mercredi 23 avril 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 12

12. Cashel, le vrai

Comme souvent, pour éviter la panique, il est bon de se poser pour réfléchir. Tel sera le prétexte officiel de notre premier arrêt dans une auberge en bord d’autoroute. La raison officieuse bien entendu, repose en large partie sur nos vessies saturées de café. Là où l’anecdote devient marrante, cela tient au lieu de notre arrêt. En effet, lorsque sur la quatre voies, on vous indique des sanitaires, on est en droit de s’attendre à une aire d’autoroute… Sauf que nous arrivons en face d’une véritable pension, avec un ou deux bus garés impeccablement devant, et pas grand monde autrement. Nous hésitons un peu avant de rentrer… 
Parce que oui, impossible d’aller jusqu’aux toilettes discrètement, il faut traverser un couloir que longe une baie vitrée donnant sur la salle à manger, absolument pleine à craquer. Confrontés à nos vessies, nous perdrons vite la face, aussi nous allons passer devant ces cent-cinquante personnes (majoritairement âgées) dont un certain nombre vont lever les yeux et tiquer devant ces touristes qui ne consomment pas mais filent en douce…

De toute façon, il est bien trop tard pour nous arrêter. Soulagés, nous remonterons le couloir le sourire aux lèvres, pour aller discuter de notre trajet sur le parking. Le soleil est maintenant franchement de sortie, c’est vraiment agréable.  Bon, nous avons un problème de Cashel, à l’évidence. Mais a force de feuilleter le routard et le plan de Julie, on en vient à trouver que celui que l’on recherche se trouve dans le Tipperary, et il n’y a qu’un seul Cashel dans ce comté –là. Il y en a un également à côté d’une agglomération dans le même coin, mais nous estimons (presque au vote) que ce n’est qu’un piège à touristes, et que d’ailleurs le bureau de tabac du coin doit bien rigoler à voir les gens chercher un château.

Puisque notre décision est prise, il n’y a plus qu’à rouler ! Si la campagne irlandaise n’est pas fascinante (des collines, des champs, ça rappelle un peu la Saône et Loire…), il y a régulièrement des éléments pour égayer le paysage : telle vieille tour à l’abandon, tel clocher de village isolé… Les nuances de vert s’étendent à l’infini sur un paysage digne de l’écran de Windows XP. Assez vite, nous approchons de notre destination, et quittons la quatre voies pour entrer dans le bocage, sur une route de campagne bien large. Dans l’idée, nous lançons ce jeu enfantin (mais capable de lancer des heures de polémiques) de « Qui a vu en premier … », mais pour le château cela va se révéler inutile. Il n’y avait pas vraiment besoin d’être aux aguets. Passé une colline, dans un long virage à gauche, il apparait d’un seul coup sur le sommet d’en face. Imposant, lourd, entourant tout le haut de la colline d’un épais rempart au sein duquel on distingue de hautes tours, un gigantesque donjon et d’énormes corps de bâtiment. Impossible que l’on se soit trompé de Cashel !

Bon, si on cherchait encore confirmation, la présence de touristes (quel fléau) nous aurait confortés dans notre idée. Dans les rues du village, il n’y a qu’à suivre les autres voitures de location (celles avec le type de carburant sur la trappe, ou un macaron Eurocar de la taille d’un ballon de foot…), elles sont légion. Et naturellement, il ne faudrait pas tomber dans le piège de vouloir se garer directement sous la muraille : non seulement ce doit être payant, mais les ruelles du coin paraissent malaisées pour un demi-tour (sans compter la taille du char). Par chance, une place se libère le long d’une maison juste quand nous arrivons. Ni une ni deux, je me lance dans un créneau à droite qui ne nécessitera que trois ou quatre essais (une paille)… C’est sur ce genre de voiture là que j’aurais aimé un radar de recul, mais bon, on a fait sans ! Nous prenons les appareils photos sous le bras, chargeons les sacs à dos, et partons à l’assaut du Cashel Castle !

Bon, c’est un abus de langage compréhensible quand on est au pied de l’édifice. Trompés par les tours, la muraille, le donjon, on en viendrait à ne pas voir l’usage premier de cette gigantesque construction, dont le moteur encore une fois, était la religion. Cashel, ce n’était par une résidence royale, une place forte en cas de repli ou une citadelle. Non, c’était un gros centre névralgique religieux, avec toute une congrégation, des gardes spécifiques et de quoi tenir contre… Euh, sans doute d’autres religieux. Ils ont mis les moyens sur les défenses, d’ailleurs, ça en impose à des kilomètres. C’est là que les Rois du Munster étaient couronnés, à l’époque, et la chapelle est censée être d’une beauté vespérale.

Bon, je serais en difficulté de vous la décrire, évidemment… Puisqu’on n’y est pas rentré ! La décision a fait l’unanimité en moins d’une minute. Nous étions au pied du rempart, juste devant le corps de garde qui abrite l’entrée. Devant nous, une muraille de dix mètres de pierre grise et massive, et ce château. L’endroit est à couper le souffle. Mais était-ce la présence d’un grand nombre de personnes âgées, le fait que soudain, on ressemblait trop à ces touristes aussi ennuyeux que communs ? Ou bien le prix de la visite (plus de quinze boules par personne !), toujours est-il que nous cherchons vite une solution alternative. Il y a d’ailleurs un sentier désert qui s’éloigne à gauche de l’édifice principal, et qui pourrait bien faire le tour du bâtiment médiéval. Aussitôt dit, aussitôt fait ! Nos jambes nous démangent de randonner, et le temps magnifique, ce bleu moutonneux du ciel qui court sur les cent nuances de vert du bocage, c’est un appel irrésistible.

Nous avons aussi notre petite idée photographique. En effet pas facile de prendre des paysages de tours et de donjons depuis l’intérieur des remparts. Ce faisant, nous allons prendre du recul, pouvoir faire de meilleures photos, travailler les angles. Et faire les cons, puisque cinquante mètres après s’être engagés du ce chemin gravillonné, le silence se fait et nous laisse entre amis. Il nous manquait encore un but, mais nous allons l’apercevoir du haut de notre colline. Tout absorbés que nous étions par les tours, les chemins de ronde, le verdoyant village, nous n’avions pas encore vu les ruines qui s’élèvent, solitaires, quatre cent mètres plus loin. Celles d’une abbaye, fortifiée elle aussi, dont il manque le toit et les arches, le cœur mangé par la verdure et exposant ses flèches et ses linteaux de pierre au soleil.

Il y a une traversée d’un plein champ, aussi nous jouons comme des gamins à surgir et disparaître des photos de nos camarades au gré des replis du terrain. L’herbe est douce et profonde, un véritable tapis de salle de bain, qui nous donne envie de s’y allonger et d’y faire des roulades. On se retiendra à temps, car il s’agit mine de rien d’un pâturage, qu’il y a donc invariablement des vaches ou des moutons pas loin, et que celui qui ferait des roulades se retrouverait sans l’ombre d’un doute avec quelques surprises… Avec le soleil et les fortifications derrière nous, c’est un petit paradis dont nous savourons chaque seconde. Arrivés au bas de la colline, nous nous serrons sur le bord d’une route de campagne, qui va nous permettre d’arriver juste devant les grilles de cette fameuse abbaye en ruines. Nous n’aurons même pas à sauter par-dessus : l’endroit est ouvert, une petite porte de métal grinçant ajoutant encore au pittoresque. Adossée au muret, une plaque nous informe que l’édifice servait de couvent de franciscains, il y a plus de sept cent ans… Devant nous, sur une centaine de mètres, une allée de grosses dalles de pierre qui traverse le pré fraîchement tondu, et puis ces ruines qui se découvrent à nous différemment selon les angles.

Il y a d’abord une ancienne cour intérieure, peut-être un cloitre, avec son gazon carré et ce qui devait être, il y a huit siècles, des arches à colonnades. D’une pièce à l’autre, à ciel ouvert, nous prenons le temps de nous imprégner du lieu, en tentant de s’imaginer les fonctions des différents espaces que nous traversons. C’est assez monumental, et pourtant il n’y  pas tant de place que ça... Tout en visitant, nous ne quittons pas des yeux le château, sur sa colline juste à côté, qui se dévoile dans toute sa grandeur. Et puis, nous avons l’œil exercé de par chez nous : tels trous espacés étaient à l’évidence les madriers qui soutenaient un étage, tel renfoncement devait être une cheminée ou un four… Puis l’on rentre dans l’église à proprement parler. L’architecture du lieu est différente de « nos » édifices : le clocher fortifié, plutôt que de s’élever au-dessus du chœur, est situé directement au centre de la croix formée par l’église : pile sur le transept. Et pour le soutenir, une véritable rosace de piliers entrecroisés dans un motif presque celtique par essence… C’est de toute beauté.

Lorsque l’on regarde le sol pourtant, on pourrait s’interroger au premier regard. Les grandes dalles sont inégales, certaines de teintes de marbre différentes des autres, certaines complètement éclatées par les effets du temps… En fait, il s’agit ni plus ni moins que de pierres « tombales ». Je serais bien en peine de dire si les corps sont dessous, mais en tout cas cela a pour effet d’apporter ce grain de sérieux, de calme éternel que dégage l’endroit. A l’intérieur des ruines du cœur, malgré le ciel ouvert, il n’y a pas un brin de vent, et l’écho de nos pas résonne sur les murs aux pierres taillées, qu’une fine mousse recouvre peu à peu.

Seul l’autel, qui semble d’un seul bloc de granit, se dresse encore au centre du chœur. Bloc de pierre sans aucun ornement, il semble immuable, comme s’il était destiné à perdurer même s’il ne restait des murs que poussières et racines de roches. Pour détendre un peu l’atmosphère entre nos déambulations respectueuses, nous en profitons quand même pour mettre en scène un assassinat rituel sur cet autel (je joue la victime, Michel le prêtre sanguinaire). Il ne manque que les cierges, les costumes et quelques chants (et des adeptes, et une corde, et la religion qui va avec) mais avec un peu d’imagination, on s’y croirait. Ensuite, nous finissons par nous séparer, chacun ayant son idée du plan architectural qu’il tient à photographier. Je m’arrange pour finir dans le champ qui entoure l’abbaye, qui me permet des plans sur le château au loin et sur les ruines entourées de tombes (des vraies, cette fois c’est certain), que l’on aperçoit sous les épis de blé, les herbes et les quelques ronces qui s’étendent invariablement vers la vieille structure de pierre.

Comme le temps passe vite dans ce temple du calme ! Lorsque nous nous retrouvons tous les quatre sur un muret à côté de ce grand carré d’herbe, il se fait sacrément faim. Bon, erreur stratégique de moi et Julie, nous n’avons pas les sandwichs (mais nous étions censés visiter le château, enfin !) qui sont dans la voiture (oui, oui, de l’autre côté de la colline). Tout en détectant une pointe d’énervement chez nos amis qui eux, avaient prévu le coup, nous devons nous contenter de l’apéro dans ces ruines-ci, à base de chips aromatisés à l’ail (garlic bread fait vachement plus exotique)... Il est temps de revenir à la voiture ! Nous retraversons rapidement les deux prés qui nous séparent du chemin des fortifications, en croisant toute une bande d’adolescents de Cashel dont la moitié est habillée façon hipster (les campagnes irlandaises aussi sont touchées). Je ferais aussi le tour du magasin de souvenirs du château avec Michel, en cherchant en vain une représentation médiévale, montrant ce dernier dans toute sa splendeur, sans échafaudages et ses murs complétés… Les filles ont cru bon d’aller directement à la voiture (en oubliant sans doute que les clefs sont dans ma poche).


Je prends le volant, pour nous trouver un endroit où nous poser pour manger. Et allez savoir pourquoi, nous votons à l’unanimité pour chercher un champ sur la petite route qui menait à l’entrée de l’abbaye. J’ai l’estomac qui gargouille presque aussi fort que notre moteur diesel, alors on a intérêt à trouver rapidement !

vendredi 18 avril 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 11

11. Tant qu'il y a de la vie, il y a du Spar

En ouvrant les yeux, il y a cette agréable sensation de savoir que j’ai bien dormi, que ma femme est à côté de moi, sans pour autant que mon cerveau puisse encore connecter les pièces et savoir ou je me trouve. Un genre de plénitude et de confiance absolue. Bon, bien vite le réveil donne son second appel, histoire que l’on se souvienne que l’Irlande on veut en profiter à fond, pas seulement depuis les draps de Dublin. A ce moment de la journée, c’est pratique d’être partis à deux couples, car il y a cette petite pression supplémentaire au réveil, de ne pas vouloir décevoir nos amis, de ne pas nous mettre en retard tous les quatre. Un effet qui doit être plus ou moins partagé dans la chambre d’à côté, puisque nous retrouvons nos amis à sept heures et demie dans le couloir. Le bruit discontinu de la chasse d’eau nous rappelle aux quelques défaillances de l’appartement, dont nous n’avons pas eu à souffrir cette nuit car tout le monde était abruti de sommeil… Nous prenons quand même le temps de boucler nos bagages et de les cadenasser pour s’éviter la fouille d’un room service, avant de sortir et de nous diriger vers le centre-ville.

Oui, le côté un peu « sec » de louer un petit appartement, c’est que le petit déjeuner n’est pas inclus (les gouts de luxe, ça ne se perd pas comme ça). Du coup, il nous faut trouver à manger : autant Marie et Michel pourraient éventuellement s’en passer (quoique, en vacances ils avouent eux même avoir besoin de l’énergie dès le matin), mais moi je sais que je ne pourrais pas tenir longtemps sans de belles et bonnes calories. On l’a dit, le centre-ville est jalonné de Spar, ce genre d’épiceries de quartier qui vent tout ce qu’il faut pour les aventuriers à la journée que nous sommes. Comme pour reproduire un peu ce qui s’est passé pour les restaurants et les bars de la veille, nous laissons passer deux ou trois enseignes. Les premières ne sont pas pourvues de tables, les suivantes ne servent pas de boissons, la troisième enseigne n’inspire pas confiance… Enfin, près de la mairie, nous finissons par trouver notre bonheur. Dans ce Spar, il y a quelques locaux qui sirotent un café, de quoi acheter des provisions pour le pique-nique de ce midi et surtout, surtout, trois énormes paniers remplis de muffins et autres cakes sucrés.

La messe est dite ! A chacun notre pâtisserie et notre boisson chaude, nous nous installons le long de la baie vitrée qui donne sur le coin de la rue. Pour un lundi matin, je ne sais pas pourquoi mais j’imaginais une ville un peu plus proactive ! Là, à l’inverse, à part quelques joggers, il n’y a presque pas un chat sur les trottoirs. Peu de voitures aussi, peut-être que les bureaux ouvrent plus tard. Ou bien qu’hier soir, les bars bondés d’irlandais auront créé un nombre incommensurable de « malades du lundi matin » ? Après tout c’est le mois d’aout ici aussi…  
Le mystère demeure pendant que nous dégustons. J’ai pris un genre de muffin très dense aux myrtilles, c’est délicieux en plus d’être préparé au fromage blanc (la couleur ne trompe pas), ce qui me tassera l’estomac jusqu’à midi… Nous avons décidé de ne pas trop traîner en ville ce matin, déjà parce que c’est un peu mort (la ville a repris ses couleurs grises et froides, qui sont un peu soulignées par le ciel dans les mêmes tons), mais aussi parce que nous avons pas mal de trajet.

Seul problème, qui vient avec nos cafés. Parce que premièrement, comme ils sont préparés directement sur place, nous ne pouvons pas les avoir tout de suite. Pas de souci à ce niveau-là, nous avions à manger pour nous passer le temps… Mais ensuite, les breuvages ne sont pas simplement chauds : c’est de la lave, avec un gout de café pour se réveiller. Strictement impossible d’en boire une seule gorgée dans les dix-quinze minutes après avoir été servis. Temps que nous mettons à profit pour regarder un peu la ville se réveiller autour de nous. Il y a peu de clients pour ce petit déjeuner sucré, et la plupart des badauds ici viennent acheter de quoi tenir la journée en pain, sandwichs… Dehors, ça bouge un peu plus, même si ce n’est pas ce à quoi je m’attendais. En effet, il y a de plus en plus de joggers. Passé un certain point, j’ai même trouvé ça louche, parce que… bon, c’est la mode mais il ne faut pas tenter de nous faire croire qu’un lundi matin, spontanément, autant de monde va aller courir. Ma théorie est la bonne au final, puisqu’en sortant du Spar, nous en croisons quelques-uns avec des dossards.

Et si au début, nous nous amusons de voir passer ces coureurs (même si nous ne sommes pas sur le parcours principal de la course) qui ont ce matin le centre-ville pour eux, il faut avouer que je suis vite inquiet. Ces dossards, ça dénote une bonne organisation. Et cela explique aussi très facilement l’absence de voitures dans l’une des artères les plus importantes de la vieille ville. Mais après tout, s’ils avaient fermé une partie du quartier à la circulation ? C’est que, mine de rien, j’ai beau être garé dans un sous-sol inconnu, on va bientôt vouloir en sortir pour s’échapper de la capitale ! Je finirais mon café dans la rue, en marchant derrière mes petits camarades (on ne veut pas perdre trop de temps), nous revenons à l’appartement le plus vite possible. Le planning n’est évidemment pas défini à la minute, mais on ne voudrait juste pas rater quelque chose sur le chemin à cause de la montre ! Nous avons bien fait de nous dépêcher, car la rue de la cathédrale que nous recroisons est à présent prête pour le passage des coureurs. Laissez-nous seulement une route pour sortir de la ville !

Une fois récupéré les bagages et fait notre check-out, il est temps d’aller retrouver la voiture. Sur le chemin, on voit bien la course passer sur le carrefour que nous occupions quelques minutes plus tôt… Et même au bas de la rue de notre sous-sol ! Nous sommes envahis, il faut s’échapper. Mais ma curiosité l’emporte quand même, je demande au premier badaud venu s’il sait de quelle occasion il s’agit. Et il semblerait que l’épreuve soit assez célèbre, c’est le semi-Marathon de Dublin (qui doit arriver quand même loin derrière le Barathon).

J’ai même encore du mal à retrouver le bon passage sous-terrain (la voiture est quelque part, là en dessous), mais avec Michel nous sommes assez certains du lieu. Comme hier nous sonnons, baragouinons quelques mots à l’interphone (décidément je n’aurais pas compris un mot) et puis nous pouvons descendre retrouver notre 4x4 des villes. De là, il faut s’installer confortablement et sortir précautionneusement de ce garage… C’est assez rigolo d’ailleurs, je n’ai aucun problème pour conduire notre voiture, sauf en ce qui concerne la marche arrière. Est-ce que je suis mal penché, trop concentré ou autre ? Je n’arrive pas à rester droit ne serait-ce que quelques mètres. Pour nous accueillir, le GPS s’éteint (façon de nous dire bonjour)mais notre concentration passe dans le fait de se faire ouvrir la porte intérieure du garage. Les filles sont prêtes à sortir, mais il suffira de se présenter devant la caméra pour que s’ouvre le grand ventail. On the road again ! Entre deux écrans noirs, nous réussissons à comprendre que la grande avenue à notre droite est conseillée par le GPS pour sortir de la ville.

Finalement, nous serons quand même un peu impactés par cette grande épreuve sportive… Mais ce ne sera pas vraiment notre faute. Tout comme la loi de Murphy impose la présence d’un tracteur avec bottes de foin sur les routes de campagne désertes, elle impose une petite vieille avec sa caisse des années 80 miteuse et son nuage de pollution. Ca ne ratera pas, on y aura droit dans une partie appréciable de la banlieue… Et arrivés à un carrefour, il a bien fallu laisser passer des coureurs. Ce ne sera pas trop long non plus, et après une bonne trentaine de minutes de larges avenues et de contournements, nous sommes sur l’autoroute. Enfin, je peux lâcher les chevaux ! Nous avançons vite, et le soleil se découvre au fur et à mesure que la première heure passe. Les lunettes de soleil sont de sortie, on s’habitue bien vite à dépasser par la droite (sans pouvoir se départir de l’impression qu’on fait n’importe quoi, mais bon)… Nous avons bientôt hâte de nous retrouver à Cashel pour y voir un château de toute beauté, qui est censé nous servir d’attraction jusqu’au pique-nique de midi. 

Et pour y être, nous comptons sur notre magnifique GPS. Sauf que voilà, à un moment donné j’entends Michel nous dire :
« - Mhh, dites, on va bien à Cashel, là non ?
- Oui !

- Et… Lequel Cashel, déjà ? » 
Silence. Lequel, lequel, Cashel quoi, il ne doit pas y en avoir quinze non plus, si ? 
Si. 
Il y en a au moins une dizaine répertoriés dans la base de données… Et lorsqu’on sort le planning de Julie pour la visite, il en reste au moins trois dans notre direction : un par comté ! Mais alors, ou est-ce qu’on va ?!

jeudi 17 avril 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 10

10. Tu aimes le Frit, tu as tout compris

Vous savez, il y a ce réflexe que nous avons tous. Un étudiant (ou quelque autre espèce repoussante) s’avance vers vous et vous propose un dépliant. Effroi. Dégout. Bah, quelle horreur ! Et ce, peu importe ce que comporte le dépliant ou la remarque qui va avec (la meilleure que j’ai eue de ma vie étant « mais Monsieur, c’est pour le Sida ! ». Franchement, pour ? Mais c’est une autre histoire). Ainsi donc nous avons eu cette réaction dans les rues de Temple Bar, au début de nos recherches. Et la personne ne devait pas être si mauvaise communicatrice que cela, puisqu’au moins l’un d’entre nous a fini avec le dépliant en main, tout en disant que non, merci, cela ne nous intéressait pas. Je ne suis pas certain que l’on ait vraiment prêté attention au papier, qui indiquait un restaurant, mais dans un premier étage quelconque, et sans live music.

Fous que nous étions alors, à croire que nous pourrions trouver une place dans un bar, avec un menu pas cher, traditionnel, avec de la musique irlandaise ! Et pourquoi pas de la nourriture qui ne soit pas frite, tant qu’on y est ! Non, vraiment, nous avons visé trop haut. Une fois arrivés dans une partie du quartier qui comporte plus d’appartements que de pubs (une hérésie), nous savons devoir rebrousser chemin. Non seulement nous n’avons pas trouvé, mais l’heure continue de tourner, comme la Guinness dans nos estomacs vides. C’est pourquoi, finalement et presque en désespoir de cause, nous sommes retournés jusqu’à cet étudiant, et lui avons demandé si chez eux, on voudrait bien encore de nous quatre, pauvres pouilleux.

Et s’il restait de la place, était-ce parce que l’endroit est horrible ? Vu la population dans la rue, nous avons des doutes bien fondés. Par chance, c’est pareil dans le restaurant : tout est bondé (principalement des retraités, nous avions quand même raison sur un point) sauf une petite table ou nous pourrons sans peine nous serrer à quatre. Ouf. Sauvés. Reste plus qu’à espérer qu’avec notre budget on pourra se payer plus qu’une salade, parce que peu importe le menu, nous ne bougerons pas. On a presque l’impression de les avoir gagnés, ces places.

The Old Mill n’est finalement ni un restaurant miteux, ni un trois étoiles pompeux. C’est une enseigne honnête, avec des plats irlandais, des Guinness bien tirées (maintenant, on va faire attention toute notre vie, c’est sur) et bien situé au centre de Dublin. Si on excepte le coté Live Music, on n’est pas loin du Graal attendu. Les tables sont serrées, et puisque la pièce est décorée de lambris, au-dessus desquels sont affichés de nombreuses gravures d’époque et d’autres souvenirs divers et variés, l’atmosphère est assez chargée. C’est un peu bruyant, mais pas plus qu’un Winstub de chez nous (d’ailleurs, les meubles, nappes et même le parfum de la cuisine rappelle un peu les enseignes alsaciennes, tartes flambées en moins). 

Nous commandons, sans oublier les inévitables boissons qui nous rappellent le musée, en regrettant pour ma part de ne pas pouvoir uniquement se rafraichir avec ce liquide tout au long du voyage. Malheureusement, c’est assez peu compatible avec la conduite, et il faut avouer qu’une fois une ou deux pintes bien tassées, le corps n’est pas vraiment prêt pour la randonnée. Tant pis, soupirons nous, il faudra bien boire de l’eau, le moment venu. Vis-à-vis de mes petits camarades, je fais le bon élève pour ce repas, en étant le seul à ne pas commander un semblant de burger (à croire qu’ici, on ne peut pas vous servir une pièce de viande sans la mettre dans du pain). Nous trinquons tranquillement en faisant la revue de notre extraordinaire journée, avant que la conversation reparte sur les bébés, et plus précisément celui qu’attendent nos amis. J’avoue ne pas m’être totalement fait à l’idée, mais il faut bien dire que Marie n’a pas été très handicapante aujourd’hui, au contraire.

Lorsque nous sommes servis, nous commençons à réaliser à quel point cette semaine va être une véritable cure d’huile de friture et de gras en tout genre. Pour ceux qui auraient cru avoir une exception avec le duo improbable lasagnes-frites à midi… Attention, hein, on aime le gras. En tant qu’alsaciens, je dirais qu’on a même ça dans le sang (littéralement, sans doute). Mais là, euh, comment vous dire… J’avais commandé des saucisses de porc irlandais en sauce forestière avec de la purée. A priori pas de quoi paniquer, non ? Mais c’était oublier qu’en Irlande, on te frit tout. Oui, même les saucisses. Bon, c’est très gouteux, ça les rend moelleuses à l’intérieur et croquantes à l’extérieur, c’est terriblement bon. Mais ça reste des saucisses frites, si tu vois l’image. Quand ça croque, ça sent un peu le fond de poêle.

Reste que si on écarte nos futurs problèmes coronariens, les menus sont excellents. Les portions de frites de mes voisins sont assez généreuses pour que je vienne y puiser, ma sauce forestière est suffisamment poivrée, on passe un très bon moment culinaire. A noter quand même que comme l’endroit n’était sans doute pas pensé comme un restaurant initialement, le parcours pour retrouver les toilettes est assez épique, puisqu’il y a au moins deux volées d’escaliers en bois dans l’arrière salle (on se demande si on ne va pas tomber sur une partie de poker mafieuse en ouvrant la prochaine porte).

Une fois de plus repartis de là avec une addition raisonnable, nous faisons une découverte qui nous freine un peu dans nos ardeurs : à l’extérieur la météo capricieuse refait des siennes. Il pleut un crachin épais, qui ne donne pas très envie de flâner dans les rues. Allons, il suffit juste de se trouver un bar avec une petite table, et des tabourets, qui serve une bonne bière et qui soit encore en plein concert. Vous avez remarqué que le coup du restaurant ne nous a pas fait vraiment baisser nos prétentions ? Eh bien même attitude, même résultats. La grande majorité des bars qui nous plaisent (c’est-à-dire tout ceux qui ne font pas repères de marins à gros bras ou discothèque) sont absolument bondés, la faute à l’heure, au mauvais temps… Les rares pour lesquels il serait facile de s’installer (et encore) sont ceux pour qui les musiciens ont déjà remballé.

Qu’à cela ne tienne, le quartier à lui tout seul comporte des spécificités. Comme ce fameux bar à quatre étages, dont Julie nous a rabâché les oreilles durant toute une partie de la préparation du voyage. C’est en quelque sorte notre plus grosse attente, parce que ma femme nous a vendu du rêve, avec de la live music différente sur plusieurs étages, le premier étant réservé au restaurant… Arrivés devant le pub en question, nous ne sommes pas déçus (je me demande même si l’établissement n’est pas LE « temple bar » qui aurait donné son nom au quartier). Bondé au rez-de-chaussée, couvert sur toute sa façade claire de fanions en tous genres, toutes ses fenêtres allumées… Nous entrons. Et déjà, première désillusion, parce qu’au moment où nous posons le pied à l’intérieur, le chanteur du groupe prend le micro pour déclamer un « thank you guys, we’re gonna do a break ». 

En bref, c’est l’heure de la pause. Tu parles d’une chance. Mais bon, il devrait y avoir de l’ambiance aux autres étages, non ? Haha. Non. En fait, Julie nous a semble-t-il survendu le source de notre convoitise. Il y a au mieux deux étages et demi (si on compte un genre de demi-palier) dont tout ce qui se trouve au-dessus du sol est un restaurant aussi classique que « The Old Mill » dans lequel nous avons dîné. L’ambiance n’est pas feutrée, mais on est loin des gigues et des claquettes que nous nous figurions. Quelle déception, finalement ! Dans un geste futile, nous faisons l’aller-retour dans les escaliers, car c’est à croire qu’on nous a volontairement déconstruit au moins un étage de fête et d’ambiance !

Julie boude. Evidemment, la dernière fois qu’elle est venue, ce n’était pas pareil mais dans notre fatigue, rien ne nous engage à la croire. Et puis, elle avait peut-être deux ou trois bières apéritives dans le nez, auquel cas les étages ont fini par s’additionner… Pour notre part, c’est la fatigue qui nous rattrape. Sans trop commenter le fait, nous rebroussons le chemin vers l’hôtel. Moi, qui suis encore en forme (ça fait bien longtemps que j’espérais cette sortie dans le quartier… Les évènements m’ont un peu déçu), fais tout pour engager mes amis et ma femme qui bougonne dans l’un des trois ou quatre pubs décents que nous croisons encore, mais que nous passons malgré les accents de musique traditionnelle. J’ai l’estomac qui se serre un peu en y pensant, mais… tout seul, ça n’aurait pas été pareil, n’est-ce-pas ? Je finis par m’avouer que j’ai les yeux un peu plus gros que le ventre, qu’il reste neuf jours à tenir et que rien que demain, il va falloir conduire au moins cinq ou six heures.

Mouais. Reste que je deviens grognon moi aussi. Michel et Marie nous guident droit à notre petit appartement.

De là, évidemment, nous discutons un peu histoire de profiter du salon… Mais là, bien au calme, dans les profonds fauteuils, nous ne ferons pas les couche-tard. Nous avons bien profité de la journée pour discuter, comptons nous lever à une heure raisonnable demain matin (tant à faire, dans ce pays). Et le temps d’évoquer tout ça, Michel s’est déjà endormi ! Profondément enfoncé dans le canapé, monsieur est parti pour un autre voyage. Et puis même si je regrette un peu sur le moment de ne pas avoir poussé notre expérience de Temple Bar, je réfléchis à cette journée qui vient de passer. Il n’y a pas franchement grand-chose à regretter… Et quand c’est ma tête qui touche l’oreiller, je m’endors presque instantanément : il y avait comme un besoin !


samedi 12 avril 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 9

9. Le Brevet, le Baccalauréat, et le diplôme de la Guinness Academy

Déjà, sans trop que l’on comprenne au début, un des employés du musée remonte notre file d’attente, en distribuant des questionnaires. Nos noms, prénoms, provenance, une adresse email… Et le type de rajouter avec un grand sourire que nous pourrons faire la prochaine session de cours d’ici une dizaine de minutes. De cours ? On se penche un peu pour regarder le comptoir, et derrière la salle sombre ou des groupes d’une vingtaine de visiteurs entourent des professeurs accoudés à de petits bars… Un coup d’œil au mur, et à ses « six étapes pour bien tirer une Guinness », et c’est la révélation : nous allons recevoir un cours, suivi d’un examen pour servir des pintes de la bière éponyme ! 

Marie décide de ne pas y participer, un peu vite à mon goût : finalement si elle n’en bois pas, rien ne l’empêche de suivre le cours, non ? Bon, elle sera à l’atelier photographie. Nous attendons patiemment (ou pas) notre tour. Les autres élèves de notre promotion (on réfléchit déjà aux amicales des anciens, au discours de fin d’année ou au blason de la promo) seront trois japonais, un autre couple de jeunes français et des anglais (ou américains) de souche.

Notre session aura lieu comme pour les autres autour d’un comptoir circulaire, dont le fond est entièrement constitué de bouteilles de la marque mises en lumière, et qui illuminent cette ambiance couleur bière foncée diffusée dans la pièce. La tireuse est là, avec les grands verres spéciaux Guinness tout spécialement préparés pour nous. Et le professeur… Lui aussi il est directement de Dublin, livré avec les cheveux roux et les taches de rousseur, tout droit sorti du parfait manuel de la Saint Patrick, si ce n’est qu’il n’est pas habillé en vert mais en noir, vous l’aurez compris. D’un anglais très largement compréhensible (comprenez sans les « eih » et « aigh » que les locaux mettent un peu partout sur leurs voyelles) il nous explique que le cours va se faire en six étapes, et qu’à partir de la moitié, nous passerons à la pratique afin de mieux s’initier à l’art de la Guinness. Michel a la bouche ouverte d’extase, je regarde mes camarades de classe comme avant un concours : d’ici une demi-heure, l’un d’entre nous aura fait la meilleure bière… Rien d’autre ne peut compter !

Tant d’adrénaline ! Le cours commence. Il faut un verre bien précis, optimisé pour gérer le gaz et la mousse de la Guinness, qui sont bien spécifiques (comprenez : eh les gens, n’oubliez pas de passer à la boutique, hein). Ensuite, il faut l’orienter précisément, le logo de la marque tourné vers le client qui a l’honneur de se voir préparer une bière. De cette façon, nous aurons un repère pour l’étape suivante. Penchant le verre à un certain degré (je ne donnerai pas toutes mes ficelles, car n’importe qui ne peut pas devenir Diplômé…), il faut alors abaisser la manette de pression, et faire remonter le niveau de bière jusqu’au marqueur (secret) et remettre le verre droit, pour le faire reposer durant deux minutes trente au minimum. En effet la mousse va se tasser, et descendre vers le fond du verre. C’est d’ailleurs dû aux propriétés spéciales de la bière Guinness, qui est la seule pour laquelle la mousse descend dans le verre plutôt que de laisser les bulles remonter.

C’est fascinant, mais le premier pic de stress est arrivé. Suite à la démonstration parfaite de notre mentor (dis, on peut l’appeler papa ?), nous les élèves avons à réaliser notre propre montage de bière. Et quand aucun volontaire ne se propose, c’est la petite voix de Julie qui retentit et que j’entends avancer. Alors soit elle est courageuse et intrépide (en plus d’être jolie), soit elle est complètement sous le charme de notre prof qui lui fait du coup de profonds sourires (est-ce que j’ai précisé qu’il était ravagé par les taches de rousseur ?). En tous les cas, c’est bien elle qui va faire nos premiers pas et tirer une bière… Enfin, on ne passe pas loin du drame lorsqu’il s’agit d’attraper le manchon de la machine à pression : Julie n’étant pas très grande, il s’en faut de quelques centimètres pour que le liquide magique soit hors de portée.

Il faut tout de suite dire que ma femme a pris cela avec le plus grand sérieux. Et comme tout ce qu’elle fait sérieusement, elle va réussir avec une dégoutante facilité. Sa pinte est aussi parfaite que celle de notre professeur. Même si Julie rentre dans le rang en me disant d’y aller directement, je laisse passer un ou deux autres élèves avant de m’y rendre à mon tour. Grand Dieux, c’est l’école primaire revisitée, et je suis au tableau noir Guinness ! Mais en répétant les unes après les autres les quatre premières étapes, tous ces petits travaux pratiques passent comme une fleur. Michel après moi, va aussi réussir une belle pinte. Vivement que le cours se termine, j’aime autant vous dire qu’il fait soif, par ici.

Les deux dernières étapes permettent d’égaliser la bière, en n’utilisant pas la pression, et à laisser une fois de plus reposer. C’est la plus délicate, pourrait-on dire. Et d’ailleurs, si Julie (à nouveau première au front) fait une excellente prestation, et que ma propre pinte est la perfection incarnée (normal, c’est la mienne), Michel se laissera piéger par les dernières gouttes de mousse : sa bière comme quelques autres déborde un peu, laissant d’embarrassantes traces de liquide le long du verre frais. Mais bon, il faut croire que la Guinness Academy est assez permissive, puisque nous aurons tous nos diplômes (sauf Marie, la pauvre). Après une photographie de groupe (c’est la fête, nous posons avec nos pintes) et une remise des papiers très officielle et nominative (le pauvre irlandais qui a dû prononcer mon nom de famille…).

La promotion explose ensuite naturellement, pour redevenir les anonymes visiteurs de ce musée d’exception. Pour notre part, après quelques clichés de mousse débordante, il est plus que temps de consommer nos bières. Et nul liquide n’a pu avoir pareil goût que celui que nous avons nous-mêmes produit, que celui tiré avec la plus extrême concentration, et autant d’efforts. Quelle visite, les enfants, quelle visite. Après avoir réalisé que, puisqu’elles ne risquent plus de déborder, nous pouvons nous promener dans le reste du musée avec nos pintes, nous décidons de monter au dernier étage, siège d’un splendide bar panoramique. Il semble d’ailleurs que tous les visiteurs, qu’ils aient ou non suivi le cours, se retrouvent ici en fin de parcours : l’endroit est relativement bondé.

Quelle vitrine ! Au centre de ce disque, le comptoir occupe une place significative (avec des choix assez réduits, vous imaginez bien qu’on ne peut pas commander une Leffe). Et sur 360 degrés, c’est Dublin qui se dévoile à travers une seule baie vitrée qui fait tout le tour de la pièce. Des fauteuils modernes, des tables de bar du dernier hype et des jeunes habillés comme pour sortir en boite (mais… il est dix-neuf heures quinze !), sans compter la musique : nous venons de débusquer le bar le plus branché de la capitale. Il faut dire qu’il suffit d’un coup d’œil dehors pour comprendre pourquoi. L’usine Guinness est déjà de base l’un des bâtiments les plus élevés de la ville, et nous nous tenons en surplomb. De ce fait, la vue est dominante sur des kilomètres alentours. On comprend mieux la ville, et nous prenons le temps de regarder clochers, toits de verre et nos premières collines irlandaises, là-bas, au loin.

Nous profiterons de nos pintes debout d’abord, puis assis devant cette fenêtre sur la capitale irlandaise. Et nous sommes intarissables sur cette visite passée, qui a dépassé nos attentes de si loin ! A côté de cette expérience, le reste de nos allées et venues dans les rues du centre-ville paraissent fades… Mais nous n’avions pas le recul, tout simplement. Les jambes crient un petit peu, d’ailleurs. Là encore, c’est le premier jour. Il faut se réhabituer à marcher des heures, à avoir un programme extraordinaire et à voir une myriade de lieux, de couleurs, de gens qui à certains moments nous paraissent tellement exotiques ! Et cette bière, mmmh… Marie a réussi à se trouver de l’eau (il y avait aussi des jus à différents parfums, mais elle a capitulé devant l’échange en anglais obligatoire), et nous la prenons un peu en pitié.

Vint le moment de descendre au fond de la « pinte » autour de laquelle s’articule le musée. Une descente de six étages dans un ascenseur de verre, nous offrant une dernière fois une vue panoramique sur ces étages de culture brassée, ambrée, gloutonne. Une fois dehors, il fait un peu plus sombre. De gros nuages sont revenus au-dessus des rues, et les conducteurs de calèches devant l’entrée tirent des bâches en prévision de la saucée à venir. Pour notre part, nous repassons en coup de vent à notre petit appartement (cela devient une habitude) et partons immédiatement pour le quartier de Temple Bar. Ce dernier n’est situé qu’à quelques centaines de mètres de notre pension, mais Julie et moi sommes un peu inquiets. En effet, il y a pas mal de monde en ville et ce sont majoritairement des anglophones. Attention, ce qui nous dérange, ce n’est pas leur langue (magnifique au demeurant) mais bien leur habitude de manger tôt, très tôt pour certains. Déjà en Ecosse nous avions été surpris…

L’expérience va se répéter ici. Il est presque vingt heures trente lorsque nous sommes en ville. Une heure tout à fait décente dans un restaurant français, le début de l’apéro en catalogne… Et la fin du service, dans un nombre spectaculaire de bars-restaurants irlandais. Au début, nous sourions en coin, et on s’en amuse. Vous ne servez plus aussi tard ? C’est le troisième âge ici ou quoi ? Bien vite nous comprenons que ce n’est pas tant une question de capacité, mais que c’est simplement l’heure de la métamorphose du service. Les cuisiniers deviennent musiciens ou serveurs, les groupes ont besoin des tables pour s’installer, les gens sont tous dehors à la recherche de la meilleure performance de « live music ». Et nous, qui avons faim, cherchons un petit quelque chose de traditionnel sans dépasser un budget faramineux (oui, nous avions trouvé un restaurant, mais c’était plus cher que le prix de la nuit…)! Au bout d’une vingtaine de minutes et presque autant d’adresses pleines à craquer, nous ne baissons pas les bras, mais une inquiétude sourde commence à monter.


On ne va pas se résigner à manger des Tacos pour notre premier dîner en Irlande, quand même ?

jeudi 10 avril 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 8

8. Guinness, cette religion

Il faut préciser tout de suite que le musée Guinness n’a pas l’air de grand-chose à son entrée. C’est discret, presque une porte arrière dans un gigantesque bâtiment d’usine. On ne se doute de rien, et l’atmosphère qui est très sombre laisse un peu craindre le pire. Nous nous rassurons sur notre horaire d’arrivée, parce qu’il est à peu près 17 heures 30 lorsque nous entrons, et que c’est ouvert jusqu’à 20 heures. Et il n’y a pas grand monde à l’intérieur, comme en témoignent les innombrables chicanes devant les guichets, imitant les attractions des manèges phares d’une fête foraine. Julie repère opportunément une machine qui fait office de billetterie automatique, aussi nous pourrons passer devant la petite dizaine de familles qui patientent. On y rentre si vite, dans ce musée, que nous avons un doute : est-ce qu’on a acheté des tickets valides ? On nous rassure, on nous fait de grands sourires, on nous montre l’atrium : c’est par là que ça se passe.

Au rez-de-chaussée de cette immense structure, c’est comme un hub sur les différentes parties de musée. C’est vivant, animé par une dizaine d’escalators, d’ascenseurs de verre et d’escaliers qui se croisent dans un énorme puits de lumière central. Les fameux renforts de métal façon « Tour Eiffel » peints en bleu clair s’y entrecroisent, dans toutes les directions, renforçant ce sentiment d’être de tout petits visiteurs dans une grande fourmilière. Stratégiquement placé, le magasin du musée nous ouvre ses portes à notre gauche (sans doute pour ceux qui face à la beauté intrinsèque du lieu manqueraient de repères). Fort heureusement, nous avons déjà investi dans les souvenirs griffés de la marque, et nous résisterons bravement. A main droite, c’est l’accueil et les innombrables audioguides et autres livres illustrés, applications smartphone et autres gadgets pour émailler la visite. 
Nous décidons de nous en passer même s’ils sont distribués gratuitement : on a l’impression qu’il y a suffisamment à voir pour se partager le support audio entre nous (principalement des « ouah » et des « t’as vu ? »). Après une pause sous un grand panneau au logo de la marque pour une photo de groupe (mais évidemment, dans le coin le plus sombre de tout le musée…), nous démarrons la visite à proprement parler.

Et là, il faut réviser notre jugement sur ce que peut représenter une visite. Ce n’est pas une exposition, ce n’est pas une animation, c’est véritablement… Une expérience, dans laquelle nous entrons. Nous passons d’abord sous une cuve de bois. Attention, pas la cuve de chez mémé, pas le tonneau du Saint-Bernard. Non, la cuve : 6-7 mètres de haut, quatre de diamètre. Une sacré cuve, quoi. Immédiatement, on est assaillis par les odeurs. D’orge d’abord, puisqu’il y en a toute une piscine lorsqu’on rentre. Il y a des explications, des citations, des rangées de chiffres un peu partout sur les murs carrelés de cette énorme pièce de l’ancienne usine. Et l’orge, l’ingrédient principal, au centre. On peut le toucher, le sentir (le manger aussi, mais c’est malsain, non ?). Du bel orge irlandais. Au mur plus loin, ce sont les pieds de houblon qui grimpent à toucher le plafond, entre d’anciennes canalisations. Tout est travaillé, les couleurs, les mots, les lumières tamisées, jusqu’aux LED sur le sol qui nous guident.

L’oreille aussi, car c’est une chute d’eau qui produit l’animation quelque pas plus loin dans cette grande salle. Encore une fois, pas une rigole, pas une flaque avec un déversoir. Non non, eux ils avaient la place pour mettre une cascade de 4m de large, donc ils ne se sont pas gênés. Différentes lumières sont diffusées dans la chute d’eau, qui donnent une atmosphère calme et presque bucolique à ce qui aurait pu (pour peu que la mise en scène eut été différente) être un véritable décor de film d’horreur. A la place de quoi nous n’avons plus les mots pour remplacer les « génial » et « awesome » qui nous viennent à la bouche. Dernier ingrédient de taille, les levures, sont exposées dans une sorte de coffre-fort/frigidaire antique.

Maintenant que nous avons les bases pour comprendre l’essence même de la Guinness, il faut s’intéresser à ceux qui l’ont conçue, travaillée, packagée, vendue, distribuée. Nous entrons dans une petite salle, réalisée comme une petite galerie d’art : aux murs sont présents les portraits des personnages importants de l’histoire de la bière (à commencer par Arthur Mc Guinness, que je ne présenterai pas…). A priori ce n’est pas passionnant, mais en fait, on est dans la quatrième dimension, c’est carrément Harry Potter ici. Les portraits sont en fait des écrans, et des capteurs habilement dissimulés au plafond détectent le visiteur… Ainsi donc ces personnages nous parlent, nous interpellent, nous expliquent leur vision de la bière. Naturellement, cela créé un peu un brouhaha, et comme ce sont des vidéos (on n’est pas encore tout à fait dans la science-fiction) en Irlandais (l’accent est perceptible), c’est pour nous un peu difficile de s’accrocher aux dialogues. Mais quand même fascinant. Julie tombe sous le charme d’Arthur, et vu la qualité de l’animation, je me demande si elle ne va pas se présenter et lui filer un rencard (l’heureux homme me ressemble beaucoup, mais en plus riche). Quand on sait que le mec a eu l’intelligence de demander un bail de 7000 ans pour son usine (oui, oui, 7000), j’ai sans doute raison de presser ma femme pour accéder à la salle suivante.

Marie est pour sa part heureuse de continuer : pas facile de s’accrocher aux portraits parlants quand on est fatigué, et que l’anglais n’est pas la spécialité. Et puis voilà, à côté on nous explique comment on fabrique la bière machines à l’appui, c’est l’étape du « brewing ». Je ne sais pas trop comment ils se sont débrouillés pour que ça sente vraiment la bière ici, peut-être l’odeur est-elle incrustée dans les antiques cuves chauffées par les projecteurs, toujours est-il que c’est une odeur puissante, acre et doucereuse à la fois qui nous assaille. Les estomacs gargouillent, les glandes surrénales sécrètent : il va nous falloir une bière, bientôt. Nous passons au-dessus de la cuve magistrale du début de la visite, avant de passer à côté d’autres conteneurs de cuivre, de bois et de métal ancien. Le processus nous est clairement dévoilé. Macération, broyage, chauffe sous pression. Et si les fameux ingrédients font défaut (c’est un musée, pas une visite d’usine) c’est parce qu’ils sont remplacés par des projections, des vidéos, des écrans qui, placés dans les cuves ou à côté des machines, expliquent les processus de façon claire et précise.

En plus d’être réalisées par et avec les dirigeants actuels de Guinness (voir le PDG vous expliquer la fermentation, je ne sais pas qui a trouvé le concept, mais j’adhère), c’est suffisamment imagé pour que même des benêts comme nous (bon… 20 ans d’études à nous quatre, quand même) puissent comprendre pourquoi cette bière ce n’est pas qu’une question de chimie, mais aussi de tradition, d’Irlandais, d’amour, d’eau fraiche (et de licornes sur les arcs en ciel). Et ils ont vraiment tout pigé, les concepteurs de cette visite. Maintenant qu’on t’a expliqué ce qu’on met dans une bière, comment on fait une bière, pourquoi on fait une bière, comment sent notre bière, il ne reste plus qu’une seule étape. Eh oui, voilà, c’est l’heure d’y gouter.

Tout a été fait pour que, mentalement, le corps s’y soit préparé. Pour que, au milieu de ces gigantesques ensembles de production, de ces centaines de kilomètres de tuyaux, de milliers de tonnes de ferraille rivetée, notre esprit soit focalisé sur un simple verre de bière. Et elle n’est pas dans sa forme finale, voyez-vous, puisqu’elle n’a pas été packagée, mise sous pression ni rien. Non, c’est la Guinness sous sa forme pure, enfantine, non modelée, sans marketing. Ah, tout un poème en fait, de ce breuvage sombre à la mousse épaisse.

Profitant opportunément que Marie est enceinte, Michel et moi se partageons sa ration (chacun obtient un tiers de pinte, jaugé à l’œil…). Et puis il faut bien dire que la serveuse, dans ce comptoir improvisé façon « fin de chaine de production » n’est pas très regardante sur qui prend quoi. Puisque les murs sont emplis de ces encouragements à gouter, expérimenter, savourer… Autant en reprendre, non ? Cette petite salle nous fait déboucher après un dernier détour dans le grand atrium central, un étage et demi plus haut que le début de la visite. On comprend mieux le réseau d’ascenseurs et d’escaliers roulants : chaque étage mène au-dessus et en-dessous... Et il y a six étages, comme l’indique le plan. Et sur le plan, quelque chose nous interpelle, quelque chose qui va nous faire courir jusqu’à ce fameux puits de lumière et nous laisser un sourire aux lèvres devant l’ingéniosité. Car cet espace, en fait sur six étages, est en forme de pinte. Une gigantesque pinte, dont l’entrée du musée est la base et la mousse un bar panoramique qui fait le clou de la visite.

Tout est dit : il doit y avoir bien peu de musées au monde capable de s’aligner avec un atrium-pinte de quarante mètres de haut (on le verra beaucoup plus tard, les Irlandais ont encore des surprises en matière de visites impressionnantes…). Passé le cœur de métier de Guinness qu’est la production du breuvage, les autres étages s’alignent comme de petites expositions, souvent très interactives, sur tous les aspects de la marque.

Déjà, il y a l’atelier des tonneaux, qui ne brille pas par sa modestie (en témoigne les véritables pyramides de barils qui montent jusqu’au deuxième étage). On y voit les outils, les cerclages, les chiffres parfois hallucinants des productions de Guinness à travers les âges. Comme il faut bien les acheminer, ces tonneaux, on passe ensuite à toute une partie dédié au transport, par camion, bateau, container… Même si ce n’est pas aussi intéressant que de tenir en main les ingrédients magiques, ça reste très bien fait et particulièrement bien agencé. L’art n’est pas laissé de côté, comme nous le prouve une sculpture en bois massif d’un tronc de deux bons mètres de diamètre, taillé en forme de pinte, et sur lequel est gravé toute une délicate série de reliefs évoquant la marque.

Au second étage, il est question de publicité. Après le visionnage des légendaires affiches de la marque… Les gars étaient assez imbibés le jour où ils ont choisi le toucan comme emblème, non ? Non ? Eh bien dites-vous qu’avant, c’était le phoque. Oui, oui, un phoque jouant avec un ballon. On est d’accord, ça évoque autant la boisson qu’un vol groupé de toucans, mais voilà, c’est du marketing on ne va pas toujours chercher à comprendre. Niveau slogan, on ne va pas dire qu’ils sont allés chercher trop loin non plus (lovely day for a Guinness… Voilà quoi) mais finalement ce n’est qu’un prétexte, la pub : c’est la bière qui a fait la marque ici, et pas l’inverse. Grâce à un ingénieux montage en perspective, il nous sera même possible de poser « dans » une publicité en affiche. On se sent comme des gosses le jour de Noël, nous, faut bien se l’imaginer.

De même, il faut comprendre toutes les variétés de Guinness disponibles. Car ce n’est pas pareil en cannette simple, en boisson refroidie ou bien à la pression (le « Draught » qui fait tout). Malgré les jambes qui commencent à tirer (on en fait, des kilomètres), nous montons à travers les publicités, les histoires, les étages. Des réseaux sociaux, en passant par les promotions des années 60 : tout est montré. Même, avant un escalator, la grande harpe (autre symbole de la marque, mais liée à l’histoire Irlandaise) est montrée, dans un grand caisson de verre. Gadget ultime, passer la main devant les cordes produira le son de l’instrument grâce à des faisceaux infrarouges. Quand on vous dit que la technologie va changer le monde…


Arrive alors un étage auquel nous voyons plus de monde qu’au cours des espaces précédents. Distraitement, nous suivons les autres visiteurs, qui nous mènent jusqu’au… comment expliquer cela ?  

Jusqu’au rêve que nous n’avions jamais eu. 

lundi 7 avril 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 7

7. Et Un, et Deux, et Trois - Zéro!

Nous arrivons à nouveau dans une partie beaucoup plus fréquentée du centre-ville de Dublin, et remontons même une rue piétonne pavée, dont les enseignes colorées sont destinées autant aux promeneurs locaux qu’aux étrangers. Il y a beaucoup de monde ici, des familles avec des poussettes, des bandes de jeunes et plusieurs groupes de musique qui profitent de l’accalmie pour brancher leurs enceintes et jouer sur la rue. On retrouve tout d’abord les inimitables péruviens, qui sont pour ainsi dire dans toutes les rues du monde, mais qui ici font un peu… Déplacés, clairement (el condor pasaaaa). Viennent ensuite des adolescents qui grattouillent leurs instruments, mais ce n’est pas convainquant. 
Il faudra faire une petite centaine de mètres de plus pour avoir un réel attroupement devant un bar. Là, c’est quand même plus structuré, avec guitare, basse et batterie, tout ce qu’il faut pour un vrai morceau de rock à la sauce irlandaise. Nous resterons un peu le temps de prendre l’ambiance et de se sentir bien, dans cette rue aux pavés recouverts de monde, dans un pays qui nous en donne autant pour nos yeux que pour nos oreilles. 

Arrivés au bout de la zone piétonne, nous avons le choix d’entrer dans un parc très, très vert, ou bien de prendre une parallèle pour retourner vers notre appartement, mais aussi vers le Musée Guinness. C’est cette dernière solution que l’on choisit, mais au final nous ne ferons pas cent mètres. Car il aura suffi d’un cinq cent quatre-vingt quinzième pub pour nous faire repenser au fait que non, nous n’avons toujours rien consommé. S’engage alors comme une étrange sélection. On s’assoit à la première terrasse qui vient, et on commence à se détendre les jambes en discutant… Mais pour le coup personne ne viendra, alors que nous n’avons pas toute l’après-midi devant nous. On se dit que le suivant sera le bon, mais c’est trop sombre. Celui d’après est si petit qu’excepté le comptoir, il n’y a pas vraiment de place… Est-ce que l’on va finir par trouver chaussure à notre pied, ou bien est-ce qu’on est trop exigeants ?

Nous entrons dans un bar, sans très honnêtement remarquer  le bandereau « Live Sports » présent au rez-de-chaussée, et descendons immédiatement dans ce qui nous semble être un bien agréable caveau. Il y a du monde, assurément : cent cinquante clients au bas mot, qui assis ou debout accoudés au gigantesque comptoir central, regardent un match de foot sur l’un des neuf ou dix écrans répartis dans la pièce. Ces derniers sont tous de taille respectable, mais n’égalent pas le projecteur qui envoie sur le mur de la scène au fond, l’image du match sur une surface qui fait facilement trois mètres sur deux. C’est à côté que nous trouverons de la place, quatre tabourets hauts et une table à hauteur d’homme.

Enfin ! C’est un plaisir de souffler après tous ces évènements. Marie et Julie se dévouent pour nous chercher des rafraichissements à tous les quatre. Michel et moi attendons patiemment leur retour, l’eau à la bouche. Et finalement, la toute première brune que nous prendrons durant ce périple ne sera pas une Guinness, mais bien une Kilkenny. Un néophyte vous dirait que ça ne change pas grand-chose, mais en Irlande, il se ferait mettre en garde à vue sans avocat. La Kilkenny est plus légère, moins sirupeuse, elle sent plus l’orge que la Guinness. Comme nous avons marché une partie appréciable de l’après-midi, nous avons du mal à ne pas transformer notre première pinte en concours à boire : l’Irlande, c’est aussi le pays de la soif !

Passé le premier moment d’excitation, nous nous intéressons quand même bien à ce qui nous entoure. Déjà, le niveau sonore est assez élevé parce que clairement, la plupart des clients du jour sont des supporters, et que le match doit être à hauteur de leurs attentes. Je regarde d’un œil distrait, jusqu’à ce que mes yeux voient des signaux un peu bizarres dans ce qui passe à l’écran. Et effectivement, à mieux y regarder, ce que je prenais pour du football… Ce n’est pas ça du tout. Mais à ma décharge, ça ne ressemble à rien de connu. Les mecs jouent au pied, puis après quelques dribles prennent le ballon à la main, et le passent comme au rugby. Ensuite, ils essaient de passer le gardien, et soient visent le but, soit marquent un drop : Etrange mix des deux cultures, qui va commencer à nous fasciner. Ce ne sont pas en effet les seules différences. Il y a deux scores pour chaque équipe, et les points n’évoluent pas linéairement… Quant aux règles, pour nous c’est un peu l’anarchie : aux passes en avant du rugby viennent se compléter des placements, un certain nombre de foulées balle au pied… Après un coup d’œil circulaire, la certitude se fait : pour eux, c’est une situation normale !

C’est plaisant à regarder, par contre : le public du bar nous met dans l’ambiance. Il semble qu’ils soient pour l’équipe gagnante alors dès qu’un de leurs attaquants/demi de mêlée passe la moitié de terrain, c’est l’effervescence. N’y tenant plus, je vais interroger nos voisins de table et leur demander comment interpréter cette anarchie sportive, si tant est qu’il y ait une logique. Ce n’est qu’alors que nous allons être initiés au Gaelic Football (Chaotic Football devait être réservé). Les drops sont comptabilisés pour un point sur un score à part, et les buts pour trois points sur leur propre tableau. Il y a des règles de hors-jeu, et, euh, j’avoue que l’Irlandais que j’ai interrogé était très sympathique, qu’il a tenté de m’enseigner une bonne partie des ficelles pour comprendre le Gaelic Football… 
Mais qu’avec le brouhaha ambiant, son accent, et le fait que la moitié des termes  techniques m’étaient inconnus, je n’ai retenu que l’essentiel : c’est un match de ligue majeure, qui oppose les comtés de Donegal et de Dublin. Inutile de préciser aussi que ce n’est joué qu’en Irlande, je ne vois pas les commentateurs du monde entier essayer de comprendre ce genre de règles, il faut être ici pour les assimiler (et si possible avec plusieurs pintes). Ca a l’air physique tout du moins, lorsqu’on voit la carrure des joueurs, équilibrée entre le joueur de foot élancé et racé et le rugbyman massif taillé pour la charge en puissance. Les échanges sur le terrain, sont d’ailleurs… Virils.  

Nous finissons par partir alors que le match n’est pas terminé (encore, si on avait su combien il y avait de mi-temps…), mais c’est pour la bonne cause : l’heure tourne, et si nous ne voulons pas visiter le Musée Guinness en courant, il faut partir. Confiant dans ma lecture de la carte touristique, je trouve un raccourci (et il nous fait vraiment gagner du temps, j’en suis surpris moi-même), qui nous fait passer d’ailleurs devant un marché couvert absolument superbe, tout en briques oranges, et donc le toit vitré strié de poutres métalliques laisse passer la lumière jusqu’aux étals colorés.

Puisque nous passons devant notre appartement quoi qu’il arrive, autant déposer quelques affaires pour aller au musée avec le strict nécessaire. On ne s’embêtera donc pas d’un sac à dos, même si avec Julie, la décision ne fait pas consensus (je n’aime pas laisser des affaires de valeur dans une chambre d’hôtel).

Toutefois, nous arrivons à rester efficaces : aucun d’entre nous n’ira se perdre sur le fauteuil-dont-on-ne-se-relève-pas, ni d’ailleurs sur le trône-dont-la-chasse-ne-se-termine-jamais.  Un miracle de logistique, nous connaissant ! Pour changer (et ça restera récurent pour tout le voyage), nous irons à pied : encore une belle occasion de prendre la mesure de la capitale, la vraie, par ses artères plus populaires que le centre-ville taille pour la fête. Ici, c’est le royaume des petites boutiques, des quincailleries et des supérettes (on ne compte plus les Spar). Une église monumentale érigée toute en briques jaunes de l’époque industrielle nous fait de l’œil, mais c’est une religion de malt et de houblon qui nous attend un peu plus loin, alors désolé Jésus, mais nous avons nos priorités…

Enfin, nous entrons dans ce qu’il convient d’appeler les contreforts de l’usine. Tous les bâtiments alentours crient la révolution industrielle et le début du vingtième siècle. C’est rouge, carré, renforcé d’acier apparent aux gros rivets, et ça n’a pas peur de s’élever haut vers le ciel. Les rues sont pavées une fois encore, mais c’est un quartier ancien, avec une chaussée bombée en son centre, qui ferait croire, à un détour, qu’un attelage va passer avec son cocher… Parce que c’est le cas, en fait. On n’est pas les seuls à y voir une tribune historique, et des calèches sont disponibles pour amener les touristes jusqu’à l’entrée du Musée Guinness, laquelle se trouve loin dans ce dédale de grands pans d’usine reliés par des conduites sous pression, des tours de récupération de gaz… Heureusement c’est bien fléché, par des panneaux qui occupent parfois toute une façade.


Et soudain nous y sommes, à l’entrée de ce temple, de ce refuge, de cette cathédrale de la bière brune. Chacun d’entre nous avait ses attentes sur ce lieu mythique de la production d’une des bières les plus connues au monde. Nous voulions être surpris, gâtés, goûter, sentir, flâner, comprendre. Ce que nous ne savions pas encore, c’est que tous ces espoirs allaient être comblés, et plutôt cent fois qu’une…

samedi 5 avril 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 6

6. Oh, des souvenirs!

En suivant le boulevard de l’université, nous arrivons aux abords de Temple Bar, quartier emblématique de Dublin, contenant la plus grande partie des alcooliques et des touristes de la ville dès la nuit tombée. On l’aura compris, nous reviendrons le soir venu, car pour l’instant les pubs, fussent-ils à quatre étages (Julie nous en parle depuis un certain temps) ne sont pas beaucoup animés le dimanche un peu après 16 heures. Nous traversons donc le pont sur le fleuve (dont je n’ai pas retenu le nom), imposant et au fort débit (le fleuve, pas le pont, essayez de suivre deux minutes). Pourtant, nous n’avons d’yeux que sur la berge d’en face. Déjà parce que sur les voies suivant le cours d’eau, les façades sont colorées au possible, et que le soleil venu profiter d’une trouée les éclaire avec une belle lumière. Ensuite parce que là-bas, en suivant cette grande avenue, se dresse The Spire.

Pour fêter l’an 2000, l’Irlande s’est dotée de la plus haute sculpture d’Europe (continentale comprise, n’est-ce pas messieurs les concepteurs de GPS). Cent vingt mètres d’aluminium, en forme d’une seule pointe d’aiguille pointée vers le ciel, et très légèrement inclinée. C’est monumental, même si à regarder la pointe, il y a une notion de légèreté impressionnante : on se demande comment une si petite structure peut monter aussi haut. Naturellement passé le pont, on a l’impression d’être juste à côté et puis en fait pas du tout…

En s’en rapprochant, nous enlevons nos coupe-vent, il fait beau à nouveau. Nous avons vite compris que dans ce pays, il faudrait qu’on soit rodé au geste de pliage-dépliage : dans certaines régions, c’est une question de minutes entre un soleil qui tape dur et une pluie venteuse et froide. Après avoir admiré les briques d’époque et les gravures de bronze qui décorent l’ancienne poste, nous nous approchons de la fameuse sculpture. 
The Spire, c’est vite ennuyeux d’un point de vue photographique. De loin, c’est sur un boulevard touristique, il y a donc systématiquement un bus (voire un bus à impériale) capable de vous gâcher le cliché… Et puis de près bien sûr, même en grand angle pas moyen de rentrer la flèche toute entière dans le cadre. Il nous faudra bien quelques minutes pour trouver la bonne approche, et quelques autres pour profiter du feu vert et aller jusqu’au pied de la structure. Et vous savez quoi ? Ce n’est pas vraiment au pied que l’on peut le mieux profiter de cette sculpture du millénium : d’en bas, cela ressemble juste à un cylindre d’aluminium poli de trois mètres de diamètre. Il faut vraiment se décrocher le cou alors pour en apprécier la hauteur.

L’avenue en question, qui fait deux fois deux voies avec The Spire au centre sur un terre-plein qui se prolonge sur des kilomètres, n’est autre que les Champs Elysées locaux. Les boutiques de luxe se battent le mètre de pavé sous de hautes façades de la fin du 19ième siècle. Ce n’est pas vraiment Haussmannien, mais presque… Nous remontons la route sur quelques centaines de mètres, profitant de l’animation de Dublin un dimanche après-midi. Il y a beaucoup de monde sur les trottoirs, dans les bus cabriolets et bariolés dans lesquels s’entassent les touristes au premiers rayons de soleil, mais aussi dans les boutiques. De vêtements, de chaussures, dans les Mc Donald (après tout, s’il y a Mac devant, c’est que c’est Irlandais, non ?), et dans les magasins de souvenirs. Enseignes que d’ailleurs nous nous efforçons de snober : ce n’est pas vraiment notre genre de ramener la parfaite panoplie de l’objet kitch, qu’il s’agisse d’une boule à neige, d’une cuillère avec des armoiries ou d’un porte-clés avec notre nom dessus.

Oui, enfin, quand même. On voit bien qu’il s’agit d’une chaîne de magasins de souvenirs, qu’ils sont très organisés, méthodiques. Et par malheur, nous nous apercevons également qu’eux sont malins lorsqu’il s’agit de marketing. Qu’ils ont réalisé que les porte-clés, ça ne nous intéressait pas… Mais qu’une pinte estampillée Guinness, oui. Et ça, ça change tout. Revenus presque à hauteur de The Spire, nous craquons d’une envie commune et entrons donc dans ce que nous pensons être le pire des attrape touristes. Flute alors, on se laisse complètement submerger par l’émotion.

Comprenant que le visiteur est un alcoolique en puissance, tout est fait ici pour le mettre dans les meilleures dispositions. Guinness, qui est LA marque emblématique de la ville (que dis-je, de toute l’Ile !) a bien joué son coup. Des tasses, des pintes, des pulls, des polos, des chemises, des bérets, des cannes de marche, tout est disponible à l’effigie de la bière sombre. C’est un festival de la marque, déclinée en plus dans des sous-produits : du chocolat, du thé, des biscuits, des préservatifs… Et si cela ne suffisait pas, il y en a aussi avec Irish Whiskey dessus. Plusieurs allées (oui en fait, si la devanture fait croire à une boutique de 25m², derrière ça fait la longueur d’un terrain de football) sont consacrées aux habits, et là encore un soin tout particulier est à noter dans l’offre. Nous sommes irrémédiablement attirés. Et ce ne sont pas juste les motifs, c’est assez bien taillé, la qualité est là.

Je crois qu’à ce stade il faut remercier nos femmes. Elles, qui ont gardé les yeux grand ouverts alors que Michel et moi, portés par une envolée lyrique, étions prêts à acheter une panoplie complète, bérets en tweed, gilet Guinness doublé en mouton véritable et caleçons « I’ll show you Ireland »… Au contraire, elles sauront nous canaliser vers des objets tout aussi mythiques que nous n’aurons pas honte de porter et montrer lorsque nous serons revenus (et puis il faut penser à nos valises qui sont déjà presque pleines sans compter le futur whisky). Je repartirais avec un polo, Michel un T-shirt, Marie un sac « mouton » et Julie avec le second Mug Guinness, afin que nous puissions passer nos petits déjeuners à penser à la bière épaisse et noire juste après nos tartines. Mmmh….

Lorsque nous sortons enfin, nous sommes pris de remords. Ca ne fait que quelques heures que nous déambulons sur place, et nous avons déjà acheté tous nos souvenirs ? On serait pas un peu débiles des fois (c’est pas le débat, mais il est toujours utile de se poser la question de temps en temps) ? Bon voilà, on se promet que ça ne se reproduira pas, que nous devons rester vigilants, rester en groupe… Et puis, à compter du lendemain, nous serons dans le reste du pays, hein ! Si ça se trouve, ils ne sont même pas civilisés là-bas, à se chauffer au coin du feu avec des briques de tourbe et pêcher le saumon toute la journée avant d’aller au pub. On aura sans doute pas l’occasion d’en acheter ailleurs, des souvenirs, donc on a bien fait d’en profiter (débiles, peut-être pas, mais naïfs je crois qu’on peut signer).

Nous quittons la grande avenue pour nous engager dans une perpendiculaire tout aussi commerçante, mais avec des enseignes qui tirent moins dans le luxe. Tout de suite, on sent les échoppes plus populaires. Deux cent mètres plus loin, on est carrément hors de vue des touristes à la ronde. Nous passons d’ailleurs sous un pont à quatre voies, qui abrite de l’autre côté de l’asphalte, des pubs loin d’être décorés, à l’allure louche et aux vitres fumées : changement d’ambiance à l’horizon ! Tous les quatre, nous hésitons sur la route à suivre… Mais nous avons encore des jambes, la femme enceinte n’est pas fatiguée, aussi nous descendons le long du fleuve sur plusieurs centaines de mètres. A présent, nous sommes dans un quartier qui assume une modernité architecturale liée à l’essor économique de l’Irlande d’avant la crise : de belles tours de verre, de grands hangars sur les quais transformés en lofts et en bureaux d’architectes en tout-ouvert…

L’alternance de l’ancien avec les poutres aux rivets apparents, et du neuf avec les briques et le verre fumé donnent un style très agréable à regarder. Le quartier doit pulluler de travailleurs en semaine, même s’il est désert (on est dimanche). Au loin se dresse le Convention Center, ou Julie a déjà présenté ses travaux, sorte de cylindre en plan incliné vers le fleuve, à la façade transparente posée sur des fondations de pierre blanche. Mais nous n’irons pas jusque là-bas, malgré la présence d’une frégate d’époque, avec ses trois mats faisant contraste sur la modernité alentours. A la place, nous traversons un pont piétonnier moderne, à l’image technologique du quartier que nous quittons.

C’est l’occasion pour faire des panoramas, faire quelques clichés à quatre entre deux petites averses, mais aussi de regarder le plan pour convenir de la suite. A l’unanimité, nous en avons pas mal dans les jambes pour un premier jour (il ne faut pas oublier que même si nous avons dormi sur le chemin, on a quand même fait 2000 bornes), et il faut en garder pour quelques incontournables que nous voulons encore visiter. On décide du coup d’aller flâner quelques temps dans le quartier de l’université, et pourquoi pas de boire un coup. C’est l’occasion, lors de la suite de cette balade, de passer dans des zones d’habitations différentes du reste du centre. Des maisons basses, en brique rouge façon Angleterre, chacune avec son petit jardinet. On s’y verrait plutôt bien, d’autant que le reste de la ville est tout spécialement accueillant.

Il y a aussi notre enseigne préférée de la ville. Pour couper vers une artère commerçante, nous prenons par un axe à priori peu touristique. Un grand hôtel y a élu résidence, mais ce n’est pas ce dernier qui va attirer nos attentions, ni nos esprits pervers. Au contraire, c’est bel et bien le magasin « Multi-Bite », notre propre icone du quartier qui se dresse fièrement sur le boulevard. C’est fermé comme nous sommes un dimanche, aussi nous ne saurons jamais ce qu’ils vendent chez "Multi Bite".


Mais bizarrement, nous avons une petite idée. 

mercredi 2 avril 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 5

5. Avec des Frites

Assis presque seuls dans ce restaurant, nous nous émerveillons devant un menu local, car nous sommes encore dans cette fameuse phase connue de tous les touristes du monde, celle ou le pays d’accueil semble si exotique, si extraordinaire que nous devons l’analyser sous toutes ses coutures. Pour nous c’est aussi le moment de souffler après plusieurs heures de déplacements non-stop, de petits stress qui viennent se cumuler, d’interrogations fondamentales (qui a osé programmer un GPS comme ça et le tendre à son chef en disant « oui, oui c’est bon ça marche nickel » ?). Même si l’on sert des alcools ici, nous décidons d’un commun accord (et avec une volonté incroyable) d’attendre plus tard pour entamer la longue liste des bières et autres sucreries fermentées locales : nous sommes à jeun, et les estomacs grondent.

Il n’y a pas grand monde à cette heure, aussi nous pouvons rapidement commander et le service sera preste. Marie, qui est un peu plus faible que nous autres en anglais, s’en tire haut la main en désignant son plat du doigt sur le menu… Autour de nous, les murs blancs du restaurant étrennent quelques toiles, laissant de grands espaces nus pour mettre en valeur le mur opposé à l’entrée. Couvert d’alcôves remplies de bouteilles vides de toutes couleurs et formes, ce dernier fait tout à la fois office de décoration et de source de lumière pour les tables éloignées. Nous, nous sommes installés proches du coin de rue, capables de voir derrière nous l’avenue passante et ses touristes qui se rendent à la cathédrale ou descendent vers le fleuve. Les stores laissent entrer la lumière et cachent le mauvais temps qui s’annonce : peu importe, nous sommes venus équipés ! Et puis, c’est le bord de mer, cela peut toujours s’améliorer, non ?

Voilà la serveuse revenir avec nos plats, que nous prenons à peine le temps de photographier (oui, c’est quand même le premier menu local, même si on ne va pas le poster sur Instagram, ne vas pas croire). Michel et moi avons des hamburgers, qui sont généreux. Julie a opté pour une tartine de saumon, et Marie des lasagnes (pas très local, les lasagnes, mais passons). Tous les plats étant généreusement accompagnés de grands bols de frites épaisses, brûlantes, faites maison.

C’est l’occasion rêvée de rappeler en ces lignes que la pomme de terre est bel et bien le produit national, loin devant l’herbe verte, la Guinness ou le Triple Distilled Whisky : c’est la patate. Et donc, par extension, la frite. Pour nous ce midi, ce sera donc un BLT avec des frites, un hamburger de bœuf avec des frites, des lasagnes… avec leurs frites. Oui oui, même les lasagnes. C’est d’une audace gustative qui dépasse notre imagination sur le moment (ou comment mixer les plats lourds : j’envisage le concept choucroute-purée lorsque nous serons revenus). Mais bon affamés comme nous sommes, inutile de préciser que les frites sont les bienvenues.

La cuisine est simple, mais gouteuse. Ce serait passé encore mieux avec une décoction de malt-houblon fermentée (oui bon, une bière quoi), mais ce sera pour plus tard. Volonté, vous dis-je. Sans pour autant se presser, nous décidons de remettre les desserts à plus tard (il n’y a guère qu’en France et dans les pays de l’Est que nous avons la tradition des pâtisseries) pour se concentrer sur notre visite de la ville. A l’aide d’un plan touristique, j’établis un petit parcours pour éviter qu’on se retrouve trois fois dans les mêmes avenues. Grâce à l’Euro, nous savons que nous avons mangé pour une somme raisonnable en partant…

Nous remontons donc l’une des artères principales de la vieille ville pour arriver devant la mairie de Dublin. Ici, les pubs sont de plus en plus nombreux, affichent des programmes ambitieux et des festivités tous les soirs (bref le cliché irlandais dans toute sa beauté). Il y a aussi pour nous des différences, habitués que nous sommes des grandes zones commerciales. Une multitude de supérettes Spar et 7/11 sont ouvertes, dont les couleurs vives égaient un peu la pierre sombre des maisons de Dublin. L’architecture globale date des années 20-30, donnant dans le massif et durable : a priori cela ne produit pas un centre-ville bourré de joie de vivre… Mais les bars fleuris au possible, les restaurants et les fanions tendus au-dessus des rues ravivent suffisamment la flamme.

Nous arrivons à la mairie, et trouvons en quelques secondes l’occasion de faire les idiots (le contraire aurait été étonnant) en utilisant les minuscules guérites de style « garde nationale », qui sont pour l’heure dépourvues desdits soldats. On s’y masse à quatre, laissons un autre français nous prendre en photo… Bref on joue les touristes parfaits. La mairie est accolée au château de Dublin, bâtiment qui est presque une expérience en soi... Nous ne visiterons pas l’intérieur, mais les espaces sont publics et c’est une bonne occasion de flâner dans ce quartier intéressant. Dans la première cour que l’on rejoint par un porche, on retrouve des façades ouvragées du 18è siècle et de grandes et hautes fenêtres. Deux grandes horloges en vis-à-vis ornent les frontaux des plus longs bâtiments. Et au centre de cet espace pavé, une exposition des plus temporaires (surtout avec cette météo) : de grandes sculptures de sables.

L’ouvrage mérite d’être mentionné, parce qu’il doit représenter un beau nombre d’heures de travail. Pourtant sur cette place imposante, ces montages de sable jaune font un peu déplacé, c’en est presque dommage. Nous quittons ce grand espace par une autre façade, qui donne sur une rue en dévers bordant la chapelle du château. Cette dernière est en adéquation totale avec la première partie de la construction. Avec ses accents gothiques et ses nombreuses flèches taillées dans la pierre gris sombre du cru, le contraste avec le marbre blanc est brutal, sans parler de l’époque de construction. Pas désagréable, mais surprenant. Michel et moi tentons de capturer une perspective des sculptures avec nos réflex, sans toutefois y passer trop de temps. Ce n’est qu’en continuant notre tour du château que nous constatons que le reste de l’architecture du lieu confine au patchwork de styles et d’âges.

C’est comme un condensé, comme si la ville avait voulu réunir toutes les époques en un seul lieu. Un donjon rond crénelé s’élève haut, bordé par des façades de crépis coloré. Une extension austère aux fenêtres barrées laisse place quelques mètres plus loin à de hauts murs peints en jaune et rouge. Enfin, après un pont de pierre qui traverse l’une des rues adjacentes, c’est un bâtiment de verre aux tons bleu vifs et aux angles aigus qui vient compléter le tableau. Tout s’enchaîne mais rien ne se ressemble, et c’est ce qui fait la particularité du lieu. Nous finissons notre tour dans un petit parc rond, à la pelouse immaculée d’un vert presque fluorescent. Quelques mouettes viennent faire peur aux enfants et poser pour les touristes (nous résisterons jusqu’au bout). Nos réactions sont un peu mitigées vis-à-vis du lieu en général. L’objectif étant sans doute de faire réagir, c’est pleinement réussi. Pourtant, nous restons dubitatifs pour ce qui est de considérer ça comme un bel ouvrage. Peut-être que pour nous qui sommes habitués à de longues avenues, à des châteaux en pierre ou tout simplement à des styles un peu plus affirmés, c’est un peu « too much ». Mais enfin c’est quand même très intéressant, et cela nous pousse à continuer la découverte de la capitale Irlandaise.

Julie, qui est la seule d’entre nous à avoir déjà été sur place, a largement contribué à notre tour de la cité, puisque nous ne savons pas à priori quels écueils éviter. Notre prochaine étape sera donc l’université de la ville, laquelle a comme toutes les institutions anglo-saxonnes une vieille histoire derrière elle. En y allant, nous tombons comme sur un avant-goût du musée Guinness : l’un des pubs quasi-dédié à ce breuvage est couvert de publicités à l’effigie du Toucan. Devant la grande porte d’entrée de l’université, une foule de touristes se presse, renforcée par les bus de « city touring » garés au chausse-pied devant les espaces verts bordant les énormes montants de chêne. En effet, les lieux sont des incontournables, nous apprend Julie. Comme on est en aout en effet, je doute que les gens qui nous entourent soient des étudiants, tout spécialement les asiatiques et leurs coupe-vent violets ou jaune Pikachu.

Hors du flux de circulation, dans cette enclave de vieux bâtiments de trois étages, nous profitons du calme en flânant sur les pavés inégaux. Le clocher de l’université, qui fait aussi office d’arc de triomphe, est au centre de cette disposition très géométrique. Nous l’admirons de tous les côtés, puisque nous marchons en suivant les espaces verts (en Irlande, l’expression prend tout son sens). Un gigantesque marronnier rayonne et projette son ombre sur les grandes arches vitrées des salles de cours et les bureaux des professeurs.

La véritable attraction (même si nous étions très bien, nous, à faire notre petit tour tout seuls) c’est la bibliothèque de l’université. Payante, interdite aux photographies (!) elle est célèbre pour ses trois étages de bois, et son espace central qui laisse passer un puits de lumière autour des rangées de tomes centenaires, ses rambardes de marbre conservant sans doute la mémoire dizaines de générations d’étudiants penchés sur des pages obscures. Mais bon tout cela, il faudra le regarder sur Internet, n’est-ce-pas. Eh… Oui. Il ne fait pas beau, en fait il pleut un crachin léger depuis une dizaine de minutes. Et le touriste de base en Irlande, que fait-il quand il pleut ? En plein dans le mille : il va à la bibliothèque ! Bon j’ai oublié de vous parler d’un « détail » qui attire en fait ici des dizaines de milliers de visiteurs par an. Ladite bibliothèque abrite plusieurs ouvrages séculaires, mais aussi le fameux Book Of Kells, livre enluminé datant de plus d’un millénaire, traitant… Eh bien du nouveau testament (quelle surprise… Quoique, il était plus nouveau à l’époque que maintenant !).


Donc pour faire court, il pleut sur le Trinity College, et nous ne pouvons pas nous abriter parce qu’une grosse centaine d’abrutis (beaucoup nous ressemblent) font la queue jusqu’à fort loin des portes de la bibliothèque. Comme nous décidons que le bouquin en question ne mérite pas une heure et demie d’attente (je vous l’ai dit, qu’on n’avait pas encore eu de bière ?), nous décidons de mettre nos habits de pluie et de quitter le centre historique pour le nouveau cœur de la Ville. D’ailleurs, on la voit depuis le parvis de la Fac de Littérature, notre prochaine étape : The Spire, dressée comme pour piquer le soleil.