jeudi 29 mai 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 21

Episode 21: Le crâne, les roses et des pommes,

Aussitôt assis, nous n’avons plus qu’une envie, c’est de jouer. Pas une fois durant l’ensemble du voyage nous ne sommes sortis sans notre petite boite de jeux (et ça inclut les soirs où nous n’avons pas joué…). Mais d’abord, il va falloir consommer, les enfants ! Si Marie s’abstient pour des raisons évidentes, nous n’avons pas ce genre de restrictions… Michel prend son habituelle Guinness (sa teinte de peau aura changé avant la fin du trajet, à ce rythme) , tandis que Julie et moi décidons de nous essayer au cidre. Oui parce que, pour ne rien vous cacher, je me suis renseigné avant de partir, et les productions de cidre irlandais sont assez réputées.

C’est moi qui me dévoue pour la première tournée. Le truc, c’est que le comptoir est un peu encombré, entre les vingt clients de toutes façons accrochés au marbre par d’invisibles tentacules, ceux qui ont le dos tourné pour regarder les musiciens, et ceux qui comme moi viennent ravitailler leurs amis, la compétition est rude. Et quand il vient vers moi, le barman… Il me faudra répéter une ou deux fois l’ensemble de la commande. Le mieux c’est qu’il ne me la confirme pas, je n’ai donc aucun moyen de savoir s’il a bien compris ce que je voulais. Je suis d’autant plus inquiet qu’après l’avoir vu tirer une Guinness (dans les règles de l’art, c’était on ne peut plus correct), le type ne cherche pas de bouteille, il retourne à la tireuse… Ah mais ça ne je pouvais pas deviner : ici, ils ont du cidre à la pression (La. Classe.). Les verres à cidre sont tout simplement énormes, c’est plutôt engageant !

A notre table, nous n’hésitons pas longtemps avant de commencer à jouer. C’est que, même si nos petits jeux ne prennent pas beaucoup de place, ils sont rapidement vus par les autres clients qui nous entourent comme une activité exotique : nous sommes très observés. Mais d’abord, goûtons ce cidre, le Bulmers. Déjà, il est beaucoup plus coloré que le breton : il tire sur l’orange-rose ! Surtout, la surprise est gustative : c’est un délice absolu. Pétillant, fort en goût, il sent vraiment l’essence de la pomme. Inutile de préciser à quelle vitesse il descend, parce que à partir de cet instant, je serais tiraillé tout au long du voyage : je ne suis plus tout à fait certain que la Guinness soit ma boisson irlandaise favorite. Oui, je sais, blasphème, tout ça tout ça, mais… Bon, le Bulmers quoi ! Dernière chose sur cette boisson extraordinaire : c’est une traîtresse de premier ordre. Sous ses airs de jus de pomme, elle cache bien son jeu, et vient vous frapper derrière le front avec une régularité qui n’a rien du flegme irlandais. Pas de conduite ce soir ? C’est tant mieux. Contentons-nous déjà de retrouver le B&B. Julie est aussi emballée que moi par le cidre, même si elle est (comme toujours) beaucoup plus raisonnable.

Nous démarrons par quelques parties de Skull and Roses. Un jeu dont le principe est simple et repose sur le bluff : armés de dessous de verre personnalisés, chacun pose à son tour sa carte… Toute l’astuce reposant sur le fait de savoir qui a déposé des roses ou son crâne lorsque l’on dévoile les cartes. Je ne sais pas si vous saisissez le principe, mais dans les jeux de bar, plus c’est simple, plus ça peut devenir diablement stratégique et engageant. Nous, par exemple, pouvons y jouer des heures. C’est justement parce qu’on se connait aussi bien, d’ailleurs. Michel, par exemple, agit le plus souvent comme s’il se fichait éperdument de gagner tant que nous tombons sur son crâne lorsque l’on dévoile les cartes. Julie ne bluffe pas souvent et Marie… Bah Marie est imprévisible. Le plus difficile avec elle, c’est son inconstance. Des fois, elle va perdre quatre fois de suite. Mais il faut croire que ce soir, elle lit en nous comme dans un livre ouvert, parce qu’elle nous écrase comme un essaim de moucherons. Il faut croire qu’être enceinte donne quelques pouvoirs psychiques.

C’est uniquement parce qu’elle mène d’une pleine tête que nous cessons d’y jouer (j’aurais quand même remporté une partie, na !), pour passer à la Scopa, un jeu de cartes italien encore plus stratégique. Les regards autour de nous sont très amusés : les gens ont bien remarqué que nous ne sommes pas de simples joueurs de poker ou de bridge. Non, nous jouons des parties animées, que personne ne comprend (on en voit qui articulent des « Kamoulox » de temps en temps) sans décodeur…

Et pour la Scopa, c’est encore pire. Les quelques-uns qui regardent la partie (eh oui, vous aviez cru que je ne vous voyais pas, appuyés sur la porte ?) s’agitent un peu, croient piger le truc lorsque l’on a des cartes faces ouvertes au centre. Mais lorsqu’ils voient que l’on joue par équipe, que l’on joue mains ouvertes, ils finissent par lâcher l’affaire : que ces tarés jouent entre eux, tant qu’ils nous fichent la paix !

Nous sommes de bons consommateurs, d’ailleurs, ce soir. Je me bois avec grand plaisir une seconde pinte de cidre, tandis que Michel s’engage sur un Whiskey, qu’il sirote en regardant ses cartes. Malheureusement, tout l’alcool du monde n’y changera rien, ce n’est décidément pas la soirée de l’équipe des hommes… Nous nous faisons exploser une première fois (un score humiliant, genre 11-2 ou 11-3, sec), ne baissons pas les bras et retombons dans le piège immédiatement après. Les filles sont en communion d’une quelconque façon : elles succèdent les mains victorieuses et les « Scopas » (le fait d’enlever la dernière carte de la table) à une vitesse qui dépasse notre stratégie. Nous rions. Jaune. Ou bien, oui c’est ça nous en sommes persuadés, c’est à cause du Kerry. C’est sans doute ça, nous sommes absolument incapables de gagner à Killarney ! Mais demain, les filles, on sera dans le Connemara, les filles. Eh ouais. Demain, revanche.

Entre temps, le besoin pour une bonne nuit de sommeil commence à se faire sentir. Nous passons encore un bon quart d’heure à rigoler tous les quatre, avant que Michel se lève pour aller payer (c’est son tour). Contrairement à ce qui aurait pu arriver un peu plus d’une heure auparavant, personne ne se jette pour prendre notre table. En fait, un tour d’horizon rapide nous apprend qu’il n’y a plus vraiment foule. Il reste bien sur un cœur d’habitués (ou de touristes habitués au bar) qui entoure les musiciens, lesquels jouent leur derniers morceaux. Ils étaient assez doués, même si j’avoue n’avoir pas été concentré sur leur musique tout du long (nous avons quand même réagi au quart de tour lorsqu’ils ont entonné les trois chansons qui nous sont familières).

Le retour vers le gite sera un peu brumeux, la faute aux pommes du cidre irlandais, même s’il n’y a pas assez de rues dans la zone pour nous perdre. La plupart des bars sont sur la fin de leur ambiance la plus festive, même s’il n’est pas vraiment tard (ouh-là-là, minuit quand même presque !). Lorsque nous passons devant, nous nous rendons compte que nous n’avons pas visité l’église de Killarney, ni sa cathédrale, devant laquelle nous avons roulé trois ou quatre fois. Mais bon, on ne peut pas tout voir… Arrivés au B&B, nous nous donnons rendez-vous à l’ouverture du petit déjeuner, et nous séparons pour une bonne nuit de digestion. Demain, on commence tôt, il y aura de la route et du gras !

lundi 26 mai 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 20

Episode 20: License To Killarney

Lorsque nous foulons la rue piétonne, nous sommes presque intimidés. Il y a là la quasi-intégralité des touristes du sud-ouest irlandais. Evidemment, pour nous qui n’avons vu qu’un couple de vosgiens durant notre randonnée, le changement est brusque. Pire pour Michel qui n’était pas au Ross Castle. Pour souffler un peu, nous montons nous réfugier dans… Une boutique de souvenirs. Oui, je sais. Et oui, c’est aussi la même enseigne qu’à Dublin. Mais devinez quoi ? Ils ne vendaient pas la même chose ! Magnifique ! De quoi repartir une fois de plus avec les bras chargés et les cartes bancaires à bout de souffle. On achète même des cadeaux pour projeter les choses que l’on ose pas acheter pour nous, en témoigne mon écharpe (et bonnet) Guinness pour mon frère, par exemple. Seule la question de la place dans les valises (euh, oui, le coffre ferme de moins en moins bien) et la promesse des bouteilles de whiskey Bushmills nous freine un peu pour acheter de plus gros objets.

Heureusement d’ailleurs, parce que Michel et moi nous sommes entichés de versions peintes de l’instrument de musique de la branleuse. Peut-être, avec un peu d’entrainement, pourrions-nous devenirs d’authentiques branleurs ? Hum.

D’autre part, je n’ai pas non plus eu le droit de ramener mon amie, la mascotte de l’enseigne de souvenirs : un chien au long pif accueillant debout les visiteurs, du haut de son mètre quatre-vingts et avec une magnifique casquette verte. Dieux, je le regrette encore, celui-là. Au fur et à mesure de notre promenade, nous faisons bien attention de regarder les pubs : il a beau n’être que 18h30, cette fois nous sommes au taquet ! Pourtant, à part quelques restaurants d’ores et déjà bondés, nous n’arrivons pas à fixer notre dévolu sur un établissement en particulier. Il faut dire aussi que ce soir nous profitons du choix pléthorique d’enseignes pour ajouter un élément clé à notre recherche : les filles veulent du Guinness Stew… Un plat typique que nous n’avons pas encore eu l’occasion de goûter. Et même si je suis intimement persuadé qu’absolument toutes les cuisines peuvent le faire sur demande (c’est un peu comme chanter le Wild Rover), il n’est pas à la carte partout.

Bon, la promenade est belle, c’est le point clef. Les deux-trois rues principales du centre-ville piétonnier sont très animées. Marchant sur les pavés entre les maisons d’un ou deux étages (jamais plus) en pierres, nous remontons le long des pubs et des échoppes typiques. Beaucoup de souvenirs mais aussi de la mode irlandaise (et ses magnifiques pulls en laine de mouton au-then-tiques)… Que nous laisserons derrière nous. De temps en temps, il y a quelques moments bizarres, comme ces bâtiments sur lesquels des centaines de corbeaux ont élu domicile… Ca coasse sec, et avec le ciel gris, c’est propice aux prophéties un peu sombres !
En parlant de prophéties, que pensez-vous de cette dernière ?

«             Lorsqu’en Irlande vous serez, tous les quatre vous voudrez manger,
                Mais prends garde l’ami, car personne là-bas ne déjeune à midi,
                Si vous cherchez trop, jusqu’à ce que les forces vous échappent,
                Vous errerez, à la recherche de l’impossible échoppe,
                Jusqu’à accepter votre destin, de profiter de l’existant festin,
                Et de boire la bière à la chope. »

Elle va encore s’appliquer ce soir à Killarney. Oui, malgré les dizaines de pubs, les dizaines de restaurants, les trois ou quatre marchands de frites ambulants. Nous échouons, et c’est lamentable. Il commence à se faire faim lorsque nous rentrons, en désespoir de cause dans l’enseigne désignée par le Routard. Ca sent bon, ici ! Nous ne prêtons pas vraiment attention aux quelques personnes âgées qui se tiennent à droite de l’entrée, sans doute un reste de car de vieux qui attend pour les toilettes ou quelque chose comme ça… Nous attendons le serveur au comptoir pour voir s’il leur reste des places (c’est que, mine de rien, il y a du monde !), lorsqu’on entend la voix de crécelle d’une retraitée énoncer bien fort « ah on reconnaît bien les Français, à toujours passer devant tout le monde ». 
Mmmh ? Elle veut quoi, la grabataire ? Elle a perdu sa prothèse de hanche ? En fait, l’attroupement auquel nous n’avons pas prêté attention n’était autre qu’une file d’attente. Une file d’attente ! Dans un restaurant ! C’est quoi ici, la distribution de pain ? On s’en va, non sans un regard meurtrier pour cette vieille pie.

Le temps d’arriver au bout de la rue, nous n’avons pas trouvé notre bonheur. Qu’à cela ne tienne ! C’est moi qui guide le groupe, aussi je propose de remonter par une rue résidentielle, ce qui nous fera logiquement retomber sur l’une des trois rues piétonnes déjà visitées. On se promet d’ailleurs à cette occasion de baisser notre standard au moins pour la soirée, histoire de trouver un endroit ou manger avant qu’il ne soit, de nouveau, trop tard. Julie finit par passer devant en haussant le pas et le ton, à tel point qu’on croit qu’elle boude pour une raison obscure… Il ne faut pourtant pas s’y tromper : elle a faim, et lorsque mon épouse a faim, elle devient rapidement insupportable. Comme maintenant. Bref.

A deux autres reprises nous allons pousser la porte de restaurants bondés, trop bondés pour pouvoir en profiter. Et puis, à vingt mètres du magasin super-mode (toujours pas de pull en mouton massif ?), nous nous arrêtons dans une enseigne modeste, qui assure servir des plats dont du Guinness Stew… D’un coup d’un seul nous faisons nous aussi la queue. Mais c’est intelligemment, cette fois, parce qu’il y a pas mal de monde déjà sur le départ. Et en effet nous n’aurons pas à attendre bien longtemps pour qu’une table se libère… Aussitôt assis, nous nous promettons d’en profiter, et de faire durer ! Si déjà nous avons attendu, maintenant à nous de faire durer. En commençant par des boissons, et la bière tant attendue tout au long de la journée (toujours la même, je ne vous fais pas un dessin). Ensuite, ce soir nous avons décidé de faire le combo entrée + plats (vu que les desserts, dans le coin, ce n’est pas vraiment leur spécialité).

Marie et Michel choisissent d’abord des moules, tandis que Julie et moi, fidèles à nos principes, choisissons une soupe de légumes servie avec du Brown Bread (ici, du Guinness Bread). Tout en évoquant la randonnée du jour, les corbeaux ou même la qualité de notre B&B (après tout, Michel vient d’y faire une sieste de plus d’une heure), nous mangeons avec entrain. La soupe est délicieusement relevée, le pain est très chargé en céréales, épais, et fort en goût… Tandis qu’à ma droite, Michel et Marie savourent leurs moules (cuites dans la Guinness, si je ne m’abuse), nous profitons de cet instant culinaire. Il faut aussi se préparer à la suite, qui au niveau des quantités, se hausse sur une haute marche : deux assiettes gigantesques pour les filles, deux plateaux complets pour nous. 

Elles l’auront eu, leur Guinness Stew ! Prophétie ou pas, attente ou pas, petite vieille ou corbeaux coassant à l’unisson : nous avons nos plats, et le monde peut bien s’effondrer durant les vingt prochaines minutes, nous aurons la bouche pleine. Marie et Julie ont donc hérité d’une grosse potée de purée de pommes de terre, qu’entourent de beaux morceaux de bœuf en sauce à la bière… Michel et moi avons pour notre part joué la carte du burger « pur bœuf irlandais », et bien qu’il soit un peu sec , le plat est juste suffisamment massif pour nous faire soupirer de contentement en fin de repas. Et après avoir mangé autant, un peu de digestion et de boissons s’imposent… Mais prenons un peu notre temps, histoire de regarder les autres touristes pris dans la longue file d’attente. On a beau avoir été à leur place, nous prenons un malin plaisir à les détailler des yeux, à regarder leur réaction lorsqu’ils regardent nos assiettes vides et qu’ils nous voient nous tenir le bide…

Bon, nous n’allons pas faire de vieux os pour autant, ce n’est peut-être pas le bon endroit pour commencer un esclandre (mais y-en-a-t-il de bons ?). Une fois dans la rue, nous prenons bien attention à ne pas répéter l’inénarrable scénario des restaurants aux critères multiples. On cherche un bar avec de la live music, ou l’on puisse s’asseoir (avec les journées qu’on passe, s’asseoir, c’est cool). Cette fois, ça ne nous prendra pas une demi-heure ! Heureusement, parce qu’on serait rentrés, je crois. Non, nous n’avons fait que deux ratés : le premier dans un bar qui était si bondé que le guitariste jouait littéralement sur le public, le second dans une enseigne ou les seules places disponibles étaient au pied de la batterie et des baffles. Nous ne savions pas encore que le troisième serait le bon lorsque nous y sommes entrés… Cela paraissait un peu désespéré : même de dehors on pouvait voir que le pub était bondé.


Et en effet, juste à côté des musiciens il a fallu jouer des coudes ! La foule qui les entoure est compacte, la bière à la main, s’étend jusqu’au bar et suit le marbre comme une longue colonie de fourmis sur de la confiture. Il y a un second espace un peu plus loin que le comptoir, ou la musique nous parvient quand même et… Chance insigne, trois personnes qui quittent leur table littéralement au moment où nous arrivons (je crois que nous avons passé deux petites minutes debout). Aussi, je crois que notre malédiction s’est arrêtée là concernant à la fois le choix des bars et des restaurants. Nous voilà en effet assis, tous les quatre, dans un bar avec de la live music et un groupe irlandais. Et si ça ne suffisait pas, il reste la décoration murale. Nous ne l’avons pas immédiatement remarqué, dans notre euphorie, mais du sol au plafond, les murs de l’établissement sont tapissés de… Billets d’un dollar. 

Tous dédicacés. Des billets. Et vu le bar, la surface au plafond et les murs, il y en a pour plusieurs centaines. C’est… Non, pas beau (n’exagérons rien)… Génial. 

jeudi 22 mai 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 19

Episode 19: Un tour chez Ross

Autant le chemin nous a paru d’une langueur terrifiante, autant la route est bouclée en quelques minutes : je conduis sans l’aide du GPS, sans avoir à se poser des questions toutes les deux minutes, ou chercher un embranchement de la taille d’un portail de nain de jardin. Je porte la Go-Pro, tout heureux de montrer la route en vidéo (ça a créé comme un silence quand même… Ou bien tout le monde est crevé, ce qui est possible). Il faut dire que jusqu’à l’entrée de Killarney, on a encore droit à un panneau « 100 » aussi improbable que si on l’avait trouvé au bord du Devil’s Punchball. Mais, hein, rien ne m’empêchera d’essayer… Une fois en ville, le soleil est de mise (ça n’aurait pas pu être deux heures plus tôt pour les photos, non, c’est quand on est dans la circulation et crevés) et il y a soudain beaucoup plus de monde dans la cité, qui s’anime au point de presque créer un bouchon avant notre embranchement.

Heureusement que nos douches électroniques ne sont pas compliquées (si, toutefois, on s’abstient de toucher à tous les boutons), autrement, je crois qu’on aurait entendu nos cris de désespoir à travers les cloisons. C’est l’heure de se reposer. Mais alors que Julie profite d’une eau magnifiquement chaude, je fais un peu le point. Physiquement, ce n’était pas si difficile, et après un quart d’heure allongé sur mon lit, j’ai déjà les fourmis dans les jambes. J’ai déjà décidé qu’après ma douche et un second petit temps de repos, j’irais visiter quelque chose : il n’est encore que seize heures, il y a largement de quoi faire pour remplir l’après-midi. Attention, ça ne m’empêche pas de savourer ce moment de calme, à me plonger épisodiquement dans mon bouquin, ou tout simplement regarder le plafond en repensant à ces paysages qui resteront longtemps gravés dans mes souvenirs.

Je suis presque étonné que Julie soit d’accord avec moi. Elle acquiesce immédiatement, en ajoutant qu’elle non plus n’a pas envie de rester se reposer. Et après, on s’étonne que nous soyons ensemble depuis bientôt une décennie ! N’importe quel individu sain d’esprit profiterait de cette après-midi pour se reposer. En parlant d’eux d’ailleurs, ils sont divisés sur la question. Marie est partante, mais Michel dort déjà et ne donne pas l’impression de vouloir aller ou que ce soit. Nous serons donc trois à partir pour l’expédition au Ross Castle. Dans ma lecture d’hier soir, j’ai survolé un prospectus : le monument est situé à moins de cinq kilomètres de là, et pour y arriver c’est enfantin : il est dans le pur et simple prolongement de notre rue. Bon, nous sommes tous d’accord sur les modalités : ballade calme, pas trop longue, en habits de ville. On ne nous fera pas remettre les chaussures de marche aujourd’hui.

Mais il faut signaler que la route pour atteindre le château est particulièrement originale. Non, pas spécialement dans sa forme… Déjà, il y a la signalisation. Pas de panneau « 100 » (chuis déçu), mais à la place, tous les kilomètres, des avertissements « attention calèches » très imagés. Et ils sont valables, puisque sur le seul trajet aller, j’aurais l’occasion d’en passer au moins trois ou quatre. Tractés par deux chevaux, les lourdes voitures sont pour la plupart décapotées, toutes en structure bois recouverts de stuc. Les cochers, paresseusement assis leur fouet à la main, conduisent les touristes jusqu’au centre-ville à une cadence toute médiévale. Ce doit être même un peu long, sans parler de l’odeur … La route est tapissée de m… de traces de cheval. Nous arrivons à un grand parking, dont je n’arrive toujours pas à savoir à ce jour s’il est payant. Il m’a d’abord semblé que oui, sauf qu’en tournant un peu, nous n’avons trouvé aucune machine qui ne soit réservée au bus… Et les véhicules autour de nous n’ont rien sur le pare-brise. On quitte donc le parking en espérant très fort qu’il n’y aura pas contrôle de police. Les filles disent que je m’inquiète pour rien.

Puis on arrive devant le Ross Castle. Construit au bord du lac de Killarney, ce dernier dégage une impression de force gravée dans le temps. Constitué d’un corps principal avec un énorme donjon rectangulaire surplombé par un toit incliné, il a une position dominante sur tout le reste de la plaine. Il n’est pas difficile de comprendre qu’au XVIème siècle, il contrôlait tout l’accès à la partie sud du Ring of Kerry. Le donjon est côté lac, tandis que les plus épaisses parties du rempart se trouvent à l’opposé. Comme la plupart de ceux qui ont traversé l’histoire, le Ross Castle a été construit puis reconstruit à plusieurs reprises, et c’est particulièrement voyant sur le côté terre, pour lequel le chemin de ronde est posé sur une épaisseur phénoménale de mur, faisant face à la plaine avec des plans inclinés (pour que les boulets rebondissent). Le château est visitable, mais nous arrivons trop tard et nous voulions juste flâner : de toutes façons, il est possible de se promener dans l’enceinte sans ticket d’entrée.

Après avoir examiné le premier rempart (il n’en reste que quelques pans), nous montons dans la cour intérieure qui est surélevée par rapport au niveau du lac, et qui est très bien conservée. Quatre canons, qui attendent d’éventuels envahisseurs à stopper, gardent les remparts de toute leur masses noires. Pour Julie et moi, c’est une bonne aubaine : jusqu’à maintenant, dans la majorité de nos voyages, nous avons toujours trouvé un canon à côté duquel poser. C’est devenu non seulement une recherche originale, mais aussi une collection de photos de nous, appuyés sur des canons tout autour du monde. Bon choix que le Ross Castle, donc : les pièces d’artillerie sont dans un état remarquable. Nous ne resterons pas longtemps dans la cour, préférant longer le donjon, et descendre une volée de marches. Là, sur un gravier fin, deux quais partant du château vont s’enfoncer doucement dans l’eau, de façon à prendre le bateau sur un tableau idyllique : les petites îles boisées sont reflétées dans le lac calme, les montagnes à quelques milles de là font comme une toile grandiose, et des rais de lumière à travers les nuages donnent un air surréaliste.

Bon, je suis désolé de vous décevoir, mais le Ross Castle, ce n’est pas la place forte qu’on imagine. Non, moi je dirais que c’est plutôt le château de la loose. La faute à… Une malédiction. Si, si. Attends, tu crois que je me fiche de toi ? Je ne sais plus qui avait eu une vision, faisant la prophétie que le jour ou des envahisseurs viendraient du lac, la place forte serait perdue. Peu importe que les murs soient épais, que la zone de débarquement était exposée, que peu importe le nombre d’envahisseurs, la taille de la porte des remparts était suffisamment fine pour qu’ils doivent tous rentrer à la queue-leu-leu. Et pire : la prophétie s’est réalisée. Elle s’est réalisée parce que ces imbéciles y ont tellement cru que le jour ou une trentaine d’ennemis se sont pointés en barque pour prendre le château par surprise, les défenseurs ont eu une frousse tellement immense qu’ils se sont tous carapatés. Tu parles d’une histoire glorieuse, hein !

Nous passons une bonne quinzaine de minutes à côté de l’eau. Le site est splendide, plusieurs bateaux mouches viennent faire étape sur l’un des pontons de bois accolés aux quais en pierre de taille. Et ces montagnes… Nous essayons en vain d’apercevoir celle que nous avons grimpé aujourd’hui, mais nous n’en verrons rien, elle est cachée par les arbres. Des canards viennent paresseusement quémander leur dû auprès des quelques autres familles qui flânent autour de l’eau, et sur un petit repli gazonné… Quelques enfants jouent là avec les volatiles dans un silence tout relatif. Quel bel endroit ! Il y a un calme ceint d’une sorte de respect pour la vieille pierre, aussi ridicule soit son histoire. Tout de même, une garnison a occupé le château jusque dans les années 50…

Ah, si seulement il nous restait des jambes ! Un chemin peu couru s’enfonce dans la forêt à droite du monument, avec cette promesse voilée de suivre les délicats et dentelés bords du lac… Mais ce dernier fait des kilomètres, et même si ce chemin est sablé, couvert par les arbres qui font comme une arche au-dessus de lui, nous avons déjà donné assez pour la journée ! Nous promettons de nous venger dans les heures à venir en faisant un significatif tour du centre-ville dès que nous aurons rejoint Michel au B&B. Le trajet de retour sera pour sa part plus long que l’aller, la faute à ces maudites calèches qui encombrent la route dans les deux sens, empêchant les touristes à moteur de rouler à plus de 10km/h, une vitesse il est vrai tout à fait hallucinante. Cela donnera d’ailleurs lieu à une scène sortant de l’ordinaire. A notre dernier feu rouge, juste avant notre carrefour, il aura fallu patienter plusieurs minutes (le passage est éternel) avec deux chevaux piaffant juste derrière le coffre : tout regard dans les rétroviseurs, et c’est une vue directe sur les naseaux de la bête !


Nous rejoignons Michel, qui s’était à peine réveillé, avant de partir pour le centre-ville. Et là j’aime autant vous dire que nous retrouvons la civilisation : le Ring of Kerry étant un lieu très couru en cette saison, nous nous attendions à voir un peu plus de monde aujourd’hui. Mais où étaient-ils ? Je ne peux pas répondre, mais ce soir-là, ils étaient à Killarney… Les trois rues piétonnes sont littéralement prises d’assaut. Nous, on l’a joué intelligente : il est encore tôt, nous avons donc le temps de flâner dans les rues tout en repérant notre futur restaurant. Cette fois c’est certain, il fera de la cuisine Irlandaise, il aura des musiciens et ce sera peut-être un bar en fin de soirée ! 

Plus engageant encore, nous trouvons cette perle rare dans le Routard : on sait même où aller !

mardi 20 mai 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 18

Episode 18: Vindidju D'Vosgien

Même en haussant le pas (ce n’est pas possible bien longtemps) nous sommes vites rattrapés. Un type, qui n’a même pas la décence de porter un sac à dos (et quand il va pleuvoir, t’auras l’air malin) mais arbore fièrement un t-shirt jaune rentré dans son pantalon de marche, nous dépasse au pas de course. Et comme un peu partout, entre randonneurs, nous échangeons un « hello » amical. Enfin, ici, amical mais louche. Déjà parce que le « Hello », même s’il ne s’agissait que d’un seul mot, sonnait vachement français. Bon, là, passe encore. Mais il ne nous a pas dépassé aussi vite qu’on ne puisse rien lire de ce qui était écrit sur ledit t-shirt (le jaune, on a beau dire, ça attire l’œil). Un français, nous en sommes surs à présent. Aucun de nous ne saura finalement dire s’il était pressé pour une raison ou une autre, s’il montait à une telle cadence car il était fâché ou si tout simplement il essayait ses nouvelles bottes de sept lieues (elles marchent).

Quant à nous, nous arrivons quelques minutes plus tard au bord du lac d’altitude qui va constituer notre terrain de jeu pour les deux prochaines heures. C’est de là que partait notre petit ruisseau ,de ce beau lac de retenue, au bleu pur et profond, sa surface sombre ridée par le vent qui rabat nos capuches. Derrière nous, l’infinie étendue du Kerry. Killarney se fond dans le paysage, le grand lac et ces mille ilots paraissent maintenant minuscules, presque bas de carte vis-à-vis des grandes plaines vallonnées qui s’étendent sur des dizaines de kilomètres vers le nord, tandis qu’à l’ouest nous voyons jusqu’aux premières falaises de Dingle, là où hier encore, nous étions en compétition pour voir la mer en premier.

Le Devil’s Punchball (le mec qui a donné les noms des lieux remarquables du coin était un génie) est bordé à sa gauche par une région assez plane mais très rocailleuse, et à sa droite par un véritable mur, une crête sur laquelle on voit se dessiner en contrejour la silhouette de notre mystérieux français sur le ciel gris. Le chemin faisant de toutes façons le tour de tout le massif, nous démarrons par la gauche (après notre grosse montée, autant faire une petite pause et commencer doucement)… La raison officielle et finale qui l’emporte sera la qualité déplorable de nos vessies communes : il n’y a pas, sur le flanc droit, un seul buisson qui soit compatible avec les envies du moment. Et avec des randonneurs qui surgissent au pas de course… Pfiou, un seul touriste et plus rien ne tourne rond.

La rive est bordée de gigantesques blocs de pierre claire, posés dans la tourbe noire, créant un contraste saisissant. Et quand je vous parle de blocs, je pèse mes mots : certains font aisément la taille d’une cabane, voire d’une petite maison. Et parmi eux, certains sont de véritables cubes façonnés par une nature capricieuse, qui aime à mettre des motifs géométriques là ou rien ne devait les justifier. Aussi nous en faisons notre terrain de jeu éphémère, montant tour à tour sur ces énormes tables de pierre, faisant mine de plonger dans les eaux noires… Dérangés, quelques moutons nous regardent en bêlant, cris qui se réverbèrent sur toute la cuvette : quel vacarme nous devons produire sur le versant opposé !

Alors que nous longeons ce petit lac, nous sommes un peu plus attentifs aux endroits où nous posons les pieds. Le sol est humide, et des couches de tourbe à notre gauche témoignent du sol imprégné : ce qui est vicieux dans ce genre d’environnement, c’est que cette terre moussue peut très bien recouvrir de vingt ou trente centimètres d’épaisseur une grosse flaque, voir un second lac tout entier. Enfin, cela dépend de l’environnement, mais Julie et moi en sommes familiers depuis notre voyage en Ecosse, qui coté tourbe nous a réservé des surprises (le marais des Morts, vous connaissez ?) Ici, il y a toujours des pierres dont le poids excède le mien, donc nous ne risquons rien (vu le poids de mes camarades, si je passe avec un sac à dos, ils n’ont aucune peur à avoir).

A l’opposé de la retenue du Devil’s Punchball, le chemin s’incline vers la droite, et monte sur cette fameuse crête, de près d’une centaine de mètres de dénivelé en un rien de temps. Mais à l’effort on peut compenser la vue. En effet, sur le bord de cette cuvette on découvre le flanc opposé de la montagne, et c’est à couper le souffle. Sur plusieurs centaines de mètres, la roche couverte de mousse et de buissons bouffants plonge à la verticale sur un second lac, qui nous parait bien loin… Près de trois ou quatre cent mètres de chute libre pour y arriver, mais en sautant du bord… Bref, c’est raidasse comme tout : Marie ne s’en approchera pas, laissant Michel faire les photos pour eux deux. C’est que nous mitraillons le coin à coup de déclencheurs : même si le ciel promet des retouches difficiles, pas évident de se freiner, ici.

Le sentier faisant finalement une boucle autour du lac, nous finissons par retrouver notre randonneur français. Il devait être en quête de son compagnon, tout à l’heure, car à présent ils sont deux hommes. Et comme nous savons qu’ils sont français, nous n’hésitons pas à les aborder. Aucun intérêt au final : le randonneur fou est un vosgien (pour un peu, on s’en serait douté) et son ami est de Saône et Loire… Avec un accent qui n’a rien à envier à un chti, pour le coup. C’est bien, on a fait connaissance, maintenant retournons à notre montagne. Dès qu’ils sont partis, le massif est tout à nous.

La récompense est à la mesure de l’effort, et arrivés en haut sur la crête au-dessus du Devil’s Punchball, nous sommes gratifiés d’une vue proprement hallucinante. C’est comme si tout le sud-ouest de l’Irlande nous était étalé devant les yeux. Les lacs, les collines (plus si vertes, vues d’aussi loin) et les innombrables massifs qui s’étendent à notre gauche jusqu’à perte de vue. De là, où nous pouvons installer trépied et retardateurs, nous tentons (avec plus ou moins de réussite) à faire des photos de groupe. Impossible d’en faire une seule ou nous sautons tous ensemble, malgré le mode rafale. Suit une véritable séance de photos en couple. Et puis peu à peu, tout en gardant les yeux rivés sur le lac (il n’est pas en contrebas, il est littéralement sous nous) nous nous cherchons un endroit abrité du vent pour manger. Force est de constater qu’il faudra encore patienter un peu : là- haut, il n’y a pas des masses de coins à l’abri du vent. Pas une plante qui dépasse les trente centimètres, pas un bord de tourbière qui soit absolument sec.

Bon, c’est définitivement suffisant pour y marcher tout de même. Un paysage lunaire, de différents plateaux d’herbe plane posés sur des monticules de tourbe noire. Et de l’autre côté ? Le ring of Kerry. Tout entier. Au centre, dans les nuages, il y a ce fameux massif, le plus haut de l’Irlande, que nous ne regretterons jamais : notre ballade est unique. Le paysage, époustouflant, la nature sauvage et l’effort… Bah, dans les limites du raisonnable. Finalement, nous commençons à descendre, devant une étendue de nature extraordinaire : nous faisons face au lac de Killarney. Je fais quelques essais avec la Go-Pro sur la tête, ce qui n’est pas évident parce qu’une fois le bandeau en place, je n’ai aucun moyen de savoir si cette dernière est allumée. Un véritable stress, qui va déteindre sur mes compagnons (on sent bien la frustration, au trentième « c’est allumé ? »). Mais pour l’heure ils ont encore un peu de répit : Michel et Marie, partis un peu en avance, ont pu nous trouver un repli de terrain au sec, pour lequel une ligne de roches fait un véritable banc naturel. Avec une vue pareille, on ne se fait pas prier.

Ici, à des kilomètres de rien, on savoure nos calories perdues à coup de fromage en tranche, de tomates croquées à s’en asperger le K-way, de pain de mie complet bourré de jambon local. Quelle saveur spéciale, du goût couplé à l’effort, du mérite et de l’infinie beauté du paysage de l’Irlande sauvage. On s’en rince l’œil un moment, jusqu’à vouloir prolonger la pause et faire une petite sieste sur place… Malgré tout il y a débat, et quelques rafales de vent finissent de nous convaincre que, pour éviter l’angine, il serait bon d’entamer la descente jusqu’à la voiture. Petit à petit, on se rapproche d’abord de la surface du Lac, à qui nous faisons nos adieux… Il est dans l’état même ou on l’a trouvé. Calme, noir, silencieux et réfugié dans son massif écrin. C’est comme si dans plusieurs siècles, on pouvait toujours le trouver exactement pareil, comme si le temps n’avait pas d’emprise ici.

Enfin, sur le chemin, c’est un peu la même impression, mais plus terre à terre : ça n’avance pas ! Le retour nous parait tout simplement éternel. En soi, c’est plutôt signe d’une bonne performance : nous avons beaucoup marché à l’aller… Par contre, ça n’en finit pas. La descente est technique, puisque le chemin ne serpente pas, se contente de suivre le fameux ruisseau sans varier d’un iota. C’est un peu comme descendre une suite ininterrompue de marches inégales et parfois glissantes. A l’arrière, je m’amuse avec la caméra pour passer le temps, en faisant différents plans larges, et en me demandant si ça ne bougera pas trop sur la vidéo. Je discute avec Marie, de cet enfant qu’ils attendent. Des peurs qui vont avec, de leurs attentes. Puis on passe carrément à l’humour, en adaptant toutes les chansons (dont, impossible de passer à côté, le fameux Connemara, ou bien l’Irish Rover) sur le thème de ces imbéciles de la télé qui nous ont pondu le tube de l’année 2013 : « Et quand il pète il troue son slip ». 
Au moins, personne ne nous a entendus.


Michel finit par en avoir marre, il lâche les chevaux de temps en temps, part dans des grandes foulées qu’il est le seul capable de faire, puis parvenu sur un petit promontoire, il attend que nous l’ayons rejoint, un peu plus péniblement. Voir la voiture, au départ c’est rassurant (on se dit qu’elle est à portée de main), mais au bout d’un moment c’est trop. Elle ne se rapproche pas ! Bon… Evidemment, ça nous parait long comme ça, mais ça n’a pas duré si longtemps, cette descente. On en avait plein les jambes, on venait de manger, c’était un effort supplémentaire. C’est qu’un voyage comme ça, ce n’est pas de tout repos ! Plus on veut en faire, plus il faut être prêt à sacrifier les heures à se prélasser, profiter du B&B… Lorsqu’on rejoint la voiture pourtant, il n’y a qu’une seule envie et elle est unanime : se relâcher et goûter au plaisir d’une bonne douche ! Après l’interminable changement de chaussure (et j’ai les pieds gonflés, et ça glisse…), tous en route pour Killarney !

jeudi 15 mai 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 17

Episode 17: Mise en forme

En se réveillant ce matin, on ne peut s’empêcher d’être de bonne humeur, et dans une forme olympique. Déjà, parce que suite à la pluie d’hier soir, il fait un beau temps qui semble idéal pour la randonnée. Le Bed and Breakfast dans lequel nous sommes installés est silencieux, bien tenu et les chambres sont excellentes : nous avons tous les quatre profité d’une bonne nuit de sommeil. Et comme nous sommes en voyage, inutile de faire une grasse matinée : à huit heures pétantes (oui, sans doute les frites d’hier soir qui passent mal) nous nous retrouvons à la table du petit déjeuner. 

On a beau être les premiers, la sympathique tenancière nous installe et nous propose ni plus ni moins qu’un menu (nous ne sommes pas habitués à commander à la carte dès le matin, mais pourquoi pas). On y retrouve tout ce que l’on peut souhaiter : muesli, l’œuf sous toutes ses formes, des toasts, de la purée de haricots blancs… Le tout en plus de la pléthorique pile d’en-cas qui sont proposés en buffet : jus de fruits, confitures, boules de pain, salade de fruits, on ne sait plus où donner de la tête.

Nous ne jouerons pas les aventuriers culinaires pour aujourd’hui, et commandons pour la plupart d’entre nous des œufs (sauf Marie évidemment qui n’aime pas ça) brouillés sur des toasts. Mais nous prenons quand même le temps de nous renseigner (nous sommes encore là demain) sur cet item du menu : l’Irish breakfast. Et la description même que la propriétaire nous en fait donnerait l’eau à la bouche à n’importe quel patient atteint de surcharge pondérale : du bacon, des œufs frits, du boudin… Demain, c’est promis, on part en voyage pour le gras. En attendant, nos assiettes débordantes arrivent déjà, et c’est comme une fête qui se mange entre amis… Les toasts sont parfaits, l’œuf est bien salé et encore brûlant à cœur : un délice. N’oublions pas que nous allons faire du sport, donc pour faire bonne mesure, nous mangeons encore des tartines de confiture, des yaourts, jusqu’à n’en plus pouvoir.

Alors que d’autres touristes arrivent à leur table avec de pitoyables mines de saut du lit, nous sommes en forme et opérationnels : sus aux montagnes locales ! Nous montons nous changer pour la randonnée et préparer les sacs. Prévoyants comme nous sommes, ça implique pas mal d’affaires mais surtout les K-ways, le sac du réflex, des biscuits… Et de la place, pour le pique-nique de midi. Nous arrivons à être à peu près opérationnels pour neuf heures et quart (Michel semble un peu ronchonnant mais il n’est sans doute pas tout à fait réveillé), heure à laquelle nous prenons notre Quashquaï pour partir en ville, tout en faisant attention de ne pas écraser le chat dans l’allée. Julie, qui avait fait un repérage sur le net, nous emmène tout droit sur le parking du seul supermarché qui soit en face de l’office de tourisme. Comme souvent, on lui doit une fière chandelle, car si l’intérieur de l’office est tout en open-space, moderne et accueillant, on aurait facilement pu passer une demi-heure à le chercher.

Les filles se chargent de notre repas de midi, tandis que nous qui sommes censés être responsables du sens de l’orientation, allons prospecter pour trouver une randonnée. Il y a plusieurs prospectus, et comme je le craignais, ce n’est pas toujours clair : ni pour savoir d’où partir, ni pour être certain que ce n’est pas simplement une route praticable en voiture. Celle qui me tente le plus dans un premier temps est la Gullimichmich Mountain (ou quelque chose comme ça), qui n’est autre que le plus haut sommet d’Irlande. Oui, je vise modeste, comme d’habitude. Pourtant je suis un peu inquiet, parce que le prospectus indique la présence d’un passage indiqué juste pour les psychopathes ou les alpinistes : un « Wall of Death » qui nous refroidit un peu. On aurait pu hésiter longtemps, mais je décide de prendre l’initiative d’aller demander à l’une des sympathiques conseillères qui s’ennuient assises à leur bureau. En effet, si le résultat peut être douteux en France, j’ai tellement confiance dans le capital amical de l’irlandais qu’ici j’aime aller parler aux gens.

Soyons francs, mon interlocutrice n’a clairement pas fait de randonnée dans les quinze dernières années. Pourtant, elle connait son sujet et c’est assez impressionnant. Avec une série de quatre à cinq questions, elle nous a bien cernés (en plus, on a déjà enfilé nos costumes de randonneurs, donc…). Rapidement, elle me propose trois parcours bien différents. Le pic des fous, apparemment, est assez déconseillé : il n’y fait pas toujours beau, c’est très ardu et il semble que ce soit la destination favorite des hélicoptères de secours du coin. Il y a donc deux autres cartes, la première étant une ascension de 3 heures au maximum, la seconde indiquée pour 5-6 heures. Immédiatement, j’ai toute mon attention portée sur la seconde, quitte à oublier d’écouter l’anglais rapide de la conseillère, qui me parle du trajet. Pour que ce soit plus sûr, elle me scanne un bout de carte, me donne le dépliant, me fait presque jurer sur la Bible que nous serons prudents, puis nous laisse repartir.

Entre temps, les filles sont venues nous rejoindre, avec les sacs à dos bien garnis : même blessés, réfugiés au fond d’une grotte, on ne mourra pas de faim avant plusieurs jours. Du coup, c’est avec un grand sourire aux lèvres que nous partons à l’aventure : à partir de maintenant, nous pouvons tranquillement profiter de notre journée au grand air. Enfin, si le temps se maintient à la même couleur, c’est-à-dire le bleu. La première partie du trajet nous fait longer le très grand lac (dites Lough, ça fait local) au sud de Killarney, jusqu’à… Une étable. Sur le plan, ça a l’air facile, mais je vous promet qu’au moment de tourner, c’est pas les doutes qui manquent. D’autant que la route que nous empruntons n’a rien à envier par endroits à certaines routes de Guadeloupe (c’est pas nous qu’on le dit)… C’est minuscule. Le GPS déclare vite forfait, du style « eh, vous êtes pas en pleine forêt, là ? », aussi on ne peut s’en remettre qu’à nous-mêmes pour trouver le fameux virage à droite qui nous emmène au départ de la randonnée.

Sauf qu’on le trouve pas. Lorsqu’à un moment donné, on retombe sur une route un poil plus grosse (ouais, une rue quoi), nous savons que nous avons échoué. Tant pis, on va chercher un virage à gauche, en roulant plus doucement en sens inverse ! La route paraît encore pire, c’en est à un point ou je klaxonne dans un virage tellement c’est resserré et qu’il n’y a aucune visibilité. Et puis finalement, au sommet d’une côte bien raidasse, un chemin de gravier part sur notre gauche. Bien caché entre deux buissons, il fallait vraiment rouler doucement pour le voir… Deux kilomètres plus loin, nous sommes au départ de la grande ballade. Enfin, nous ne sommes pas tout à fait surs. C’est que, la route continue et tourne vers la droite. Et que la zone pour se garer est… Comment dire… resserrée.

On va pousser un peu plus loin, si ça se trouve il y a un parking, et un panneau de randonnée ! Mais non en fait, la « route » arrive dans un lotissement de quatre-cinq maisons. Non seulement on se fait aboyer dessus, mais je n’ai absolument pas le choix, il faut que je rentre chez quelqu’un pour avoir la place de faire demi-tour (Julie sort courageusement pour diriger la manœuvre). Retour, donc, à ce petit virage. Quashquaï aidant, je m’aventure dans les hautes herbes sans trop de risques. Le temps de sortir, mettre les chaussures de marche, et nous sommes prêts pour l’ascension ! Le chemin est assez facile à suivre passé les deux premiers buissons : ça monte, sec et presque en ligne droite, le long d’un ruisseau qui serpente sur ce long versant couvert de buissons impénétrables. Le temps s’est un peu couvert, aussi le sentier fraie-t-il son passage dans des dizaines de nuances de vert foncé, entre de gros épineux et des touffes de blé, de hautes herbes posées sur de la mousse et ces petits buissons bas qui ressemblent à un panier presque déjà tressé. Pour nous quatre, nous prenons régulièrement des photos : il faut dire que les pauses sont les bienvenues pour souffler un bon coup… Cette montée, elle décrasse salement les poumons.

A suivre ce ruisseau, on tombe sur différents tableaux vraiment sublimes, où l’eau se faufile entre des piles de rochers dénudés, où le chemin traverse le cours sur de grandes pierres plates posées dans un gravier blanc… Et si les gros plans ne vous intéressent pas, il y a la vue grandiose qui se découvre au fur et à mesure que l’on prend de l’altitude : on voit clairement la grande Killarney, étendue le long des axes routiers et accolée au lac. On ne voit pas encore la pleine surface que prend ce dernier, que lesquelles des dizaines de petites îlots couverts de grands arbres forment de là où nous trouvons comme un tapis de mousse dans une grande flaque. Le vent aussi rentre peu à peu dans la partie, mais ça ne nous décourage pas outre mesure, il fait bon avoir un peu d’air dans une montée pareille. Contrairement aux magnifiques chemins balisés d’Alsace, zigzaguant jusqu’aux sommets, étendant leurs virages à flanc de coteaux, ici… Eh bien ils ne se sont pas beaucoup posé la question : tout droit, c’est très bien aussi.


Au cours de notre ascension, j’ai vite l’œil attiré par de subtils mouvements. Et à mieux y regarder, il y a plusieurs moutons disséminés dans cette longue pente. Pour la plupart, ils n’ont absolument rien à faire de notre présence sur place. Deux ou trois nous regardent passer avec la curiosité qu’on peut apporter à un objet décoratif, mais généralement ils se sont contentés de continuer à brouter sans discontinuer. Certains sont mêmes posés sur leur garde-manger. Couchés dans les hautes herbes sur un promontoire, ils admirent la vue le temps de mastiquer, puis replongent la tête dans l’herbe : même pas besoin de se déplacer ! Sans doute la version geek chez le mouton. Après une énième pause pour souffler, nous repassons une dernière fois au-dessus de notre ruisseau. Le sentier s’éloigne autour de la montagne, qui est plus haute qu’il n’y paraît vue du parking, tout en montant régulièrement. Devant un petit crachin passager et surtout la morsure du vent, nous sortons nos K-ways qui vont nous protéger de l’angine efficacement. 

Mais alors que l’on remet les sacs à dos, prêts à repartir, un constat terrifiant s’impose : nous sommes suivis. Pire, pour de bons marcheurs. 

Nous sommes rattrapés. 

mardi 13 mai 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 16

Episode 16: The Irish Rover

Petit problème lorsque notre bateau arrive en face du quai : il semblerait que nous ayons passé un peu trop de temps à regarder si oui ou non les poissons lunes étaient intéressants… La marée est trop basse pour que notre tirant d’eau nous permette d’accoster sur la digue de béton. Bon, après un petit détour, il sera facile de regagner la côte puisque nous récupérons le zodiac du Blasket Princess amarré non loin. Sauf que, législation oblige (je suis étonné qu’on ne nous l’ait pas demandé plus tôt), il faut mettre les gilets de sauvetage. Oh la la, je ne sais pas si vous imaginez le degré de sexytude qu’on peut atteindre avec un gilet orange boudinant au-dessus de nos K-way… C’est assez épique, finalement. 

Avant d’embarquer, je regarde au moins trois ou quatre fois avec Julie si le sac étanche du réflex est bien fermé (si le sac coule, ça nous fait une belle jambe, mais s’il tombe juste dans l’eau, c’est une bonne solution). Sauf qu’une fois que je l’ai sur le dos, je me rends compte que je voulais prendre une séquence avec la GoPro, qui est profondément dans le sac. Julie fait mine de la chercher vite fait, mais c’est notre tour d’embarquer, aussi elle s’arrête immédiatement : j’en profiterai pour bouder jusqu’à toucher terre (peut-être, oui, peut-être suis-je de mauvaise foi).

Passé la piégeuse zone recouverte par les algues et propice à toutes les chutes de vidéo-gag,  nous sommes tous les quatre à terre. Nous marchons jusqu’au restaurant, mais c’est sans enthousiasme car le second nous a informé que le chef est français, qu’il cuisine beaucoup de poisson (tsss)… Et puis les prix, quoi, c’est pas ce à quoi on s’attend à Ventry. Après un conciliabule de trois secondes (pub ? pub !), nous retournons voir la carte de menu du bar local. On y retrouvera d’ailleurs une partie des autres marins d’eau douce, malheureux aventuriers du Blasket (attention, on n’en est pas à se payer des pintes non plus).

A ma grande surprise, la carte n’est pas trop portée sur l’huile de friture, enfin, pas sur tous les plats quoi. Je ferais même une entorse à ma sacro-sainte règle (« pas de poisson ça vit dans l’eau ») culinaire pour déguster un filet que j’imagine très fraichement pêché… Parce que sinon, c’est que les bateaux dans l’anse sont des faux, et ça rendrait vraiment le hameau désert ET ridicule. Et pour se remettre de toutes ces émotions, rien ne remplace une Guinness, non ? C’est l’occasion de regarder autour de nous. Le bar est immense, peut-être témoins de soirées plus animées qu’aujourd’hui, et dégage une atmosphère assez chaude (la faute peut-être à un carrelage plus orange que de raison, et une peinture jaune un peu passée). Et si les chromes sont de mise sur le cale-pied et les rebords du bar, ce sont aussi des témoins un peu anciens. Les tabourets sont de mise, et le mobilier en bois peint (du noir, comme c’est gai) a un peu souffert. La salle est divisée en deux ou trois parties par de larges panneaux de croisillons de bois, qui donnent des atmosphères intimes… tout en nous persuadant qu’il n’y a pas beaucoup de clients.

Dehors, sur l’unique place de Ventry, trois ou quatre gamins s’ébattent dans l’herbe à côté d’un massif de fleurs, surveillés par leurs parents qui les gardent à l’œil en sirotant leurs bières. Avec le soleil qui se couche paresseusement de l’autre côté de la baie, la scène donne un cachet  pittoresque et serein au village. Les enfants jouent et rient, les parents sont détendus, le soleil étend ses rayons sur la mer calme… Il va être l’heure de manger : la mer, ça creuse. A ma grande surprise, le « fresh cod and chips » n’est pas une adaptation locale du fish-and-chips anglais : mon morceau a probablement été cuit vapeur, on peut donc profiter de son excellent goût originel plutôt que de sentir le beurre et la friture... Même si, ne râlez pas trop vite, il y a quand même des potatoes servies avec, ils ne sont pas avares non plus. Une super surprise, que vont aussi partager Julie et Marie qui ont choisi le même plat que moi. Michel, dans son habitude qui va presque tourner au challenge durant la semaine, va pouvoir consommer un presque burger : il bénéficie d’une belle pièce de bœuf irlandais.

Volontairement, nous faisons durer un petit peu le repas, en savourant chaque bouchée, mais aussi en se prenant en photo, en évoquant à qui mieux-mieux notre sortie en mer (ah, les promises baleines…) ou nos débuts de vacances. Michel commande aussi un Irish Coffee, mais là le fait de rester plus longtemps n’est qu’un bon prétexte… C’est que, à neuf heures, il y a de l’animation au bar : deux musiciens sont d’ores et déjà en train de se préparer et d’accorder leurs instruments en vue de la cession de « live music » prévue ce soir. Je ne sais pas pourquoi, mais dans nos esprits, on s’attendait un peu à l’évènement de la semaine. Sans doute l’incongruité d’un concert dans un pub aux trois quart vide, au milieu d’un village perdu : cela prendrait sans doute des proportions énormes, les fans allaient jaillir de je-ne-sais quelle trappe au plafond, des roux en habit de la Saint-Patrick viendraient payer leurs tourner (et pourquoi pas faire un peu de claquettes sur le parquet, tant qu’on y est). Bref un truc un peu plus épique que deux quarantenaires un peu voutés qui jouent pour l’un de la guitare folk et pour l’autre de l’accordéon.

Voilà, on ne va pas se mentir, on avait un peu pitié d’eux avant que ça commence. Pourtant, les deux musiciens sont d’expérience, et même s’ils ne sont pas dans un répertoire trop débordant de jovialité, ça reste de la vraie musique irlandaise. Dans un bar. De quoi donc, barrer cet item de notre liste… Enfin, presque. Les titres passent, qui nous mettent de plus en plus dans l’ambiance (même si apparemment, nous sommes presque les seuls), et il manque toujours notre morceau préféré. C’est-à-dire que oui, nous connaissons une et une seule chanson (à boire) irlandaise. Assez bien pour chanter le refrain comme des ivrognes dans la voiture, c’est vous dire la confiance. Aussi, lorsque le chanteur-guitariste demande à l’audience si les gens souhaitent un morceau en particulier, nous n’hésitons pas longtemps (et nous sommes les seuls à répondre) : The Irish Rover !

Apparemment, ce n’était pas trop dans leurs intentions initiales, une vraie chanson de bar. Donc ils rigolent, haussent les épaules, et c’est parti pour les premiers accords. Ils auraient difficilement pu se défausser de la demande : tout irlandais de plus de quatre-cinq ans connait la chanson, et je crois que c’est dans la loi de savoir la jouer sur au moins deux ou trois instruments différents avant sa majorité. Mais pour le coup, ceux qu’on entend le plus chanter dans l’assemblée, c’est nous. Oui, oui, nous. Qui avons sorti pour l’occasion les feuillets imprimés avec les couplets de la chanson. Qui reprenons en tapant nos chopines le refrain. Qui, n’ayons pas peur des mots, faisons vivre un peu le pub.

A part nous, qui sommes encore dans l’extase du moment présent (on a eu notre chanson ! Pour nous ! Par des locaux !), une tablée de groupies s’est assemblée juste à côté. Trois nanas, qui ont pour la majorité dépassé la fleur de l’âge, mais qui ne boudent pas leur plaisir à écouter les deux musiciens. Elles tapent des mains, se sentent en confiance, redemandent de l’alcool. D’ailleurs elles taquinent la plus jeune des trois, visiblement timide à l’égard du groupe. On pensait très clairement que c’était une histoire de béguin (d’autant que ses amies ne faisaient pas dans la finesse), jusqu’à ce que la femme en question se lève, et aille poser en personne une question au guitariste. Ce dernier acquiesce avec joie… Mais de quoi s’agit-il ? Eh bien tout simplement, elle retourne à sa place et sort d’un grand sac rembourré une sorte de tambour plat, dont la peau tendue est recouverte de motifs celtiques, et une baguette de bois épais.

C’est une sorte de percussionniste, évidemment. D’ailleurs, elle est très douée, et en fera la démonstration avec les deux musiciens, qui sont vraiment heureux de l’avoir avec eux pour jouer. De temps en temps, c’est un peu hors tempo, mais c’est vraiment fun à regarder. Elle tient le tambour sur la tranche, et sa main droite agite la baguette dans un balancier de la main qui permet une fréquence élevée et une belle résonnance. Pervers comme je suis, je ne vois malheureusement que le mouvement de sa main, qui va donner un surnom à la fois à l’instrumentiste et à toute la profession : voici que nous connaissons la branleuse (je vous laisse comprendre par vous-même). Les trois compères s’améliorent, et nous resterons encore une bonne vingtaine de minute à les écouter. Ensuite, force est de constater que la fatigue nous rattrape. Avec ce genre de journée derrière nous, pas facile de tenir en soirée !

Il est l’heure de reprendre la route… Pour une expérience tout à fait spéciale, et dont Julie ne s’est toujours pas tout à fait remise : la conduite de nuit, sous la pluie, sur les minuscules routes irlandaises. Si de jour, c’est une poésie, de nuit… Bon, j’avoue, c’est vraiment plus tendu. J’ai l’œil habitué à regarder la ligne de droite pour ne pas rester aveuglé lors des croisements, mais ici, ça ne sert à rien d’autre qu’à me faire loucher sur les pleins phares des autres utilisateurs. Les routes n’ayant pas subitement gagné trois mètres de large au cours de l’après-midi, il s’agit de calculer les croisements beaucoup plus tard, et de conduire un peu plus au jugé. La pluie n’aide pas beaucoup, et l’un dans l’autre le trajet parait dangereux, sinueux, infini (seul le GPS, ce faux ami, sait où nos nous trouvons). Le dernier quart d’heure en particulier, avec mes yeux de plus en plus usés, donne des frissons à mes passagers autant qu’à moi.


Mais bon, comme toute bonne aventure, elle a une fin heureuse. En l’occurrence, lorsque je tourne la clef de contact dans l’arrière-cour de notre B&B, je sais que je peux éteindre toute concentration. Et heureusement d’ailleurs : il est l’heure pour un sommeil mérité, lit à barreaux ou pas. D’ailleurs, le duvet est très agréable, et je n’ai même pas le temps de… *ronfle*

samedi 10 mai 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 15

Episode 15: One Pound Fish

Notre petite croisière commence, pour nous quatre, par un réglage des réflex. C’est le moment de sortir le zoom et le polarisant pour mieux voir sous la surface de l’eau (ou contraire de faire de la mer un véritable miroir, mais passons). Le temps de faire les premiers essais concluants, de voir que oui, on est capable d’observer une bouée à plus d’une centaine de mètres et de confirmer que… Ben, c’est une bouée, quoi, pas une tête de phoque. A remarquer que pendant les deux heures et broutilles que vont durer le voyage, je vais m’acharner sur les bouées comme un obèse sur une palette de Nutella : à force d’y croire, j’y verrais presque des animaux.

Au fur et à mesure que l’on sort de la baie de Ventry, je commence à avoir un peu peur pour le matériel : les nuages qui étaient sagement restés à l’ouest semblent s’être débloqués d’un seul coup, et fondent sur la mer en dévalant les flancs verts des collines. Il va pleuvoir, ce n’est plus qu’une question de minutes. Mais alors, comment va-t-on faire pour photographier les… Euh, les quoi, oui c’est vrai, d’ailleurs ? Pour le moment, il n’y a pas beaucoup d’animation sur le pont. Tout le monde regarde le paysage béatement (il y a de quoi, c’est une beauté même avec le nuage), mais je ne vois personne dans le groupe pointer la surface d’un air surexcité, crier « Baleine à Tribord » ou toute autre expression du genre. Même l’équipage s’est doucement réfugié dans sa cabine alors que nous commençons à suivre la côte de la péninsule de Dingle.

La saucée sera brève, et grâce à nos K-way qui sont suffisamment larges, je peux garder le zoom prêt à dégainer en une ou deux secondes avec un bon coup de tirette (remplacez par braguette, ce n’est plus DU TOUT la même histoire). En attendant, pendant le grain, on regarde tous la côte, qui défile à une centaine de mètres à droite du bateau, toute en falaises qui vont de plus en plus haut, de roches noires qui plongent dans les eaux d’un bleu profond parcouru par l’écume qui mousse au sommet de petites vagues. En plissant les yeux, on croit apercevoir des phoques tous les dix mètres, mais rien ne ressemble plus à ces bougres qu’un rocher sombre et mouillé (si ça se trouve, on en a raté tout un groupe). En plus, il ne faut pas parler de phoques trop fort, car dans la langue locale, c’est un peu ambigu.

Alors que les dernières gouttes nous arrosent copieusement, trois courageux décident de monter sur le roof. Bien accrochés aux barres, ils ont l’air de passer un moment merveilleux ballotés par les vagues : Marie est pâlichonne rien qu’à les regarder passer à droite et à gauche. Bon. On rouvre les K-ways, mais toujours pas de cétacé à l’horizon. Pas de dégagement d’écume révélateur, pas de saut intrépide dans les eaux noires du détroit. Non, rien dans l’eau : pour passer le temps, la majorité des touristes avec matériel photo s’entraine à capturer les battements d’ailes des mouettes qui nous entourent, et qui par leur mouvements brusques nous préparent aux inévitables rencontres avec les animaux marins : ce sera peut-être un mouvement furtif, mais il ne nous échappera pas ! A l’horizon, on voit entre deux rochers taillés à la serpe et qui s’élèvent au-dessus de la mer, la silhouette d’un trois-mâts qui rabat ses voiles.

Saut temporel ou non, on le saura vite car nous nous rapprochons du cap de Dingle, avec son chapelet de petits ilots dont certains ne sont que rocs acérés et d’autres monticules d’herbe d’un vert jauni par le sel marin. On se console avec un fun fact : nous sommes au point continental le plus proche de l’Amérique. Entre les nuages, des rayons de soleil viennent sécher le pont et jouer avec les pentes de la côte. Le dernier hameau de trois maisons au bout du cap fait un sujet magnifique, avec ses murs bas, ses clôtures inexistantes et les quelques moutons qui se courent après juste au-dessus des à-pics. Et puis soudain, le ronflement du moteur s’éteint. Je me rends compte que tout le monde est du même côté du navire, et pointe un endroit du doigt. Et puis là, croyez-le ou non, on a beau s’être exercé l’œil depuis une demi-heure, moi je n’y vois strictement rien. Enfin, au début j’ai cru qu’ils pointaient un groupe d’oiseaux du doigt, mais lorsque nous nous engageons dans un virage à tribord, je ne vois toujours rien. Michel non plus, d’ailleurs, et les filles sont circonspectes : serait-on les quatre seuls idiots à bord à avoir raté l’attraction du jour ?

Non, apparemment, il ne disparait pas. Le second du navire prend le temps de me pointer la bonne direction, et je finis pas apercevoir un aileron qui sort furtivement de l’eau. Alors, dauphin, queue de morse, baleineau ? Rien de tout ça… Lorsqu’on se rapproche, on nous apprend qu’il s’agit d’un poisson lune. Et en effet, l’animal peu farouche se laisse approcher jusqu’à ce que nous soyons bord à bord. Lorsqu’il flotte en surface comme maintenant, il a quelque chose de profondément ridicule. C’est un poisson étrange, qui parait fin vu de face, et qui se laisse flotter sur le côté avec ses nageoires qui s’agitent mollement au-dessus de l’eau dans un flop flop assez lamentable.

Pour l’équipage, c’est apparemment quelque chose de très rare. Ils le prennent tour à tour en photos, et iront jusqu’à monter la pauvre bête sur le pont à l’aide d’une grande épuisette. L’occasion de constater que la bête est réellement ridicule, même si assez impressionnante une fois hors de l’eau.

Le poisson lune est un animal qui vit à 200-300 mètres de profondeur dans les régions tropicales. Pourtant, une à deux fois dans sa vie, il décide de remonter dans les mers du nord et de se laisser flotter près de la surface comme ici. Sur le coup, nous sommes impressionnés… Et surtout, cela va peut-être débloquer notre compteur, n’est-ce pas ? Un poisson lune, des mouettes et… Bon, pour le moment, pas grand-chose de plus. En passant d’une île à l’autre, on se rapproche du grand trois mats qui a jeté l’ancre à l’abri de rocs s’élevant plusieurs dizaines de mètres au-dessus de l’océan. On ira jusqu’à en faire le tour (ça fait de très belles photos, et puis… peut-être qu’ils ont vu quelque chose, eux !). Ce sont des français, comme en témoigne le drapeau attaché en poupe, sur laquelle cinq à six touristes nous regardent approcher puis repartir.

Le capitaine annonce un changement de plans. Comme il ne repère aucun animal sur les coins habituels de la côte, il va s’en éloigner jusqu’à ce que nous soyons à mi-distance entre Dingle et le Kerry. J’essaie de discuter avec le jeune second, mais si j’arrive à comprendre ce qu’il nous dit, lui ne semble pas capter trois mots de mon anglais (dont j’étais très fier jusqu’à ce jour). Tout ce que je voulais, moi, c’était savoir quels indices regarder pour avoir une chance de voir un cétacé… Alors apparemment, il faut regarder les groupes d’oiseaux marins : là ou chassent les baleines, il y aura des cormorans, des mouettes et autres bestioles à bec pour se repaître des restes. Et nous croiserons bien, quelques minutes plus tard, tout un banc de ces oiseaux… L’œil rivé à l’objectif en zoom, je scrute chaque vague, jusqu’à ce que mes yeux finissent par me jouer des tours. Rien. Il n’y a rien, et d’ailleurs à l’arrière du Blasket Princess, les touristes se résignent un peu. Julie et Marie discutent en se prenant en photo, Michel regarde le beau contraste que nous offrent les falaises, les nuages et les rayons de soleil (de plus en plus nombreux).

Je décide de rejoindre les acharnés, sur le roof. Ici, toutes les directions sont couvertes par les jumelles et un zoom qui fait passer le mien pour un jouet. Un allemand parle à son gendre, et je tente de ne pas écouter la conversation (ils ont le syndrome de l’étranger : « qui pourra bien comprendre ce que l’on raconte à 2500 bornes de chez nous ? ») tout en regardant la mer. Mais au bout d’un moment, notre attention baisse également. On se laisse bercer par le vrombissement doux du diésel, balloter au vent sur le roof, tandis que quelques vagues d’étraves finissent par nous arroser à notre plus grand plaisir. Le paysage est magnifique. Le Kerry est fièrement découpé en falaises vertes, tandis que Dingle, plus sauvage, présente un profil un peu plus doux. A l’horizon, les sommets de l’Irlande… Nous en tenterons un demain, c’est à ce moment-là qu’on se décide : le second et les autres touristes nous révèlent à l’unisson que c’est chargé de touristes et que c’est un peu survendu… Il n’en faut pas plus pour nous décider à faire de la randonnée !

Il y aura un second pic d’adrénaline. Une fois de plus, tout le monde se précipite, les bras se tendent vers la mer (et une fois de plus ce n’est pas moi qui l’ai vu). Le moteur coupé, on se rapproche à nouveau. Alors, alors ? Vous n’allez pas me croire : un autre f***ing poisson lune ! Incroyable ! Et une fois de plus, tout le monde est content, enfin, surtout l’équipage. Moi je n’aurais pas été contre le fait de le laisser dans l’eau, ce pauvre poisson. Mais bon, ça a l’air d’être suffisamment rare pour que le capitaine et son second fassent plusieurs essais pour l’attraper, et le montrer fièrement au reste du groupe. Un autre coup d’œil à ce profil bizarroïde, ces beaux yeux globuleux, et… Et ma foi, nous rentrons vers Ventry.


Les trois comparses finissent par me rejoindre sur le roof, et nous passons nos derniers instants sur la mer, passant de droite et de gauche sur les flots en respirant les embruns. Il fait frais, mais nous avons les lunettes de soleil... Et cette lumière ! Inoubliable. Mais bon, maintenant qu’on a raté les baleines, vivement qu’on se retrouve au pub : il se fait sacrément soif !  

jeudi 8 mai 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 14

Episode 14: Ventry, ce non-lieu

D’abord, il s’agit de reprendre la route, pour se rendre jusqu’au point de départ de notre petit safari marin, réservé sur Internet, et qui part de Ventry. Un lieu qui, pour vous donner une idée, apparait à peine sur maps (il faut zoomer jusqu’à y voir les vaguelettes sur la mer)… Direction donc, la péninsule de Dingle, qui fait face au Ring of Kerry, la principale attraction touristique de cette région sud-ouest de l’Irlande : une avancée sur la mer, qui offre une route de 200km de vallons, de falaises sur la mer et de certaines des plus hautes montagnes de toute l’île. Pour cette fin de journée, le temps est nuageux, et le ciel n’est plus qu’un amas de nuages qui se cognent les uns sur les autres sur fond bleu.

Pour relancer l’ambiance (plus personne n’avait envie de rouler, et la route au début n’est qu’un enchainement de lignes droites) nous rétablissons un concours qui faisait fureur dans mon enfance : le premier à voir la Mer a gagné. Principe débile s’il en est, surtout que personne ne définit jamais qui gagne quoi, que peut faire le perdant, y-a-il une compensation pour le conducteur qui regarde la route. Mais enfin ça a le mérite de nous rentre tous très attentifs à notre environnement. En effet, entre la péninsule de Kerry et celle de Dingle la mer s’enfonce dans les terres assez profondément, nous savons qu’elle apparaitra bientôt à gauche de la voiture.

Michel a très légèrement tué le jeu. Il faut dire qu’il le remporte haut la main, ça ne fait aucune discussion… Mais qu’avec le GPS à 15 cm devant le pif, c’est tout de suite plus facile. Au zoom maximum, le bougre disposait d’une résolution qui devait approximer la centaine de mètres, alors ça n’a pas été bien compliqué. A remarquer que suite aux plaintes (et à la disqualification qui a suivi), tout le monde a bien cru gagner cinq ou six fois, car dans un brouhaha général nous avons tous désigné la flotte. Jusqu’à ce qu’elle soit bien visible, et même ensuite. Juste pour se rappeler avec excitation que oui, nous y sommes, au bord de la mer.  Nous avons beaucoup anticipé cette sortie en bateau, au point de regarder dans les semaines qui ont précédé notre départ les différents rapports de la société qui fait les tours en mer : plusieurs dauphins ont été repérés, et même, la semaine précédente, des baleines (une bleue, et des plus petites).

Presque à l’embranchement de la péninsule de Dingle, il y a une plage gigantesque qui malgré la température pas franchement folichonne pour la baignade, attire beaucoup de monde. Pour faire une petite pause, nous nous garons dans un virage en surplomb, qui nous donne une vue impressionnante sur ces trois ou quatre kilomètres de sable blanc, avec en fond les montagnes du Kerry qui se découpent sur le ciel sombre. Les plaisanciers sont garés à même la plage, les voitures alignées dans des rangées disparates directement sur le sable, et plusieurs groupes d’adolescents s’invectivent joyeusement à quelques mètres des embruns. Pour nous c’est la joie de profiter de cette odeur iodée absente de Dublin, de ces vaguelettes que nous sommes impatients d’affronter, de cette sensation immuable que là, on profite de nos vacances à fond.

Enfin, au bord de mer, la conduite devient un peu plus intéressante. Comme les locaux n’ont pas pu planter de haies sur ces collines qui plongent directement dans l’océan, on peut à la fois conduire de façon sportive et observer le paysage… Au risque de s’y perdre un peu, puisque Julie m’indiquera une sortie un peu tôt : on va se retrouver comme des cons sur un chemin de terre qui fait cul-de-sac au bout de 30m. Comme il est dix-sept heures, le soleil bas et les nuages créent des jeux de lumière sur cet ensemble de vallons parfois escarpés, aux moutons inlassables et au vert de cent couleurs différentes. C’est beau, indubitablement plus sauvage et isolé que tout ce que nous avons traversé jusqu’ici. La côte est splendide, toute en roches que viennent prolonger les prés, découpés de murets de pierres centenaires.

Nous passons d’ailleurs par le chef-lieu, Dingle, petit port de pêche complètement saturé de touristes, agglutinés sur le parking de trente places qui fait à lui seul doubler la population du coin… Car même cette petite ville (c’est un grand mot) ne fait que quelques centaines de mètres de long, entre le pont qui défie le ressac depuis la Renaissance et la fin de la jetée des plaisanciers. Pour vous donner l’exemple le plus parlant, nous n’avons décompté que trois pubs ! C’est malheureux, on se sent presque triste pour eux. Enfin, presque, hein. Parce qu’entre la Mer, le paysage, les moutons et la Guinness, on les envie pas mal aussi. Mais nous continuons (sans écraser personne, et le long du port c’est une gageure) notre périple vers Ventry, censé être un village encore plus petit.

Soyons honnêtes, celui qui a mis ce patelin sur la carte a cru faire une farce hilarante. Ventry a été comme une apparition, presque furtive. Après un énième cap sur la route sinueuse, on s’engage à droite entre trois ou quatre maisons blanches et jaunes, avant le panneau qui nous indique fièrement la localité. On a eu le temps de se dire qu’à présent, il nous restait juste à trouver la jetée et un endroit où se garer, et c’en était déjà terminé. D’un coup, comme ça, déjà plus de maisons. J’ai fait demi-tour, on a retenté l’expérience. Au ralenti, parce que croyez bien que sinon, on y serait encore… Le cœur du village, ou pour parler vrai, l’ensemble du bled se résume à une place centrale recouverte d’un gazon immaculé, ou trônent quelques bouquets de fleurs longeant la route. 

Autour, l’inévitable pub domine la baie et les quinze-vingt autres maisons. Un restaurant (un vrai) est situé avec ses trois places de parking à la sortie du village. Il n’y a que deux ruelles, l’une qui descend vers un quai de pierre d’une trentaine de mètres de long, blottie entre deux massifs d’hortensias, et une qui monte sur quatre maisons de profondeur à flanc de colline. C’est là que nous laisserons finalement la voiture : un peu en avance sur l’horaire, nous constatons que notre petit navire n’est pas encore accosté au quai, aussi passons-nous par le pub.

Comme je l’ai dit plus tôt, nous parlons français entre nous, aussi on ne fait pas trop attention mais c’est vrai que nous sommes vites catégorisés comme des étrangers (difficile dès lors de faire illusion même avec un bon anglais). Deux adolescentes en profiteront pour me « draguer » (ou tout simplement me débiter tous les mots qu’elles connaissent en français) tout en pouffant entre elles. Dilemme de l’étranger donc, impossible de savoir si c’était bien ou mal intentionné. Nous ne nous en formaliserons pas, en s’installant sur la terrasse du pub : les filles ont d’ores et déjà commandé des jus de fruits et du Coca pour passer le temps. Si le ciel se couvre peu à peu, nous avons quand même le temps de passer une quinzaine de minutes sous un soleil resplendissant. De là où nous sommes, nous avons une vue globale sur la petite baie de Ventry, qui compte autant de barques de pêche que de maisons (c’est-à-dire peu, finalement), colorées et ballotées sur les vaguelettes créées par le vent.

Inutile de bouger avant d’apercevoir le bateau de notre petit safari se profiler à l’horizon, mais dès qu’il est en vue, nous nous précipitons sur la petite jetée.

Pas besoin de vérifier les horaires à la capitainerie du port (y’a pas), il suffit d’attendre que le navire atteigne le bout du quai, pour venir se ranger dans un ralenti parfaitement exécuté. Le « Blasket Princess » (euh, d’accord, c’est le nom du bateau) débarque ses passagers actuels, et nous pouvons prendre place sur le pont principal. L’équipage se répartit très simplement entre le capitaine, un vieux bourrin d’une cinquantaine d’années à l’anglais incompréhensible, qui va rester au commande du Princess tout au long de notre petit voyage, et son second, un jeune irlandais au pull marin en grosses mailles et à l’anglais incompréhensible, qui va servir de guetteur pour localiser les innombrables découvertes de ce safari marin.

Le bateau en lui-même est un petit chalutier transformé : une large plage arrière qui offre de la place pour les 8-10 touristes qui embarquent, la cabine principale qui offre un abri en cas de gros temps juste derrière le poste de pilotage du capitaine (tout est en bois et craque, il doit y avoir de l’ambiance en cas de gros grain). Enfin, pour compléter le tableau, il faut signaler le roof, petit pont accessible par une coupée centrale (celui qui prononce le mot échelle est jetée à la mer, simple rappel), qui offre une vue surélevée alentours, mais dont les barres de maintien sont évocatrices : accès interdit à ceux qui ne profiteraient pas de belles oscillations ! Clairement, le gros moteur diésel n’a pas à fournir un gros effort pour nous emmener faire nos trois heures de ballade : son vrombissement doux fait comme douce mélodie passées les premières minutes sur la mer. C’est un délice, d’ailleurs, ce tour en bateau. C’est fou comme j’aime cette sensation… Ce vent qui court sur les embruns et vient s’échouer sur les flancs du bateau, emportant avec lui la profonde odeur de la côte découpée…


Larguez les amarres, souquez les artebuses, nous partons à l’aventure ! Au fait, c’est quoi ce nuage, là, derrière ?

lundi 5 mai 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 13

Episode 13: Sur la route de Chateau-Kevin

Lorsque nous suivons cette minuscule bande de goudron qui passe à côté de l’abbaye, nous n’avons aucun doute : dans une centaine de mètres tout au plus, nous n’aurons aucun mal à trouver un espace sans muret, un chemin de terre allant se perdre dans une jachère, voire (mais là on exagère) une table de pique-nique au milieu d’un pré verdoyant n’attendant plus que nous. Sauf que ce muret, ce devait être une version irlandaise du Mur d’Hadrien : impossible de trouver une quelconque ouverture, le moindre chemin de terre, voire en extrapolant, pas le moindre mètre carré perdu sur le bas-côté pour ranger notre 4x4 des villes… Et oh, il serait si facile de le planter dans le ruisseau qui court sur l’autre flanc de la route ! Nous allons faire un ou deux milles comme ça, avant de faire demi-tour (grognements du conducteur de série) et de rebrousser chemin pour aller se garer devant une ferme.

Au passage, on évite le drame de peu. La route est ici si peu large que l’on roule au milieu. Et là forcément, les réflexes reprennent le dessus : sans l’avertissement sec de Julie, j’aurais croisé la première voiture venue (il n’y en a pas eu beaucoup, mais une seule aurait suffi) en braquant du mauvais côté : bonjour le contact frontal ! Heureusement que mes passagers veillent au grain… L’emplacement que nous avons finalement choisi ne nous permet pas beaucoup plus que de manger notre casse-croûte sur ledit muret. Mais au final ce dernier s’avère assez large, pas si haut que ça, et nous offre un emplacement ombragé avec vue sur les deux édifices médiévaux de la matinée : on aurait toujours pu demander plus…

Bon, nous voilà au repas tiré du sac type, celui qui va nous faire nos midis pour la quasi-intégralité des dix jours sur place : sandwichs au pain de mie, jambon, tranches de fromages industrielles. Le gastronome (qui ne sommeille pas souvent) en moi était un peu rebuté au début, mais c’est pareil pour chaque voyage : avec les diners à la pomme de terre et les petits déjeuners salés, on endort l’estomac pour la journée, ou presque. Il ne s’agit donc que de reprendre des forces pour nos longues aventures : beaucoup à voir, à marcher, conduire, mémoriser aussi. Et puis ce serait quand même idiot de perdre l’attention sur la route en fin de journée.

Rien de spécial dans ce menu type, donc. Enfin, si on excepte le jambon typique irlandais. Je ne parle pas du fait qu’il soit estampillé « Irish Pork », mais du fait que ce dernier n’est pas conservé dans sa couenne. Non, à la place, il est entouré d’une sorte de panure orange, à la texture épaisse et salée. Une vraie réussite culinaire (comme quoi, quand on cherche bien…) ! Malgré le paysage qui nous appelle à la sieste, il ne reste pas moins de 200 kilomètres à faire pour atteindre Killarney et ce n’est pas notre dernière étape de la journée : nous ne trainerons pas, et laissons bientôt Cashel, et ses hordes renouvelées de touristes arrivés durant notre déjeuner derrière nous.

Il faut profiter du peu d’autoroutes dont nous disposerons dans le voyage, aussi les premiers trois-quarts d’heure se feront à une bonne vitesse de croisière. Nous l’émaillerons de rires devant les noms des villages locaux, qui ne sont pas moins drôles que ceux du centre de la France (femfontaine, je pense à toi). En effet nous aurons d’abord droit à Kevin, qui doit être un charmant patelin, suivi moins de dix minutes plus tard par son grand frère, CastleKevin. Si on s’amuse en plus à compter le nombre de villages dont le nom commence par Kil, on a pour des heures entières d’occupation. Bientôt pourtant, c’est notre tour de quitter la quatre voies pour, comme en Ecosse, entrer sur ces routes sinueuses, aux limitations de vitesse inexistantes et aux trainards omniprésents. Comme au Royaume-Uni, les routes sont divisées en trois types, A (les autoroutes), B (les routes de campagne ou départementales) et C (rien de plus qu’un chemin de terre, mais il est sur la carte). Inutile de mentionner qu’à partir de là, on est partis pour des heures entières (des jours, en fait) de réseau B, voire B-qui-nécessiterait-des-travaux.

On découvre également que dans ce pays, les panneaux décrivent bien la vitesse limite autorisée. Chez nous, ils sont bien souvent considérés comme décrivant la vitesse limite basse acceptée par les autres usagers… Mais en Irlande, non. Déjà, parce qu’il est à 90% du temps, impossible d’atteindre ladite vitesse. Ce n’est pas une question de moteur, le moulin de notre Quashquaï est bien content de ronfler dans les tours, mais bien une question de tenue de route. Parce que les virages, ça ils connaissent. Vu que le pays est constituée d’une suite ininterrompue de collines jusqu’à la mer, j’aime autant vous dire que c’est pas de la ligne droite. Et comme chez eux, hors agglomération on ne trouve que des panneaux « 100 » (on en trouve d’ailleurs sur des chemins absolument improbables), il est souvent matériellement impossible d’atteindre cette vitesse. Pour résumer le sujet, en Irlande, tu peux pousser l’accélérateur tant que tu veux, secouer tout le monde dans la bagnole, faire des freinages de dernière minute en début de virage… C’est open force-G en rase campagne.

Evidemment, ce genre de situation inédite nécessite des ajustements, afin d’éviter que Julie ne soit projetée sur Marie (ou inversement) dans les courbes parfois très en pente qu’il faut négocier. Ensuite, le souci majeur qui va me faire froncer les sourcils (et créer d’autres cheveux blancs) réside dans la largeur de la route. Ce n’est pas forcément que les voies sont peu larges, encore que… Non, c’est plutôt l’absence de marge de manœuvre qui est un peu inquiétant : sur le bord de la route s’élèvent des massifs entiers d’arbres impénétrables du bocage irlandais… Et cette haie de souvent 3-4 mètres de haut s’arrête précisément sur les traits de délimitation du goudron. Pas d’erreur de conduite possible, on dispose du même espace sur la route que l’on doive croiser une fiat 500 de location, un tracteur ou l’inévitable bus de touristes un peu paumé. Maintenant, on en rit comme d’une bonne expérience, mais croiser avec un différentiel de 180 km/h un bus qui vous frôle le rétro droite avec des tulias déjà presque sur le rétro gauche, c’est un peu claustrophobique. 
Si en plus on se remémore le montant de la caution, qui ne couvre pas les grandes rayures…

Le jeu est donc rapidement devenu le suivant : à chaque camion, bus, tracteur que l’on croise, nous nous mettons tous les quatre à crier, jusqu’à ce que le bruit du véhicule d’en face couvre totalement nos propres sons. Marie crie de bon cœur… D’autre part plus d’une fois entendrons nous les branches fouetter le flanc de la voiture dans un « flap flap flap » qui m’a fait souvent grimacer. Mais il ne faut pas croire que l’on fait du rallye toute l’après-midi non plus… Car comme en France, lorsque la route est dégagée, c’est pour qu’un véhicule lent vienne vous bloquer au prochain virage. On enchaînera tous les poncifs du genre, du camion de foin (odeur garantie) à la caravane mal accrochée (visibilité -2, vitesse 0) en passant par le fameux « je-suis-touriste-donc-je-ne-passe-pas-la-troisième ».

Nous en viendrons même à avoir un peu le temps long. Enfermé comme nous le sommes dans cette espèce de couloir verdoyant avec des haies de chaque côté, impossible de profiter convenablement du paysage. Les villages sont rares et inintéressants la plupart du temps (des maisons de pierre, des portes colorées, une épicerie et la chapelle, pan, c’est plié), et l’on ne peut rien voir des collines qui nous entourent. C’est un regret par rapport à l’Ecosse, patrie des grands espaces, pays ou prendre la route est un véritable délice tant c’est un régal pour les yeux, les conducteurs, les soupapes et les passionnés de photographie. Ici, c’est juste vert. Vivement la mer.

A force de dépassements pas toujours hasardeux (on s’améliore avec l’expérience…), nous arrivons un peu après 16 heures à Killarney, pour y trouver notre premier « B&B » (bèdennebraikfaste, englishe power). C’est censé être plus qu’un simple village, parce que c’est le chef-lieu du comté du même nom, que c’est LA ville pour faire le Ring of Kerry, et qu’il y a pratiquement une chambre à louer dans toutes les maisons avec plus de deux pièces. Pourtant, est-ce la fiabilité du plan de Julie ou tout simplement que nous avons choisi la location appropriée, j’ai l’impression de n’avoir passé que deux croisements lorsque nous sommes déjà dans la bonne rue. Le quartier est résidentiel, c’est d’un calme impressionnant. Naturellement, je vais rater le B&B au premier passage (c’est ma faute à moi, si j’allais un peu vite pour faire un virage à 90degrés ?), mais nous trouvons bientôt de quoi nous garer dans la cour d’une grande maison jaune, qui a l’air très sympathique. La propriétaire qui nous accueille nous trouve dans son registre (soupir de contentement) et nous montons immédiatement découvrir nos chambres.


Michel et Julie nous laissent choisir pour ce soir, ce sera l’inverse la prochaine fois… Mais il faut dire que ce n’est pas facile, les chambres dans ce B&B sont tout simplement superbes, avec de grands lits (le nôtre dispose même de barreaux, je vous laisse tout imaginer), une profonde moquette et de belles salles de bain. On s’y sent très vite chez soi, et avec le voyage, le grand soleil et ces deux premiers jours impétueux, on pourrait vite choisir de se prélasser pour ce qu’il reste de l’après-midi. Mais nous ne resterons pas. Nous avons rendez-vous avec nos amis à peine quinze minutes plus tard dans le salon (à la tapisserie rayée de rouge) outrageusement décoré de centaines de babioles kitch, véritable royaume à l’anglaise de la porcelaine inutile et des moulures dépassées, avec l’inénarrable attirail pour se faire du thé posé sur son napperon brodé main. On s’est équipés en pulls rayés, on a pris nos K-ways : nous partons à la mer, pour aller dans l’un des villages les plus reculés de la côte… 

Et tenter de voir les baleines.