Les premières minutes de
conduite en Irlande sont assez folkloriques. Déjà parce que nous sommes à deux
doigts de retourner à l’agence pour leur balancer leur GPS à la figure. On
finit par comprendre (après quand même un arrêt dans une zone résidentielle au
bout d’une impasse…) que l’appareil peut fonctionner sur batterie, ou bien avec
son câble d’alimentation. Pas les deux, attention, tu le débranche pendant
qu’il fonctionne, pouf, t’es perdu, c’est direct. Comme on le fait se rallumer
et s’éteindre une bonne dizaine de fois, il finit par ne plus savoir exactement
où nous sommes… à peu près comme nous.
On joue le coup de
poker : ça va tenir, il va nous montrer le chemin, il suffit de ne pas
(trop) y toucher. Nous arrivons ensuite sur une avenue à plusieurs voies qui va
nous mener directement dans Dublin sans passer par le périphérique. Il y a pas
mal de circulation, et je dois souvent changer de vitesse (quand je n’essaie
pas de les passer dans la porte avec ma main droite), du coup je demande l’aide
de Michel lorsqu’il s’agit de mettre la clim ou de changer le CD, voire
rebrancher le GPS qui s’est ré-éteint, capricieuse électronique. Et là, il y
aura quelques moments de gêne, pour lesquels je tends la main en cherchant le
levier de vitesse, et rencontre celle de Michel. Un contact doux, que nous
tentons tous les deux de contourner sans y parvenir. Les filles, qui filmaient,
repèrent l’instant de grâce, qui sera plus tard rebaptisé « le moment
gay ». On s’en doute, dire que l’on cherchait le levier de vitesse, avec
les esprits mal tournés qui hantent le véhicule, n’arrange rien à la situation.
Curieusement, on a beau être
en banlieue un dimanche du mois d’aout,
il y a de l’ambiance. Déjà dans notre 4*4 (nous avons repéré un camion
Guinness, c’est l’euphorie totale), mais aussi dans les rues qui bordent ce
long axe Nord-Sud, bordé de maisons à un ou deux étages en brique rouge, un peu
austères si les rues n’étaient pas enguirlandées de fanions de toutes les
couleurs. On finit par comprendre que nous sommes sans doute aux alentours d’un
stade, par la présence de nombreux supporters de Donegal (les maillots sont
mystérieux, et compte tenu qu’aucun de nous quatre ne suit de sport d’équipe,
ils le resteront un moment). Notre compilation spéciale Irlande
nous fait passer le temps entre les feux, et bientôt Michel et moi reprenons en
cœur notre « Djangoooo », refrain favori depuis si peu de temps
remplacé par Bushmills.
Lorsque l’on rentre dans le
centre-ville, la circulation devient plus dense, et les arrêts nous montrent le
Dublin de tous les jours, celui qui n’est pas réservé aux touristes et
businessmen. Les épiceries et les pubs font beaucoup penser à Edimbourg, autant
que certains bâtiments sombres et défraîchis de la fin de la grande révolution
industrielle. Pour autant, les gens ont l’air un peu plus accueillants que
leurs cousins aux kilts, et les enseignes sont un peu plus colorées. Nous
finissons par arriver à notre premier hôtel, à deux pas des quartiers
historiques. On le voit de loin, arrêtés à un feu rouge, et puis… Et puis rien
en fait, il y a environ zéro places pour se garer, et les rues autour ont été
conçues selon un intéressant concept de sens uniques minuscules (dont nous ne
sortirons pas deux fois au même endroit).
Deux fois nous faisons le tour du
pâté de maison, car après s’être résolus à marcher sur quelques centaines de
mètres, il faut encore que l’on soit rassurés par le voisinage. On a beau être
près du centre, quelques ruelles ont une ambiance un peu coupe-gorge. En
rappelant que la règle numéro un, ce n’est pas notre sécurité mais la caution
du Quashqaï, il convient de faire attention. On réussit finalement un créneau à
droite pas trop dégueulasse (j’ai failli me cogner dans la porte en voulant
regarder l’angle mort), et nous laissons les bagages dans le coffre pour aller
s’enregistrer.
Je laisse Julie se charger du
discours, mais finit par me rapprocher à sa demande : le type ne mâche pas
ses mots, il les chique. Pour ne pas passer pour des idiots devant nos amis, on
hoche vigoureusement la tête, on prend nos clefs et on se déplace un peu plus
loin pour faire le topo sur ce que nous avons compris. Déjà, on peut se garer
sur le trottoir pour décharger les valises : l’anarchie temporelle est
autorisée. Ensuite, il y a un parking sous-terrain « juste à côté »
qui appartient aussi aux CityHotels Appartements. Parce que oui, pour notre
première nuit Irlandaise, nous avons choisi de louer un petit deux pièces, rien
que ça.
Je ne sais pas comment, mais
dans mon esprit j’avais je ne sais comment, imaginé un penthouse de luxe dans
un loft, peut-être aménagé dans un ancien dock. Bon, on voit vite que ce n’est
pas moi qui ait fait la réservation, parce que si c’était peu cher, il y avait
forcément une raison. Nous sommes au premier étage, après un corridor tapissé d’une
profonde moquette bleue. Et ma première impression, c’est que notre penthouse
tenait tout entier dans le salon de notre appartement à Colmar (lui non plus n’étant
pas démesuré). Ce n’est pas non plus de première fraicheur, mais en y regardant
de près, c’est propre et nous avons largement de la place pour quatre, puisqu’on
n’y passe qu’une nuit. A gauche de l’entrée, c’est la salle de bain, un peu à
la mode anglaise (comprenez : uniformément rose) avec son inévitable
système de douche électronique, sa baignoire carrelée et ses toilettes, presque
perpétuellement en train de se remplir car le réservoir tient un peu du goutte
à goutte. A angle droit, c’est la chambre que je partage avec Julie, puis celle
de Marie et Michel, qui fait face à une kitchenette assez bien équipée. Le
couloir se termine sur le salon, qui dispose d’une baie vitrée avec vue sur les
édifices historiques.
Ce qui nous intéresse le plus par contre, c’est toujours
cette ambiance bien britannique, avec un très profond canapé et un fauteuil en
cuir dont on ne se relève tout simplement jamais. C’est bien situé, c’est
silencieux aussi (bon un dimanche à midi, j’aurais été surpris mais voilà), pas
de mauvaise surprise et les lits sont de bonne facture.
A l’envie de piquer une
sieste, nous devons répliquer en cherchant les bagages : je pars avec
Michel tandis que les filles vont demander draps et couettes qui font défaut
pour l’instant. Nous retrouvons la voiture intacte, et partons nous garer comme
des sacs devant l’hôtel (on commence à connaître le quartier). Puis nous
voulons trouver le garage. Hahaha, ça a l’air facile, dit comme ça. Trouver la
rue nous prend… Même pas deux minutes. Par contre une fois sur place, aucun d’entre
nous n’a de numéro de maison, donc impossible de savoir quelle entrée de garage
(il y en a huit ou neuf) est la bonne. Et puis, en Irlande les autocollants
doivent coûter cher ou être interdits : il n’y a rien pour signaler la
bonne porte. En se basant du coup sur l’instinct (l’agence est au bout de la
rue, ce doit être le plus proche), nous nous approchons, je bredouille un truc
inintelligible dans l’interphone, et ça s’ouvre. Mais ce qu’il faut réaliser, c’est
qu’on n’est même pas surs d’être au bon endroit, et ça nous fait bien rigoler.
Dans ce sous-sol, je vais me garer trois fois, aussi. Une première comme un
Kévin au milieu de deux marques, une seconde dans une place ou tout le monde
risque d’accrocher la carrosserie en reculant, et une troisième à une place qui
me semblait un peu plus en sécurité.
Revenus à notre petit
appartement en se bidonnant, nous ne prenons pas le temps de vider les valises.
Déjà parce que c’est inutile : on repart demain. Ensuite parce qu’il est
14h30 bien tassées, et que nous n’avons toujours rien mangé. Toujours. Rien.
Mangé. C’est intolérable.
Pour autant, on prend toutes
les affaires pour visiter le centre-ville dès le repas terminé pour ne pas
perdre de temps. Quitte à faire les réglages en cinq minutes, c’est donc la
fête aux appareils photos, au sacs à dos remplis de coupe-vent (oui, mine de
rien, ça s’est couvert comme prévu), et à tout ce qu’il n’est pas nécessaire de
laisser à l’autel (et qui est-ce qui porte le sac, hein, je vous laisse
deviner). Nous y voilà, Dublin s’offre à nous.
Dans un premier temps, on
traverse simplement l’avenue pour se rapprocher de la cathédrale. L’ouvrage en
pierre claire est splendide, avec force sculptures, un passage au-dessus de la
route et un clocher qui doit dominer toute la vieille ville. C’est peut-être
visitable ? Et pan ! Il suffit de poser la question pour apercevoir
la file de dizaine de touristes qui attendent leur tour depuis l’extérieur. N’étant
ni fervents catholiques (Irlande = catholiques, Angleterre = protestants,
souvenez-vous) ni adeptes de payer pour visiter un lieu de culte, nous passons
notre chemin, non sans avoir utilisé l’endroit pour calibrer nos appareils. Et
au final nous n’allons pas bien loin : nos estomacs se rappellent tant à
nous que nous cédons à la tentation du premier restaurant venu, en l’occurrence
un « bistrot » qui sert du local dans un cadre un peu moderne. On s’assoit,
on prend les menus, on pose nos affaires… Et enfin, on souffle un peu. Clairement,
tout est en train de se passer à cent à l’heure. Il est bon de ralentir, de se
regarder dans les yeux et de se dire :
ça y est, nous y sommes enfin !