Quelques uns d'entre vous le savent, je suis un passionné de ce que nous appellerons "La chose militaire"... Mais ce n'est pas le but de ce blog. Pourtant, entre deux textes, voici un petit tour dans mon monde, entre affrontement célèbre, fantasy et analyse tactique d'une bataille que pour le coup, tout le monde connait.
Comme chacun le sait, la
bataille du Gouffre de Helm (Le Seigneur des Anneaux, les Deux Tours) s’est
soldée par une défaite des forces de l’Isengard sur une coalition Humain-Elfes
menée par les troupes du Rohan. Notre analyse portera aujourd’hui sur cette bataille,
sa réalité mais aussi et surtout la catastrophique tactique des Uruk’hai qui
avaient, nous le prouverons, toutes les cartes en main.
1/ La stratégie de l’Isengard
La stratégie employée par
l’armée de l’Isengard est assez novatrice pour son temps lorsqu’elle est
décrite par Tolkien. Elle sera plus tard employée au Vietnam par l’armée
américaine, par exemple. Elle vise à assurer la maitrise du terrain et des
populations adverses par un mouvement en deux temps. Dans le premier, des
forces insurgées issues de minorités vont saper l’autorité politique du pouvoir
en place, tout en mettant en action une répression locale importante. Elle
génère des mouvements de réfugiés, désorganise le pouvoir et en limite son
action. Le second temps, qui reste le plus long moment adapté dans le
long-métrage, réside dans l’envoi d’une armée puissante, qui n’a plus qu’à
cueillir le fruit des actions précédentes, en provoquant puis gagnant une
unique et décisive bataille. C’est sur cette dernière que nous allons revenir.
2/ La bataille du Gouffre de Helm, une nécessité ?
Lorsqu’on regarde le rapport
des forces, qui en englobant les renforts des régiments de cavalerie du Rohan
n’est pas en la défaveur de ces derniers, on peut se demander quelle était la
légitimité à aller s’enfermer au Gouffre de Helm. Le livre comme le film
apportent des éléments : il s’agit d’une retraite traditionnelle, un
symbole de victoire pour le peuple, mais également un lieu pour lequel le
nombre d’assaillants perd en influence (nous verrons plus loin que ce n’est pas
tout à fait vrai). Toutefois, il eut été utile de considérer les forces
adverses avant de prendre ce choix : l’armée de l’Isengard est (si ce
n’est quelques éléments montés sur les Ouargs) essentiellement basée sur
l’infanterie. Et une force de cavalerie, même plus faible en nombre, aurait pu
faire plier une telle armée… Non seulement en l’attaquant de façon répétée et
rapide, mais également en gagnant un temps précieux pour regrouper ses propres
forces disséminées dans le pays. Leur choix se fixe sur une forteresse mangée
par les années et les conflits précédents, aux défauts architecturaux que nous
allons énumérer, et surtout sans échappatoire.
3/ Forces en présence
- Forces du Rohan : On va
compter environ 300 soldats de métier dans les forces qui défendent le Gouffre,
soit trois bataillons, auxquels on va ajouter deux bataillons de réservistes qui
ne tiendront pas lourd dans la bataille : mal équipés, trop vieux, trop
jeunes, c’est du rajout très artificiel. On pourrait aussi compter un ou deux
bataillons pour la population dans les grottes, mais elle n’intervient pas.
Egalement, on va compter 4 à 5 régiments de cavalerie (5000) en renforts, mais
qui n’arriveront pas avant l’aube.
- Forces elfes : Estimons
à environ 500 (et encore je suis sympa) soit un demi régiment d’infanterie, que
l’on peut diviser de la manière suivante : 2 bataillons d’archers, 3 de
fantassins à pied.
- Forces de l’Isengard :
Une brigade d’infanterie complète, bien équipée (mais très mal commandée) et un
bataillon monté sur les Ouargs. Soit au moins 10000 guerriers.
4/ La bataille du Gouffre de
Helm
Première erreur orque :
l’équipement.
La bataille à proprement
parler démarre plusieurs heures après la tombée du jour. Dans une démonstration
de force totalement inutile, l’armée de l’Isengard se présente à portée de tir
des forces de la coalition. On peut remarquer à cette occasion sur dans le
long-métrage, une partie significative des assaillants est armée de longs pics.
La pertinence de cet armement à la fois long, encombrant et peu maniable, n’est
justifiée à aucun moment de la bataille. A l’inverse, un combo bouclier-épée
courte aurait bénéficié d’un gain très appréciable dans les combats au corps à
corps sur la muraille.
Par contre, on peut à
l’inverse louer les capacités des troupes du génie des Orques. Pontonniers,
artificiers, sapeurs, tout l’éventail des capacités sera utilisé. Mais dans le
mauvais ordre, nous le verrons plus loin.
Seconde erreur orque :
l’attaque sur tous les fronts
La bataille démarre sur un
chaos total dans les forces assaillantes. En effet, on voit successivement des
salves d’archers, des montées d’échelles, des tentatives sur la porte de la
citadelle (offrant, certes, un accès restreint). L’assaut en lui-même est brouillon,
dans le sens ou des pertes importantes vont être concédées uniquement parce
qu’il s’agit d’une diversion. Eh oui ! Tous ces morts (et jusque-là, on
peut estimer qu’elle dépassent un bon dixième de la brigade engagée, sans
compter les moyens matériels qui ont été mis en œuvre), tandis que l’atout
majeur n’est pas encore dévoilé : les explosifs ne seront déployés
qu’après un temps qui a du paraître une éternité aux forces d’assaut sous le
feu précis des elfes.
Troisième et terrible erreur
orque : L’explosion du rempart
Présentée dans le livre comme
dans le film comme l’évènement majeur qui fera tourner la bataille en faveur
des armées de l’Isengard, c’est en fait un exemple parfait de la fausse bonne
idée. Certes la brèche va permettre de rentrer dans le gouffre et d’en
annihiler les troupes elfes ainsi qu’une bonne partie des défenseurs humains.
Cela dit l’intérêt tactique de cette manœuvre est… nul. Puisque l’accès aux grottes
est conditionné par la citadelle, accessible de derrière les remparts par un
chemin tortueux, bien défendu et une porte très peu large : un casse-tête
pour tout assaillant. Pour comprendre, il faut revenir plus tôt dans le récit.
On nous promet que « le seul défaut du gouffre de Helm réside dans un
boyau, inconnu de tous mais point faible de la muraille ». Dans un sens c’est
vrai, rien ne sert d’avoir une dizaine de mètres d’épaisseur de mur si c’est
pour pouvoir passer par un tunnel juste en dessous. Mais il faut voir le
Gouffre dans sa globalité : prendre le mur n’apporte rien dans cette
bataille ! C’est la citadelle qui compte comme objectif principal, et de
supprimer la menace des remparts en second. Il aurait été beaucoup plus
intelligent de taper sur l’endroit le plus vulnérable avec une arme aussi
sensationnelle.
Quatrième erreur orque :
l’avancée en tortue
Clairement, le mouvement n’a
pas été bien répété à l’entrainement : Lors de leur montée vers la porte
de la citadelle (tardive, très tardive) les troupes de l’Isengard forment une
tortue… Mais oublient de protéger leurs flancs ! Heureusement, c’est là
que l’attaque frontale contre la muraille prend un tout petit peu de valeur :
les archers elfes sont suffisamment débordés pour ne pas infliger des pertes
massives.
Cinquième erreur orque :
les échelles de la citadelle
Oui c’est vrai, pourquoi
passer par la porte lorsqu’on peut escalader 80m de corde sous une pluie de
flèches ? Cette attaque, bien que destabilisante sur les défenseurs et
leur moral déjà vacillant, va se solder par plusieurs échecs facilement
prévisibles, dus à la difficulté de tenir sur des échelles aussi massives, mal
construites et mal arrimées (et aussi un peu à l’action des réservistes sur le
dessus). Pourquoi ne pas en effet, avoir gardé ces troupes précieuses pour
protéger les flancs, ou pour former des unités de réserves ? Puisqu’ils
savent faire la tortue, ils avaient juste à patienter le temps que la porte
tombe…
Sixième erreur orque :
Combattre sur un terrain défavorable
Le temps que la porte,
gravement endommagée soit réparée à coups de madriers (?!), les orques se
laissent déborder par deux uniques guerriers sur cette avancée de pierre de
cinq à six mètres de large. C’est bel et bien une erreur des orques de n’avoir
pas été assez organisés : une poussée d’une vingtaine de soldats bouclier
en avant aurait bloqué les défenseurs contre la porte, position pour laquelle
leur combat n’aurait pas duré.
Septième erreur orque :
ne pas s’approprier la citadelle
Là on passe de l’improbable à
l’incompréhensible. Les Uruk’Hai ont pris la muraille, ainsi que la citadelle.
Ils disposent encore de troupes nombreuses (mettons, au pire 5 régiments soit
la moitié de leurs forces originelles), à pied et équipés en majorité de piques
et d’épées. Arrive le « tournant de la bataille » c’est-à-dire à l’aube.
Le roi et les quelques défenseurs restants font une sortie, une dernière
charge. Cela implique trois choses :
- 1 : Les orques ont
gagné ! Ils ont accès à leur objectif, c’est-à-dire les cavernes, au sein
desquelles ils peuvent exterminer la population du Rohan qui y est réfugiée (l’échappatoire
parmi les montagnes est évoqué trop tard, les orques sont plus puissants et
rapides que des civils affamés).
- 2 : La charge du Roi est certes belle pour le
geste, mais on l’a constaté plus haut, les troupes orques sont équipées de
piques… Justement prévues pour contrer les cavaliers ! Même en admettant
qu’ils n’aient pas le temps de les mettre en œuvre avant que le Roi ne rejoigne
la rampe de la citadelle, il y constitue avec son groupe une proie de choix
pour les milliers de combattants restants dont plusieurs centaines sont
équipées d’arcs.
- 3 : L’arrivée
salvatrice des réservistes déboule comme une avalanche au milieu des troupes
restantes, qui prennent leurs jambes à leur cou pour fuir le champ de bataille
après une courte résistance. Déjà, on l’a dit plus haut, ils sont équipés de
piques : c’est particulièrement performant contre les chevaux (Braveheart
le démontre si besoin est). Ensuite, étant donné le potentiel des forces à
disposition, ainsi qu’une donnée très simple : les orques disposent de la
citadelle, rien ne justifie une retraite. Au contraire, le mouvement gagnant
aurait été de prendre refuge dans cette citadelle : rappelons que même la
porte ouverte, les assaillants ne peuvent venir à plus de 2 ou 3 chevaux de
front. Et qu’en tout, ils ne sont pas plus nombreux que les orques, qui peuvent
profiter des heures de combat à venir pour mener leur objectif à bien :
génocider les Rohannais comme prévu.
(à suivre, si ça vous
intéresse)