mardi 19 novembre 2013

Histoires d'Obéris - Prologue

Quel peuple pourrait se tourner vers l’avenir sans connaître son passé ? A l’aube d’une énième guerre entre Agodies et le Duché de Taltaïs, tandis que chacune de nos trois nations fourbit ses armes, l’histoire des peuples d’Obéris n’est connue que de rares privilégiés. Et lorsque ces derniers connaissent le passé de leur maison, la formation de leur héraldique, bien peu encore savent leurs vraies origines. Chaque jeune écuyer du continent embrasse un jour son épée en bénissant l’Orium, sans savoir que telle n’a pas toujours été la religion universelle en Obéris. Qu’une mosaïque bien différente était en place il y a plus de mille ans déjà. 

Rares sont les écrits qui parlent de l’origine même de notre calendrier, se contentant d’évoquer l’Aube des Temps, c’est-à-dire l’arrivée des peuples « modernes » via le désert du Meikhan. C’est là en réalité bien peu de notre genèse, car nombreux étaient les ethnies déjà présentes. Des tribus païennes, vénérant des dizaines de dieux et vivant dans une violence quotidienne. Voilà, pour parler crûment, qui sont la plupart de nos pères. Et l’Aube ? Qui étaient ces peuples par-delà le désert ? Pourquoi cet exode ?

Je suis Caedric, le cadet du comte de Romeni. Pour moi, alors que la sagesse tant attendue devait venir avec les années, c’est le crépuscule qui approche. Je pers le compte des journées passées alité, entouré de mes centaines, peut-être même de mes milliers d’écrits. Les parchemins tapissent la chambre qui verra la fin de mes jours. Autour de moi, le résultat d’une vie de recherche. Dès mon adolescence, j’ai supplié mon père de m’exempter de la chevalerie et de la guerre pour me consacrer à la recherche de la vérité. De nos origines. Quels sont les mots qui ont su le faire accepter, je ne le saurais jamais car la maladie l’a pris peu après, mais il n’est jamais revenu sur sa décision. 
Ainsi, alors que mes trois frères guerroyaient, liaient plus que jamais le destin de notre famille à celle du royaume d’Agodiès, je voyageais. J’ai parcouru les bibliothèques de tout le continent, amies et ennemies du royaume, avec pour seule arme les sauf-conduits royaux et ducaux de toutes les lignées influentes qui plus d’une fois sauvèrent ma tête. J’ai traversé des régions en guerre, visité des familles qui ignorent jusqu’au concept de violence. Je fus secondé dans ma mission par les Hauts Prètres, par les familles les plus nombreuses et illustres, par les descendants de souverains oubliés, ainsi même que par des branches héritières que l’on croyait éteintes. Tout était là, à portée de nos mains. Sur des pages usées, des manuscrits mités jusqu’aux enluminures, des récits de père en fils. L’histoire d’Obéris.

Une vie de recherches, et pourtant j’emporterais avec moi l’impression de n’avoir que gratté la surface de cette aventure de plus d’un millénaire qui aura porté un continent de sa plus simple origine à un présent riche, tourmenté par le progrès. Mes écrits n’ont d’autre ambition de chercher nos origines, de comprendre ceux de nos ancêtres qui ont mené leurs troupes, formatant nos paysages pour créer l’Obéris d’aujourd’hui. Pourquoi nous battons nous ? Après des siècles d’animosité autour de nos frontières, les grands clivages ne sont, pour l’Histoire dans son ensemble, que querelles stériles et jeux de pouvoirs. Je suis allé chercher aussi loin que possible pour retracer notre chemin, celui des peuples, celui de l’Aube des Temps et de la traversée du Meikhan. Et ce que j’ai découvert me passionne encore, car qui sait si l’histoire ne se répètera pas ? Serons-nous, dans un futur lointain, obligés de tout quitter pour un autre exode ?

Il existe, le long du Fleuve Blanc, à moins d’une centaines de lieues vers le nord, une oasis naturelle dans une vallée encaissée. Là-bas vit en paix et coupée du monde une petite communauté. Une vingtaine de familles cultive la terre et les dattes à l’ombre de grands palmiers qui les protègent d’une chaleur étouffante et meurtrière. Derrière les cahuttes de terre séchée des locaux, quelques moines d’un ordre aussi ancien que le nom du continent lui-même, veillent sur un ancien avant- poste. Le lieu est spartiate : trois étages aux plafonds bas, une salle d’armes transformée en lieu de prière, un four à pain et un petit cellier qu’utilise toute la communauté. 

Mais il y a aussi un sous-sol, dont j’ai juré de ne pas révéler l’entrée, et qui mène profondément sous la pierre. Les étais sont de granit, et les marches s’enfoncent vers les profondeurs que la lumière du jour n’a jamais atteinte. Un courant d’air frais et sec créé comme une respiration de la colline, et court dans une longue salle appuyée sur des voutes hors d’âge, abritant des documents plus vieux encore. Ils dorment là depuis que d’autres les y ont abrités. Certains de ces protecteurs sont d’ailleurs inhumés dans la même crypte, reposant à l’éternité avec leur histoire et la nôtre.

C’est à cet endroit que, dans une langue qui nous est étrangère, réside le passé des millions d’âmes qui peuplent tout notre continent. Notre histoire à tous, sur ces pages vierges des affres du temps, protégées par ce site extraordinaire. Certaines rédigées à la va-vite, d’autres enluminées par des techniques qui dépassent ma connaissance. Accompagné de deux accolytes, j’ai passé une année complète dans ce lieu. Et en ces quelques mois, j’ai appris plus que durant le reste de toute ma vie. Les mystères obscurs de l’Aube des temps m’ont été révélés, en même temps qu’un autre pays, une autre contrée dont aucun d’entre nous n’a probablement jamais entendu le nom. Il est temps qu’en notre langue homme et femmes connaissent leur véritable passé.

C’est ainsi l’histoire d’Obéris, jusqu’à ses origines, que je tente de rassembler. En verrais-je un jour le produit ? Pourrais-je continuer d’étoffer le récit par les évènements qui se cachent dans notre trouble futur ? A mon âge, j’appartiens déjà au passé, mais j’espère léguer à travers ce récit tout l’amour que je porte à notre histoire. Tourmentée, horrible de si nombreuses années et pourtant fondatrice de notre présent. Puissent les générations futures profiter de ce travail, tandis qu’ils écriront eux-mêmes les prochaines pages de cette fresque que j’espère infinie.

Caedric de Romeni

samedi 16 novembre 2013

Pirate de Passage - 3

Troisième et dernière partie de la nouvelle "Pirates de Passage"

Tout en sachant qu’il n’avait pas le choix, Jacques de Tourqueville sentait son estomac se nouer. Le Venteux leur aurait apporté un grand courant, une marge de quelques heures pour se fondre dans les nappes de brouillard qui envahissent la côte du Nouveau Monde la nuit et en matinée. A présent, ils fonçaient droit vers la bande de terre, ses marais et ses bancs de sable. Mais l’alternative était le combat, et la Sans Peur ne pourrait pas en sortir victorieuse.

«  - Capitaine ! Cria un quartier maître. Capitaine, vingt brasses ! » Courant dans un réflexe jusqu’au bastingage, Jacques scruta la surface de la mer sur laquelle ils glissaient. Naviguer sur les hauts fonds n’était ni un exercice facile, ni encouragé dans la capitainerie de par le monde. Et pourtant, Samuel Bellamy, concentré comme jamais, souriait en regardant leurs poursuivants.
«  - Vous savez que la quille de la Sans Peur descend à sept brasses, n’est-ce pas ?
- Mmmh. Si vous y tenez tant, à votre bateau, vous lui paierez bien un petit carénage. Cela ne devrait plus tarder, à présent. » Blanc comme un linge, Jacques venait enfin de comprendre dans quels méandres le pirate les entraînait. « - A vos postes ! Attention à la collision ! »

A peine eut-il prononcé les mots qu’un grondement lancinant se fit entendre. Tel la plainte du navire hurlant de douleur, le grincement fut accompagné de fortes vibrations, qui menaçaient de faire dangereusement tanguer le navire. Puis, alors que Jacques avait sorti son sabre en se dirigeant vers les dernières secondes de la vie de Samuel Bellamy, la Sans-Peur fit une petite embardée en avant, comme plongeant dans un chenal plus profond. Bien qu’ayant la lame posée sur la gorge, le pirate réussit à reprendre suffisamment de voix pour demander au barreur de suivre un cap nord-ouest en s’aidant du travail de la vigie. Comme s’il ne prêtait pas attention au fer qui lui faisait perler quelques gouttes de sang tombant sur son col, il se tourna brusquement et regarda les deux frégates adverses.

« - Esquintez encore une fois ma coque et notre marché ne tient plus.
- Sans être flagorneur, que vaudrait votre coque sans vous, Capitaine ? Ce n’était que des coraux, pour cette fois. Nous sommes dans un chenal qui fait deux cent brasses de large. Ce sera beaucoup plus dangereux dans quelques… » Comme ceux qui l’entouraient sur le pavillon de poupe, il se jeta au sol. Dans un craquement sourd, le boulet de douze livres vint fracasser la rambarde arrière. Ce n’était que le premier feu, tous le savaient bien : il ne servait même à rien de ramper sur le bois usé du pont en attendant la fin : quand cessait la dernière salve, les prochains boulets parlaient anglais couramment.

«  - Dites à vos tireurs de viser les huniers ! Il ne faut pas qu’ils voient le chenal !
- Combien de temps faut-il qu’on reste sur cette course ?
- Allons, Capitaine, quand on s’amuse le temps n’a point d’emprise ! » Et devant le grognement de Jacques, c’est le pirate lui-même qui prit la barre. Déjà, les deux vaisseaux anglais prenaient la Sans Peur en tenaille, se décalant le Lion en premier à tribord et le Furious en retrait : les deux navires ne se gêneraient pas lorsqu’ils tireraient sur le français.

Sur le pont de la Sans-Peur, le chaos s’installait au milieu de la bravoure des hommes, suivant aveuglément les ordres du premier Lieutenant. De sa voix de stentor il les encourageait à riposter à la pluie de balles à laquelle tous faisaient face. Stoïquement, ils rechargeaient volée après volée, moins nombreux à chaque fois que le navire s’enfonçait dans les vagues, tentant de s’échapper à son destin. Les huniers ennemis avaient été abattus, mais il y avait… Tant de morts déjà ! Au moins, le chenal évitait que l’un des deux assaillants ne se mette sur le travers pour les bombarder. Jacques de Tourqueville arma ses deux pistolets au moment où la proue rugissante des cris anglais du Lion arriva à hauteur de la poupe de la Sans-Peur. Les tirs redoublèrent d’efficacité, à tel point que le capitaine était étonné d’avoir échappé au pire… Accroché à la barre, Samuel Bellamy était immobile. Il aura tenu sa parole jusqu’au bout, pensa le capitaine. Mais il s’aperçut avant l’instant fatidique de l’abordage que Samuel n’était pas dans son dernier sommeil : ses lèvres bougeaient, sa tête dodelinait. Il… Il comptait ?

Et au milieu des cris, de la fumée bleue des mousquets, sous les lambeaux de la grand-voile déchirée, Samuel Bellamy fit pivoter la barre. Il la fit tourner jusqu’à ce qu’elle heurte le taquet dans un claquement sec, entraînant à nouveau le navire dans un virage fou et apparemment incontrôlable. Atteint d’un éclat au genou, Jacques s’effondra le long du bastingage alors que le navire gitait sous la force du tournant. Et le capitaine n’en crut pas ses yeux : il voyait le fond, devinait des roches acérées quelques brasses sous les embruns. Comme des mains tendues, ces pics venaient happer le navire… Mais ce sont deux autres proies qui firent les frais de l’audacieux virage du pirate : Dans un grondement aussi brusque qu’affreux à l’oreille, le Lion s’échoua brusquement, ses marins projetés sur le pont. Le Furious, réussit mieux à ralentir l’allure, mais ne put guère manœuvrer et les suivre dans le minuscule et sinueux chenal. Sous les yeux ébahis des marins français qui s’éloignaient prudents, le Lion finit par se disloquer, ses marins pris en secours par l’équipage du Furious.

«  - Le passage Bellamy, annonça ce dernier en exécutant une référence parfaite. Vous me devez une chaloupe, capitaine. » Il savait que ce dernier tiendrait parole.  
Une heure et demie plus tard, ils se tenaient l’un en face de l’autre, Jacques et le pirate le plus dangereux de cette partie de l’océan. Cérémonieusement, le français enleva son couvre-chef, attirant l’attention des dizaines de marins qui s’affairaient alentours.


« - Le capitaine Bellamy quitte le navire » Cria-t-il. Et tous lui rendirent les honneurs. 

jeudi 14 novembre 2013

Pirate de Passage - 2

Devant le silence de son interlocuteur, il poussa plus avant son avantage.

« - Ah, Capitaine (il arrivait à accentuer le mot… et le rendre ironique) vous êtes décidément un homme étonnant. Vous prenez une réputation de corsaire en capturant ce rafiot, mais vous ne pillez pas les espagnols. Il y a deux ans, vous démâtez la frégate amirale anglaise en une seule bordée avant de partir toutes voiles dehors. Vous me faites la conversation. Je vous propose une montagne d’or hier, et je ne vous vois même pas sourire. Et pourtant aujourd’hui, nous allons faire… Un marché, n’est-ce pas ? » Le pirate s’arrêta, la main levée. Puis son visage émacié se fendit d’un grand sourire aux dents noires et cassées.

« - Vous devez être acculé pour seulement considérer de me serrer la main, alors, qu’est ce…
- La bête, c’est la bête des Caraïbes. Vous ne leur vouez pas un attachement particulier ?
- Le Lion et le Furious… Mmmh. Lord Byron a failli me décapiter, la dernière fois que je l’ai croisé. Etrange comme les anglais ne vous pardonnent pas de couler des navires anglais… Mais soit. Parlons affaires. Quel est votre main, capitaine ?
- Je vous débarque aux Amériques, à la première pointe de terre qu’on aperçoit.
- J’ai horreur de ne pas négocier, vous savez ? Je prendrais une chaloupe et deux…
- D’ici cinq ou six heures, vous pourrez négocier avec deux gentlemen qui parlent votre langue maternelle.
- Très bien, Capitaine, et que pensez-vous que je puisse faire contre vos deux ennemis ? C’est un prêtre qu’il vous faut, pas un pirate. Et puis, je doute que… » Jacques avait tiré une carte de sa table de travail. Il la tendit à son hôte, pointa du doigt un lieu bien précis.
«  - D’ici quatre heures, nous franchirons le Passage Venteux. Je ne l’ai jamais fait, mais vous naviguez ici depuis vingt ans. Et c’est vous qui serez à la manœuvre. »

Malheureusement pour la Sans Peur, le Second, lors de sa mesure de cap, fit une erreur de trois degrés. Et ce qui, au cours d’une navigation paisible, aurait été d’une précision tout à fait remarquable se transforma quatre heures plus tard en une situation intenable. Les trois navires étaient si proches que tous les hommes avaient été appelés aux postes de combat. Jacques crut le navire sauvé lorsque la vigie annonça les rochers Grand Ducs, mais déchanta rapidement. Ils étaient trop loin pour être atteints avant l’inévitable abordage.

Malgré le danger grandissant, le capitaine décida de faire monter leur hôte sur le pont. Peut-être connaissait-il une ruse de dernière minute, un artifice de pirate… Contre toute attente, il fit déserter et interdire d’accès le pavillon arrière, ne laissant que ceux qui connaissaient déjà leur invité participer à la manœuvre. Une fois sur le pont, ce dernier prit une bonne minute pour s’habituer à la clarté du moment. Quelques nuages couraient encore à l’horizon, mais le ciel s’était dégagé. Pourtant, c’était sur leur poupe et non au firmament que son regard se fixa enfin. A cette distance, la longue-vue était superflue pour apercevoir les marins courir sur le pont, ferler les voiles et se préparer au combat. Lord Byron avait intelligemment placé son navire en arrière, de sorte que le Furious qui le précédait prendrait les coups les plus durs. Les deux chasseurs ne se gênaient pas, leurs proues s’enfonçant joyeusement dans les embruns de deux mètres qu’ils coupaient comme du beurre. Les uniformes commençaient à se placer dans les matures, d’où ils auraient une vue dégagée sur le pont de la Sans-Peur.

«  - Quelques minutes, tout au plus, Capitaine. Murmura le second. Je suggère que nous basculions à tribord lors de leur première passe. Si nous visons haut, nous aurons une petite chance de démâter le Lion.
- Cela dégagera trop notre poupe, mais c’est la seule solution, et…. Ahhh, mais que faites- vous, pour l’amour de Dieu ! » Bellamy, jambes écartées dépassant de sa redingote trouée, se tenait juste derrière l’homme de barre, lui soufflant dans l’oreille les instructions. La Sans-Peur, poussée par le vent, fit une brusque embardée sur bâbord, le virage si sec qu’à travers les dalots du bord opposé, les marins virent les embruns venir lécher les roues des douze canons. Emporté par sa vitesse, le navire tournait rapidement, et allait se retrouver perpendiculaire à ses assaillants.

«  - Ordonnez leur de tirer, voulez-vous ? » Le pirate, content de la surprise qu’il avait provoqué, ne retint pas un rire puissant, qui fit parcourir un frisson le long de l’échine de Jacques de Tourqueville.
«  - Feu à babord ! » Fit-il transmettre. La portée des canons de bronze de neuf pouces ¼ n’était pas fameuse à si grande distance, et le capitaine se demanda s’il ne gâchait pas sa première bordée. Une à une, les puissantes pièces tonnèrent sous le soleil de midi. La visée était inhabituellement importante… Pourtant grâce à la gite, trois des boulets firent mouche, l’un d’entre eux balayant le pont du Furious encombré de combattants.

« - Reprenez un ordre à ma place et vous serez l’estropié le plus connu des Caraïbes, Bellamy.
- Ou bien vous pourriez me remercier, capitaine.  Nous avons gagné cinq bonnes minutes sur nos poursuivants, et ils seront plus prudents à leur prochaine tentative.
- Mais le passage est à tribord ! Bougre de pirate !
- Le Venteux, oui. Avez-vous déjà entendu parler du passage Bellamy ? Sans vouloir me…
- Ma patience s’émousse, Samuel. Que faisons-nous ici ?
- Laissez-moi à la manœuvre encore une demi-heure, et nous pourrons être hors de danger. Je connais cette région pour l’avoir pratiquée avec mon propre navire des dizaines de fois. » 

mardi 12 novembre 2013

Pirate de Passage - 1

Et là voici! Comme je ne suis pas (c'est définitif pour cette année) lauréat du concours Don Quichotte, je publie sur cette plate-forme la nouvelle que j'avais proposé au concours. Le thème à respecter était "passages" en six pages maximum. Je le publierais en 3 textes, et comme vous le verrez certainement je pense que c'est la fin qui a tout plombé. 

Pirate de Passage

1674, Sud de la Floride.
Il n’y avait qu’une raison pour laquelle le Capitaine Jacques de Tourqueville puisse être éveillé au beau milieu de la nuit. Son instinct, fameux dans toute la Flotte Caraïbe, ne le trompait que rarement. Et même si l’entrepont était on ne peut plus calme, bercé d’un doux roulis dans sa couchette à la poupe de la Sans-Peur, il savait qu’il ne pourrait pas finir sa nuit. C’est pourquoi il en était à enfiler ses bottes (les lustrées, pas celles de gros temps) lorsque le mousse Martin vint toquer, tremblant comme le protocole l’exigeait de réveiller le pacha avec de mauvaises nouvelles. Martin était l’ainé des mousses, un rude garçon de quatorze ans qui devrait apprendre à se spécialiser… Et en bon courageux, c’est lui qui se chargeait de réveiller les officiers. Il cilla à peine devant la grimace de son capitaine lorsqu’il lui annonça :

«  - Le lieutenant Hémelin signale des voiles à tribord, Capitaine. » Exactement ce à quoi il s’attendait. Jacques prit le temps d’embrasser le médaillon de sa femme, de refermer soigneusement son pupitre rangé la veille avant seulement de monter jusqu’au pont principal. Le temps était nuageux, avec une brise bien agréable pour fournir à la Sans-Peur une vitesse confortable… Mais également à leurs adversaires, qui n’étaient sans doute pas aussi chargés que le galion français. Le navire n’avait que trois ans, dont deux et demie sous le commandement de Tourqueville, qui l’avait arraisonné quasiment à sa sortie de la carène, lors de son voyage inaugural. Il avait nécessité bon nombre de modifications (et toutes ses économies) pour en faire une coque plus racée, moins lourde sur l’eau… Et embarquer les 34 canons de neuf pouces ¼ flambant neufs fondus pour l’occasion. Mais même s’il était rapide et agréable à tirer des bords par fort vent, il restait un transport, un ventru. Une proie.

«  - Comment pouvez-vous apercevoir quoi que ce soit avec autant de nuages ?
- Il y a une trouée à l’Est, capitaine. La lune les révèle… Voyez ? » Et en effet, ils se détachaient remarquablement sur les reflets de l’océan noir. Deux voiles espacées de quelques centaines de mètres. Et Jacques n’avait aucun besoin d’attendre l’aube pour connaître leurs couleurs: il savait précisément à qui il avait à faire. Simplement, il aurait aimé les distancer lorsqu’ils étaient dans les Antilles. Il avait l’espoir d’échapper discrètement à l’animal que tout navigateur français ou espagnol craignait de croiser. Les deux frégates qui se rapprochaient par son arrière étaient le Lion de Lord Byron et le Furious du corsaire « Union » Jack Hemwith. Ces deux-là s’étaient trouvés une passion commune : couler tous ceux qui n’avaient pas honneur de crier « God Save the King » lors de l’abordage. Et il y avait souvent abordage : ces deux navires étaient taillés pour la course.

«  - Foutus engliches » Réagit Jacques. Il referma la longue-vue, se tourna vers le lieutenant Hémelin. «  - Mettez-nous au Nord, et profitez au maximum de cette brise. Renforcez le quart et sortez plus de voile. Je veux qu’au matin, ils soient encore loin derrière, compris lieutenant ?
- Sans Peur, capitaine ». Le nom du bateau était vite devenu sa devise et la fière expression de tout l’équipage. Mais il faudrait qu’il porte son nom le temps d’échapper aux chasseurs. Et pour cela, le capitaine de Tourqueville avait un atout presque… inespéré. Il envoya un marin chercher le maître charpentier et le premier maître Hilas. Ces hommes étaient les plus imposants du bord, ce qui les avait mis au courant de la cargaison que, à de très rares exceptions, le reste de l’équipage ignorait. Les maîtres tenaient à leur poste sur la Sans-Peur, aussi ils avaient gardé leur langue… Du moins, depuis leur dernière escale trois jours plus tôt. Dans cette crique, aux heures les plus noires, leur canot avait fait un dernier voyage à terre.

Poussant avec maints égards le lit massif de la cabine du capitaine, ils mirent au jour une menue trappe dans le plancher. Présente uniquement sur certains marchands, cette cache discrète accolée au gouvernail était appelée la « Réserve Bonseigneur » car elle abritait habituellement les victuailles que le capitaine offrait à ses officiers et aux marins méritants. Bijoux et rhums avaient déjà eu leur place dans ce placard étroit. Mais ce jour-là, la trappe ne cachait qu’un esprit… Aussi brillant que dément dans un corps aussi sec que du bois flotté.

«  - C’est un peu tôt pour les pâtisseries, ne trouvez-vous pas, Capitaine ? » Leur demanda nonchalamment Samuel Bellamy. Jacques soupira. La majorité des marins des caraïbes auraient vendu père et mère pour apporter le « Prince des Pirates » à une couronne (peu importait laquelle, les prix pour Bellamy étaient à peu près équivalents). Certains le voulaient mort, mais quelques amiraux français rêvaient d’avoir une dernière conversation avec l’ex-corsaire anglais. Le Capitaine avait espéré que l’homme perdrait de son arrogance au cours de leur traversée, mais Sam Bellamy se faisait de plus en plus sarcastique, piquant et remarquablement intelligent. Il faut dire qu’il n’avait plus touché à une goutte d’alcool depuis leur départ… Un changement radical. Une fois leur prisonnier assis, le Capitaine le libéra de ses chaines, et demanda aux deux forts marins de les laisser seuls. Il dut s’y reprendre à deux fois, les hommes refusant de laisser le criminel à portée de leur capitaine.

«  - Je pourrais vous tuer, vous le savez bien ? Demanda Bellamy aussitôt la porte refermée.
«  - Peut-être… Vous pourriez tenter votre chance. » Ce fut la détente du capitaine de Tourqueville qui joua finalement sur le comportement de son formidable adversaire. Le pirate se mit à réfléchir quelques secondes, avant de reprendre.

« - Capitaine… Dois-je comprendre que j’aurais meilleure affaire à vous écouter parler ? » 

samedi 2 novembre 2013

Find It ! Reborn, Episode 2: Embarquement.

Comme "Un dernier Vol" avant lui, ce texte a été supprimé du blog quelques jours après sa diffusion. En effet, il fera (tôt ou tard) l'objet d'une tentative de publication, pour laquelle la présence d'une version sur ce site serait préjudiciable. 
Pour touts renseignements concernant "Find It!", je vous engage à me contacter (voir l'onglet correspondant).