vendredi 27 juin 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 28

Episode 28: Les survivants du M.A.M.E.A.N

Evidemment, il ne nous est rien arrivés de proprement fantastique lorsque nous avons franchi le petit portail de fer. Enfin, pas tout de suite. D’abord, nous sommes montés le long de cette pente qui, d’en bas, cachait ben son jeu. Non seulement la montagne est bien plus haute que ce qu’elle laissait paraître, mais le sentier est raide à nous rappeler de vieilles courbatures. Nous continuons quelques minutes, sans toutefois avoir atteint le fameux col entre ces deux imposants géants de pierre sombre. Au mieux pouvons-nous profiter de la vue, qui offre tout de même le point de vue sur le lac tant attendu… Souvenez-vous, celui dont nous devions faire le tour. Eh bien ce ne sera pas le cas, parce qu’il est loin, ce lac. Même la première berge est loin, ne parlons même pas d’en faire le tour. Un peu abattus, nous nous rendons compte que notre randonnée du jour ne nous a pas vraiment menés à bon port, et que malgré la beauté de ce paysage austère et spirituel, nous aurions préféré un véritable sentier, avec un véritable balisage, et une véritable météo d’été aussi. Non content de se couvrir de façon inquiétante, le ciel nous balance des rafales de vent froid à faire grelotter.

Dans l’humeur, Julie et notre couple d’amis se sont arrêtés de concert, afin de réfléchir à la suite à donner à ces évènements. Il ne reste que moi qui, poussé par cette curiosité dévorante de l’exploration, bien en jambes après ce petit coup de sport, tient absolument à arriver au col (à l’aide d’arguments de mauvaise foi comme un « si si je vous jure ce doit être juste après ce monticule). Le souci dans ce genre de situation avec les gens qui vous ressemblent beaucoup, c’est qu’ils sont aussi têtus que vous. Ils ne veulent pas continuer, je ne veux pas renoncer. Tant pis, je leur laisse mon sac, et le K-way, pour partir dans une escapade de quelques minutes (une dizaine, ais-je annoncé). Quitte à vouloir faire du sport, autant courir, non ? N’en déplaise à mon genou, qui ne manquera pas de se rappeler à mon bon souvenir (mais après, c’est tout le truc).

Je pars donc d’une belle foulée à l’ascension de ce petit col, dont, je m’en rendrai vite compte, nous n’étions pas à la moitié de la montée. Ouch, donc. Et passé le petit virage qui me cache à la vue de mes camarades, il faut que je me remette à marcher plutôt que de gambader comme un cabri. Attention je garde une belle foulée, et me suis remis à courir dès le moment ou la pente s’est un peu calmée. Même si j’ai cru que ce moment n’arriverait jamais. Tout de même, passé un dernier lacet, la vue s’est un peu dégagée. Grande étendue recouverte d’une herbe curieusement verte au milieu de cet océan de jaune et d’orange, le col est recouvert de terre, de tourbe et de rochers blancs plantés comme au hasard dans un saupoudrage capricieux. A ma droite, la colline fait comme une muraille impénétrable, tandis que la pente de gauche est un peu plus douce. Dominant la passe, une chapelle de pierre et de bois semble surveiller tout le paysage dans son immensité. C’est en m’approchant que je commence à comprendre de quoi est question le Mamean.

C’est un pèlerinage, sans doute. Du milieu du col part un chemin de croix bien entretenu, marqué de petites stèles gravées élevées au milieu de ces touffes d’herbes drues et balancées par le fort vent du coin. Je monte sur ce promontoire naturel sans perdre de temps, à grandes enjambées. Arrivant au même moment du versant opposé, deux marcheurs (j’ai quand même regardé que ce n’était pas les vosgiens du jour d’avant) avec des bâtons soufflent un peu, en observant le paysage. J’ai dû leur sembler bien étrange, à monter devant la chapelle, pour y observer la vue et en redescendre aussitôt en quatrième vitesse. Là-haut, tout de même, c’est d’une beauté sans nom. Une grande croix celtique en granit monte la garde sur les deux vallées, qui s’en vont vers l’infini. Dans celle opposée au chemin que nous avons suivi jusqu’ici, une grande rivière coule paresseusement d’un bosquet à l’autre, et dans la nôtre, ce sont les massifs de sapins qui créent d’en haut des motifs variés. Quant à la religion, ici… Je dirais c’est moit’-moit’. S’il s’agit bien d’un chemin de croix et d’une chapelle, les motifs sont bien celtiques sur la croix, les montants et le toit de la bâtisse sont couverts d’enchevêtrements traditionnels, et un pilier est sculpté comme l’auraient fait de véritables vikings.

J’en suis à douze minutes lorsque je commence à redescendre, autant vous dire que je n’ai pas l’intention de traîner. Mais croire que je vais m’empêcher de courir dans un spectacle aussi grandiose, c’est mal me connaître. Je saute d’une pierre à l’autre, en glissant parfois, mais sans jamais perdre mon équilibre. La sensation est grisante, même si je transpire à grosses gouttes dans ma polaire remontée aux manches. C’est le moment de lâcher les chevaux ! Je me lance dans la descente sans retenue, tout à mon bonheur de savourer ces sensations fortes. Le cadre apparait soudain sublime, entre les étendues phénoménales devant moi, le concerto des 50 nuances de gris dans les nuages et la montagne, aride en pierriers, humide en tourbières. Finalement, la première du groupe que j’aperçois est Julie, qui n’aura pas eu la patience de m’attendre au-delà du délai annoncé. Elle m’accueille, presque inquiète, et plus encore lorsqu’elle se rend compte que je suis littéralement à bout de souffle.

Il faut dire que si je ne l’avais pas remarqué, il s’est doucement mis à pleuvoir, un crachin pas trop humide, mais qui semble coller à nos vêtements, nous oblige à fermer les K-ways. On redescend, tous ensemble, alors que je suis heureux d’avoir pu m’isoler quelques minutes pour me défouler. Rien ne peut m’atteindre maintenant, ni les chemins mal décrits, ni les lacs inexistants, ni la météo capricieuse. D’ailleurs, en parlant de sentiers, nous sommes un peu saoulés de la route goudronnée : un conciliabule improvisé et nous décidons de couper le chemin du retour par un  « chemin » que l’on devine couper à travers champs le paysage jusqu’à rejoindre la route. On se convainc qu’il est légitime par sa présence (en pointillés, quand même) sur la carte du Livre de Rando. J’ai beau annoncer à haute voix que cela risque d’être pour le moins hasardeux, boueux, je n’ai pas la majorité. Et puis moi j’ai déjà eu droit à mon escapade, faut que j’arrête de faire mon malin.

Au début, tout va bien. Le chemin descend plus ou moins progressivement à travers champs, traverse une ligne d’arbres… Nous sommes au aguets, afin de vérifier si une vache, un taureau ou tout simplement les cousins des belliqueux béliers de tout à l’heure ne sont pas en embuscade. Et on ne se prive pas d’en imaginer les moindres scénarios pour passer le temps. Mais ensuite, les choses se gâtent. Le chemin suit un petit ruisseau de dégagement, mais nous nous retrouvons en face d’une haute barrière de fil de fer, que nous n’estimons pas pouvoir grimper. Après quelques minutes à prospecter alentours (en faisant gaffe de ne pas marcher dans un trou d’eau, la surface herbeuse étant molle à souhaits), nous apercevons notre seule porte de sortie : un espace étroit ou un empilement de pierres permettra de passer au-dessus de la clôture. Oui oui, on passe les propriétés maintenant, on est des vrais hooligans. Ou bien n’a-t-on tout simplement pas l’envie de revenir en arrière ? Moui, c’est possible.

Problème, il faut traverser le ruisseau. Et donc remonter un peu, pour trouver un endroit d’où nous pourrons élégamment (si on a de la chance) sauter de pierres en pierres pour traverser les pieds au sec. Par un quelconque miracle, nous allons y arriver, même si on passe près de la catastrophe. Marie pose un pied à côté, mais ses chaussures sont bien imperméables. Quant à moi, je suis le plus à risque, pour la simple et bonne raison que je pèse dix kilos de plus que Michel sans le matériel que j’ai sur le dos depuis le départ de la voiture (de l’eau, la trousse médicale… nous aurons un débat là-dessus). Du coup, plus le sol est mou, plus j’ai de chances de passer à travers et de me retrouver avec de la tourbe jusqu’aux genoux, expérience déjà réalisée en Ecosse et pas des plus agréables. Nous formons donc une étrange queue-leu-leu à travers champ, avec Julie à l’avant qui trace notre chemin à coup de « c’est mou ! C’est tout mou ! », de Marie qui annonce « j’ai sproutché », de Michel qui lui dit d’avancer quand même, et de moi qui me demande si je ne vais pas silencieusement finir ma vie d’explorateur irlandais dans un lancinant bruit de succion de tourbe.

Les choses s’amélioreront un peu au champ suivant, dont nous baissons les fils de clôture (hahaha, ils sont électrifiés, challenge supplémentaire), mais qui dispose de suffisamment de pierres en surface pour que je sois rassuré. Nous finissons par rejoindre la route à l’endroit de notre première rencontre avec le troupeau de moutons. Avons-nous vraiment gagné du temps ? Non, sans doute pas, mais l’aventure n’en a été que plus belle. A voyager comme ça, avec ces amis-là, toute escapade est source infinie de fous rires. Il a beau pleuvoir à grosses gouttes lorsque nous apercevons la voiture, nous n’en sommes pas moins toujours en train de rigoler. Malgré tout il n’est toujours que onze heures, et on ne peut pas dire qu’on soit très fixés sur le programme de la journée. La pluie s’est installée, le Livre de Rando est officiellement premier sur la liste au prochain autodafé. Dix minutes plus tard, nous sommes tous assis dans la voiture.


Tiens, oui, la voiture ! Pourquoi ne pas, après tout, visiter ces longues étendues à couvert ? Nous avons de l’essence, un GPS (hahaha, hem…), des cartes pourries. Alors autant partir à l’aventure, non ? On saura toujours retrouver Roundstone quand il le faudra. Du coup, j’ai démarré le Quashqaï, et nous sommes partis pour une grande randonnée. En voiture. Et par où commencer, sinon par la route goudronnée d’où nous venons ? On a pas pu faire le tour du lac avant ? 

Pourquoi pas maintenant ? 

mercredi 25 juin 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 27

Episode 27: Le chemin numéro 6

Pas facile de sortir du lit, au Connemara. Le ciel est voilé ce matin, et j’avoue qu’on aurait bien profité d’une grasse matinée. Même si on l’aurait regretté ensuite, évidemment. Il y a tant à faire dans ce pays, que rester réfléchir à nos bières de la veille ne serait pas très productif. Et puis il faut éliminer le gras. Ou en reprendre, c’est au choix. C’est donc pour cela qu’après mure réflexion à notre table au rez-de-chaussée, je prendrai le petit déjeuner à base d’œuf frit, de saumon fumé et de toasts grillés. Oui. Le saumon, à huit heures, rien de moins. Le burlesque de la situation ne me frappe qu’un peu plus tard, lorsque je réalise que mon corps risque d’apprécier moyen le poisson gras aussi tôt dans la journée. Et le café avec, et la tartine de confiture en dessert ? Je vais finir par bannir définitivement les mots comme « raisonnable » et « diététique » de mon vocabulaire de vacances. Extraordinaire tout de même cette capacité à se baser uniquement sur le gout pour tout avaler à une heure pareille.

D’ailleurs, pas besoin de se forcer. Le saumon est à proprement parler excellent, avec quatre belles tranches épaisses, luisantes. Si ça se trouve, le poisson en question a été pêché à deux cent mètres de là, c’est peut-être ce qui rajoute encore au goût. Mes camarades ont choisi des options plus classiques, œufs sur toasts pour Julie et Michel, grande salade de fruits pour Marie, qui va reporter son attention sur la confiture. Nous avons également ce matin une longue discussion sur les aliments interdits en cas de grossesse, liste exhaustive qui regroupe, n’allons pas nous mentir, à peu près tout ce qui est bon (sauf les huitres, ça ne m’aurait pas manqué).

Reste la question fondamentale de savoir ce que nous allons faire aujourd’hui. Nous prenons le joker avec la participation attendue des deux femmes propriétaires de notre B&B. On a beau les surprendre en pleine vaisselle, elles mettent tout en plan pour nous aider. La plus vieille d’entre elles, qui nous a pris hier pour les images du Saint-Esprit, revient nous voir avec un livre (qui ne doit plus être édité depuis les années 80) listant les quinze plus belles « randonnées » du coin. Oui, remarquez les guillemets, ils sont importants. Nous avons toute la journée devant nous, alors naturellement on est à la recherche de quelque chose qui en jette, l’ascension de la plus haute montagne du coin, un tour de vingt bornes avec des falaises à pic, des cascades… Mais rien de ce qui se trouve dans ce petit bouquin ne nous parle vraiment. Les promenades font pour la plupart trois à quatre kilomètres, sont sur des petites routes et, pour la grand majorité d’entre elles, sont situées au bord de mer (quand même, avec d’aussi jolies montagnes, c’est criminel). Nous resterons longtemps dubitatifs. Mais pour nous aider, Sardou n’est jamais loin. Aussi, dans un souci de respect de la chanson (sans doute), Michel souhaite une randonnée le long d’un lac du Connemara. Je veux un peu de montagne, Julie des moutons et Marie un chemin qui fasse précisément moins de 20 bornes, rapport à son état.

Nous fixons finalement notre choix sur le chemin numéro six. Un chemin pas trop éloigné de la route principale de la région, censé s’enfoncer dans un massif entourant un beau lac, dont nous pourrons faire le tour. L’échelle est clairement mal représentée dans le bouquin (impossible pourtant que la géologie du coin ait tellement changé, ils devaient juste être un peu nuls en dessin). Il faudra trouver le chemin, voilà tout ! Guillerets, nous montons nous changer à l’étage, et sortons quelques minutes plus tard charger la voiture et profiter de l’unique supérette ouverte de Roundstone, qui se trouve être aussi l’unique supérette de Roundstone. Nous, du moment où nous pouvons trouver du pain vaguement tartinable, quelques tranches de jambon local par personnes avec des tranches de fromage, nous avons notre bonheur. Nous complétons avec des pommes et des bananes, nos seuls légumes (de la semaine).

Fronde sociale à la caisse, je décide d’acheter un cake aux fruits confits, ce qui fait tiquer nos amis et ne réjouit pas Julie plus que cela. Tant pis, je l’achèterai tout seul, et puis je le mangerai tout seul aussi, ça leur fera les pieds. Un petit coup d’œil nous apprend qu’à cette heure, le pub est fermé, nous ferons donc notre première tournée après notre retour. Le village est encore comme endormi lorsque nous partons. Il n’y a pas un son, pas un brin de vent. Même la mer est particulièrement calme et silencieuse. Pas un hasard alors que nous soyons les seuls sur la route, même les moutons ne se pressent pas pour sauter sous mes roues comme à leur habitude, c’est vraiment étrange. Le premier véritable obstacle de la journée vient de la description on ne peut plus succincte du début de chemin sur ce que nous appellerons le « livre de rando ». Il y a bien une carte, et une phrase de début (entre le lac machin et l’intersection bidule, prenez à votre gauche), mais il va falloir salement se concentrer pour arriver à quelque chose.

Avec l’aide du GPS, nous avons plusieurs candidats potentiels pour le chemin numéro six. Arrivés devant le premier par contre, ça ne correspond pas au Livre de rando, donc ce doit être plus loin, après le prochain hameau. Dans ce dernier, fausse alerte lorsque nous nous garons à côté de l’église : on pense à tort qu’il y a un chemin qui part derrière, mais en fait non. Soyons clairs, on ne sait pas trop ou l’on va. Alors on continue sur cinq kilomètres supplémentaires, jusqu’à ce que la route fasse de grands lacets. Virages qui ne sont évidemment pas représentés dans le bouquin : on doit avoir continué trop loin : demi-tour. Quand on en est à se dire qu’on va abandonner si on ne trouve pas au prochain passage, nous découvrons une minuscule bande goudronnée qui s’éloigne dans la lande. Bingo ! Je roule deux cent mètres et, juste à côté d’un talus, je trouve de quoi me garer sur un grand bas-côté de gravier. Oui parce que ici, ce n’est pas le bon endroit pour le camping sauvage. Avec un sol en tourbe, j’ai l’impression qu’on pourrait s’enfoncer jusqu’à la taille rien qu’à deux mètres de la route.

Ce n’est qu’une fois les chaussures au pied et après une bonne centaine de mètres marchée d’un bon pas que nous réalisons à quel point les montagnes sont loin. Le lac ? N’en parlons pas, on ne le voit même pas, il doit être derrière la prochaine forêt de sapins. Evidemment, ces imbéciles du livre de Rando ont du se planter dans les distances et proportions : à présent que nous sommes dessus, le tour a l’air proprement gigantesque. Mais je vous rappelle que nous sommes invincibles, que marcher ne nous fait pas peur, et que nous sommes au milieu de rien, oh pardon, du Connemara. Autour de nous, même si on est dans une grisaille matinale, ça envoie du lourd niveau paysage. Le jaune-brun de la végétation de tourbe fait contraste au vert profond des bosquets de sapins éparpillés ça et là, parfois jusqu’aux pieds de ces petites montagnes, qui présentent souvent un versant doux et recouvert de buissons, et un autre pierreux, boursouflé de cette roche grise et immuable. Une vraie carte postale… Ne manque que le lac, n’est-ce pas !

Pour maintenir notre attention, les attractions ne manquent pas. Des vaches broutent à cinq cent mètres de la voiture, et même si elles pataugent un peu dans la boue, nous sommes vite intéressés (surtout Michel, qui y voit sans doute ses prochains burgers Irlandais). Surtout par certaines d’entre elles qui ne ressemblent pas aux françaises typiques : de grandes et belles bêtes d’une robe noire profonde et uniforme (de véritables canapés en devenir). Unanimement, nous décidons d’appeler cette race la Guinness, pour des raisons que je n’ai sans doute pas besoin d’énumérer. Un peu plus loin, c’est le tour des moutons. D’abord derrière un enclos, juste avant un petit repli de terrain. Cela donne un drôle d’effet de perspective, puisqu’entendant nos pas, plusieurs animaux lèvent la tête : on a l’impression pour certains qu’ils n’ont pas de pattes, ou que leur tête surgit du sol. Un petit peu plus loin nous avons l’occasion de jouer au berger, puisque les moutons suivants sont sur le bord de la route.

N’étant pas biologiste, je ne peux pas vraiment dire si scientifiquement le mouton est un animal très intelligent pour sa catégorie. De mes expériences par contre, cet animal est proche de la débilité la plus absolue (juste derrière certains politiciens). Pour les cas du jour, la moitié des moutons aura décidé d’un commun accord (bêêêêê) que nous sommes à craindre mais pas trop, justifiant une fuite sans fin devant nous sur cette route ou nous marchons. L’autre moitié, voulant sans doute affirmer une mainmise sur cette partie de la région (cela fait peut-être longtemps que leur territoire n’a pas été disputé), fait face en bêlant une attitude vindicative. Je ne sais pas vous, mais un bélier qui charge, ça ne m’intéressait pas outre mesure. Donc on ne les a pas quitté des yeux, allant jusqu’à crier et gesticuler pour leur faire peur. Ceux-là nous ont suivi longtemps aussi. Je vous laisse imaginer le burlesque sur un bon kilomètres de large, entre les fuyards qui beuglaient notre arrivée, et les moutons hardis qui nous poursuivaient, on faisait un drôle de convoi.

On a su qu’on ne pourrait pas faire la totalité lorsque nous sommes arrivés à la première intersection. Cette partie du plan, qui représentait une fraction du dessin (pourri) du livre de rando, nous avait pris 45 minutes d’un bon pas, une bonne louchée de nos volontés, et pire encore, ne nous avait donné aucun lac. Alors, quoi faire d’autre ? Nous continuons encore un peu, histoire de voir si on ne peut pas déboucher sur la berge à l’improviste (peut-être est-ce le Lough Caché ? Il y a bien le Lough Maskey)… Dix minutes plus tard, nous sommes dépassés en trombe par le paysan du coin, qui nous regarde du même air suspicieux que ses béliers, avant d’arriver à une autre intersection. La bande goudronnée nous laisse l’occasion de nous engager sur un petit chemin de randonnée, qui monte se perdre entre deux des montagnes locales. 

Nous décidons de monter y faire un tour, ne serait-ce que parce que (et comme dirait Obélix) « il doit y avoir une belle vue, de là-haut ». Sauf que le chemin passe entre deux grilles de fer forgé, usées par les ans. La rouille a depuis longtemps remplacé la peinture, et les gonds sont de travers. C’est une porte qui ne protège rien, un passage dans un océan de nature, une entrée sur un royaume vide. Et au milieu de ce tableau, ciel sombre chargé de pluie, végétation cramée et sapins austères, une seule inscription en lettres de fer, sur cette grille menaçante. Comme une incantation, comme un mot interdit, un portail surnaturel…


« M.A.M.E.A.N »

lundi 23 juin 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 26

Episode 26: Stone, le monde est Roundstone

Ce soir, on ne pourra pas dire que nous tournons dans la ville durant vingt minutes pour trouver un bar qui nous convienne. Non, cette fois c’est assez clair, il n’est que dix-huit heures alors nous voulons boire un coup avant d’avoir à se chercher quelque chose à manger. Surprise d’ailleurs en descendant la rue principale (astuce, c’est la seule qui traverse tout le village), il n’y a qu’un pub à l’horizon. Mais tout de même quelques restaurants qui se profilent le long de la rue, il y aura quand même un débat après l’apéritif. Donc nous voici au Shamrock (hohoho quelle originalité les gars), à l’intérieur pour ne pas souffrir du petit vent, car les filles n’ont pas pris leur pulls (en bons machos les mecs n’en ont pas besoin).

Lorsque l’on pousse la porte de ce pub un peu poussiéreux et à l’ancienne, on est surpris d’y retrouver toute l’âme du Connemara. Les bois apparents sont peints de noir et laqués, il y a beaucoup de tabourets pour peu de tables, et au fond trône une grande table de billard, une télévision et un jeu de fléchettes officiel. La vraie signature est au plafond, véritable mosaïque de drapeaux des comtés d’Irlande (et d’ailleurs, puisque l’Ecosse est là aussi, ils ne sont pas racistes). Il y fait un peu sombre aussi, dans ce pub, mais on est éclairé par les sourires des clients qui sont nombreux et parfois dans des conversations animées. Et nous, ou pouvons-nous nous greffer dans ce tableau ? Eh bien figurez-vous qu’il reste une place au coin, sur une table pas bien large mais qui nous offre la vue sur le petit port par la fenêtre aux verres épais projetant une image distordue. Et la décoration locale : une petite lampe marine, une maquette de voilier, une vieille lampe à huile, et de la corde (du bout’ comme ils disent).

Guinness, pour commencer. Voilà, la messe est dite. La religion d’abord, le cidre ensuite. Nous buvons avec avidité, non sans remarquer que le pub dispose aussi d’une petite carte de restauration pour le diner. La tenancière, lorsqu’elle ne se fait pas draguer sur son transat au soleil juste devant la porte du pub, passe régulièrement nous voir, et c’est fort sympathique. Nous jouons quelques parties de Skull and Roses, et parvenons à ébrécher un peu la domination sans partage de Marie (qui joue mieux quand les autres ont bu, c’est clair à présent). On se retient de prendre une seconde tournée une fois les fonds de verre en vue : nous voulons nous préserver un peu pour le repas à venir. Même si Michel nous expose sa théorie (qu’il n’a quand même pas pu inventer tout seul) des sept marques de mousse censées se retrouver lors d’une dégustation parfaite de la Guinness. Car oui cette dernière adhère au verre, et fait des traits plus au moins horizontaux. Mais soit nous l’avons raté au Musée, soit c’est un folklore que j’ignore : dans les deux cas, sur nos verres le compte n’y est pas, il faudra faire d’autres essais.

Le temps passe doucement, alors que nous revivons notre journée (les buissons s’estompent sur mon champ de vision pour laisser la place à un flou Guinness caractéristique). Mais finalement nous quittons nos places en or pour jouer notre va-tout et trouver rapidement un restaurant. On en a déjà repéré un, d’ailleurs. Problème lorsque nous sommes devant, la démotivation nous gagne. C’est un peu le genre à écrire « concassé de graines dans leur écrin naturel » pour décrire de la moutarde. Et puis le décor n’est pas très typique, il y a déjà l’équivalent d’un car de vieux qui occupe la place… Peut-être que tout simplement que le premier choix n’est jamais le bon, dans ce voyage, concernant la restauration. Mais alors que faire ? Continuer notre visite de Roundstone ? Nous descendons un peu vers le port, pour constater qu’il n’y a ni plus de restauration, ni plus d’envies. A peine esquissons-nous quelques photos, repérons une supérette pour nos paniers repas du lendemain…

Avant de revenir au Shamrock. Oui, oui, je sais, originalité quand tu nous tiens. Mais pourquoi chercher à faire compliqué lorsque nous avons la table parfaite ? La patronne nous voit revenir avec un petit sourire, et prend immédiatement nos commandes. De la Guinness, donc, et du cidre cette fois. Ah et puis oui, pour manger ! Eh bien nous explorons la petite carte et nous répartissons les plats. Michel dérogera à sa règle du tout hamburger pour prendre du poulet rôti, Julie et Marie feront le choix des calamars et moi, je prendrai le saumon (pour ne rien faire comme tout le monde). La serveuse nous vante ses scampis, mais ce sera pour le lendemain… Car oui c’est décidé, on reviendra s’asseoir précisément là demain. Toute la vie, si l’on pouvait. Roundstone, c’est le coup de cœur, le Shamrock étant l’âme du village…

A table, ça écluse sec. Après un aussi long voyage en voiture, et un soleil généreux tout au long de la journée, la bière et le cidre nous montent doucement à la tête. Comme l’on peut se sentir bien alors, à partager ces moments avec nos amis ! A jouer, et voir le regard des autochtones se perdre dans nos cartes qui ne se ressemblent pas, et qui leur paraissent mystérieuses. Lorsqu’on nous ramène des assiettes (nous hésitons sur la prochaine tournée), c’est l’heure de constater que dans la plus pure tradition des pubs irlandais, la cuisine est au gras intégral. On a les pommes de terre qui baignent, imprégnées d’huile au point de rester brulantes une bonne demi-heure. Je ne savais pas personnellement qu’on pouvait imaginer de rajouter du gras pour cuire le saumon (mais sans doute les ais-je encore sous-estimés…). Bref ici c’est relativement proche de la motte de beurre chaude. Mais ça n’enlève rien au goût, n’allez pas croire. Une fois le ventre plein, nous discutons un peu du programme de demain, qui reste une journée assez spéciale.

En effet, lors de la préparation du voyage, un consensus s’était fait pour réserver quelques journées sans programme. Demain est l’une d’elles, mais en l’absence d’office du tourisme (il y a déjà une supérette, c’est cool) on ne sait pas trop quoi faire ni où aller. Nous demanderons donc demain au B&B, ils auront sans doute de quoi nous conseiller. Lorsque nous estimons qu’il est l’heure (huit heures vingt, si je me souviens bien), nous nous levons pour aller écouter le grand concert de Live Music celtique prévu ce soir à la salle des fêtes de Roundstone. Il n’y a pas loin à marcher, et au son qui nous parvient, c’est déjà démarré (et ça les gars, c’est pas glop). Seconde surprise lorsque nous arrivons en face de la salle des fêtes/de sport/de mariage/gymnase/Zénith du village, l’entrée est payante. Et pas une broutille hein, c’est quelque chose comme huit euros par tête. Pour de la musique irlandaise. Ouais. Bon, nous faisons le tour de la salle (je ne sais pas, l’espoir de trouver une entrée dérobée peut-être) et entendons deux ou trois morceaux entrainants et de bonne facture, mais cela dépasse-t-il de si loin ceux que l’on entend dans les pubs ?

Nous décidons que non, et partons du coup pour une petite balade digestive, alors que le soleil vient de se coucher sur la mer. Quelques nuages moutonnent au-dessus du bras de mer qui se prolonge devant le village. Nous poussons jusqu’à la pointe de Roundstone, un quartier un peu isolé avec une tour clocher et plusieurs maisons autour… A priori ce doit être un camp de vacances. Sauf que nous sommes en aout, et que sauf invasion de zombies dont je n’aurais pas entendu parler, l’endroit est désert. Comme Michel et moi avons un sérieux coup dans le nez, nous faisons un peu le tour en balançant les jeux de mots les plus « dignes-d’une-vanne-carambar » mais personne ne semble nous donner de l’écho. Alors, comme avec la luminosité qui baisse, l’endroit devient relativement effrayant, nous revenons en centre ville (à 100 mètres de là, si vous avez bien suivi). Nous poussons cette fois de l’autre côté de la route principale, pour tomber sur la chapelle de Roundstone. Bel édifice en pierre grise avec un clocher carré et de jolies flèches, il est posé dans un superbe parc gravillonné, au sein duquel on trouve quelques tombes de personnages illustres pour le petit village. C’est très vert, très calme, il y a une vraie ambiance spirituelle… Pas le lieu pour un concours de rots, n’est-ce pas les amis… Bref, un chat assez sauvage vient nous faire une petite visite, et captive l’attention des filles. Suffisamment pour que moi et Michel nous éclipsions « discrètement » pour tenter de les prendre en traître dans le dos et faire peur à nos femmes.

La tentative va rater, la faute à ces fichus gravillons et au chat, bien plus alerte que les deux alsaciennes qui sinon (nous n’en démordons pas) auraient sursauté comme jamais. Comme nous ne trouvons finalement pas d’activité spécifique alors que la nuit tombe dans ce jardin, nous décidons de passer de l’épiscopal à l’épique scopa. 
Et pour cela, rien de mieux que… Oui, vous aurez deviné. La troisième tournée, destination notre table favorite dans notre bar favori. Cette fois lorsqu’elle nous voit, la patronne rigole carrément, mais nous accueille toujours avec un grand sourire. Nous remarquons que demain, c’est live music… comme quoi s’il nous manquait d’un prétexte pour venir nous asseoir toute la soirée, il est bien trouvé. Pour cette nuit par contre, nous ne ferons pas durer au-delà du raisonnable : les filles nous écrasent une nouvelle fois au jeu de cartes italien. Force est donc de constater que ce n’était pas Killarney. Nous ne parvenons pas à briser leur dynamique et je deviens bougon, râlant contre les tirages (il est vrai ridiculement peu avantageux pour nous). Lorsque je commence à m’en prendre à Michel à mots couverts (ou pas), nous savons tous les quatre qu’il est temps de passer une bonne nuit de sommeil pour remettre les compteurs à zéro.


Finalement par contre, une fois au B&B, nous ne sommes pas tous dans l’ambiance pour aller se coucher. Je m’engage dans une partie de lecture, tandis que nos amis de la chambre d’à côté vont tenter d’aller photographier les étoiles avec le trépied et le réflex configuré en longue exposition. Dommage pour eux, il y aura suffisamment de nuages et de lumière portée pour annuler les effets de la mer et de cette nature à portée de main. Nouvelle chance demain ? 

vendredi 20 juin 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 25

Episode 25: Terre. Brulée. Au Vent...

Une fois dans la cour intérieure du château, ce dernier parait moins impressionnant. C’est sans doute parce que, même si l’endroit est dans un exceptionnel état de conservation, il est vide. Pas d’écuries, pas de forge, pas de four à pain. Un unique donjon dominateur, dont les pierres des Burren vont pouvoir lui assurer une extraordinaire durée de vie. Le drapeau Irlandais, qui flotte en haut de la tour, est le seul élément du tableau qui soit un peu dynamique : même la mer a l’air figée ici. Après un tour à l’extérieur des murailles (pas vraiment adapté à nos chaussures de ville, mais nous en avions envie), nous revenons doucement sur le parking. Je passe personnellement quelques minutes à observer l’état des rétroviseurs, celui de gauche ayant salement froufrouté contre un buisson à quelques kilomètres de là. Et en effet il est rayé, mais ce sont pour la plupart des traces très végétales : une bonne saucée à l’irlandaise et il n’y paraitra plus !

D’ailleurs, ça se couvre. Et nous nous dirigeons vers les nuages, qui s’amassent au-dessus de Galway. Comme la route ne progresse pas très vite, nous commençons à jouer au « Qui suis-je », un énième passe-temps consistant à deviner à quelle personnalité réelle ou fictive le maitre du jeu est en train de penser. Comme ce dernier ne peut que répondre par oui ou par non, il s’agit de trouver un personnage suffisamment atypique pour tromper les autres occupants de la voiture. Bientôt, nos arrivons à Galway, sous une pluie fine. Mais ce n’est pas ce qui m’embête le plus : passé les trois premiers rond points, nous sommes pris dans une file de voiture qui s’étire jusqu’au-delà de notre champ de vue. Oui, vous avez bien lu, nous avons eu un bouchon en Irlande. Il s’agissait en plus de rester relativement concentré, car on ne change pas facilement de voie ici, et comme je n’ai pas envie d’apprendre de nouvelles insultes en gaélique, il faut essayer de prévoir à l’avance. Pas facile avec notre GPS, mais nous finissons par y arriver.

A la sortie de la ville, c’est la frontière toute symbolique de l’entrée dans le Connemara. Oui, oui, Sardou, je sais. Mais honnêtement, ce n’est pas l’ambiance : nous profitons de nos nombreux CDs de musique traditionnelle pour évacuer l’envie de démarrer un « Terre. Brulée… ». A la place c’est l’Irish Rover à fond de gorge, et c’est quand même autre chose. Nous entrons dans cette région mythique en longeant un long lac qui se ramifie plus loin, en une dizaine de bras qui s’étendent entre les sommets. Et un regard sur la carte nous le confirmera, c’est bien le plus grand lac de la région. Peu à peu, au fur et à mesure que les dernières maisons de Galway sont derrière nous, les arbres cèdent la place à de grandes étendues de ces hautes herbes vertes et brunes qui poussent dans la tourbe et qui ont fait la renommée de la région. Nous laissons les nuages derrière nous progressivement, et entrons dans le vif du sujet avec de véritables petites chaines de montagne qui s’élèvent de droite et de gauche.

Nous débouchons ainsi dans une sorte de vallée glacière, au centre de laquelle coule une large rivière, qui semble relier quelques bosquets de sapins au milieu de ce paysage sauvage et presque désertique. Le relief est pelé, il n’y a aucune plante plus haute qu’un buisson sur ces collines aux pentes aigües. C’est si beau, que je demande régulièrement à Marie et Julie de prendre des photos, ce qu’elles font de bonne grâce, même si ce n’est pas aussi facile depuis les places arrière. Il faut dire qu’en tant que conducteur, il est facile pour moi d’avoir une vue panoramique… J’en prends plein les yeux ! Et puis ici, une grande première depuis le début du voyage, il est en fait réellement possible de rouler à 100 km/h. Difficile donc de retenir les chevaux alors que l’on passe dans des vallées aussi extraordinaires. Partout où se pose mon regard, c’est le complexe d’Obélix : « Il doit y avoir une belle vue, de là-haut ! ». Et c’est sans doute vrai.

Le Connemara, c’est assez désert dans son genre. Il n’y a pour ainsi dire pas de village ailleurs que sur le bord de mer (et encore, c’est discret). Du coup, sortis de la banlieue de Galway, nous avons une paix royale sur des dizaines de kilomètres : tout au plus quelques fermes qui sont présentes, deux ou trois chapelles situées sur le bord de la route, et une auberge ou deux qui accueillent ceux qui se sont aventurés trop tard le soir pour rentrer à l’heure. Tout parait plus grand ici… Sauf la signalisation, bien sûr. A force de rouler à bonne vitesse sur l’unique « grand axe » de la région, j’ai failli en oublier qu’il faudrait sortir pour rouler vers Roundstone, où nous avons réservé notre prochain B&B. Là par contre, on retrouve une route minuscule (merci quand même au GPS de nous avoir indiqué la sortie), et je manque deux fois en deux minutes de me payer un mouton sur le capot. Nous passons sur de petits ponts de pierre, traversons des cours d’eau que l’on devine poissonneux (rappelons qu’ici, c’est la patrie du saumon, hein).

Je m’énerve doucement derrière un imbécile qui doit être en train de somnoler au volant, et qui m’empêche de profiter de cet instant parfait ou la conduite s’allie au paysage pour en faire une immersion extraordinaire. Comment peut-il être possible d’ignorer l’appel de ces virages goudronnés, de ces petites bosses jouissives, de ces petites côtes subites qui obligent à rétrograder ? Bref, la journée à conduire finit par me fatiguer au point que je râle contre ce pauvre type qui n’avait sans doute d’autre but que d’arriver chez lui sans se stresser. Et puis d’un coup, nous arrivons sur le front de mer. On croit tout d’abord à un énième lac gigantesque, avant de comprendre que les vaguelettes qui se perdent sur l’horizon n’ont d’autre origine que l’Océan lui-même. Alors que nous arrivons vers notre petit village, nous longeons l’eau, et c’est une vision absolument sublime. Comme d’habitude. Et comme d’habitude, il ne manque qu’une chose pour la petite touche finale : des baleines. Nous scrutons, juste au cas où.

Après quelques virages le long de l’eau, nous arrivons en vue de Roundstone. Ah, Roundstone… Le coup de cœur, immédiat et intégral. Un petit patelin niché au bord de l’eau, abritant une crique et son minuscule port de pêche le long d’un grand fjord. Il n’y a rien ici sinon une poignée d’habitants qui se répartissent entre les pêcheurs, les trois-quatre commerçants et les quelques fermiers qui ont de grosses granges à flanc de colline. Et pourtant, la beauté du lieu attire : c’est tout sauf calme à l’heure où nous arrivons. Tout d’abord, nous croirons à une fête importante, trompés par les fanions étendus d’une façade blanche à l’autre au-dessus de la départementale. Mais il semble que ce soit juste le concert du soir qui rende le village très animé.

Comme vous l’avez sans doute imaginé, un tel village de charme n’est guère conçu pour abriter des centaines de places de parking. Il faudra donc se faufiler sans arrêt pour ranger le Quashqaï le long de la rue principale (je ferai quatre aller-retour pour voir si ce n’est pas payant, car je suis méfiant jusqu’au bout). Comme nous avons vite repéré notre B&B (c’est la seule et unique maison rose de la rue), nous prenons d’ores et déjà tous nos bagages avant de se tasser tous ensemble dans la salle du petit déjeuner qui jouxte l’entrée. Une petite dame sympathique nous sert un accueil digne du Messie (pas Lionel, l’autre). Elle nous attendait, se montre très prévenante, nous donne immédiatement les clefs, et se tient prête à répondre à toutes nos questions. 
D’ailleurs elle nous demande ce que l’on prendra au petit déjeuner, mais lorsqu’elle voit nos mines étonnées, repousse la question à plus tard. Tout juste si on a le temps de dire « café » pour les uns « thé » pour les autres qu’elle a déjà disparu dans le tout petit escalier au bout du couloir. A l’étage (ouch, pas facile de monter les valoches ici) nous héritons de deux magnifiques chambres jumelles, avec tout le confort nécessaire. Et la vue sur la mer (ainsi que sur la voiture, stratégiquement garée là dix minutes plus tard). C’est splendide de calme, de style kitch retenu (on sent bien qu’ils avaient envie de plus de fleurs sur les murs, mais se sont retenus au dernier moment : merci).

Je prendrai encore quelques minutes pour fermer les yeux et les reposer. Avec la conduite j’ai l’impression d’avoir passé trois jours sur la route et mon cerveau se remet tout juste de ne pas voir défiler des buissons sur les côtés. Nous sommes vraiment bien installés, c’est vraiment notre coup de cœur. Il fait beau, nous sommes au milieu du Connemara, et l’aventure continue ! Enfin, je ne suis pas tout à fait mécontent de profiter encore un peu de mon bouquin et d’une douche (oh le bonheur, ça valait presque l’après-randonnée). Une fois requinqués, nous décidons d’aller faire un tour de la ville et de nous dégourdir les jambes, qui sont encore un peu fatiguées avec le voyage. Mais vous connaissez le meilleur remède contre les courbatures ? Oui, madame au fond ?


La bière, c’est tout à fait ça. 

mardi 17 juin 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 24

Episode 24: Des p'tites routes, des p'tites routes...

Nous n’avons pas finalement passé plus d’une demi-heure sur ce sentier au sommet des falaises de Moher. Attention, le lieu est ahurissant de beauté. Il fait beau. Pourtant, après quelques centaines de mètres, nous nous apercevons que le point de vue n’a pas vraiment changé. Oh bien entendu, il n’y a pas les mêmes rochers qui se jettent dans la mer sous nos pieds, ni le même découpage de la côte à l’horizon. Et cela nous permet également de prendre sous tous les angles cette tour en ruines au bout du cap, de nous avancer au-dessus du vide… Mais maintenant que nous avons vu Moher, le paysage est relativement identique à plus d’une heure de marche de chaque côté.

Difficile décision, quand même. On sent bien tous les quatre que nous pourrions passer la journée sur ces chemins. Pourtant le plan est formel, il y en a pour une grosse quinzaine de kilomètres. Et même si on aurait passé un beau moment, c’eut été aussi faire une croix sur toutes les autres curiosités qui nous attendent sur la route aujourd’hui. Et le Connemara, en prime, ce n’est pas la porte à côté. Alors après avoir poussé jusqu’aux limites (encore une avancée sur la mer. Et puis encore une), nous rebroussons finalement chemin.

La voiture n’est finalement pas juste à côté ! D’ici que l’on retrouve le véhicule, nous aurons les jambes aussi chaudes qu’un jour de randonnée. Et ce ne sont pas les seules parties du corps qui réclament soulagement. Julie regarde depuis plusieurs minutes d’un air inquiet tout autour d’elle, mais le sommet de la falaise ne présente pas de relief, des champs à perte de vue, de petits murets d’un pied de haut et des chutes sur la mer de plusieurs centaines de mètres… Pas de quoi se cacher les trente secondes nécessaires pour se soulager, sauf… Bon, elle cherchera d’autres solutions jusqu’au dernier moment, pour se résoudre à se cacher derrière un tas de fumier faisant facilement la taille d’une maison de campagne. Rien de plus approprié finalement qu’un gigantesque tas de m…

Nous roulons sur cette minuscule route qui nous a permis d’accéder aux falaises, lorsque notre décision est prise. Cette après-midi, nous allons parcourir la route côtière. Ca n’a pas l’air d’une grande aventure comme ça, mais je ne sais pas s’il s’agit seulement d’une route « B » : une simple bande de goudron cernée de hautes herbes et serpentant à l’infini à côté de la mer, de rochers gigantesques et de villages pittoresques. Et puis les animaux ne sont pas absents : même si ici comme ailleurs les panneaux « 100 » fleurissent, les moutons sont présents et toujours à l’affut dans les virages sans visibilité.

Avouons-le, la crainte ce n’est pas vraiment l’animal, c’est le bus. Oui, le bus de touristes, qui a eu envie d’une approche originale pour venir se garer au visitor’s center de Moher, celui qui a suivi le trajet le plus direct sur son GPS, ou tout simplement celui qui a voulu rendre malade les amateurs de virages…  Il faut être vigilant, et c’est super. Pas de risque d’ennui de toute l’après-midi, même si notre moyenne de vitesse ne frôlera même pas le 50 à l’heure. Parce qu’en plus de gérer parfois des dénivelés scabreux dans des portions sans visibilité, le paysage est tout simplement magnifique. Alors on ralentit, on ouvre les fenêtres, on s’imprègne de l’air marin et de l’ambiance locale. C’est cela ma version toute personnelle du farniente à l’Irlandaise : une voiture, la bande de goudron qui se perd dans les rochers du bord de mer, et le ciel qui moutonne vers l’horizon qui laisse deviner les fameuses îles d’Arran (et non Harengs).

Après une heure de route, il y a de moins en moins d’arbres et de plus en plus de roches, d’un gris clair presque bleuté. De véritables champs de cailloux bordent la route, tandis que des collines de pierre bordent la route vers l’intérieur des terres. Après un, puis deux croisements, le paysage ne se compose presque plus que de grandes veines de cette roche dure, au relief torturé. De grosses roches qui ont la même forme (rides comprises) que des abricots secs sont éparpillées là par une nature capricieuse. Nous arrivons dans les Burren. L’Irlande est bourrée de coins géologiquement uniques… Les Burren en font décidément partie. Ce sont une centaine de kilomètres carrés de roches crevassées, de grandes tables d’un basalte dur et cassant, de crevasses au sein desquelles les moutons viennent croquer les moindres brins d’herbe. D’ailleurs, ce doit être l’unique produit du coin, le mouton. Impossible de cultiver quoi que ce soit ici. C’est splendide, l’endroit idéal j’imagine pour marcher en talons. D’ailleurs certaines roches ont l’air si aiguisées que je ne m’y risquerai pas avec les chaussures de marche : de vrais rasoirs affleurant.

Une fois au cœur de ce royaume immobile, nous nous arrêtons sur un minuscule parking au bord de la route. Comme nous, quelques touristes s’émerveillent devant la beauté et l’aridité subite de ce paysage de pierre. C’est comme si les dragons des légendes étaient tous venus habiter ici, laissant derrière eux des collines vitrifiées. Je ne sais pas s’il s’agit de roche volcanique, je sais juste qu’à part la route, la région entière ne semble être qu’une seule table de roche brisée et écartelée des millions de fois. L’arrêt est plaisant, car Michel et moi tentons tour à tour de capturer au Reflex l’ambiance singulière de ce lieu à la fois éteint et resplendissant. Une brise marine s’est mise à souffler, et de gros nuages s’étalent à l’horizon, mais ils ne nous concernent pas encore. Nous profitons, à courir sur ces pierres plates et passer sur ces crevasses étroites, photographier les chardons qui poussent ici ou faire une perspective avec la mer.

La suite de la route serpente dans de sinueux virages qui suivent le bord de mer. On se laisse facilement bercer entre ces collines faites d’une seule roche brisée et la mer qui moutonne là, sur notre gauche. Le rythme est clairement vacancier, même si ça ne m’empêche pas d’accélérer dans les virages. La route s’agrandit peu à peu, jusqu’à pouvoir accueillir à nouveau les voitures dans les deux sens sans avoir à réciter deux « Ave Maria » et à voir sa vie défiler devant ses yeux. Puis ce sont les bus, qui nous signalent que nous sommes revenus à la civilisation. Quelques villages s’alignent le long du bord de mer, paisibles cocons de maisons grises qui semblent ne vivre que pour la pêche et le repos, le bien-vivre et la solitude un peu glacée que dégage la région.

Les arbres refont tout de même doucement leur apparition. Non pas en forêts, mais en bosquets serrés à l’abri du vent, en bordure des quelques champs qui s’acharnent à vouloir produire autre chose que du fourrage. Sur la banquette arrière, c’est la sieste. La conjugaison de nos journées longues à souhait, du soleil et de la quantité phénoménale de souvenirs que nous tentons de garder en mémoire. Nous n’en sommes plus pourtant aux premiers jours, mais cette vaçon de voyager sans s’attarder fait que tout nous semble exotique, rien n’est à jeter. Jamais nous ne serons blasés de passer dans les villages de pêcheurs, jamais nous ne manquerons de dire « tiens il est beau ce pub ». Pas de monotonie, et des paysages…

Je m’égare ? C’est sans doute que je dors aussi. Avec une route plus fréquentée, c’est aussi le retour de ceux pour qui la route ne peut se concevoir au-dessus d’un bon vieux 70km/h. Donc je lutte. Je cherche les éléments de paysage, je regarde mes compteurs, les rétros, ma femme qui a déjà fermé les yeux… Pour au final ne plus vraiment tenir non plus. Il faut faire une petite pause supplémentaire. C’est le trou de quatre heures, l’heure de boire et de faire une petite césure dans cette conduite exigeante. Alors quoi ? Vous pensiez que j’allais juste m’arrêter comme ça, en bord de route ? C’est mal me connaître. Et la région aussi. Toujours un château en embuscade. Au prochain panneau donc, je m’arrête, sans même avoir jeté un œil aux fortifications qui s’élèvent à deux cent mètres de là. Le parking est large, et je m’arrête dans un mouvement réflexe, avant de m’endormir, les clefs en main.

Dix minutes de « power nap ». Pas vraiment le temps de s’endormir profondément, mais suffisamment tout de même pour que mes muscles se détendent, que mon esprit puisse concevoir autre chose qu’une route qui zigzague en tentant de maintenir la ligne blanche à ma droite. Les autres en profitent pour tenter de faire les potaches. Malheureusement pour Marie, j’ouvre les yeux au moment précis où elle tente d’exécuter son forfait (dont je ne connaitrai jamais la substance). Elle a l’air coupable, rit nerveusement, s’excuse puis retourne à l’extérieur. Il est temps d’aller le voir, ce fameux nouveau château.

Dunguaire Castle. C’est ce que dit le panneau. Avec les yeux toujours un peu embrumés par la fatigue, il s’agit là d’une splendide apparition. Posé sur une presqu’île au fond d’un bras de mer calme qui mène presque jusqu’à Galway, le Dunguaire Castle dégage une impression de puissance calme, embrassant de son unique donjon toute cette région de lochs et de petites collines boisées. Et puis, on ne peut pas dire qu’ici, on croule sous les assauts des touristes. A part un couple en train de partir par la porte principale, il n’y a absolument personne. Dommage, nous n’apprendrons que plus tard qu’ici, la vie se révèle en soirée : tout l’été, des repas médiévaux sont servis en costume, en grande ambiance et des spectacles de théâtre sont joués durant la soirée. Voilà, ça c’est pour vous dire ce qu’on a raté.

Ce qu’on a vu, nous, c’est une perle médiévale, qui monte la garde depuis des centaines d’années devant un petit village illuminé, dont nous prendrons le temps de faire le tour en s’imprégnant bien de la beauté immuable du lieu. 

dimanche 15 juin 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 23

Bien entendu, nous sommes un peu les bras ballants devant le front de mer. A notre droite, la côte gagne quelques reliefs que l’on devine de plus en plus hauts à mesure qu’ils se rapprochent du cap et des falaises de Moher. Cependant, et même si on se pose la question, je ne pense pas qu’il eut été possible de suivre le bord de mer plus d’une heure. On se serait épuisés, et en vain. Alors quoi ? Revenir à la voiture ? Oui, peut-être, mais pour aller où… Sans informations supplémentaires, nous sommes bons pour le visitor’s center et ses grappes de touristes qui se marchent dessus. Je suis un peu en retrait par rapport à mes compagnons, aussi je suis le premier à voir un type sortir de chez lui, monter dans son petit 4x4 rouge, et se préparer à partir.

Vous vous souvenez de tout ce que je vous ai raconté sur l’amitié naturelle de l’irlandais ? C’est tout ce que j’avais en tête en allant voir ce sympathique cinquantenaire, un peu bedonnant, assis avec son béret dans sa caisse pétaradante. Et devinez quoi ? Ca a marché encore mieux que tout ce que j’espérais. Déjà, je lui ai expliqué notre situation en quelques mots et premier bon point, il a compris ce que je disais (engliche pohouer, ow yeah). Enfin, sur le coup, ce n’était pas aussi clair que ça. Le type me fait un grand sourire, et puis il se penche, et m’ouvre la portière côté passager en me disant de monter. C’est là que vous reviennent tous les avertissements de votre famille durant les quinze premières années de votre vie. Ne jamais monter avec un inconnu. Ne jamais accepter ce qu’ils vous proposent. Mais bon ça, ça ne doit pas être enseigné pareil en Irlande. Chez eux, c’est sans doute « si un type te propose de monter dans sa caisse, c’est qu’il veut t’aider, garçon ».

Donc je monte. Le bonhomme se présente, il s’appelle Roger, ou George (bref un nom bien local) et il me prévient tout de suite qu’il ne veut pas me kidnapper, en s’esclaffant devant ma mine un peu ahurie. Il va m’expliquer comment trouver le chemin, et il voudrait vraiment me montrer un truc qui se trouve juste à une centaine de mètres. Soit. Mais quand même, la situation le fait bien rigoler alors pour pousser le vice, il parcours vingt mètres jusqu’à se retrouver à hauteur de Julie, Marie et Michel qui me regardent attentivement. Arrivé là, il baisse sa vitre, et leur balance un grand « It’s ok, I’m kidnapping your friend ! », repart dans un grand rire et met les gaz. J’avoue, rien qu’à voir leur tête moi aussi je me suis vraiment marré. 
Peut-être plus encore à la tête de Julie, qui me regardait comme si elle me voyait pour la dernière fois.

Mais mon irlandais tiendra parole, et nous rendra un superbe service. En effet, après deux cent mètres le long de ce muret qui surplombe la mer descendante et les quelques bancs de sables parsemés de pierre noire et de varech vert foncé, il s'arrête. Et me pointe le sol. Nom de nom, heureusement qu’il m’a emmené pour me montrer, sinon je n’aurais jamais trouvé. Il se trouve que nous sommes sur le chemin de randonnée côtier. Oui, vraiment. Sauf que là, on est plutôt loin des falaises. Donc il faut suivre la signalisation des chemins de grande randonnée. Et cette dernière, que nous aurions toujours pu chercher façon club vosgien sur des panneaux, est disponible sur de minuscules piquets de bois fichés dans le sol, sur lesquels on voit un rond jaune, usé par les vents salés et les années. Il aurait suffi d’un pissenlit devant pour qu’il soit totalement invisible.

Après un demi-tour soigné, Georges (ou Roger) me ramène à mes camarades soulagés, en m’expliquant comment rejoindre un petit parking avant les falaises, le long de cette route de randonnée, sur lequel il ne nous sera demandé que la somme que nous serons prêts à donner. J’aime l’esprit. Personnellement je suis encore un peu soufflé devant la sympathie de ce fermier qui aura profité d’une rencontre avec un touriste pour se payer cinq minutes de rigolade sous le soleil d’une journée de la mi-août. Je le remercierais de tout mon cœur, avant de raconter mon aventure aux autres. Et nous quittons donc ce paysage de fermes nichées au bord de la mer, sous cette colline verte et le ciel bleu, pour retourner à notre Quashqaï. Au retour, le lieu semble encore plus idyllique, puisqu’on sait maintenant que le plus bel élément de paysage, c’est l’habitant du coin.

Comme nous sommes dans l’ambiance, je décide de conduire avec mes chaussures de marches, car en suivant les indications ça n’avait pas l’air si loin… Mais quand même, les démarrages en côte avec ce genre de godasses « zéro sensation je suis pas sûr de toucher les pédales », c’est tout de suite plus sportif. La voiture remonte sur la route et, armés de notre nouvelle vigilance pour les ronds jaunes sur des piquets minuscules et des indications, nous trouvons sans aucun problème. Nous voici roulant sur cette colline, d’un vert surréaliste, d’où la pointe est du cap se dessine devant nous. Après quelques virages supplémentaires et un ancien garage qui fait apparemment une impressionnante collection de pneus (après débat, c’est l’un des objets absolument incontournables à collectionner), nous arrivons dans le jardin d’une grande maison. Il y a plusieurs autres véhicules, et effectivement nous sommes libres de payer ce que bon nous chante. La vue est splendide, et même le propriétaire, allongé dans un transat sur un carré d’herbe libre, profite d’un bain de soleil.

Cette fois, c’est la bonne ! Il fait un écrasant soleil, qui nous donne envie de courir dans les champs en faisant des roulades (quoi ? Nous ne sommes pas chez les Ingalls ? dommage). Nous ne nous étions pas trompé outre mesure en pronostiquant que ce chemin ne serait pas aussi touristique que celui du Visitor’s Center : sur tout l’horizon qui s’offre à nous (pas un arbre en vue sur des kilomètres de falaises dont on ne voit pas le bord), seuls quelques couples et de rares marcheurs ont fait le déplacement. Peu à peu, nous nous rapprochons des falaises, en traversant de grands pâturages délimités par de hautes barrières qu’il faut escalader. On ne peut que deviner l’issue du chemin, jusqu’à ce qu’à un moment donné, le paysage tout entier s’ouvre comme la première page d’un roman. C’est démesuré. Plus d’une centaine de mètres nous séparent de l’océan calme, dans lequel viennent plonger les pieds de ces falaises vertigineuses. Les plaques d’herbe verte sont accrochées jusqu’au bord, parfois dans des équilibres qui défient la gravité. La césure avec l’océan est brusque, angulaire, teintée d’ombres abruptes qui s’évanouissent dans le bleu profond de l’eau mouchetée d’écume.

Quelle claque ! Une tour en ruines (ancien phare, poste d’observation ou lubie moyenâgeuse, nous ne saurons jamais) monte la garde devant le cap, au bout de cette allée de plusieurs kilomètres de roches qui s’élèvent contre la mer infinie. C’est un peu le point de ralliement du coin, car d’ici nous avons une vue proprement époustouflante, en étant plus avancés sur lamer que le reste des falaises. Il y a une sensation de calme, de nature toute puissante qui se dégage du lieu. Que sommes-nous de petites fourmis à déambuler sur de telles formations. Comme nous pouvons paraitre insignifiants à côté de pareilles merveilles de la nature ! Nous avons l’impression d’observer un champ de bataille, le lever de rideau d’une guerre improbable entre terre et roches et racines contre l’Océan.

Quelle claque. Lunettes de soleil au nez, nous ne pouvons pas arrêter de répéter à quel point le paysage est d’une insaisissable beauté. De prendre des clichés non plus, vous imaginez. Rapprochés du précipice, nous prenons les perspectives que nous offre la nature de ces hauteurs improbables. Une brise puissante passe par ce ressaut sur la mer, tandis qu’à hauteur d’eau les quelques vagues de marée témoignent d’un calme presque immobile. Nous sommes décoiffés, désarmés, il faut s’asseoir un moment pour profiter de tout cela. Et quitte à s’asseoir, autant prendre le déjeuner, non ? Il est treize heures bien sonnées. D’ailleurs, assis sur une bande d’herbe plus haute que les autres, nous allons lancer un mouvement parmi les quelques touristes qui prennent le soleil au pied des ruines.


C’est un moment inoubliable. Nous quatre assis devant l’immensité, le pain et le jambon à la main, contemplant le chef d’œuvre de l’architecture locale : une nature puissante et inaltérable. En effet ici, point de barrières, d’interdictions à tout bout de champ, d’obligations de tenir tout un chacun en laisse ou à portée de main. Vous êtes responsables. Quelques panneaux dont la présence montre qu’il y a eu des précédents nous informent qu’à trop s’approcher du précipice, il y a risque de chute. Et même si cette dernière doit être aussi extraordinaire que le paysage qui nous entoure, il n’y a sans doute pas grand monde pour en parler. Quelques familles passent aussi, accompagnés de leurs enfants parlant un fort français (argh) teinté de l’inévitable accent touriste. Ils passent, comme les quelques nuages qui parsèment le ciel bleu pur, indispensables éléments de ce tableau. Heureusement qu’ils sont là, pour nous rappeler un peu à la réalité, sans quoi nous nous serions peut-être perdus dans l’immensité des falaises de Moher. A présent bien réveillés, nous prenons nos dernières bouchées, nos dernières tomates gorgées de jus, avant de sangler à nouveau les sacs à dos, et de repartir. Un chemin serpente au sommet de ces promontoires sombres et suit la courbe perturbée du littoral. C’est comme une invitation, comme une main tendue. 
Viens, et marchons à la frontière de ces mondes. 

Eh ben on arrive, laisse nous juste le temps de remettre de la crème solaire. 

mercredi 11 juin 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 22

Episode 22: To the North!

Ce matin, il aura fallu se lever quelques minutes plus tôt, histoire de boucler à nouveau les valises en prévision de notre départ : après deux nuits passées dans notre B&B de Killarney, nous partons dans la matinée pour le Connemara. Je suis heureux de n’avoir qu’un petit mal de crâne, car conduire toute la journée avec la gueule de bois m’aurais fichu sur la touche pour longtemps. Mais d’abord, un bon bol de gras, et quelques tartines de café (ou l’inverse, je ne sais plus trop). Arrivés à table avec Julie, nous décidons d’attendre nos amis pour commander… Michel et Marie, qui vont nous faire une petite frayeur en ne descendant que cinq ou six minutes plus tard. Apparemment, le réveil a été violent dans plus d’une chambre. Même s’il n’est encore que huit heures quarante. Et que nous sommes les premiers à pouvoir commander. 

Seule Julie ne trouvera pas le courage de se décider pour un full Irish Breakfast. Pour ce qui est de nous autres, nous avons chacun notre variante. Marie ne prendra pas d’œufs, Michel les aura frits et moi brouillés. Parce que oui, il y a de l’œuf. Et du bacon grillé. Et des saucisses frites. Et du boudin à l’avoine. Et même la tomate servie avec, sensée faire office de bonne conscience au milieu de ce menu « lipides et artères bouchées », a apparemment été cuite dans le gras. Une minute de silence a été requise pour nos filtres intestinaux. La sensation est indescriptible, mais sachez juste que les ingrédients sont extraordinaires, que le goût est incomparable, que l’on a plus faim directement après, mais qu’on se sent sale. Personnellement, j’avais l’impression de transpirer de l’huile. Mais enfin, la journée contiendra sans doute de quoi utiliser cette considérable portion de réserves, non ? Au cas où (on ne sait jamais), nous terminons cette petite orgie avec des toasts généreusement tartinés de confiture (elle n’est pas frite). Mais quand même lorsque l’on retourne dans les chambres, on en est à se demander si on n’a pas un tout petit peu trop mangé. A neuf heures du matin. On n’a même pas encore eu nos frites de la journée !

Avant de prendre sérieusement la route, nous faisons à nouveau un arrêt au supermarché, pour que les filles puissent sortir nous acheter de quoi constituer notre repas de midi (clairement, il faut de l’imagination pour se croire capable de manger quoi que ce soit de plus aujourd’hui). Puis nous prenons la route vers le nord et les falaises de Moher. La route commence de façon un peu chaotique, car c’est à nouveau le parcours du combattant sur des deux voies minuscules… Et il y a du monde en face. Il faut dépasser aussi, car les traînards sont légion ce matin. C’est plus technique que lors de notre arrivée depuis Dublin, il faut vraiment être concentré en permanence. On ne va pas se mentir, j’ai tâté du buisson plus d’une fois (en serrant les dents et les fesses), la faute à la largeur de la route pas toujours adaptée. Lors d’un croisement, j’ai littéralement senti le camion en face frôler mon rétroviseur. A force, on se met même à douter de la sécurité globale : j’ai beau me répéter « ça passe, ça passe » je ne sais plus si c’est absolument vrai.

Malheureusement, nous ne pourrons pas rejoindre une autoroute digne de ce nom avant Limerick, la grande ville du coin. Le centre-ville est censé être magnifique, mais nous avons dans un débat animé avant le départ, décidé que nous n’aurions pas le temps pour un arrêt là-bas. C’est que, pour arriver à Moher depuis Killarney, il faut contourner un énorme bras de mer. Mais enfin c’est vrai que dans certaines portions, la petite route sinueuse est assez jouissive (« 100 ! ») et réserve quelques paysages très sympathiques entre deux haies de cet épais bocage.

Lorsque nous rejoignons l’autoroute, la plupart d’entre nous n’avons qu’une seule envie, c’est de nous soulager. Il faudra pourtant attendre, il n’y a pas vraiment d’aire de repos dans la zone. Nous repérons quand même un château, qui a défaut d’une visite, proposera bien quelques commodités, non ? Le Bunratty Castle nous attend à moins de cinq minutes de la quatre-voies. Constitué pour ainsi dire d’un seul donjon massif, il domine cette région de plaines et d’embouchures, juste à côté d’une large rivière. A chacun des quatre angles droits de ce haut château, les fortifications sont bien visibles. Et si la base est creusée d’arches et de hautes fenêtres, il ne faut pas s’y tromper, je n’aurais pas voulu être du côté des assaillants. D’ailleurs il n’a jamais été attaqué.

Nous arrivons sur un gigantesque parking, qui nous met immédiatement la puce à l’oreille. Il y en a pour des centaines de mètres, et plusieurs bus sont déjà alignés sur leurs places respectives. Tout ça pour un (beau, certes) château ? En fait, c’est un peu plus intéressant. Le Bunratty Castle abrite sur son terrain un écomusée permettant de remonter l’Irlande à travers les âges et les professions de ses figures historiques. Pour être franc, ce n’était pas donné, mais si nous avions eu deux ou trois heures de rab’ (pas avant une bonne semaine, donc) j’aurais fait le forcing pour que l’on effectue la visite : ça avait l’air absolument passionnant ! Mieux encore, la boutique de souvenirs juste à côté de l’entrée dispose de toutes les commodités nécessaires pour que nous soyons des touristes détendus. Nous saurons cette fois résister aux appels de la boutique, et saurons repartir sans sac-mouton supplémentaire, sans objet en forme de trèfle et même sans « l’instrument-décoré-de-la-branleuse ».

Afin de profiter tout de même un peu de la vue du corps principal du Bunratty, nous remontons le long parking et allons faire des photos de l’autre côté, appuyés sur le pont de pierre que gardait déjà quelques siècles plus tôt le gros donjon. Malheureusement, nous ne trouverons pas le courage de nous attarder dans le coin : juste à côté des hauts murs, une odeur de vomi insoutenable nous force à reculer pour revenir à la voiture. Marie a le cœur au bord des lèvres, aussi nous prendrons le temps de profiter quelques minutes supplémentaires de l’ombre dispensée par les grands chênes du parking. La météo est au beau fixe, nous avons vraiment de la chance.

Lorsque nous repartons, je joue la sécurité en choisissant de prendre de l’essence alors que la jauge est juste passée sous la moitié… Mais bon, les prochaines zones risquent d’être très reculées (le Connemara dans mon esprit, c’est un peu le désert en plus vert), donc prenons de l’essence. Je suis presque déçu que le service ne soit pas « à l’écossaise », c’est-à-dire servi directement par un pompiste. Ici c’est comme chez nous. En plus cher, quoi.

Une fois sur la route à nouveau, nous savons que notre prochain arrêt n’aura lieu qu’aux falaises de Moher. Enfin, presque, quoi. Nous savons que nous n’avons pas envie de nous garer au milieu des dix mille touristes qu’accueille la zone (oui pour le coup, ici c’est très touristique), sur un parking qui fait payer six euros par tête (même pas par voiture). L’idée même de devoir payer pour un accès à la nature me révulse au plus haut point. Et heureusement, mes camarades pensent pareil, donc nous cherchons l’accès piéton au chemin côtier qui s’approche des falaises par un cap, à l’ouest. Quand je vous dis ça, c’est à peu près aussi clair pour notre plan sur place. Le GPS fait semblant de ne pas connaître les falaises (hors parking officiel), donc il ne sera pas d’une grande aide. Tout de même, lorsque nous arrivons dans le dernier patelin avant l’avancée sur la mer qui fait plusieurs kilomètres de large, j’impose un point carte.

Michel, comme les autres occupants, ne sait pas trop. On devrait s’approcher, c’est sûr, tout en restant le plus possible le long de la mer mais sans aller trop proche, sous peine de devoir très souvent faire demi-tour. Dans l’expectative, nous finissons par nous dire que le principe du sentier côtier, c’est de rester précisément le long de l’eau. Dans les faubourgs de ce village (en gros, des maisons secondaires, accrochées les unes après les autres sur de petites pentes entre les champs de blé), nous prenons donc le cap, au jugé, pour nous rapprocher le plus possible du cap. Lorsqu’enfin on estime qu’il ne reste plus que quatre possibilités.
a. Nous avons trouvé au pif
b. Nous ne sommes pas du tout au bon endroit
c. C’est un guet-apens et nous allons nous faire kidnapper par un fermier
d. La réponse d

En tout cas, j’ai trouvé où garer notre encombrant SUV sur ces routes d’un cheval de large. Sous un soleil de plomb (non, franchement, ça tape) nous nous équipons pour notre randonnée autour du cap, en direction des falaises. Comme on voit le bord de mer, à quelques centaines de mètres de là, et qu’il n’est pas forcément très abrupt, je commence à avoir des doutes. Malheureusement je n’aurais pas le temps de les exprimer. Ma vessie fait des siennes, il faudra que je laisse de l’avance à mes compagnons. Ensuite, nous longeons de grands corps de ferme, et la route s’incurve lentement vers la gauche, pour déboucher sur le front de mer. De grands rochers gris tiennent lieu et place de la plage, découpant la côte dans d’aiguisées langues de pierres, sur lesquelles de petits embruns viennent se briser. C’est beau, et une petite brise bienvenue nous apporte l’air salé du large. Quelle carte postale ! A perte de vue, la côte. Et à nos côtés, quelques maisons basses aux toits de chaume, éparpillées le long du rivage, guetteurs immobiles dans le paysage verdoyant. Splendide.


Mais pas l’ombre d’un chemin, par contre.