et regarda les deux frégates adverses.

« - Esquintez encore une fois ma coque et notre marché ne tient plus.
- Sans être flagorneur, que vaudrait votre coque sans vous, Capitaine ? Ce n’était que des coraux, pour cette fois. Nous sommes dans un chenal qui fait deux cent brasses de large. Ce sera beaucoup plus dangereux dans quelques… » Comme ceux qui l’entouraient sur le pavillon de poupe, il se jeta au sol. Dans un craquement sourd, le boulet de douze livres vint fracasser la rambarde arrière. Ce n’était que le premier feu, tous le savaient bien : il ne servait même à rien de ramper sur le bois usé du pont en attendant la fin : quand cessait la dernière salve, les prochains boulets parlaient anglais couramment.

«  - Dites à vos tireurs de viser les huniers ! Il ne faut pas qu’ils voient le chenal !
- Combien de temps faut-il qu’on reste sur cette course ?
- Allons, Capitaine, quand on s’amuse le temps n’a point d’emprise ! » Et devant le grognement de Jacques, c’est le pirate lui-même qui prit la barre. Déjà, les deux vaisseaux anglais prenaient la Sans Peur en tenaille, se décalant le Lion en premier à tribord et le Furious en retrait : les deux navires ne se gêneraient pas lorsqu’ils tireraient sur le français.

Sur le pont de la Sans-Peur, le chaos s’installait au milieu de la bravoure des hommes, suivant aveuglément les ordres du premier Lieutenant. De sa voix de stentor il les encourageait à riposter à la pluie de balles à laquelle tous faisaient face. Stoïquement, ils rechargeaient volée après volée, moins nombreux à chaque fois que le navire s’enfonçait dans les vagues, tentant de s’échapper à son destin. Les huniers ennemis avaient été abattus, mais il y avait… Tant de morts déjà ! Au moins, le chenal évitait que l’un des deux assaillants ne se mette sur le travers pour les bombarder. Jacques de Tourqueville arma ses deux pistolets au moment où la proue rugissante des cris anglais du Lion arriva à hauteur de la poupe de la Sans-Peur. Les tirs redoublèrent d’efficacité, à tel point que le capitaine était étonné d’avoir échappé au pire… Accroché à la barre, Samuel Bellamy était immobile. Il aura tenu sa parole jusqu’au bout, pensa le capitaine. Mais il s’aperçut avant l’instant fatidique de l’abordage que Samuel n’était pas dans son dernier sommeil : ses lèvres bougeaient, sa tête dodelinait. Il… Il comptait ?

Et au milieu des cris, de la fumée bleue des mousquets, sous les lambeaux de la grand-voile déchirée, Samuel Bellamy fit pivoter la barre. Il la fit tourner jusqu’à ce qu’elle heurte le taquet dans un claquement sec, entraînant à nouveau le navire dans un virage fou et apparemment incontrôlable. Atteint d’un éclat au genou, Jacques s’effondra le long du bastingage alors que le navire gitait sous la force du tournant. Et le capitaine n’en crut pas ses yeux : il voyait le fond, devinait des roches acérées quelques brasses sous les embruns. Comme des mains tendues, ces pics venaient happer le navire… Mais ce sont deux autres proies qui firent les frais de l’audacieux virage du pirate : Dans un grondement aussi brusque qu’affreux à l’oreille, le Lion s’échoua brusquement, ses marins projetés sur le pont. Le Furious, réussit mieux à ralentir l’allure, mais ne put guère manœuvrer et les suivre dans le minuscule et sinueux chenal. Sous les yeux ébahis des marins français qui s’éloignaient prudents, le Lion finit par se disloquer, ses marins pris en secours par l’équipage du Furious.

«  - Le passage Bellamy, annonça ce dernier en exécutant une référence parfaite. Vous me devez une chaloupe, capitaine. » Il savait que ce dernier tiendrait parole.  
Une heure et demie plus tard, ils se tenaient l’un en face de l’autre, Jacques et le pirate le plus dangereux de cette partie de l’océan. Cérémonieusement, le français enleva son couvre-chef, attirant l’attention des dizaines de marins qui s’affairaient alentours.


« - Le capitaine Bellamy quitte le navire » Cria-t-il. Et tous lui rendirent les honneurs. 

jeudi 14 novembre 2013

Pirate de Passage - 2

Devant le silence de son interlocuteur, il poussa plus avant son avantage.

« - Ah, Capitaine (il arrivait à accentuer le mot… et le rendre ironique) vous êtes décidément un homme étonnant. Vous prenez une réputation de corsaire en capturant ce rafiot, mais vous ne pillez pas les espagnols. Il y a deux ans, vous démâtez la frégate amirale anglaise en une seule bordée avant de partir toutes voiles dehors. Vous me faites la conversation. Je vous propose une montagne d’or hier, et je ne vous vois même pas sourire. Et pourtant aujourd’hui, nous allons faire… Un marché, n’est-ce pas ? » Le pirate s’arrêta, la main levée. Puis son visage émacié se fendit d’un grand sourire aux dents noires et cassées.

« - Vous devez être acculé pour seulement considérer de me serrer la main, alors, qu’est ce…
- La bête, c’est la bête des Caraïbes. Vous ne leur vouez pas un attachement particulier ?
- Le Lion et le Furious… Mmmh. Lord Byron a failli me décapiter, la dernière fois que je l’ai croisé. Etrange comme les anglais ne vous pardonnent pas de couler des navires anglais… Mais soit. Parlons affaires. Quel est votre main, capitaine ?
- Je vous débarque aux Amériques, à la première pointe de terre qu’on aperçoit.
- J’ai horreur de ne pas négocier, vous savez ? Je prendrais une chaloupe et deux…
- D’ici cinq ou six heures, vous pourrez négocier avec deux gentlemen qui parlent votre langue maternelle.
- Très bien, Capitaine, et que pensez-vous que je puisse faire contre vos deux ennemis ? C’est un prêtre qu’il vous faut, pas un pirate. Et puis, je doute que… » Jacques avait tiré une carte de sa table de travail. Il la tendit à son hôte, pointa du doigt un lieu bien précis.
«  - D’ici quatre heures, nous franchirons le Passage Venteux. Je ne l’ai jamais fait, mais vous naviguez ici depuis vingt ans. Et c’est vous qui serez à la manœuvre. »

Malheureusement pour la Sans Peur, le Second, lors de sa mesure de cap, fit une erreur de trois degrés. Et ce qui, au cours d’une navigation paisible, aurait été d’une précision tout à fait remarquable se transforma quatre heures plus tard en une situation intenable. Les trois navires étaient si proches que tous les hommes avaient été appelés aux postes de combat. Jacques crut le navire sauvé lorsque la vigie annonça les rochers Grand Ducs, mais déchanta rapidement. Ils étaient trop loin pour être atteints avant l’inévitable abordage.

Malgré le danger grandissant, le capitaine décida de faire monter leur hôte sur le pont. Peut-être connaissait-il une ruse de dernière minute, un artifice de pirate… Contre toute attente, il fit déserter et interdire d’accès le pavillon arrière, ne laissant que ceux qui connaissaient déjà leur invité participer à la manœuvre. Une fois sur le pont, ce dernier prit une bonne minute pour s’habituer à la clarté du moment. Quelques nuages couraient encore à l’horizon, mais le ciel s’était dégagé. Pourtant, c’était sur leur poupe et non au firmament que son regard se fixa enfin. A cette distance, la longue-vue était superflue pour apercevoir les marins courir sur le pont, ferler les voiles et se préparer au combat. Lord Byron avait intelligemment placé son navire en arrière, de sorte que le Furious qui le précédait prendrait les coups les plus durs. Les deux chasseurs ne se gênaient pas, leurs proues s’enfonçant joyeusement dans les embruns de deux mètres qu’ils coupaient comme du beurre. Les uniformes commençaient à se placer dans les matures, d’où ils auraient une vue dégagée sur le pont de la Sans-Peur.

«  - Quelques minutes, tout au plus, Capitaine. Murmura le second. Je suggère que nous basculions à tribord lors de leur première passe. Si nous visons haut, nous aurons une petite chance de démâter le Lion.
- Cela dégagera trop notre poupe, mais c’est la seule solution, et…. Ahhh, mais que faites- vous, pour l’amour de Dieu ! » Bellamy, jambes écartées dépassant de sa redingote trouée, se tenait juste derrière l’homme de barre, lui soufflant dans l’oreille les instructions. La Sans-Peur, poussée par le vent, fit une brusque embardée sur bâbord, le virage si sec qu’à travers les dalots du bord opposé, les marins virent les embruns venir lécher les roues des douze canons. Emporté par sa vitesse, le navire tournait rapidement, et allait se retrouver perpendiculaire à ses assaillants.

«  - Ordonnez leur de tirer, voulez-vous ? » Le pirate, content de la surprise qu’il avait provoqué, ne retint pas un rire puissant, qui fit parcourir un frisson le long de l’échine de Jacques de Tourqueville.
«  - Feu à babord ! » Fit-il transmettre. La portée des canons de bronze de neuf pouces ¼ n’était pas fameuse à si grande distance, et le capitaine se demanda s’il ne gâchait pas sa première bordée. Une à une, les puissantes pièces tonnèrent sous le soleil de midi. La visée était inhabituellement importante… Pourtant grâce à la gite, trois des boulets firent mouche, l’un d’entre eux balayant le pont du Furious encombré de combattants.

« - Reprenez un ordre à ma place et vous serez l’estropié le plus connu des Caraïbes, Bellamy.
- Ou bien vous pourriez me remercier, capitaine.  Nous avons gagné cinq bonnes minutes sur nos poursuivants, et ils seront plus prudents à leur prochaine tentative.
- Mais le passage est à tribord ! Bougre de pirate !
- Le Venteux, oui. Avez-vous déjà entendu parler du passage Bellamy ? Sans vouloir me…
- Ma patience s’émousse, Samuel. Que faisons-nous ici ?
- Laissez-moi à la manœuvre encore une demi-heure, et nous pourrons être hors de danger. Je connais cette région pour l’avoir pratiquée avec mon propre navire des dizaines de fois. » 

mardi 12 novembre 2013

Pirate de Passage - 1

Et là voici! Comme je ne suis pas (c'est définitif pour cette année) lauréat du concours Don Quichotte, je publie sur cette plate-forme la nouvelle que j'avais proposé au concours. Le thème à respecter était "passages" en six pages maximum. Je le publierais en 3 textes, et comme vous le verrez certainement je pense que c'est la fin qui a tout plombé. 

Pirate de Passage

1674, Sud de la Floride.
Il n’y avait qu’une raison pour laquelle le Capitaine Jacques de Tourqueville puisse être éveillé au beau milieu de la nuit. Son instinct, fameux dans toute la Flotte Caraïbe, ne le trompait que rarement. Et même si l’entrepont était on ne peut plus calme, bercé d’un doux roulis dans sa couchette à la poupe de la Sans-Peur, il savait qu’il ne pourrait pas finir sa nuit. C’est pourquoi il en était à enfiler ses bottes (les lustrées, pas celles de gros temps) lorsque le mousse Martin vint toquer, tremblant comme le protocole l’exigeait de réveiller le pacha avec de mauvaises nouvelles. Martin était l’ainé des mousses, un rude garçon de quatorze ans qui devrait apprendre à se spécialiser… Et en bon courageux, c’est lui qui se chargeait de réveiller les officiers. Il cilla à peine devant la grimace de son capitaine lorsqu’il lui annonça :

«  - Le lieutenant Hémelin signale des voiles à tribord, Capitaine. » Exactement ce à quoi il s’attendait. Jacques prit le temps d’embrasser le médaillon de sa femme, de refermer soigneusement son pupitre rangé la veille avant seulement de monter jusqu’au pont principal. Le temps était nuageux, avec une brise bien agréable pour fournir à la Sans-Peur une vitesse confortable… Mais également à leurs adversaires, qui n’étaient sans doute pas aussi chargés que le galion français. Le navire n’avait que trois ans, dont deux et demie sous le commandement de Tourqueville, qui l’avait arraisonné quasiment à sa sortie de la carène, lors de son voyage inaugural. Il avait nécessité bon nombre de modifications (et toutes ses économies) pour en faire une coque plus racée, moins lourde sur l’eau… Et embarquer les 34 canons de neuf pouces ¼ flambant neufs fondus pour l’occasion. Mais même s’il était rapide et agréable à tirer des bords par fort vent, il restait un transport, un ventru. Une proie.

«  - Comment pouvez-vous apercevoir quoi que ce soit avec autant de nuages ?
- Il y a une trouée à l’Est, capitaine. La lune les révèle… Voyez ? » Et en effet, ils se détachaient remarquablement sur les reflets de l’océan noir. Deux voiles espacées de quelques centaines de mètres. Et Jacques n’avait aucun besoin d’attendre l’aube pour connaître leurs couleurs: il savait précisément à qui il avait à faire. Simplement, il aurait aimé les distancer lorsqu’ils étaient dans les Antilles. Il avait l’espoir d’échapper discrètement à l’animal que tout navigateur français ou espagnol craignait de croiser. Les deux frégates qui se rapprochaient par son arrière étaient le Lion de Lord Byron et le Furious du corsaire « Union » Jack Hemwith. Ces deux-là s’étaient trouvés une passion commune : couler tous ceux qui n’avaient pas honneur de crier « God Save the King » lors de l’abordage. Et il y avait souvent abordage : ces deux navires étaient taillés pour la course.

«  - Foutus engliches » Réagit Jacques. Il referma la longue-vue, se tourna vers le lieutenant Hémelin. «  - Mettez-nous au Nord, et profitez au maximum de cette brise. Renforcez le quart et sortez plus de voile. Je veux qu’au matin, ils soient encore loin derrière, compris lieutenant ?
- Sans Peur, capitaine ». Le nom du bateau était vite devenu sa devise et la fière expression de tout l’équipage. Mais il faudrait qu’il porte son nom le temps d’échapper aux chasseurs. Et pour cela, le capitaine de Tourqueville avait un atout presque… inespéré. Il envoya un marin chercher le maître charpentier et le premier maître Hilas. Ces hommes étaient les plus imposants du bord, ce qui les avait mis au courant de la cargaison que, à de très rares exceptions, le reste de l’équipage ignorait. Les maîtres tenaient à leur poste sur la Sans-Peur, aussi ils avaient gardé leur langue… Du moins, depuis leur dernière escale trois jours plus tôt. Dans cette crique, aux heures les plus noires, leur canot avait fait un dernier voyage à terre.

Poussant avec maints égards le lit massif de la cabine du capitaine, ils mirent au jour une menue trappe dans le plancher. Présente uniquement sur certains marchands, cette cache discrète accolée au gouvernail était appelée la « Réserve Bonseigneur » car elle abritait habituellement les victuailles que le capitaine offrait à ses officiers et aux marins méritants. Bijoux et rhums avaient déjà eu leur place dans ce placard étroit. Mais ce jour-là, la trappe ne cachait qu’un esprit… Aussi brillant que dément dans un corps aussi sec que du bois flotté.

«  - C’est un peu tôt pour les pâtisseries, ne trouvez-vous pas, Capitaine ? » Leur demanda nonchalamment Samuel Bellamy. Jacques soupira. La majorité des marins des caraïbes auraient vendu père et mère pour apporter le « Prince des Pirates » à une couronne (peu importait laquelle, les prix pour Bellamy étaient à peu près équivalents). Certains le voulaient mort, mais quelques amiraux français rêvaient d’avoir une dernière conversation avec l’ex-corsaire anglais. Le Capitaine avait espéré que l’homme perdrait de son arrogance au cours de leur traversée, mais Sam Bellamy se faisait de plus en plus sarcastique, piquant et remarquablement intelligent. Il faut dire qu’il n’avait plus touché à une goutte d’alcool depuis leur départ… Un changement radical. Une fois leur prisonnier assis, le Capitaine le libéra de ses chaines, et demanda aux deux forts marins de les laisser seuls. Il dut s’y reprendre à deux fois, les hommes refusant de laisser le criminel à portée de leur capitaine.

«  - Je pourrais vous tuer, vous le savez bien ? Demanda Bellamy aussitôt la porte refermée.
«  - Peut-être… Vous pourriez tenter votre chance. » Ce fut la détente du capitaine de Tourqueville qui joua finalement sur le comportement de son formidable adversaire. Le pirate se mit à réfléchir quelques secondes, avant de reprendre.

« - Capitaine… Dois-je comprendre que j’aurais meilleure affaire à vous écouter parler ? » 

samedi 2 novembre 2013

Find It ! Reborn, Episode 2: Embarquement.

Comme "Un dernier Vol" avant lui, ce texte a été supprimé du blog quelques jours après sa diffusion. En effet, il fera (tôt ou tard) l'objet d'une tentative de publication, pour laquelle la présence d'une version sur ce site serait préjudiciable. 
Pour touts renseignements concernant "Find It!", je vous engage à me contacter (voir l'onglet correspondant).

mercredi 30 octobre 2013

L'actu Rlututu

Bon les Djeunz, on retombe dans nos vieux travers ? C’est vrai qu’en ce moment c’est la vie qui donne des claques et pas l’inverse. Que relire et réécrire un roman sans votre soutien toutes les deux pages pour me pousser, c’est comme malaxer de la pâte brisée : au bout d’un moment, c’est dur. Le concours de nouvelles, vous vous souvenez (archives de mai/juin) ? Je ne peux toujours pas publier le texte, mais je ne suis pas lauréat.
Je ne dis pas ça pour t’apitoyer, note bien. Je t’explique. Pour rebondir, j’ai écouté les conseils de ma prodigieuse compagne pour faire un autre concours d’écriture. Et pour éviter la concurrence, je ne vous dirais même pas lequel (na, prout.).

C’est l’automne, t’as remarqué ? Pour tout le monde, il fait beau et les températures sont bonnes, regarde les couleurs des arbres. Chez nous, changement d’heure ou non, je pars qu’il fait encore nuit, et je rentre qu’il fait déjà nuit. Le travail réserve de mauvaises surprises, et l’absence de travail est plus dure encore.

On fait le dos rond. Fondamentalement, ce serait une bonne période pour écrire. Mais c’est pas des semaines faciles pour ça. Pour ce concours, et c’est la première fois en plus d’un an de blog, j’ai eu une panne d’inspiration. Et là, pas de viagra dans la boite mail, hein, quand c’est vide ça vire intersidéral. Plus d’envie, même. Trois heures devant la page word, a se demander si on ferait pas mieux d'aller sur internet. 

On fait le dos rond, et puis une fin de semaine, on réalise que si on continue de subir sans réagir, on portera trop lourd. Que ça commence à peser de ruminer au boulot, de ruminer devant une page blanche, de ruminer devant les trains qui quittent le quai devant soi. Qu’on s’empâte tout doucement, de raclettes en choucroutes, d’albums sur l’Irlande en jeux vidéos. C’est pas moi qui le dis, c’est ma taille de jean qui parle.

T’es marié, c’est normal. Ah celle-là ! Je l’ai entendue au moins autant que « Alors ? Bientôt les enfants ? ». Eh. Ben. Non. Quand on me pousse, je me renferme d’abord un peu, et puis je me réveille. Je place mes coups. C’était ça en août 2012 quand j’ai recommencé à écrire, et coucou, ça retombe maintenant ! Je me suis demandé une fois de plus ce que je voulais vraiment. Ce que par peur, convenance, prudence de base, je n’avais jamais fait. J’ai décroché le téléphone après une heure ou deux de plus à tergiverser, c’est vous dire.

Et donc maintenant, je boxe. Je boxe en club. Je prends des coups, je rends des coups, j'y vais à fond jusqu'à plus pouvoir soulever les bras, jusqu'aux larmes qui brûlent les yeux à cause de la sueur. Je t'en parlerais un jour, je t'en écrirais un brin, tu verras ce n'est pas un jeu de brutes. Je rentre à la maison en forçant mes pas les uns après les autres, dors tôt et j’ai parfois du mal après une volée de marches, à cause des courbatures. Ca m’épuise dans une dimension que j’avais pas connue depuis… Euh. Mais je me sens bien. Je suis droit dans ma veste de costard le lendemain matin, je respire de nouveau. L’inspiration est revenue aussi vite qu’elle s’était échappée. Evidemment, j’ai jamais perdu l’envie. Mais enfin, on se connait non ? Beaucoup plus de débuts que de fins, tu crois pas ?


Je m’en fiche en fait. Je riposte, maintenant je rends les coups. J’écris, je joue, je bosse, je l’aime, je dors, je vis, je tape. C’est le réveil, et je me bats. 

samedi 12 octobre 2013

Tom, tu ne seras pas oublié

Honnêtement, je ne serais pas capable de me souvenir du premier livre que j'ai su lire seul. Sans doute comportait-il un grand nombre d'images accompagnant le récit. Plus tard, il y eut les collections "jeunesse" qui ont progressivement supprimé le support visuel. Je dévorais les livres quand j'étais gosse comme on mange une friandise, et il n'y en avait jamais assez. Mais vers mes dix ans, je lisais beaucoup moins. J'avais l'un des tout premiers PC, et la télévision m'apportait tout ce que j'avais besoin pour développer mon imagination. Et lorsque les dessins animés n'étaient plus mes productions préférées, j'écumais la collection de VHS de mes parents. 

J'ai du voir "A la poursuite d'Octobre Rouge" une bonne vingtaine de fois à cette période. Et puis, mon meilleur ami de l'époque m'a un jour indiqué, dans un rayon d'une librairie, que l'histoire en question existait en format poche. J'avais onze ans lorsque j'ai lu Octobre Rouge, et c'était mon premier contact avec une littérature mature, des livres qui ne sont pas destinés aux enfants ni adolescents. Et quel bonheur! Dans la toile tissée par Tom Clancy en plus d'une dizaine de livres, le héros Jack Ryan se développe, gagne ses galons dans la hiérarchie, passe d'agent secret à directeur adjoint de la CIA, puis conseiller présidentiel, et même plus... Les intrigues étaient compliquées au possible, réunissant des personnages incompatibles, aux histoires opposées qui ne faisaient parfois que se croiser au cours de la scène finale, avec une incidence sur l'action, évidemment. 

Tom Clancy s'est éteint le 1er octobre, et avec lui Jack Ryan. Il faisait partie de ceux qui m'ont accompagné depuis la fin de l'enfance et je le regretterais encore en de longues, de très longues heures de lecture. Je n'ai même pas encore lu ses derniers romans (ils ne sont pas en poche). Existera-t-il une fin à la tortueuse vie de son héros de toujours? Une publication de carnets peut-être? 

Tom Clancy ce n'est pas seulement un auteur qui m'aura marqué. Il a fait à travers ses livres beaucoup pour moi. Incontestablement, ce sont ses livres parmi d'autres qui m'ont mené vers la Marine lorsque je voulais m'orienter professionnellement. Plus tard, ce sont aussi ses aventures qui m'ont donné l'envie de lire plus, d'écrire aussi. Il y a beaucoup de références à son travail dans mes écrits. Et si vous en doutiez, la plus évidente est le personnage d'Elizabeth Ryan dans l'équipe du Dernier vol. Hommage ou inspiration, c'est aussi la femme de Jack Ryan dans toute la saga de mon auteur favori. Est-ce juste un nom que j'ai emprunté? Son apparence aussi, et même si ce n'est pas la même, elle a été un clin d'oeil très personnel pour moi. 

Je n'aurais jamais son talent, ni son succès. J'ai ses livres, il faudra bien que cela suffise. Il est temps que je le laisse partir. Il ne m'aura pas vu devenir adulte, mais m'aura accompagné plus de 16ans. Et si je l'avais croisé avant sa mort, je crois que je ne lui aurait pas parlé de moi. Que je lui aurais agrippé l'épaule et l'aurais remercié, du fond du coeur.

Merci, Tom. Chapeau bas.

mercredi 2 octobre 2013

Salut, capitaine

Prison de Fleury, 2 octobre

A l’attention du capitaine Hakim Markelian

Cher capitaine,

Tout d’abord, permettez-moi de vous féliciter pour votre promotion, même si elle date de quelques mois, je n’avais pas alors l’envie de prendre la plume. J’ai toujours trouvé que vous faisiez un lieutenant exemplaire, et je suis ravi que votre hiérarchie me soutienne sur ce point. A eux non plus je n’ai pas écrit pour témoigner de mon point de vue, je n’aurais pas souhaité vous nuire. Malgré tout, les journées doivent êtres chargées dans votre nouveau poste de responsable des homicides sur la région Paris-Nord. Bon, nous sommes entre gentlemen, c’est assuré.

J’ai ton attention, poulaga. Alors, on se tutoie, non ?

Pourquoi est-ce que ce taulard m’écrit, tu te demandes? C’est tout naturel. On s’est vraiment côtoyés que le temps de ma garde à vue dans tes locaux, combien… Une grosse dizaine d’heures ? Ton supérieur (quel tas de merde) a jugé bon de me placer en détention, alors que toi, tu brûlais de continuer tes recherches. Et, je peux te l’avouer maintenant, tu avais foutrement raison. Et même raison sur une échelle que tu ne pouvais même imaginer. Ha les poulets, toujours à regarder la poutre dans le cul du voisin. Tu n’avais pas remarqué comme je retenais ma respiration lorsqu’en plein interrogatoire sur l’affaire qui me concernait, un de tes collègues du Quai (Sandon, Sandier ? Un petit gros avec un manteau à la colombo) avait déboulé en annonçant la découverte d’un nouveau cadavre de chauffeur ? Peut-être. J’avais repéré dans ton regard l’intérêt du fin limier (j’ai lu que c’était une race de chiens, tu te rends compte ?), et c’est pour ça que j’ai choisi de t’écrire, à toi et pas un autre sous-fifre. Tes résultats depuis les cinq ans que je suis en captivité sont excellents. Plusieurs affaires, dont ce violeur-tueur de la Défense, un vrai héros, le Markelian ! Enfin, gars ! Enfin t’es digne de mes attentions. Parce que oui, j’ai des choses à te révéler, et je tiens à t’y associer… Histoire que dans un souci d’égalité (je déconne), nos deux intelligences puissent se montrer à la hauteur du challenge.

Le cadavre du chauffeur était l’un des miens. Ouais, ouais, des miens, au pluriel. Doués comme vous êtes, vous n’en avez trouvé que huit, mais il en reste deux, probablement bouffés par des chiens errants le long de la berge de la Seine, plus haut que vos zones de recherche.  

Toi, Markelian, t’étais le seul dans tout le central à trouver que mes déclarations paraissaient « vides de sentiments et récitées ». Evidemment, tête de con, j’étais pas vraiment un touriste ! J’avais tué une petite vieille en la poussant du haut des escaliers d’un immeuble, et « oh je m’en voulais terriblement ». Tu parles. J’ai même cru que vous l’aviez repérée, ma comédie. Parce que bon, est ce que c’était vraiment nécessaire de m’interroger six heures d’affilée si c’était pour me croire ? Pour écrire dans ton rapport que c’était bien un homicide involontaire ? Ptet que je suis démasqué, je me disais à l’époque !

Bon, je m’étais livré un peu tard, c’est vrai. Mes arguments ne tenaient pas tous la route, mais comme il n’y avait pas d’autre explication, vous étiez bien obligés d’y croire. Et attention, j’ai pas menti sur toute la ligne, hein, je l’ai dézinguée la vieille. C’était moi. Si je récitais ma leçon, c’était pour pas en dire trop, c’est tout. La plupart du temps, je bosse sous contrat, et là c’était le cas. Mais t’espérais quand même pas que je déballe ça avec les menottes dans le dos ? T’es con ou quoi Markelian ? Et oh, debout là dedans ! Si je l’ouvrais à propos de ça, il aurait fallu que je raconte tout le reste, ça aurait pris des plombes. Alors je m’en suis tenu à ce que je voulais bien vous dire : j’ai poussé la vieille, elle est morte, c’était triste. Terrible. Tu voulais aussi que je raconte que j’avais claqué sa tête 4-5 fois sur le marbre pour bien être sûr ? Eh ben ouais, mais c’est pas sept ans que je prenais, là, c’était vingt. Vingt ans, t’imagines ? Faudrait vraiment que je sois un abruti fini.

J’aurais pu te raconter les chauffeurs de taxi. Un contrat de vicieux, ça. Un albanais qui m’avait embauché, un vrai rapiat. Ce trou du cul avait rien trouvé de mieux que virer dix chauffeurs de la circulation pour que les siens puissent s’installer. Je sais pas vraiment si ça a marché, tu imagines que depuis que je suis en cabane, je le vois pas m’apporter des petits pains tous les mardis. Il sait sans doute pas que c’est moi, d’ailleurs, ils me connaissent pas sous le même nom que vous. Tiens je te vois réfléchir, capitaine. Tu me crois pas. Tu t’en balances de ces chauffeurs, tu penses que je me met la main dans le slip à te raconter des conneries. Tiens, voilà un détail qui te fera relire les rapports d’autopsie (prévois un bon café, mon salaud). L’albanais était un croyant, un vrai fana. Il m’avait commandé que je fasse un petit croissant de lune sur la poitrine des chauffeurs. Et l’enculé, comme le détail a pas fuité dans la presse, il a voulu une ristourne ! Si c’est pas gonflé.

Alors, tu me crois, Markelian ? On est pas encore copains, toi et moi ? Enfin, je sens que j’ai ton attention, c’est déjà ça. Ici c’est la jungle. Pas un qui sait qu’avec un crayon on peut faire autre chose que planter des néonazis sous la douche. Attention, c’est un vrai plaisir, faut pas déconner. Mais on se lasse de tout. Personne ne lit ici. Si t’as pas deux-trois nichons sur chaque page, t’as gaspillé ton argent. Franchement ? Je m’ennuie. Tu sais que je suis riche ? Enfin, pas riche riche, mais je pourrais prendre une petite retraite pour me ranger. Personne n’a trouvé mon fric, crois-moi, sinon j’aurais reçu plus de visites. Eh ouais. Note que, je fais pas ça que pour l’argent mais je serais un vrai débile de pas en profiter.

Et toi dans tout ça ? Tu sais toujours pas pourquoi je me suis rendu pour avoir buté la petite vieille. Ca viendra, Markelian, ça viendra. Si je te raconte tout maintenant, t’en auras assez pour te torcher toute la semaine. C’est pas le but. Je suis un tueur. Ca donne… Un pouvoir. Tu peux l’imaginer ou pas ? Hein, capitaine, t’as déjà vidé quelqu’un ? Je suis pas sur que non. T’aurais peut-être les couilles, même si tu t’en voudrais à mort. Rah, j’aimerais que tu me dises, ça me travaille depuis des heures. Tu me tuerais ? Oui. Ca aurait même de la gueule, ça. Tu vois, capitaine, j’ai besoin de me tourner vers quelqu’un qui pourrait me comprendre. Pas d’un idiot de psy qui va m’écouter débiter mes faux remords comme dans les dernières années. Je suis pas Hitler hein, je suis bien désolé pour la vieille Delage, mais comme dit c’était pas personnel. Mauvais endroit, mauvais moment, et on m’avait payé.

Oui toi, Markelian, tu m’écouteras. Bon tu répondras jamais parce que toi et moi, on est pas fait pour se payer des bières, plutôt se les envoyer à la gueule quand on aura fini nos munitions. Mais quand même. Et puis je sais que tu voudras les lire, mes lettres. C’est pas parce que t’aimes mon style, chou, mais tu veux de l’avance sur les autres, et tu l’auras. Parce que c’est à toi que je parle.

Avec la vitesse habituelle pour le courrier depuis Fleury, je me serais échappé depuis deux-trois jours quand tu liras tout ça. Enfin, je serais peut-être cané, et là ça te feras juste rire. Sale con. Mais je pense que je serais dehors, plutôt. J’y ai mis les moyens, j’ai léché trop de culs pour que ça rate. Bientôt l’heure, dis-donc !


Allez, on se revoit bientôt mon petit Markelian. Tu vas voir, on va bien rigoler.


Cedric. 

dimanche 29 septembre 2013

Infidélités et publication

Quoi? L'un de mes textes est publié sur une autre plate-forme que celle de ce blog? C'est n'importe quoi! C'est du délire! 

Non, non, rassurez-vous c'était juste une... impulsion. Le fait est que lorsqu'on a l'occasion de réunir plusieurs de ses intérêts sous la même bannière, il ne faut pas se gêner. C'est pourquoi lorsque j'ai vu que le site http://gw2.game-guide.fr cherchait du nouveau contenu dont des textes de rôle-play, je m'y suis attelé avec un grand plaisir. J'aime beaucoup le jeu, ce n'est pas un secret et c'était déjà le cas avec le premier opus il y a... Euh ben presque 10 ans il me semble. 
Je vous engage donc à faire un tour sur le jeu, tout comme sur le site en question parce qu'il est fourni, bien fichu, et que le webmaster auquel j'ai eu affaire est réceptif et sympathique (en plus d'écrire des guides qui m'ont sauvé la mise en jeu plusieurs fois). Vous pourrez y lire une aventure de mon personnage, Gor Tokren, dans le dernier event mondial de Guild Wars 2: le combat contre le dragon Tequatl. 

Je ne doute pas de réitérer l'aventure à l'avenir: c'est un exercice plaisant, cela fait un peu de publicité pour ce blog et puis cela prouve qu'il reste des amis de la lecture :)

Promis je continue d'essayer de vous étonner sur ce blog d'ici très peu de temps!


Et bon dimanche encore, ma bonne dame!

jeudi 26 septembre 2013

Find It ! Reborn, Episode 1: Dreams

Comme "Un dernier Vol" avant lui, ce texte a été supprimé du blog quelques jours après sa diffusion. En effet, il fera (tôt ou tard) l'objet d'une tentative de publication, pour laquelle la présence d'une version sur ce site serait préjudiciable. 
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jeudi 19 septembre 2013

Aventures marines (ou pas)

Bonjour lecteur! Oui, c'est calme ici depuis la fin du roman. Il est en relecture, et sache que tout ça avance lentement et que si je l'affiche ici, je ne pourrais pas le proposer à un éditeur. Comme l'indique le post précédent, ce ne sont pas les idées qui manquent. Donc j'en ai prise une au hasard et je me suis laissé porter. A vous de me dire! Ce texte aura peut-être des suites, mais je sors d'une relation de longue durée avec un document Word donc je suis pas sur de rechercher autre chose qu'un coup d'un soir. 

Espagne, 1671

Il faisait nuit, et le son des sabots était étouffé par les foulards de grosse laine attachés aux pattes des chevaux. Nous avancions sans un bruit, sans paroles parce qu’aucun d’entre nous ne savait exactement à quoi s’attendre. Notre guide, un contrebandier spaniard qui avait refusé de nous dire son nom, se tenait droit sur sa mule quelques pas en avant, et il aurait tout aussi bien pu nous mener dans quelque vile embuscade. Je guettais sans arrêt les parois du défilé rocheux dans lequel il nous dirigeait, à la recherche d’un éventuel reflet de lune sur une surface métallique. La protection. C’était sans doute la raison pour laquelle le Capitaine Jacques de Tourqueville nous avait fait participer à cette dangereuse excursion, qui devait tout de même rester discrète. En comptant le guide, nous étions six les uns derrière les autres, qui espérions passer inaperçus des soldats espaniols que nous attendions tous les dix mètres.

Pour plus de sécurité, Jacques avait interdit les armes à feux à ceux qui le suivraient. Et comme de juste, nous les avions amené. Caché dans mes braies, mon pistolet tapait contre ma cuisse à chaque pas de la jument que l’on m’avait attribué. C’était pire évidemment pour le second, que j’avais vu embarquer tout un arsenal dans son pantalon, et nul ne doutait que le capitaine avait remarqué son manège... Ah nous aurions eu l’air marrons si quiconque nous avait découvert. Déculottés pour charger nos armes, pris de court et ne parlant pas un mot du patois local. On nous aurait sans doute traînés dans les geôles de Cadix, que nul d’entre nous ne tenait à visiter : ceux qui y parlaient le français étaient bourreaux ou ne vivaient pas long. Enfin, les sons étouffés des embruns se firent plus présents.

Le chemin se rétrécissait encore alors que nous atteignîmes de hautes falaises de calcaire. Sans un regard, nous sommes tous descendus de nos montures : une chute ici entrainerait une mort inévitable. Nous aurions pu laisser les chevaux, mais entre elles les bêtes pouvaient se montrer bruyantes et nul ne voulait courir le risque. Les deux hommes de main qui me suivaient s’étaient arrêtés et se signaient comme de véritables paysans. En tant que Premier Lieutenant, c’était à moi de les rabrouer et de les faire avancer, mais je dus puiser dans mon imagination les arguments et les convaincre à la place : impossible de hausser le ton ou de menacer comme à mon habitude. Je leur sifflais mes imprécations entre les dents, et les deux brutes me passèrent devant tête basse. Et me voilà dernier de colonne. Mais comme je ne savais toujours pas l’objectif de cette randonnée, il ne me restait qu’à suivre sans demander mon reste.

La lune découverte miroitait sur la mer calme, qui laissait de rares vagues venir s’écraser sur les roches une centaine de pieds en dessous de nos souliers. On voyait le blanc des embruns venir lécher le pied des falaises et repartir paresseusement vers le large. La baie de Cadix faisait une anse de plusieurs lieues, mais le nuit était assez claire pour en distinguer la côte opposée. A ma droite, la ville elle-même faisait comme un halo lumineux moins loin qu’on ne l’aurait souhaité. Même si on disait ses ruelles assez sombres pour se faire trousser sans l’avoir remarqué, la distance suffisait amplement. A main gauche cependant, de rares buissons épineux se dessinaient le long de notre chemin de caillasse qui restait en hauteur. Puis, à la faveur d’un éperon rocheux, quelques oliviers centenaires faisaient bosquet sur une avancée de cette falaise blanche et poreuse. C’est là que le guide s’arrêta, et notre capitaine qui possédait quelques rudiments de langue locale, échangea avec lui. Pour notre part, nous partagions les rations emportées du bord avant notre départ en début d’après-midi. Le pain n’était pas de première fraîcheur, et les lanières de viande avaient transpiré leur sel sur les sacs et perdu toute saveur. J’allais envoyer nos deux larbins chercher des baies lorsque le capitaine et le second m’appelèrent auprès d’eux.

Comment n’avais-je pu le voir plus tôt ? Sa silhouette se détachait clairement sur la mer, ses trois mats balançant au gré des vagues. Même s’il n’était pas armé, les couleurs spaniardes flottaient à sa poupe, même de nuit, ce qui en disait long sur l’équipage : ceux qui ne rangent pas nos couleurs lorsque le soleil se couche sur mon navire peuvent s’attendre à une courte et douloureuse nuit à nettoyer le pont ou rabocher leurs draps que j’aurais déchiré. Mais je m’emballe un peu, car je n’ai point mon navire même si j’ai mon équipage (Monsieur le premier lieutenant, leur fais-je répéter à l’arrivée des mousses, est notre maître sur le bord), et pour office de navire nous naviguons sur une goélette trop lourdement chargée. Cela dit, si je comprends bien les pensées du capitaine, nous n’allons pas garder le « cormoran » très longtemps…

« - Il a l’air sacrément lège, capitaine !
- C’est parce qu’il sort de carène, lieutenant. Le bois n’a même pas encore travaillé. L’eau lui montera encore d’au moins quatre pieds lorsqu’on y fera monter mes canons.
- Nos canons sont en France, mon capitaine. » Fit remarquer le second. Se tournant vers son subordonné, Jacques prit une longue inspiration et il était évident qu’il s’empêchait de crier de toutes ses forces.
- Imbéciles ! Ce que je vous montre, c’est l’avenir ! Regardez sa proue, ses lignes ! Il sera magnifique, il sera dangereux et il peut porter tout ce qu’on voudra bien nous confier aux caraïbes. Mais non, vous, tout ce que vous voyez c’est qu’il flotte haut et qu’il est désarmé. N’est-ce pas pour l’aventure que vous êtes venus ? »
La question était rhétorique, émanant du capitaine… Mais dans les yeux du second, je pouvais lire aussi clairement qu’en plein jour que c’était les gains promis qui l’avaient entrainé avec nous. Pour ma part c’était mon premier poste de commandement, et je savais que nous avions pour ambition de rentrer sur un plus gros rafiot. Au moment de signer peu m’importait lequel, mais je m’étais vite aperçu qu’il n’allait pas nous tomber dans les mains par la grâce divine. Je l’acceptais. Et la proie, vue du haut de la falaise, paraissait plus tentante que jamais.

« - Santa Maria del Sol, qu’ils veulent l’appeler, reprenait le capitaine. Quelle originalité ! Quelle bouffonnerie, c’est tout les spaniards. Je ferais venir un prêtre, et on va nous le rebaptiser, vous allez voir ça.
- Quel nom, mon capitaine ?
- Je n’en sais encore rien ! Quelque chose qui aura plus d’allure, et ce ne sera pas bien difficile. Santa Maria del Sol… La sainte mère, c’est bien une égide pour ces pisse-froid. Allez, dites-moi qu’il vous plait au moins, ce navire ! Il est unique ! Le maitre charpentier qui l’a conçu est mort de maladie le mois dernier.
Le marchand, car c’en était un finalement, avait en effet bien fière allure. La proue était longue et effilée, tandis que son ventre s’étirait doucement sur ses flancs. Il n’aurait pas la capacité d’emport d’un quatre pont, ni la puissance de feu d’un galion, mais ce serait l’ami idéal pour repousser une frégate trop aventureuse, attaquer une barge lourde ou un camp ennemi et repartir en louvoyant sur les hauts fonds caribéens dont nous rêvions tous. Pour moi, c’était la perspective d’une grosse centaine de marins sous mes ordres. Et il filerait droit, oh oui. Je m’y voyais déjà, et il me faudrait un nouvel uniforme. Aucun de nous ne parlait, mais tous nous figurions déjà sur son pavillon arrière, en escale là où les femmes exotiques nous feraient bon accueil.

« Capitan ? » Cette fois c’était le guide. Il était venu jusqu’à nos côtés, et il semblait impatient de continuer jusqu’à la prochaine anse, encore un peu plus près de la ville. Revenus au bosquet d’oliviers, aucun d’entre nous ne voulait risquer plus, aussi nous avions déjà préparé les chevaux quand le petit homme s’énerva. Nous ne comprîmes deux mots de ce qu’il disait, mais ses chuchotements avec Jacques de Tourqueville étaient houleux. Ce dernier finit par se rendre, et emboita le pas au petit espagnol.

«  - Il dit qu’il veut nous montrer la crique suivante. Qu’il ne repartira pas sans que nous l’ayons vue. Préparez vos armes, c’est peut-être le traquenard que vous craigniez, lieutenant.
- Quelles armes, capitaine ? Vous nous avez interdit de…
- Celles que vous avez dans vos caleçons et que vous bringuebalez depuis midi, bande de crétins ! Et si vous n’y avez que la queue, prenez-là aussi, vous pourrez toujours les faire rire ! Maintenant cessez de caqueter comme les pochtrons que vous êtes et suivez moi. »
Il nous suffit de quelques dizaines de mètres. Une avancée sur la mer nous cachait une partie de la baie, plus abritée que les autres et protégée des courants par des fonds à quelques dizaines de brasses. Tout au bout, les rochers baissaient et venaient surplomber les corderies royales espagnoles qui précédaient les deux gigantesques bassins de carène. A plat ventre tous comme un seul homme, aucun d’entre nous ne s’intéressait pourtant aux installations portuaires des spaniards.

Parce qu’à une centaine de pas, bord à bord, une forêt toute entière de mats se balançait doucement. Une cloche signala un changement de quart, et les ponts s’emplirent de marins et militaires disciplinés, qui dans des ordres vifs et précis, prirent leurs postes sur les dix-huit navires que constituait la Grande Armada.


« Rentrons, j’en ai assez vu » chuchota le capitaine. 

samedi 14 septembre 2013

Essayer d'attraper les syllabes à la volée

On reprend son souffle. Pas facile de sortir d'un roman lorsqu'on est bon lecteur, je vous laisse donc imaginer le sentiment lorsqu'on l'écrit. Lorsqu'on passe un an (un an!) à tenter de raconter une histoire, à amener lentement les personnages auxquels on s'est attachés jusqu'à la fin, la délivrance. Non, pas évident de les suivre quelques mois parfois pour les faire mourir (Boris, Lukas, Mary étaient aussi mes amis). Et maintenant que c'est terminé, j'ai la lourde tâche de la relecture. De revivre une énième fois avec eux la fin du monde, de les aider à s'en sortir, de développer leurs sentiments ou d'expliquer telle ou telle partie de la Station Spatiale Internationale. 
Evidemment, on se sent un peu vanné mentalement, et quand on sait que j'ai l'imagination fertile, il n'est pas difficile d'imaginer que l'envie est difficile à venir. Surtout que je ne sais pas quoi changer... Je dois allonger un peu l'histoire, sans doute. Décrire, creuser un peu les personnages. Et puis imprimer, envoyer à des éditeurs qui, s'ils en sont contents, apporteront leurs propres modifications. Des étapes, on s'aperçoit lorsqu'on écrit "FIN" sur la dernière page qu'il en reste tant, quand c'est l'écriture qui nous passionne. Un paradoxe, d'ailleurs, de souhaiter plusieurs mois durant atteindre la fin pour réaliser au dernier mot que c'est le parcours qui était digne de se battre et pas l'objectif final. 

Alors on fait quoi, on s'arrête? On s'assoit, on refuse de se bouger en snobant la Terre entière? Ouais c'est vrai, on peut leur cracher un "oui, tu sais, je suis romancier" au visage. So what? C'était surtout pour moi un défi et beaucoup de plaisir. Et en se posant la question, je n'ai pas moins d'envies qu'auparavant... Les mêmes projets, avec une perspective nouvelle, celle de savoir que si l'envie est là, si on sait ou l'on va, on peut aller jusqu'au bout. Ce n'est pas facile, ce n'est pas toujours agréable et comme un sport cela demande des heures et des heures et des mois. Mais c'est possible et c'est ce qui est beau dans cette discipline. J'aime ça. J'aime venir vous harceler avec des "eh tu as vu, j'ai mis un nouveau post". Et qu'on soit que cinq ou six, ça change quoi? 

Déjà, ça me donne envie de vous remercier, Clem toujours en premier, puis Béné et Michmich. Edité ou non, tu l'auras ton exemplaire dédicacé, bonhomme.

Il m'a remis Find It! en tête, le mec. Ca m'obsède comme un vieil échec, comme le slip d'Emma Watson. Mais le problème demeure, si la première moitié est bien (elle nécessiterait un bon nettoyage de printemps), il manque un bon tiers d'histoire pour m'amener à la fin, qui elle est connue. Cela ne veut pas dire qu'on ne va pas y revenir, et très bientôt. C'est l'une des possibilités.

Il y a Oberis. Ô, Oberis. plus imposant qu'une bible pour moi, puisque c'est un monde, tout un univers fantasy qui a pris place. Ici l'ennui c'est qu'un monde étant infini, tel est le nombre d'histoires que je pourrais vous conter. J'ai fini dynastiquement la première génération des rois des Terres d'Oberis, après l'Aube Rouge... Mais c'est une bible, un enchaînement d'histoire qui m'enchante autant qu'il vous ennuiera. Pour aperçu du "travail", voici en vrac la famille royale de première lignée: Dagmar, Prismée, Delmer Dagmar, Wellos Dagmar, Igniron Dagmar, Syrio Dagmar, Liss Carthos, Pyrion Dagmar, Edmar Dagmar, Erin, Rodrick, Taedir, Loeric, Ircaros, Joedir, Gillia, Churio, Lunia, Raedir, Arion, Siegar, Wellos II, Noarilla, Rismerra, Mishe, Thasis, Toric, Parrifine, Urial, Felirien, Cecilia, Furio, Arastor, Isidora, Irmen, Aramis, Diane, Eliselle, Estar, Elsila, Magdalena, Julian, Dandale, Lilyanne, Ingvar, Dunnar (tous des Dagmar). Et ça c'est avant la lignée des rois d'Agodies... J'aime autant vous dire que si ça peut être bien, ça peut durer une bonne décennie d'écriture. Mais why not.

Il y a d'autres projets. Une nouvelle nouvelle sur la carrière de mon héros "récurent", Mathieu Sandier. Reprendre chasseur de chasseur, mais différemment. D'autres débuts, qui n'ont pour aujourd'hui que des noms sur des idées. La Guerre des Anges. Pouvoir. La Trilogie des Clefs. La nouvelle que j'ai soumis au concours Don Quichotte (et dont je dois toujours taire le nom) et sa possible suite. Il y a un ou deux récits de voyages qui me trottent, le carnet de voyage que je dessine sur l'Irlande. J'aimerais faire une biographie d'un proche.

Oh tant de belles choses à venir, tant de rêves, dont l'un chasse l'autre au rythme effréné des mots et des posts, agrippés à l'évidence extraordinaire qu'à fait naître en moi l'année écoulée: c'est possible.

C'est possible!

jeudi 5 septembre 2013

Un dernier Vol - Final - "Un dernier Vol"

Ce texte a été modifié après plus d'une dizaine de jours de publication sur le blog. Il fait partie du cinquième et dernier chapitre du roman "Un dernier Vol" qui sera proposé à différentes maisons d'édition dès qu'il sera terminé. Il ne sera malheureusement plus disponible au public d'ici là. Pour retrouver toute l'actualité de ce récit, je vous propose de cliquer sur l'onglet correspondant
Et si vous avez des questions sur mes textes ou moi-même, rendez-vous sur l'onglet "intéressés par mes écrits ? ".

lundi 2 septembre 2013

Un dernier Vol - Retours: "Nouveaux Départs"

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jeudi 29 août 2013

Un dernier Vol - Retours: "Eveils et sommeils"

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dimanche 25 août 2013

Un dernier Vol - Retours: "Au revoir ou Adieu"

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mardi 20 août 2013

Un dernier Vol - Retours: "Attente de livraison"

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samedi 17 août 2013

Un dernier Vol - Retours: "Martha, tête du tigre"

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jeudi 1 août 2013

Un dernier Vol - Retours: "Les efforts ou la mort"

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