Bonjour lecteur! Oui, c'est calme ici depuis la fin du roman. Il est en relecture, et sache que tout ça avance lentement et que si je l'affiche ici, je ne pourrais pas le proposer à un éditeur. Comme l'indique le post précédent, ce ne sont pas les idées qui manquent. Donc j'en ai prise une au hasard et je me suis laissé porter. A vous de me dire! Ce texte aura peut-être des suites, mais je sors d'une relation de longue durée avec un document Word donc je suis pas sur de rechercher autre chose qu'un coup d'un soir.
Espagne, 1671
Il faisait nuit, et le son des
sabots était étouffé par les foulards de grosse laine attachés aux pattes des
chevaux. Nous avancions sans un bruit, sans paroles parce qu’aucun d’entre nous
ne savait exactement à quoi s’attendre. Notre guide, un contrebandier spaniard
qui avait refusé de nous dire son nom, se tenait droit sur sa mule quelques pas
en avant, et il aurait tout aussi bien pu nous mener dans quelque vile
embuscade. Je guettais sans arrêt les parois du défilé rocheux dans lequel il
nous dirigeait, à la recherche d’un éventuel reflet de lune sur une surface
métallique. La protection. C’était sans doute la raison pour laquelle le
Capitaine Jacques de Tourqueville nous avait fait participer à cette dangereuse
excursion, qui devait tout de même rester discrète. En comptant le guide, nous
étions six les uns derrière les autres, qui espérions passer inaperçus des
soldats espaniols que nous attendions tous les dix mètres.
Pour plus de sécurité, Jacques
avait interdit les armes à feux à ceux qui le suivraient. Et comme de juste,
nous les avions amené. Caché dans mes braies, mon pistolet tapait contre ma
cuisse à chaque pas de la jument que l’on m’avait attribué. C’était pire
évidemment pour le second, que j’avais vu embarquer tout un arsenal dans son
pantalon, et nul ne doutait que le capitaine avait remarqué son manège... Ah
nous aurions eu l’air marrons si quiconque nous avait découvert. Déculottés
pour charger nos armes, pris de court et ne parlant pas un mot du patois local.
On nous aurait sans doute traînés dans les geôles de Cadix, que nul d’entre
nous ne tenait à visiter : ceux qui y parlaient le français étaient
bourreaux ou ne vivaient pas long. Enfin, les sons étouffés des embruns se
firent plus présents.
Le chemin se rétrécissait
encore alors que nous atteignîmes de hautes falaises de calcaire. Sans un
regard, nous sommes tous descendus de nos montures : une chute ici
entrainerait une mort inévitable. Nous aurions pu laisser les chevaux, mais
entre elles les bêtes pouvaient se montrer bruyantes et nul ne voulait courir
le risque. Les deux hommes de main qui me suivaient s’étaient arrêtés et se
signaient comme de véritables paysans. En tant que Premier Lieutenant, c’était
à moi de les rabrouer et de les faire avancer, mais je dus puiser dans mon
imagination les arguments et les convaincre à la place : impossible de
hausser le ton ou de menacer comme à mon habitude. Je leur sifflais mes
imprécations entre les dents, et les deux brutes me passèrent devant tête
basse. Et me voilà dernier de colonne. Mais comme je ne savais toujours pas
l’objectif de cette randonnée, il ne me restait qu’à suivre sans demander mon
reste.
La lune découverte miroitait
sur la mer calme, qui laissait de rares vagues venir s’écraser sur les roches
une centaine de pieds en dessous de nos souliers. On voyait le blanc des
embruns venir lécher le pied des falaises et repartir paresseusement vers le
large. La baie de Cadix faisait une anse de plusieurs lieues, mais le nuit
était assez claire pour en distinguer la côte opposée. A ma droite, la ville
elle-même faisait comme un halo lumineux moins loin qu’on ne l’aurait souhaité.
Même si on disait ses ruelles assez sombres pour se faire trousser sans l’avoir
remarqué, la distance suffisait amplement. A main gauche cependant, de rares
buissons épineux se dessinaient le long de notre chemin de caillasse qui
restait en hauteur. Puis, à la faveur d’un éperon rocheux, quelques oliviers
centenaires faisaient bosquet sur une avancée de cette falaise blanche et
poreuse. C’est là que le guide s’arrêta, et notre capitaine qui possédait
quelques rudiments de langue locale, échangea avec lui. Pour notre part, nous
partagions les rations emportées du bord avant notre départ en début
d’après-midi. Le pain n’était pas de première fraîcheur, et les lanières de
viande avaient transpiré leur sel sur les sacs et perdu toute saveur. J’allais
envoyer nos deux larbins chercher des baies lorsque le capitaine et le second
m’appelèrent auprès d’eux.
Comment n’avais-je pu le voir
plus tôt ? Sa silhouette se détachait clairement sur la mer, ses trois
mats balançant au gré des vagues. Même s’il n’était pas armé, les couleurs
spaniardes flottaient à sa poupe, même de nuit, ce qui en disait long sur
l’équipage : ceux qui ne rangent pas nos couleurs lorsque le soleil se
couche sur mon navire peuvent s’attendre à une courte et douloureuse nuit à
nettoyer le pont ou rabocher leurs draps que j’aurais déchiré. Mais je
m’emballe un peu, car je n’ai point mon navire même si j’ai mon équipage
(Monsieur le premier lieutenant, leur fais-je répéter à l’arrivée des mousses,
est notre maître sur le bord), et pour office de navire nous naviguons sur une
goélette trop lourdement chargée. Cela dit, si je comprends bien les pensées du
capitaine, nous n’allons pas garder le « cormoran » très longtemps…
« - Il a l’air sacrément
lège, capitaine !
- C’est parce qu’il sort de
carène, lieutenant. Le bois n’a même pas encore travaillé. L’eau lui montera
encore d’au moins quatre pieds lorsqu’on y fera monter mes canons.
- Nos canons sont en France,
mon capitaine. » Fit remarquer le second. Se tournant vers son subordonné,
Jacques prit une longue inspiration et il était évident qu’il s’empêchait de
crier de toutes ses forces.
- Imbéciles ! Ce que je
vous montre, c’est l’avenir ! Regardez sa proue, ses lignes ! Il sera
magnifique, il sera dangereux et il peut porter tout ce qu’on voudra bien nous
confier aux caraïbes. Mais non, vous, tout ce que vous voyez c’est qu’il flotte
haut et qu’il est désarmé. N’est-ce pas pour l’aventure que vous êtes
venus ? »
La question était rhétorique,
émanant du capitaine… Mais dans les yeux du second, je pouvais lire aussi
clairement qu’en plein jour que c’était les gains promis qui l’avaient entrainé
avec nous. Pour ma part c’était mon premier poste de commandement, et je savais
que nous avions pour ambition de rentrer sur un plus gros rafiot. Au moment de
signer peu m’importait lequel, mais je m’étais vite aperçu qu’il n’allait pas
nous tomber dans les mains par la grâce divine. Je l’acceptais. Et la proie,
vue du haut de la falaise, paraissait plus tentante que jamais.
« - Santa Maria del Sol,
qu’ils veulent l’appeler, reprenait le capitaine. Quelle originalité !
Quelle bouffonnerie, c’est tout les spaniards. Je ferais venir un prêtre, et on
va nous le rebaptiser, vous allez voir ça.
- Quel nom, mon
capitaine ?
- Je n’en sais encore
rien ! Quelque chose qui aura plus d’allure, et ce ne sera pas bien
difficile. Santa Maria del Sol… La sainte mère, c’est bien une égide pour ces
pisse-froid. Allez, dites-moi qu’il vous plait au moins, ce navire ! Il
est unique ! Le maitre charpentier qui l’a conçu est mort de maladie le
mois dernier.
Le marchand, car c’en était un
finalement, avait en effet bien fière allure. La proue était longue et effilée,
tandis que son ventre s’étirait doucement sur ses flancs. Il n’aurait pas la
capacité d’emport d’un quatre pont, ni la puissance de feu d’un galion, mais ce
serait l’ami idéal pour repousser une frégate trop aventureuse, attaquer une
barge lourde ou un camp ennemi et repartir en louvoyant sur les hauts fonds
caribéens dont nous rêvions tous. Pour moi, c’était la perspective d’une grosse
centaine de marins sous mes ordres. Et il filerait droit, oh oui. Je m’y voyais
déjà, et il me faudrait un nouvel uniforme. Aucun de nous ne parlait, mais tous
nous figurions déjà sur son pavillon arrière, en escale là où les femmes
exotiques nous feraient bon accueil.
« Capitan ? »
Cette fois c’était le guide. Il était venu jusqu’à nos côtés, et il semblait
impatient de continuer jusqu’à la prochaine anse, encore un peu plus près de la
ville. Revenus au bosquet d’oliviers, aucun d’entre nous ne voulait risquer
plus, aussi nous avions déjà préparé les chevaux quand le petit homme s’énerva.
Nous ne comprîmes deux mots de ce qu’il disait, mais ses chuchotements avec
Jacques de Tourqueville étaient houleux. Ce dernier finit par se rendre, et
emboita le pas au petit espagnol.
« - Il dit qu’il veut
nous montrer la crique suivante. Qu’il ne repartira pas sans que nous l’ayons
vue. Préparez vos armes, c’est peut-être le traquenard que vous craigniez,
lieutenant.
- Quelles armes,
capitaine ? Vous nous avez interdit de…
- Celles que vous avez dans
vos caleçons et que vous bringuebalez depuis midi, bande de crétins ! Et
si vous n’y avez que la queue, prenez-là aussi, vous pourrez toujours les faire
rire ! Maintenant cessez de caqueter comme les pochtrons que vous êtes et
suivez moi. »
Il nous suffit de quelques
dizaines de mètres. Une avancée sur la mer nous cachait une partie de la baie,
plus abritée que les autres et protégée des courants par des fonds à quelques dizaines
de brasses. Tout au bout, les rochers baissaient et venaient surplomber les
corderies royales espagnoles qui précédaient les deux gigantesques bassins de
carène. A plat ventre tous comme un seul homme, aucun d’entre nous ne
s’intéressait pourtant aux installations portuaires des spaniards.
Parce qu’à une centaine de
pas, bord à bord, une forêt toute entière de mats se balançait doucement. Une
cloche signala un changement de quart, et les ponts s’emplirent de marins et
militaires disciplinés, qui dans des ordres vifs et précis, prirent leurs
postes sur les dix-huit navires que constituait la Grande Armada.
« Rentrons, j’en ai assez
vu » chuchota le capitaine.