mercredi 30 juillet 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 37

Episode 37: Petit bout de Marais

Le départ pour l’ascension sera un peu chaotique. Il faut dire qu’après une bonne heure et demie de conduite, nos vessies sont très sollicitées et se rappellent à nous. Hors sur cette montagne pelée autant que sur les hauteurs alentours, on n’aperçoit ni arbre ni buisson à des kilomètres à la ronde. Il faut donc jouer avec les herbes hautes, se cacher avec la voiture… Toute une aventure. Personnellement, je manque de faire une chute de quatre mètres dans un ruisseau en m’abritant un peu trop derrière les bords d’un petit ravin. Heureusement, la bruyère qui pousse ici se laisse agripper par poignées sans faillir ! Remis, habillés pour la marche, nous nous lançons dans l’ascension du mont Errigal. Le petit parking pour les randonneurs, délimité par un joli petit muret, est plein. Il faut préciser que même si nous avons perdu la notion du temps au cours de notre extraordinaire road-trip, on est quand même samedi. Et même s’il ne fait pas très beau, la montée a attiré du monde ! On distingue dans la pente plusieurs groupes de marcheurs, éparpillés sur tout le versant. Mais enfin, ils ne pourraient pas suivre le chemin ?

Quelques mètres plus loin, l’évidence nous saute aux yeux. Non seulement il n’y a pas de chemin dans la première moitié de l’ascension, mais en plus l’état du terrain fait que chacun y va de sa propre initiative. Expliquons-nous : sur les huit cent mètres devant nous, même si le dénivelé n’est pas extrême, ce qui ressemble de loin à un vert pâturage n’est autre qu’un terrain boueux et détrempé, au sein duquel fleurissent les touffes d’herbes hautes et vertes qui donnent la signature visuelle du coin. C’est Marie qui en fera la première les frais. Nous prévenant par un « est-ce que c’est vraiment mou ? », elle s’élance vers une zone détrempée, pour s’y enfoncer d’un seul coup presque jusqu’en haut de ses chaussures de marche. Ouf ! On a su dès ce moment-là que ce ne serait pas facile. Il ne suffit pas de se diriger vers le haut, où un cairn nous attend, il faut aussi constamment relever la tête, calculer un chemin qui ne soit pas un simple cul de sac devant une grande flaque… Nous y perdons beaucoup d’énergie, car on monte beaucoup en zigzag, devons régulièrement sauter au-dessus de quelques ruisseaux, et analyser au moins à l’œil la consistance du terrain.

Passé les cent cinquante premiers mètres, nous avons tous les chaussures plus ou moins dégueulasses. Cette terre tourbeuse et trempée semble s’accrocher partout. Pourtant, nous refusons d’abandonner comme le font certains des autres marcheurs que nous croisons et qui choisissent, perdus pour perdus, de tracer un tout droit dans la boue et la flotte… Nous tentons de marcher de touffe d’herbe en touffe d’herbe, de chercher les lits de cailloux blancs qui émaillent tout le versant, d’improviser des sentiers... On se sent un peu comme des Gollums dans le sentier des morts. Et puis, je ne voudrais pas dire, mais il se fait sacrément faim. Comment allons-nous alors pouvoir trouver un spot plus ou moins au sec ? L’occasion se présentera une dizaine de minutes plus tard. Alors que la pente est de plus en plus prononcée, il y a quelques cassures dans ce grand tapis herbeux, comme si quelques pans s’en détachaient quelque fois. Et sous ces lambeaux de chair de montagne déchirée, il y a plusieurs zones rocailleuses. C’est là que nous allons nous installer, plus ou moins abrités du vent, profitant des petits blocs éparpillés pour en fait des sièges. Ce n’est pas le Ritz, c’est certain, mais pour un énième repas sur le pouce, cela sera amplement suffisant.

Nous allons même abréger l’expérience. Déjà parce qu’il nous reste le plus difficile de la montée : on s’est bien aperçus dans le début de l’ascension que le gros de la pente serait moins frustrant mais beaucoup plus technique. Ensuite, parce qu’il commence à pleuvoir doucement, et que nous faisons une petite overdose de mouillé. Bizarrement, on se sent plus à l’abri en mouvement, bien réchauffés par l’effort sous nos K-ways. Bientôt, la côte devient plus prononcée, et Michel qui est aux avant-postes finit par nous repérer un chemin de chèvres qui ne soit pas à la fois un sentier et une rivière en devenir. Nous soufflons fort devant la tâche : on monte à l’irlandaise, sans un seul virage. C’est gratifiant, car on monte vite en altitude, et le paysage d’une beauté cristalline se révèle vite… 
Mais pour l’effort, c’est difficile. Lorsqu’enfin nous arrivons au cairn, notre point de référence, nous savons que nous avons passé la « zone verte ». Devant nous, le chemin nous montre la voie : la traversée en « tout droit » d’un flanc de la montagne tout en pierrier, puis la partie finale de l’ascension. Après un petit rafraîchissement, nous montons. Cette fois, il faut faire gaffe à ne pas glisser : entre les rochers, le sol est dans un gravier fin et traître, et certains cailloux réservent de mauvaises surprises.

Nous sommes dépassés lors d’une pause photo (et vidéo, aujourd’hui j’ai la GoPro sur la tête) par une troupe hétéroclite, que l’on croit d’abord être un centre aéré, avant de se rendre à l’évidence : il s’agit d’une seule famille. Les huit ou neuf (passé un seuil, on ne compte plus, rappelez-vous) marcheurs se débrouillent tellement n’importe comment que nous croirons une bonne dizaine de fois que l’un d’entre eux repartirait en ambulance. Pas de chaussures de marche (et même, des sandales pour les gamins), pas de vêtements de pluie, tout au plus un survêtement de sport pour les plus chanceux… Nous fronçons les sourcils sans retenue. Quelques minutes après le cairn, il ne pleut plus. Et nous nous retournons toutes les deux minutes pour admirer la dimension totalement épique du paysage. Sorte de rideau vert plissé et étalé sur un relief tourmenté, la région alterne avec la météo qui est lui est propre, entre versants brillamment éclairés et flancs sombres et mystérieux. C’est le ciel qui déploie mille couleurs aujourd’hui, des variations du gris au bleu, qui vont se refléter au sol jusqu’à la mer, une dizaine de milles plus loin.

Nos chaussures de marche sont un peu impuissantes ici : le gravier fin roule sous nos semelles crantées et menace de nous étaler sur un tapis peu homogène de cailloux blancs et effilés. Le degré de la pente est à faire frémir un grimpeur du Tour de France, et malgré le paysage, nous soufflons beaucoup. Bien sûr, la récompense est au rendez-vous, puisque l’immensité se dévoile de plus en plus au fur et à mesure de notre ascension. L’un des points d’orgues de la montée, c’est le versant Nord-Est de la montagne, aussi abrupt que la pente d’un volcan. C’est d’ailleurs la plus proche analogie, tant le dénivelé visible sous nos pieds est impressionnant et semble vertical. Michel et moi en sommes persuadés : en Wingsuit, ça passe sans soucis ! 

Dans ce déchaînement de verticalité qui donne un peu le vertige aux filles, quelques rochers saillants sont pointés vers le ciel, comme des pieds de nez à l’érosion et à la terrible pression de la gravité. J’essaie en vain de capturer le moment avec la caméra que j’ai sur la tête, mais il n’est pas facile d’avoir une bonne idée de ce que l’on filme malgré le grand angle. Dans les montées, le plus souvent, c’est quand même les fesses de celui ou celle qui nous précède (en l’occurrence, Marie, mais je m’en rendrai compte à mi-pente). Et puis le son, comme on s’en rendra compte à notre retour, n’est guère que celui de mes pas, rythmé par ma respiration profonde, et mes commentaires émerveillés sur la beauté immense de ce pays.

Lorsque nous nous rapprochons du sommet, on retrouve une grande partie des touristes (bref, les autres marcheurs) qui ont leurs véhicules garés à côté du nôtre. Plusieurs redescendent, et j’ai droit à des regards pour la plupart très curieux étant donné ce que je porte sur la tête. Avec un petit complexe, je me demande plusieurs fois si ce n’est pas parce que j’aurais un air ridicule avec, mais j’entendrais deux anglophones discuter des différents modèles en me dépassant et montrant du doigt, donc je serai rassuré pour le reste du trajet.

Alors que nous pensons arriver au sommet, Errigal nous réserve une petite surprise : ce dernier est en fait surplombé d’une crête, que l’on ne voit pas depuis le parking et qui monte quelques dizaines de mètres plus haut qu’un second cairn. Les gens sont nombreux ici (oh oui, au moins dix-quinze, tu imagines), assis sur la crête, avec une vue de part et d’autre proprement époustouflante. Sur le versant Ouest, le soleil joue de ses reflets dans la myriade de petits lacs disséminés dans cette grande région de nature (les premiers champs sont à l’horizon, il n’y a pas une maison), à l’Est, les nuages passés jouent de leurs ombres et des rideaux de pluie pour créer une alchimie toute particulière. Et au Nord… Au Nord, on ne voit rien, car un nuage (nous sommes pile à hauteur) se déploie doucement vers les plus hauts reliefs du Mont Errigal. Nous prolongeons notre marche jusqu’au bout de la crête, jusqu’au véritable sommet, et nous sommes comblés : l’effort a payé ! Ce n’était pas si long, mais sacrément intense ! Julie a sorti le petit appareil pour faire un dernier panorama… Mais ce ne sera finalement pas possible. 

Comme tendant ses bras blancs pour enserrer le toit du Nord de l’Irlande, le nuage encercle le sommet en quelques secondes à peine. Des volutes plongent au-dessus de la crête comme une vague de grande marée. La brume se répand, au-dessus, à gauche, à droite, si bien qu’en quatre ou cinq inspirations, nous sommes comme coupés du reste du monde. La visibilité est tombée à moins de dix mètres, la température a chuté, on n’y voit bientôt plus rien. L’heure, pour nous, de savourer une pause, en sortant des bananes, que nous mangerons dans l’inconnu, tout à notre plaisir d’avoir battu Errigal.


Il pouvait toujours nous priver de la vue, mais pas de notre joie. 

lundi 28 juillet 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 36

Episode 36: Deux tour Eiffel dans le Donegal

Au petit matin, il est temps d’oublier les contrariétés d’hier soir. Le bruit stressant est loin derrière nous, et puisque nous ne passons qu’une nuit dans le Donegal, peu importe que cela se reproduise. Il y a une petite méprise ce matin, nous attendions nos amis devant leur porte à l’heure dite, tandis qu’eux étaient descendus directement à la table du petit déjeuner. Il faut dire que cette dernière est bien accueillante : elle déborde de diverses pâtisseries, de plusieurs variétés de pain… Et puis le full Irish qui nous est servis à moi et Michel est simplement splendide. Mention spéciale aux boudins noirs et blancs qui sont très chargés en blé et absolument délicieux. Nous prenons notre temps comme les autres matins pour toucher à tout ce qui nous intéresse (et la liste est longue, même si je ne suis pas le seul à faire un petit trop plein suite à tous ces repas plutôt lourds).

Nous ne prenons pas trop notre temps ensuite, car nous repartons sur la route aujourd’hui. Nous sommes bien rôdés à présent, les valises sont prêtes en deux minutes, on sait tout de suite quoi déballer, et l’organisation est parfaite. En quelques gestes bien réglés, nous avons payé le B&B (pas donné mais qui valait le coup), rangé les deux sacs dans la voiture, sélectionné le nécessaire à l’avant, et sommes prêts à partir après avoir programmé l’ami GPS. Nous allons faire un premier arrêt au supermarché aperçu la veille au soir, afin de rassembler de quoi pique-niquer ce midi. Quant à moi, je retire de l’argent, enfin j’essaie : deux de nos trois cartes de crédit du couple ne passent pas. De quoi avoir la sueur qui coule le long du dos, avec le fameux questionnement… Pourra-t-on tenir jusqu’au bout ? Eh bien sans doute, oui. Pour la suite, la route traverse Donegal (et…. C’est déjà fini), et continue le long de la côte sur quelques kilomètres avant de s’enfoncer dans une vallée bien paumée, avec juste quelques fermes de part et d’autres.

A quelques hectomètres de notre premier arrêt, la route se met à monter. Sérieusement. Attention, pas une simple grimpette, non, une montée impressionnante. Je n’aurais pas envie de passer là en vélo, ni de devoir faire un démarrage en côte. Même le Quashqaï se plaint, c’est vous dire. Tout cela pour arriver sur un petit parking prévu pour une trentaine de véhicules, et sur lequel sont garés en tout et pour tout, une berline et un camping-car : nous allons être sacrément tranquilles ! Pas de touristes ici ! Enfin, c’était l’impression générale, parce que dès le moment où nous enfilons nos chaussures de marche, on se croirait à Palavas les flots. « Mamaaaaaaaaan, iléou mon chapeauuuuu ? – Mais rho, je sais pas chéri. – Papaaaaaaaaaa ? » Urgh. Des enfants. Plein d’enfants. Dans le camping-car, français. Fuyons ! Nous démarrons par une montée sur la route goudronnée à un pas cadencé et de belles foulées… Les touristes (nous on ne compte pas) nous suivent et nous préférons leur prendre le plus de temps possible pour ne pas les avoir sur nos talons.

Lorsque la route bascule dans un virage à droite, et qu’elle semble atteindre peu à peu le sommet du lieu, nous comprenons combien nous avons fait un bon choix. Nous sommes aux Slieve League, les plus hautes falaises de toutes l’Irlande : 660 mètres. Mais pour le moment, d’où nous sommes, ce sont plus des collines dont la pente sud se perd sur un fond d’océan. C’est splendide, avec un relief magnifiquement prononcé, des dévers de l’herbe verte et un véritable show offert par les moutons à tête noire qui broutent de façon imperturbable le long du chemin. Et plus nous continuons, plus l’altitude se fait remarquer. On comprend d’abord la distance qui nous sépare de la mer, plus de deux cent mètres d’altitude. Puis on aperçoit, au loin d’abord, quelques flancs de roches sombres qui plongent dans les eaux sombres. Et nos regards ne sont pas encore concentrés au bon endroit. Sur notre droite, apparition soudaine après un nouveau virage de la route, c’est la révélation. On ne peut dire rien d’autre qu’un « oh » devant l’énormité du paysage. 

Ce sont de véritables petites montagnes qui surplombent les flots, des falaises presque à pic, surplombées d’un chemin côtier et de quelques marcheurs qui vu d’en bas, paraissent microscopiques : cela donne une idée de l’échelle. C’est à couper le souffle. La roche, tantôt noire et sombre, tantôt granitique voire carrément rosée, passe d’une teinte à l’autre le long de ces pentes vertigineuses pour aller se perdre dans l’océan agité. Il y a du vent ici ce matin, aussi l’écume vient-elle rajouter de nouvelles lignes de perspectives à ce tableau inoubliable. La côte fait un repli à notre droite, et le départ du chemin monte peu à peu jusqu’aux sommets des falaises à partir de là où nous sommes. C’est presque intimidant ! En contrebas, par contre, sous cette muraille indescriptible de terre et de roche bouleversés, une petite plage offre son sable jauni à l’assaut des vagues. On discerne aussi une grotte naturelle, abri millénaire inaccessible, qui me fait aussitôt penser que si je deviens pirate un jour, c’est ici que je viendrai cacher mon butin.

Nous restons là un moment, devant une barrière de bois qui protège les visiteurs de tomber d’un espèce de promontoire. Marie nous avoue un petit coup de mou (petit déjeuner salé ou bien la faute au voyageur clandestin de l’équipe…), alors nous n’allons pas gravir la pente bien longtemps. Déjà que nous étions venus pour quelques clichés d’une belle vue ! Des clichés nous en avons, des souvenirs aussi, mais il y a encore cette irrépressible envie de voir de plus haut, d’aller s’aventurer un tout petit peu plus loin. La montée est ardue, même si nous ne prolongeons pas le plaisir. On s’arrête à mi-hauteur pour aller prendre quelques clichés hors du chemin. Assis sur des rochers au bord du précipice, seuls avec l’immensité qui nous tend les bras, le lieu est poétiquement splendide. Il y aura quelques vannes (dont cette photo en perspective qui donne l’impression que Julie balance Michel du haut de la pente), mais aussi quelques réflexions plus philosophiques comme par exemple la comparaison complètement délirante de la hauteur de Slieve League en face de quelques unités connues. La tour Eiffel s’y prête bien, parce qu’avec ses 330 mètres d’altitude, elle atteint tout pile la moitié de la falaise. Oui, juste la moitié. On a donc deux tour Eiffel virtuellement superposées sous les yeux. Et on n’arrive toujours pas à y croire.

Une fois tous les clichés et les effets (je joue au polarisant) réalisés sur les moindres détails des falaises ou sur l’ensemble du panorama, nous redescendons voir Marie, et pour quitter le lieu, de plus en plus peuplé. Il y a bien une petite dizaine de touristes supplémentaires qui sont venus s’ajouter entre le chemin du promontoire et celui sur le bord de la falaise. Et puis aussi le marchand de glaces a ouvert. Nous étions passés à côté en rigolant, au début. Mais ça, c’était avant, n’est-ce pas ? Parce que là, il a beau n’être que dix heures et demie du matin, nous n’arrivons pas à supporter la vue de ce sympathique vendeur de cornets qui nous interpelle. Et puis quoi, on ne vit qu’une fois, non ? Alors malgré l’horaire, nous commandons chacune la nôtre. Julie prendra framboise, je me lance sur le rhum raisin (il y a pas d’heure, on vous dit) absolument délicieux, en me disant que j’aurais sans doute droit au parfum le plus exotique. Eh… Non. Si Marie choisit le chocolat, Michel part sur une glace au parfum chewing-gum ( !?), d’un bleu absolument schtroumpfesque.
Nous rigolons beaucoup avec nos glaces, en se prenant avec, en polaire, en face de la mer de ce matin venteux au nord de l’Irlande. Si ce n’est pas un pur moment de bonheur tous les quatre, je botte en touche ! 

Le vendeur quant à lui, peut nous remercier : nombreux sont les gens à hésiter en passant à côté de sa petite remorque. Et il leur suffit de nous voir pour craquer et franchir le rubicond. Nous revenons doucement à la voiture, par la même route goudronnée qu’à l’aller. C’est une vraie redécouverte, car sur tout le premier quart, le chemin ne présente pas du tout la même vue à l’aller qu’au retour. Ni tout à fait la même ambiance. On voudrait rester, mais nous avons prévu une difficulté montagnarde aujourd’hui : le Mont Errigal. Et pour cela, il faut déjà le rejoindre ! Nous redescendons la route sinueuse, pour s’enfoncer dans une campagne ponctuée de nombreux bras de mer, d’improbables routes à « 100 », et d’une montagne qui ne semble jamais arriver.


Errigal se fait attendre. Le plus haut sommet du comté n’a jamais le même profil selon d’où on le regarde, et il change même de couleur, prenant une teinte rosée au matin. Pour notre part, on l’aperçoit de loin au détour d’une vue dégagée dans un virage sur une colline, mais ensuite plus rien durant plus d’une demi-heure. Il y  aura plusieurs vérifications au GSP durant tout le trajet, avant d’en tirer les conséquences : avec ces chemins entre villages, ces détours le long de la mer (mais… les baleines, quoi !), nous avançons à une allure d’escargot. Me fait que Julie en particulier ait faim n’arrange pas l’ambiance, aussi sommes-nous bien heureux de le voir une bonne fois pour toutes grossir devant nous lorsque nous nous rapprochons. Puis, un peu circonspects : on va pouvoir grimper ça ?! Même en tournant autour avec la voiture, ce qui nous fait gagner un peu d’altitude, jusqu’au parking, nous avons les yeux rivés sur Errigal. Vraiment, nous allons pouvoir grimper ça ?

jeudi 24 juillet 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 35

Episode 35: Donegal, du Vide et du Gras

Lorsque l’on entre dans Donegal, on croit d’abord à une face de l’ami GPS. Nous sommes en effet bien renseignés, c’est une ville où nous serons installés cette nuit, le chef-lieu d’un énorme comté qui englobe une bonne partie du nord de l’Irlande. On s’attend donc à bien plus qu’à la dizaine de maisons que l’on croise jusqu’à ce que le guidage nous indique le lotissement où se trouve notre B&B. Exercice peu évident d’ailleurs, car toutes les maisons se ressemblent. Il n’y a pas de gigantesque panneau, pas d’enseigne au néon. Seulement un quartier calme, ou les dizaines d’architectures modernes laissent apercevoir un bras de mer calme venir lécher les pieds des arbres, quelques cinquante mètres en contrebas. Il faudra faire deux tours complets du quartier (démarrage en côte livré de série) pour pouvoir trouver. Mais une fois sur place, nous sommes très bien accueillis. 

Il semble qu’ici, les gens ont pris une habitude bizarre de construire trop, beaucoup trop grand. C’est à se demander si toutes les baraques alentours sont aussi énormes que celle où nous logeons : tout l’étage est dédié aux visiteurs, qui disposent de quatre chambres, chacune avec salle de bain. Et quand je dis chambre, il y aurait de la place pour installer cinq ou six trous de minigolf à condition de bien pousser le lit… Si Julie se met à un bout de la chambre et moi dans la salle de bain, il faut crier à perdre voix pour s’entendre !

Comme les autres jours, et même un peu plus ce soir, il ne faut pas traîner pour aller manger : nous avons beau être à quelques centaines de mètres du centre-ville, nous ne savons pas quelles sont les habitudes ici, et il est déjà près de sept heures lorsque nous nous lançons dans notre recherche du jour. Toujours en repérage, nous notons la présence d’un grand supermarché pour demain matin, et continuons vers le cœur de Donegal. J’aime autant vous dire qu’on nous a survendu la taille du truc : c’est vraiment minuscule comme cité. Mais par contre, elle a du charme, ça oui ! La rue principale descend vers le quai encombré de bateaux de pêche et de tourisme, pour tourner et remonter ensuite vers un centre largement piéton ou s’alignent les quelques enseignes les plus prisées. Pour notre part, nous n’aurons pas de grande chasse au restaurant aujourd’hui. Malins, nous avons pris quelques cartes au B&B, dont plusieurs qui nous assurent 10% de ristourne dans un très beau restaurant. C’est aussi le premier et le seul établissement qui nous tente immédiatement : un magnifique bâtiment de pierre et de bois de trois étages, qui domine l’eau et les quais de ses grandes baies vitrées.

Et à l’intérieur, nous sommes tout aussi vite conquis ! Tout est en petits paliers, et à chacun sa fonction. Au rez-de-chaussée, un bar sert quelques clients dans une ambiance assez sombre, sol en ardoise et grands tonneaux en guise de tables. Au-dessus, la salle sous un très haut plafond part vers les baies vitrées, avec une construction toute en poutres de bois clair qui supportent des murs de pierre. La vue sur la baie est saisissante, on se sent spectateurs privilégiés de la vie sur le petit quai de Donegal. Nous obtenons une table facilement, il faut dire qu’il s’agit bien d’un restaurant, qui s’assume en tant que tel et non un bar avec une carte des plats chauds. La carte parlons-en, après avoir commandé quelques boissons, nous avons un choix pléthorique de dizaines, presque d’une centaine, de dîners différents. Malheureusement pour nous, les descriptions des plats ne sont pas toujours au rendez-vous, et c’est du très bon anglais. Difficile de comprendre, malgré notre bon niveau, quel plat correspond à tel ou tel ingrédient. Pour moi qui tente d’éviter les poissons trop poissonneux, ce n’est déjà pas évident, mais pour Marie par exemple, c’est un vrai calvaire. Nous essayons de la conseiller comme nous pouvons, mais nous avons déjà du mal pour nous-mêmes. Enfin, sauf Michel, évidemment, puisqu’il prendra le classique bœuf Irlandais.

Julie et moi prendrons même une entrée, et remarquons à cet instant une feuille supplémentaire qui vient encore rajouter une vingtaine de plats au menu. C’est cette dernière qui va jeter la confusion. Parce que voyez-vous, nous n’avons pas eu le temps de vraiment l’étudier lorsque la serveuse vient prendre nos commandes. Julie se lance en premier, puis moi, et Michel par la suite. Marie, bonne dernière, panique un peu au dernier moment, change son choix et commande un Fish and Chips. Ou est la vanne alors ? Eh bien c’est que juste avant de se décider, elle nous a assuré vouloir choisir quelque chose d’équilibré et de pas trop gras ce soir, puisque nous avons le choix. C’est d’ailleurs un peu notre politique à tous, mais bon, avec un Fish and Chips, ça ne sera pas facile. Entre temps, nous aurons le temps de savourer nos boissons, cidre pour moi, Guinness pour Julie et Michel, qui rate encore de très peu son fameux objectif des neuf marques. L’occasion également de s’attarder sur une déco résolument marine, avec un gigantesque gouvernail à l’horizontale qui fait office de lustre, des cordages dans tous les sens (en guise de rampe, pour camoufler les câbles…) et des objets de marine sur différents présentoirs. Sans compter la grande maquette au pied de l’escalier, bien sûr.

D’abord, il y a les entrées. Julie et moi profitons d’un simple potage, mais qui après une journée pareille fait du bien là où il réchauffe… Et puis c’est l’occasion d’une belle découverte, celle du Guinness Bread. Certes, on en avait déjà mangé avant, sous l’appellation Soda Bread. Un pain noir, servi comme une tranche de cake, bourré de graines, de bouts de légumes parfois, et très fort en goût. Excellent, et plus encore lorsqu’il est à la bière. Nous profitons, parce que les vacances c’est aussi la bonne fringale à l’étranger. La nourriture, et les fous-rires. Et quand on parle de moment drôles à Donegal, le regard de Marie lorsque son Fish and Chips est arrivé restera longtemps gravé dans ma mémoire, tout autant que le plat. Le principe du Fish and Chips est facile, c’est un poisson panné presque poché dans l’huile, servi avec des frites. Mais là, dans l’assiette de Marie, l’objet magnifiquement luisant fait la taille d’une belle côte de bœuf, et doit compter plusieurs gobelets d’huile. Autant pour le « je voudrais manger léger ce soir » ! Hahaha, quelle tête !

Pour nous autres, nous avons plus ou moins suivi notre ligne de conduite. Moi, surtout, j’ai une assiette de crudités Irlandaises, servies avec un jambon à chapelure. Rien d’extravagant, mais des légumes, c’est une exclusivité qui me manquait depuis plusieurs jours (nous avons du mal à trouver des tomates, dans certaines supérettes). Julie savoure ses pâtes en sauce (sauce à la crème pas allégée, si vous voyez ce que je veux dire), et Michel son burger de bœuf bien chargé. Nous qui avions cru pouvoir tenir jusqu’à la carte des desserts ! Non. Non, ce ne sera pas pour ce soir. Le repas va passer doucement alors que le soleil passe sous l’horizon, nous offrant tout le couchant via la gigantesque façade vitrée (malgré les traces de gouttes, venues nous empêcher de faire les photos de rigueur), avec d’autres rires, quelques visualisations de photos des jours précédents… Nous décidons d’aller, malgré la fatigue, à la recherche d’un bar où finir la soirée.

Sauf que voilà, il y a bien l’un ou l’autre troquet dans le coin, mais on peut oublier tout autre endroit que la place principale. Simplement, Donegal est tout petit. Et un peu mort, même comparé à Roundstone, qui ce soir nous fait toujours office de modèle (pour un patelin qui n’apparait même pas sur la majorité des cartes…). Alors que faire ? Nous poussons nos recherches un peu plus loin, passons à côté de l’église fortifiée (très bien illuminée) et du château fort (vachement sympa, mais les autres ont l’air d’avoir vu assez de châteaux pour les dix prochaines années). Il y a un ou deux restaurants remplis de personnes âgées, donc nous battons en retraite. De retour sur la place piétonne au centre du bourg, nous évaluons chacun notre niveau de fatigue. Si je suis dans la même situation qu’à Dublin (prêt pour aller jusqu’au bout de la nuit), les autres sont assez crevés, et nous n’avons pas le courage de passer vingt minutes supplémentaires pour trouver un pub confortable. 
Alors nous rentrons.

J’aime même vous dire que nous rentrons vite, parce que je suis pris d’une envie pressante avant la montée de colline obligatoire dans le quartier résidentiel (eh, c’est que je comptais un peu trouver un pub, moi). La mort dans l’âme et avec les molaires qui baignent, je serais obligé d’attendre d’être dans notre énorme chambre, à bon port. Non sans avoir souhaité une bonne nuit aux autres et choisi nos petits déjeuners pour demain matin : la preuve que même avec le bide prêt à craquer, je suis encore capable de m’imaginer manger un Full Irish breakfast. Eh oui, solide jusqu’au bout ! Dans la chambre, après les douches bien méritées, nous profitons d’un long moment au calme. Je me questionne mentalement pour réaliser un book sur notre voyage, peut-être un récit nous verrons en rentrant. Et puis, je commence à lire. Julie aussi, s’il n’y avait pas ce bruit. C’est un genre d’aspiration, un bruit mécanique comme une VMC. Le genre qui n’est pas acoustiquement fort, mais que, une fois remarqué, ne peut pas s’oublier. Impossible. Pas forcément régulier, en plus. Alors que nous ne sommes pas vraiment fatigués, cela nous rend un peu fous. On ne trouve pas vraiment la source en plus, ce n’est pas dans le couloir, pas dans notre chambre ni dans la salle de bains, ce doit donc être au grenier, au-dessus. Julie, qui n’arrive pas autant à rentrer dans l’action de son bouquin, s’endort furieuse.


Moi je lirais jusqu’à relever la tête du coussin, un moment, car il y a quelque chose qui cloche : Un silence profond a envahi le Donegal. 

dimanche 20 juillet 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 34

Episode 34: La course au tumulus

Alors que les autres ont pris une belle avance sur moi (je traîne avec le zoom pour prendre des clichés des vaches… Oui, oui je sais), arrive un second et impromptu moment ornithologique. Tout un groupe de petits oiseaux vient se poser à côté des vaches. Je les prendrai au premier coup d’œil pour de simples moineaux, mais c’était avant de les voir courir dans les hautes herbes, par de petits bonds qui ne ressemblent à rien de ce que je connais. Les oiseaux viennent bondir sous le nez des bovidés, stoïques jusqu’au bout, alors que j’ai grand mal à en prendre un seul cliché correct : quelle vitesse ! Clairement à l’aise dans les prés, ces petites boules de plumes ne s’arrêtent que quelques fractions de secondes, volètent sur quelques mètres, reprennent leur ballet. J’aurais pu rester observer ça une bonne vingtaine de minutes de plus, jusqu’à ce que je me rende compte que les autres sont à trois cent mètres de là, presque déjà à la voiture, qu’ils s’impatientent. Je n’ai pas besoin de le voir avec précision pour deviner la moue de Julie, qui a les bras croisés avec l’expression typique du « mais qu’est-ce qu’il fait mon chéri ? ».

L’explication ne les convainc pas tout à fait (il y avait des petits oiseaux, ça sonne sans doute trop niais), apparemment tout le monde est impatient de reprendre la route. Il faut dire que nous avons un certain nombre de kilomètres à avaler pour nous rendre dans le comté suivant, le Donegal. Et que nous avons encore prévu au moins un arrêt sur le trajet. Sur le parking, nous aérons un peu la voiture (il fait à nouveau très chaud), l’occasion de remarquer que le vieux est toujours dans sa voiture, rejoint par celle qui est sans doute sa compagne. Cela créé vite un nouveau malaise, alors nous partirons rapidement, tout en nous autorisant les conjectures : étaient-ils empaillés ? Prisonniers ? Par acquis de conscience, nous allumons une radio locale pour vérifier que deux personnes âgées ne sont pas portées disparues. Nous n’entendrons rien de tout cela. Non, à la place, nous avons droit à une émission d’une radio de Cork (et pourtant c’est loin, Cork) qui malgré l’anglais rapide et accentué du présentateur, va nous tenir en haleine pour les prochaines heures. Enfin, au moins moi, parce qu’à l’arrière, la sieste est de retour.

Je conduis le long de la mer, vers l’Est, pour contourner un grand bras de mer séparant le Mayo du Sligo, avant le Donegal. Les marées sont importantes ici, parce que sur près de vingt bornes, j’ai l’impression singulière qu’à ma gauche, derrière le rideau de bocage, il n’y a qu’un gigantesque banc de sable parcouru par quelques filets d’eau. La route quant à elle n’est pas bien passionnante, je reste la majorité du temps bloqué derrière plusieurs camions qui sont sortis en masse. D’autre part il y a, une petite demi-heure plus tard, un choix à faire pour notre dernière visite. Nous avons le choix entre le plus ancien site néolithique d’Irlande, appellation pompeuse pour un ensemble de menhirs qui n’a peut-être rien de prestigieux, et le tumulus d’une reine féodale locale, enterrée au sommet d’une colline abrupte. Comme, à l’exception des falaises, il n’y a pas beaucoup de reliefs dans le coin, nous optons pour la grimpette, à Knocknarea. Une randonnée, c’est toujours le meilleur moyen d’oublier les kilomètres en voiture. Sauf que voilà, la route pour accéder au départ n’est pas des plus évidentes. 

Le GPS nous conduit fidèlement, mais la route est minuscule, passant dans deux hameaux de quelques maisons, avant de monter à flanc de colline, véritable défi lancé à notre diésel un peu poussif. Heureusement, nous n’aurons personne à croiser dans la montée, ce qui nous permet d’arriver à un petit parking, ou sont installées sept ou huit voitures (enfin ! nous avons trouvé les touristes !) et un bus.

J’aurais bien pris quelques minutes pour faire une « power nap » comme dans les Burren, mais je n’en aurais pas l’occasion : nous devons faire quelques calculs. Il faudra être vers six heures et demie à notre B&B, situé à Donegal. Et selon Julie, il reste encore deux heures de route pour rejoindre le chef-lieu du comté. Nous avons donc précisément 55 minutes à consacrer à l’ascension de la colline, voir le tumulus et redescendre. Ouch ! Le tempo est très court, la faute à la vue magnifique et à nos excursions dans le Mayo. Mais devons-nous nous décourager pour autant ? Bien sûr que non. Nous irons le plus loin possible durant une demi-heure et nous rebrousserons chemin, voilà tout. Et puis au pire, nous sommes encore tout à fait capable de hausser le pas, non ? Il nous reste des forces ! Donc, nous avons tout juste le temps de nous habiller avant de foncer sur le chemin.

La randonnée est taillée pour la vitesse : personne ici ne s’est ennuyé à dessiner des virages, ou bien aucun des agriculteurs des champs de gauche et de droite n’ont voulu lâcher du lest : dans une ligne bien dessinée entourée par de hauts talus, le chemin monte droit vers le sommet. Il y a bien quelques arbres qui viennent ombrager un peu le tableau, mais on se croirait plus sur une tranchée ou une ligne de démarcation que dans une promenade du dimanche. Et puis pour nous, ce n’est pas dimanche : à coup de souffles maîtrisés (pff, pff, pff, pff) nous gravissons lentement mais surement la colline. Le paysage est champêtre, avec quelques vaches Guinness qui broutent en nous regardant passer. A droite, une forêt de pins, et à gauche, une vue ouverte sur l’ensemble de la baie qui démarque le Sligo du Mayo. Forcément, nous n’allons pas voir le temps passer, ni vraiment nous arrêter pour capturer le paysage au Reflex. C’est du sport, ma bonne dame ! Arrivés à peu près à mi pente, nous soufflons un peu en passant entre deux champs. C’est que, comme tout le reste du dénivelé s’étale devant nos yeux, nous savons qu’il sera cruel.

Les passagers du bus garé au parking nous croisent alors, tout un groupe de jeunes adultes typiques, les visages fermés, cherchant du réseau, avec des bonnets pour les uns, des mini-shorts pour les autres, et cet air ahuri qu’ont tous les adolescents de par le monde. Enfin, surtout en France. Parce que oui naturellement, pour râler dans un paysage pareil, il fallait qu’ils soient français. Tous les profils sont là, entre les pouffiasses en train de dénigrer leur camarade deux mètres devant, les mecs qui crient de leur voix cassée et pré pubère… Les solitaires et les profs, forcément maniaco-dépressifs devant l’assemblée, complètent le tableau. C’est qu’on se bidonne, nous ! L’occasion de se rappeler nos propres années collège, pas forcément glorieuses. Enfin, on discute surtout pour tenter d’oublier le dénivelé, qui se corse sérieusement, à tel point que nous improvisons nous-mêmes nos petits virages en zigzag pour ne pas avoir l’impression de grimper une échelle. C’est ardu, les gravillons menacent de nous faire glisser, et un beau soleil de seize heures vient éclairer la scène. Le souffle court, nous nous motivons par le fait de réaliser un exploit, à notre échelle certes, mais tout de même gratifiant.

Nos physiques ne nous trahiront pas cette fois ! En sueur, haletants, nous parvenons au sommet quelques minutes plus tard après une dernière montée très physique, sorte de planche finale à passer. Devant nous, le tumulus. Ce dernier se présente comme un cairn, empilement de près de six mètres de haut de pierres claires, au sommet duquel une petite pyramide plus fine s’élève comme tendue vers le ciel. Il y a quelques autres visiteurs en haut, mais c’est surtout le bruit du vent que nous entendons. Située au bout de la baie, sans véritable obstacle depuis la mer, la colline accueille le vent comme un réfugié son passeport. Nous empruntons le sentier qui fait le tour de la grande structure, et qui offre une vue splendide sur le paysage alentours. 

Il n’y a en effet plus un seul arbre à notre hauteur, seulement des buissons d’une bruyère épaisse et vert-brun, végétation qui cache des flaques d’eau et des lits de cailloux blancs. Comme on aimerait avoir deux ou trois demi-journées devant nous pour emprunter ces sentiers ! Nous nous contentons de les observer se perdre vers la mer au loin, ou descendre vers les hameaux des habitants du coin. Après quelques photos de groupe, nous sommes suffisamment requinqués pour plaisanter et faire les idiots sur les clichés des autres, véritable concours de grimaces qui verra son apothéose avec la tête à Julie, qui improvise ce que nous appellerons brièvement « la tête du chameau ».

Avant de redescendre, un point chrono : nous avons mis trente minutes pour effectuer la montée (new world Record) et nous sommes reposés cinq minutes au sommet. Il ne nous reste plus qu’à fondre sur le parking, nous jeter dans la voiture et repartir ! Finalement, nous aurons même le temps de faire quelques photos. Nous ne sommes plus dans la même course, et les muscles à la descente sont toujours les plus traitres : pas question alors qu’il nous reste encore de beaux jours en Irlande d’aller se tordre une cheville dans le Sligo, sans doute le comté ou nous avons passé le moins de temps. Pour ma part aussi, point besoin de trop se donner alors qu’il faut conduire : je vais finir la descente avec Marie, bonne dernière, et évoquer avec elle nos écritures du moment et futures, puisque c’est un des grands sujets que nous avons en commun. J’irai jusqu’à croire un moment que les autres se sont cachés pour nous faire peur (bouh ! Mwahahaha, les gamins), mais ils se sont simplement laissés courir, lâchant les jambes dans cette descente en ligne droite.

Cinquante minutes, c’est finalement le temps que nous aurons mis pour faire l’aller-retour complet. Le tumulus de Knocknarea, qui restera un grand moment de sport pour nous et un petit challenge sur la route, nous aura bien décrassé les poumons, en plus d’offrir un paysage magnifique. Le reste du chemin jusqu’à Donegal sera calme, paraîtra un rien infini sur la fin (le passage de Sligo nous prendra du temps), et surtout, servira plus que le reste à nous creuser l’appétit : au moment de passer dans le Donegal, nous sommes tous affamés. 
Et en retard. 
Et il faut encore s’installer !


jeudi 17 juillet 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 33

Episode 33: Le bas de la tête à Patrick

Pour traverser le Mayo, qui est une région avancée sur la mer, nous prenons de plus en plus confiance dans le GPS, et décidons d’emprunter un jeu complet de routes minuscules. Jouer à cache-cache-tracteur en campagne, c’est aussi une version du « fun en vacances ». La route est pétillante, fraîche. Il y a trous et bosses, on ne s’ennuie pas cinq minutes, et en plus nous avons de la vue alentours, sur de petites collines couvertes de moutons ou paissent quelques brins d’herbe éparpillés (ou bien est-ce l’inverse…). Nous roulons ainsi presque trois quart d’heure, qui font que malgré la liste pléthorique d’ingrédients ingérés ce matin, il commence à se faire faim. Pourtant, réglés comme du papier à musique, nous n’avons pas prévu de manger avant la prochaine étape. Nous sommes dans une campagne désertée, dans une immense Irlande hors circuit qui se laisse traverser d’un trait. C’est pour nous une découverte, qu’enfin il puisse y avoir un comté ici pour lequel nous n’avons pas envie d’ouvrir notre propre B&B à quatre.

Enfin, nous retrouvons la mer, devant nous. La côte est d’un vert surnaturel découpé par un bleu foncé sous l’azur du ciel sans nuages. Nous avons besoin de mettre toute notre attention à chercher la route, ou plutôt le chemin vers « Downpatrick’s Head » : le GPS, qui s’était vicieusement fait oublier (faites-moi confiaaaaaaance) nous rappelle qu’une fois passé le dernier village sur la côte, il ne connaît pas les noms des caps, qu’il va falloir s’aider tous seuls. Il faudra faire demi-tour, et revenir dans le minuscule hameau, qui semble être la proie d’une drôle d’agitation. D’après ce que nous arrivons à comprendre, c’est soit une grande fête d’anniversaire pour les enfants, soit un quelconque évènement de village : bon nombre des autochtones sont assis dans des chaises de jardin, à papoter dans un champ les uns avec les autres, tandis que les gamins jouent un peu plus loin sous les arbres. C’est une scène paisible, qui vient nous rappeler un peu que la roue tourne : nous sommes ici en vacances, mais pour d’autres c’est juste un jour d’été comme il y en a tant.

Après trois kilomètres supplémentaires sur une chaussée en gravier (pourvu que personne n’inspecte le bas de caisse, on est bons), nous arrivons sur un petit parking bourré de monde. On reconnaît l’affluence du mois d’aout au Mayo : en plus de la nôtre, deux autres voitures sont là. C’est d’ailleurs un peu bizarre car dans l’une des deux, il y a un petit vieux qui semble surveiller les alentours avec attention. Et sans dénigrer la fonction de chien de garde, c’est un peu malsain à regarder. On s’en va donc un peu plus vite que prévu vers le bout des falaises. Nous sommes déjà bien au-dessus du niveau de la mer, mais le rocher ne fait que monter dans une sorte de gigantesque tremplin vert tourné vers l’océan. Mais en premier lieu, nous voici intrigués par des sortes de cages, qui empêchent les gens de s’approcher d’un trou. On pense que c’est une énième exagération sécuritaire, jusqu’à y jeter un œil. Ouch, il valait mieux protéger les touristes : l’herbe recouvre jusqu’au bord un à-pic de dix mètres de roche absolument vertical. En bas, d’autres rochers et… 
Un fond de ressac ! A plus de cent mètres de la côte, ce doit être un véritable emmental là-dessous, pour y voir des vagues ! Toute le front de mer est-il aussi percé ailleurs qu’ici ? Et surtout, question plus importante, ou est la grotte de Tom Jedusor ?

Au fur et à mesure que nous avançons, il y a deux autres « cages », plus impressionnantes encore. A la dernière, la cavité souterraine est si importante que l’on y voit la lumière du jour se refléter sur les vagues en contrebas, à plus d’une quinzaine de mètres. Cela donne, malgré les grilles, l’impression de se tenir sur le vide. Quelques mètres plus loin, il y a une plaque et une statue chrétienne usée par le vent depuis trop d’années. Pourtant, c’est la plaque qui est intéressante. Saviez-vous que la France a un jour décidé d’envahir l’Irlande ? Eh ouais. Pour tenter de soustraire des soldats britanniques du front de l’Est, Napoléon avait envoyé trois navires provoquer des soulèvements indépendantistes en Irlande.

Malheureusement pour lui, et comme vous pouvez vous en douter vu ce que l’histoire a retenu, ça n’a pas été un franc succès. Les navires étaient usés et les soldats d’anciens bagnards… Ils ont débarqué autour de Downpatrick’s Head, et ont réussi à soulever un seul village. Après quoi, manque de chance ou pas, les loyalistes leur sont tombés dessus et ont fait échouer la tentative après un petit siège. La petite plaque (écrite en français) rend donc hommage à cette tentative proche du fail absolu, mais qui vient ajouter une touche d’humour dans ce paysage sinon juste majestueux.

En arrivant au bord de la falaise, nous atteignons le véritable joyau de Downpatrick’s Head : un bout de rocher, dressé seul au milieu de l’océan, véritable colonne de pierre, exposant ses mille strates et son sommet plat inaccessible. Il est là, à moins de cent mètres de nous, si proche et pourtant si loin, brisant les vagues en avance sur tout le reste de l’Irlande. Nul doute qu’un jour il a été relié au continent promontoire vers l’océan infini, mais aujourd’hui il est l’unique veilleur en avant. Nous nous faisons la réflexion que si d’une manière ou d’une autre il était possible de traverser, l’endroit serait idéal pour y garder les moutons. Même si l’endroit est déjà un refuge naturel : des dizaines d’oiseaux tournent au-dessus de la côte, font des plongeons impressionnants du ciel jusqu’à la mer, trente mètres sous nos pieds. La falaise est splendide, et fait comme les doigts d’une main posée sur la mer. Un plateau découpé, et ses avancées sur l’eau. Il y a plus de vent que lors de notre visite à Moher, alors même si le roc n’est de loin pas aussi élevé, le ressac est bien plus impressionnant à regarder. Un vrai bonheur que d’entendre la mer s’écraser sur les rochers, sur les dizaines de strates qui montent jusqu’à nos pieds (remarquez la rime franche).

De là, nous flânons. Michel part sur la falaise d’en face pour mieux nous photographier, minuscules humains posés sur cette langue basaltique, tandis que Julie et moi nous extasions sur la couleur des plaques d’herbe, littéralement vertes fluo. Beau moment pour la photographie aussi, avec un sujet pour le coup monolithique, et pour autant courbé, abimé, coloré. On rigole beaucoup, notamment de la peur du vide de Marie, renforcée par le fait de savoir que sous nos pieds, le sol est plein de rien, suivi par de l’air et de l’eau. Il y aura même l’occasion, quelques minutes après, de faire crier les filles. Le bord de la falaise est en quelque sorte en trois grandes marches d’escalier larges de deux mètres et profondes de plus d’un mètre vingt. J’appelle donc les nanas, fait semblant de leur montrer un point à l’horizon, et saute sur la première des marches en mimant un trébuchement. Avec la perspective et les touffes d’herbe, l’effet est garanti. Même si elles me voient me tenir le bide de rire quelques secondes plus tard. Michel et moi, réflex à la main, sommes encore à la fête pour un bon quart d’heure avant que nous décidions qu’il est l’heure de manger.

A l’exception d’un petit groupe de trois personnes qui passera dans la demi-heure, nous sommes seuls à manger là, au bout du monde. Quelle beauté ! Un joyau que nous aurons à cœur de parcourir dans son intégralité cette fois, sans se lasser ni des éclaboussures des embruns, ni des contrastes entre vert et bleu et brun sombre. Après le repas, au cours duquel j’aurais l’occasion de dévorer mon cake aux fruits secs, qui était délicieux (évidemment), nous continuons jusqu’à nous retrouver en face d’un flanc de falaise bien spécifique. En effet pour une raison que nous ne comprenons pas, tous les oiseaux du coin ont choisi de nicher sur un flanc bien spécifique de cet invraisemblable mais magnifique ensemble géologique qu’est Downpatrick’s Head. Ils sont donc regroupés là, mouettes de toutes sortes, goélands, quelques cormorans aussi que nous apercevons au loin. Et un animal très singulier, qui bien sur va nous prendre par surprise.

Je crois que c’est Julie qui l’a vu en premier, et a tendu la main. Au premier regard, j’ai pensé comme les autres « oh, un pingouin », sauf que voilà, six mètres à pic au-dessus de la mer, ce n’était pas très facile à croire. D’autant que l’animal s’est immédiatement envolé pour plonger dans l’eau, et de là se perdre dans la masse d’autres volatiles qui peuplent le coin. Je sais que j’ai une pauvreté certaine en ornithologie, mais je sais quand même qu’un pingouin, ça ne vole pas (ou alors, toujours du haut vers le bas, comme nous). Aussitôt que nous l’avons vu disparaître, nous avons sorti les grands moyens pour le retrouver. Julie repère le coin à la jumelle, tandis que Michel et moi avons monté les zooms sur les réflex. Big Lens est de retour ! Pour ma part, je profite de ma stabilisation pour observer les nids. Mais dix minutes plus tard (et une bonne centaine de mouettes), nous n’avons pas retrouvé l’animal. Peu importe, nous rigolons bien à chercher cette licorne. Et c’est à nouveau Julie qui va le repérer alors que nous envisageons de partir.

Cette fois, il ne pourra pas échapper aux paparazzis ! Eh bien c’était exactement ce à quoi ça ressemblait. La forme d’un petit pingouin, noir avec juste le cou blanc, un long bec droit, et assez de testicules pour se jeter à flanc de falaise directement dans la flotte (sans doute parce qu’il peut remonter, lui). Pour le moment, nous nous contentons de le prendre en photo, avec suffisamment de clichés pour pouvoir l’identifier le moment venu. Fiers de notre découverte, heureux de toutes ces belles choses que nous avons observé à DownPatrick’s head, nous décidons de rebrousser chemin et de revenir à la voiture. C’est que, voyez-vous, nous avons largement dépassé l’horaire prévu pour le point de pique-nique. Et nous ne nous sentons pas coupables pour un sou : 
le Mayo, ça décoiffe !

dimanche 13 juillet 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 32

Episode 32: Au Royaume d'Iron Dick

Ce matin, nous sommes tous bien reposés et dans une forme impressionnante. Pas trop d’efforts physiques hier, une belle soirée au bar, notre capital motivation est de retour au top niveau. C’est donc l’heure du défi matinal avec le retour de l’ineffable Full Irish Breakfast, dont le nom évoque à lui seul une bataille contre les éléments. Mais quel délice ! Nous repartons de la table du petit déjeuner pleins comme des sacs, après un enchaînement irraisonnable de toasts, miel, bacon, œufs, confiture, salade de fruits, tomate, boudin blanc… Aucun d’entre nous n’a tenté le saumon au petit déjeuner, je pense que la vision que j’ai offert hier (je me tenais un peu le bide pendant la rando) aura calmé les autres concurrents.

Une fois bien installés dans la voiture, il est temps de continuer notre road-trip irlandais. Nous continuons vers le Nord, sur une côte de plus en plus sauvage dans une campagne de moins en moins touristique. Le temps s’est dégagé durant la nuit, et même si la route est encore mouillée, il n’y a plus que quelques nuages moutonnants sur un grand fond de ciel bleu. La mer est calme, au point que de Roundstone, nous n’entendons plus le clapotis régulier de l’eau sur la digue. Après le traditionnel arrêt à l’épicerie (nous commençons à nous demander comment innover sur les repas des prochains jours), nous quittons le petit village. Et malgré la météo, le gras, le livre de randonnée tout pourri et l’absence chronique de chemins de marche, il restera l’un de nos endroits préférés. Il y a un calme et une beauté intrinsèque ici que nous n’avons trouvés nulle part ailleurs. C’est notre souhait à tous que de revoir Roundstone un jour pour de nouvelles aventures.

Le voyage commence par un grand tour sur les routes côtières du Connemara. Plutôt que d’en sortir en quatrième vitesse, nous choisissons de profiter du paysage qui nous a manqué la veille, de découvrir qui se cachait derrière les bancs de brouillards, et mine de rien de se réconcilier un peu avec ce gigantesque dédale de collines abruptes, de vallées glaciaires et de fjords à saumons. Sur une route minuscule, nous traversons quelques villages de pêcheurs et des hameaux de fermiers aux moutons multicolores. C’est beau. La mer est en fond de carte postale, et nous ne la quittons pas des yeux (surtout Marie, qui continue de compter sur les baleines). Nous avons à un moment une impression de « déjà vu » qui se propage jusqu’à ce que l’on reconnaisse au GPS que nous sommes passés ici hier. Etrange, cette métamorphose totale d’un paysage du gris au bleu, d’un vert profond à des couleurs vives et enjouées. Les villages morts d’hier sont les joyaux d’aujourd’hui. Portes colorées, jardins bouffants de nature, petits vieux souriants posés sur les bancs. Tout était pourtant là, sous nos yeux.

Poussés par la curiosité (et nos vessies) nous décidons d’aller nous garer à Kylemore Abbey pour la voir sous le soleil. Et bien nous en prend, le joyau du Connemara resplendit sous la lumière d’une magnifique matinée. On discerne un chemin de montagne qui s’éloigne au-dessus, jusqu’à une improbable chapelle à mi-pente. Il doit y avoir une belle vue, de là-haut ! Malheureusement, je suis freiné par mes camarades, et nous repartons vers l’Est puis au Nord. Il n’y a pas grand monde ce matin, ni au château (nous nous sommes garés au premier parking, un véritable exploit) ni sur les routes. Cela ne pouvait signifier qu’une chose : aidé par les panneaux, c’est l’autorisation de pousser à « 100 » ! Et dans cette immensité de tourbe, de collines froissées par les années, il n’est pas difficile de lâcher les chevaux. Le Quashqaï, apprivoisé après quelques jours de route, ronronne gaiement dans les virages, donne l’impression de pouvoir nous emmener jusqu’au bout de ces routes crevassées, sinueuses et disparaissant à l’infini dans les paysages.

Quelques kilomètres plus au nord, nous quittons le Connemara lorsque l’on s’aperçoit que la route est à nouveau bordée de ces hautes haies d’une bruyère impénétrable. Plus de sommets pelés à l’horizon (sauf dans le rétro), nous sommes dans le Mayo (et non La Mayo, et tant mieux). Depuis Roundstone, il nous faudra près d’une heure et demie pour atteindre notre premier objectif, reconnu sur Google Maps, lors de la préparation du voyage. Il s’agit d’un monastère fortifié en ruines, celui du fameux Iron Dick… Mais est-ce bien le bon ? La question se pose alors que nous sommes dans une région riche en ruines, en monuments, en bras de mer. Rien sur place n’évoque le personnage de Fer. Cependant, en arrivant sur place, on oublie tous nos doutes : c’est magnifique et c’est tout ce qui compte. Unique voiture garée sur une large allée goudronnée, nous sommes entre une petite rivière qui se jette dans le bras de mer voisin et un gigantesque cimetière celtique. Posé sur un promontoire, entouré de massifs de fleurs et en avancée sur l’eau, le monastère en ruines est d’une beauté calme et intemporelle.

Au XVIIè siècle, le Mayo, cette région marécageuse, aux bras de mer infinis, petites îles et collines basses était le parfait repère pour la piraterie. Les cotres attaquaient le commerce jusqu’à Belfast avant de se replier dans les méandres et d’y disparaître les cales pleines. Et dans le coin, c’était une femme qui était à la tête de ce juteux commerce. Une pirate, régnant sur une communauté de plus d’une centaine de familles. Mais pour éviter de perdre sa tête dans l’affaire, elle décida de se marier à l’une des plus riches lignées de la région. Histoire en plus de mettre un titre et des terres dans cette grande entreprise. Malheureusement, la justice n’abandonna pas la traque, et elle finit capturée (et peut-être exécutée). Ses deux enfants ont fait leur vie, mais le mari, dans un geste de repentance, s’en fut dans notre fameux monastère, où il devint moine malgré son surnom d’ « Iron Dick » (en espérant que Dick vienne de son prénom).

Nous voici donc devant l’imposante construction de pierre. Les murs qui subsistent, tournés vers le ciel, sont parés d’arches et d’ogives ciselées et gravées du trèfle irlandais. Sur le méandre qui court jusqu’à la route, une petite grève de pierre est aménagée, et une grande barque déposée de guingois, appuyée sur un muret qui soutient le talus. Nous décidons de faire quelques photos de groupe ici, mais elles se révèleront plus périlleuses que prévu. Impossible en effet de se poser sur l’embarcation, pleine jusqu’à la gueule d’eau de pluie à cause du déluge d’hier. C’est glissant, et il faudra faire des efforts pour faire croire sur la photographie que nous passons juste un bon moment appuyés sur cette barque. Ensuite, chacun des quatre voyageurs suit son propre chemin pour profiter du monastère. Non content d’être mitoyen d’un cimetière, ce dernier dispose comme celui de Cashel de son propre lot de pierres tombales tapissant le sol. Etrange sensation que de marcher sur la dernière demeure de Patrick Mc Guinness, mort en1821. 

La vue de l’autre côté est également saisissante. Les murs et le talus plongent sur quelques mètres dans les eaux calmes du bras de mer qui serpente entre des dizaines d’îlots surchargés d’arbres verts. Juste en face, on devine un hameau derrière les troncs, et quelques bateaux colorés ancrés là viennent ajouter une touche de rouge et de vert, leurs mâts ballotés doucement par le reflux. Nous restons un petit quart d’heure à déambuler sur place, à chercher le bon angle pour capturer croix celtiques et vieilles pierres, fleurs et grès massif, mer et âmes des Irlandais du Mayo qui vécurent ici. Même pour nous qui ne sommes pas religieux pour un sou, l’endroit dégage une spiritualité certaine. Nous reprenons la voiture pour quelques minutes à peine, car la tour-château de la pirate nous attend à quelques encablures de là… Sur la mer. Donc plusieurs kilomètres sur terre. Guidés cette fois par le GPS, nous nous engageons sur une route ridiculeusement minuscule. Ici, je ne souhaite même pas croiser une Twingo, il n’y a vraiment pas de marge, et des peupliers centenaires bordent la mince bande goudronnée qui s’en va vers la côte.

Le château, tour unique mais largement fortifiée, surgit après un virage, comme une apparition intemporelle. Construit directement sur la ligne de marée, il a l’air posé sur la plage. D’ailleurs, une famille d’Irlandais s’active à la pêche à pied à quelques dizaine de mètres de là. Seuls une fois encore, nous nous garons à quelques mètres, et venons inspecter la grande tour de pierre. Rectangulaire, elle est surmontée d’un toit en pente et de petites tours d’angle, qui viennent un peu égayer la sévérité du reste. Purement défensif, il ne doit pas y faire bien clair : en tout et pour tout, trois petites fenêtres viennent percer les murs épais, et je soupçonne qu’elles ne sont là que pour d’éventuels archers. Une plaque explique quelques faits sur la tour, érigée pour « la Reine des pirates ». A l’époque, les alentours n’étaient pas si déserts : tout un village de bois et un marché occupaient le champ d’un vert profond ou paissent aujourd’hui de magnifiques moutons à tête noire. Et au sommet de la tour, la chambre de la propriétaire, où, selon la légende, l’amarre de son navire était attachée au pied de son lit.


Une fois que Julie a fait trois fois le tour de l’imposante structure de pierre (elle cherche à se soulager sans se faire remarquer), nous pouvons repartir. Et après un franc exercice de conduite (il a fallu croiser quelqu’un sur la route ou je ne pouvais pas croiser quelqu’un) la discussion s’engage. Bien entendu, ce que nous avons vu ce matin n’était ni flamboyant ni extraordinaire. Pourtant, c’est bel et bien l’Histoire qui a façonné ces deux endroits et laissé vagabonder notre imagination sur les pirates, sur un éventuel butin caché ou sur la longueur du membre d’Iron Dick. C’est peut-être ce qui fait la spécificité du Mayo et de notre voyage aujourd’hui. De petits lieux, emprunts d’une beauté peu touristique mais que les sagas historiques montrent sous un jour nouveau. 
Nous ne sommes d’ailleurs pas au bout de nos surprises : Après Dick, on file chez Patrick. 

vendredi 11 juillet 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 31

Episode 31: Shamrock'n Roll

Par chance, j’ai fini par comprendre que comme les affaires des autres étaient toujours sur place, on ne m’avait pas laissé comme un chien sur une aire d’autoroute (yeuuuu). Non, et puis à bien réfléchir, c’est toujours moi qui ai les clefs du Qhashquaï, ça ne vaut pas donc de se faire plus qu’une petite réflexion en passant. Pour vous dire à quel point j’étais concentré dans mon bouquin, l’intégralité de la collection 2013 des modèles de Victoria’s Secret aurait pu me passer sous le nez sans que je remarque quoi que ce soit (mmh, éventuellement j’aurais fini par lever les yeux, mais uniquement par pur instinct). Lorsque Julie vient me secouer après leur retour de promenade, je ne veux plus décoller de mon rocher (oui, un vrai gamin, et alors). Ils ont fait une ballade de l’autre côté de la jetée naturelle à laquelle j’étais adossé, et parcouru pieds nus cette longue bande de sable en s’imprégnant encore de ce splendide paysage. Pour ma part je prends quelques bonnes bouffées d’iode marin avant de reprendre le volant : profitons-en tant qu’on peut, de gros nuages ont fait une apparition remarquée à l’endroit où se tenait le soleil quelques secondes plus tôt.

Retour à Roundstone, à l’heure de l’apéritif (la vraie, pas cinq heures et demie)… Je vous laisse imaginer où nous sommes allés nous installer ! Au Shamrock, il y a plus de monde que la veille mais notre place est libre, comme réservée. Dans un étrange remake de « How I met Your Mother », cette table nous serait à jamais réservée. Et on ne s’en plaindrait pas. Mais dès que nous évoquons le sujet de cette série que nous regardons tous les quatre, se pose la question de qui est censé être quel personnage. Un joyeux bordel s’ensuit en général. Nous commandons nos boissons, l’occasion de constater que la patronne n’est pas présente ce soir, et que la serveuse du jour n’attend pas le temps exactement réglementaire pour faire correctement reposer une Guinness (sacrilège, Michel hésite à aller se tirer sa propre pinte). Moi qui ai commandé du cidre, ai l’occasion unique de constater qu’on peut aussi les avoir en bouteilles (c’est merveilleux). 
Et l’étiquette ne ment pas, à six degrés, c’est un cidre qui tape.

Nous jouons à nouveau, dans une ambiance presque feutrée tout d’abord, car tout le monde a encore en tête les parties d’hier soir. Hasard ou pas, je gagne les deux premières parties de Skull and Roses, et cela me remonte suffisamment le moral pour plus tard. Lors de la seconde tournée de boissons (oui, la pluie, ça donne soif), c’est Julie qui est de corvée pour aller commander au Bar. L’occasion pour elle de se faire draguer par l’un des clients déjà accoudés au marbre. A ses regards un peu désespérés, un vrai chevalier blanc (ou un type jaloux) se serait levé pour lui venir en aide. Mais détrompez-vous, avec Marie et Michel, nous sommes justes effondrés de rire sur notre petite table. Julie a bien du mal à éconduire le prétendant, malgré le fait qu’elle soit évidemment mariée (il n’est pas jaloux) et que je sois juste là (il est peut-être partageur). L’occasion pour ma femme de revenir s’asseoir avec nos boissons et un visage qui a tourné au rouge pivoine, me jetant des éclairs de « plus jamais ça » directement adressés.

Lorsque vient le moment de commander à manger, les filles se laissent clairement tenter par les scampis, comme recommandés hier par la patronne. Pour notre part, je me laisse conseiller le poulet, et puis il faut que je fasse attention à ma ligne si je dois encore être en compétition avec la moitié des irlandais accoudés dans les pubs… Mais ce sont bien les scampis qui gardent notre attention, car lorsqu’ils sont enfin servis, c’est une vraie découverte. Presque (oui, pas tout à fait) les plats les plus gras de tout le voyage. Ces écrevisses sont croquantes et luisantes de graisse, servies avec les inévitables pommes de terre frites… Chaque jour on repousse des limites de gras, en fait, c’est une véritable surenchère que semblent se livrer les différentes régions d’Irlande. Pour les tournées suivantes, par contre (oui, elles étaient prévues) nous attendrons d’avoir un peu joué, car nous attendons avec impatience l’animation « Live Music » qui va être un véritable concert, il y a près d’une trentaine de clients dans le bar, soit 24 de plus que dans le pub de Cashel pour la dernière performance à laquelle nous avons assisté.

Lorsque les musiciens arrivent (en retard, histoire de nous prouver qu’ils sont « des vrais »), la salle contient à peine son excitation : deux personnes au moins changent de place pour voir les artistes. Il faut dire qu’une bonne partie du public potentiel est composée d’adolescents qui disputent une partie très très animée à la table de billard. Impressionner les jeunes filles avec des queues, c’est d’un classique… Pour nous, qui sortons la scopa, c’est enfin l’occasion de contrebalancer notre malchance des derniers jours. Mais pas d’illusions tout de même, nous allons perdre… De beaucoup moins qu’hier et qu’à Killarney. Les filles vont même se croire menacées, c’est vous dire. Pour la suite, nous discuterons et jouerons un peu plus au Skull and Roses, c’est beaucoup plus équilibré. Michel prendra un Irish Coffee en attendant la musique, et nous jouons un peu avec la caméra GoPro, qui je le rappelle aurait été la plus belle surprise du voyage si Marie n’avait été enceinte.

Enfin, la caméra se révèle capricieuse, il y a à l’évidence un problème de batterie qui nous gêne beaucoup : cette dernière se décharge même l’appareil éteint : durant tout le voyage, il ne faudra jamais compter l’utiliser plus d’une vingtaine de minutes entre deux charges… Comme nous ne sommes pas perpétuellement à la recherche d’une prise (on a déjà fort à faire avec nos vessies) il faut bien choisir quoi filmer à l’avance. Et ce soir, nous avons choisi la Live Music. Sauf que voilà, en véritables stars en devenir, les deux jeunes qui font l’animation musicale prennent beaucoup de temps pour accorder leurs instruments. Non, je ne suis pas de mauvaise foi, je sais l’importance de la justesse d’une guitare ou d’un violon. Mais quand même, vingt à trente minutes, c’est beaucoup. A bien y réfléchir d’ailleurs, il doit s’agir d’une formation spécifiquement entraînée à jouer durant les mi-temps des matchs de Hockey ou de Gaelic Football : en passant une grande partie de la soirée à jouer, nous entendrons un total de quatre morceaux.


Il n’empêche que lorsqu’ils jouent pour de vrai (la limite est parfois ténue), la beauté du son est au rendez-vous. Il y a de la qualité, et du bon cidre, tandis que Marie est enfin totalement déboutée au Skull and Roses (elle a mal anticipé Michel, comme nous tous). Pour nous, il est bientôt temps de faire le bilan de cette journée « ascenseur émotionnel », qui aura réservé son lot de diamants dans ce grand marais auquel ressemble parfois le Connemara. On se promet que ce n’est que partie remise, que la prochaine fois que nous viendrons, nous trouverons les chemins de randos, les vrais. Et même qu’il fera beau. Mais comme nous en sommes à rêver, autant aller au B&B : demain, la route reprend ses droits, dans une succession impressionnante de points de passage pour relier Roundstone au Donegal. 
Je ne résiste pourtant pas à l’envie de m’endormir sur mon bouquin, en pleine filature discrète….

lundi 7 juillet 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 30

Episode 30: Over the Rainbow

Nous expédions le déjeuner en quelques minutes à peine. Pas besoin de s’attarder pour la vue, puisqu’à part les gouttes qui s’écrasent en rythme sur le pare-brise, c’est assez limité. Nous prenons à peine la précaution de ne pas manger comme des porcs car il nous reste mine de rien presque la moitié du voyage à faire dans cette même voiture. Flute. Nous avons comme l’impression qu’on nous a joué un mauvais tour, tour dont la fin ne serait pas encore annoncé : on a beau toujours rire tous les quatre, ça devient salement crispé et sarcastique. Lough Maskey. Tu parles. Comme on dit dans le jargon, nous avons bien les boules. A tel point que finalement nous décidons de prendre le dessert à Roundstone, à l’abri dans notre magnifique petit B&B. J’en oublierai complètement mon cake aux fruits confits, qui aurait pu me remonter le moral (souvenez-vous, je ne le partagerai pour rien au monde).

Et pour coller avec l’image globale du moment, je me coltine des imbéciles sur toute la route du retour, un qui clairement aurait du s’inscrire sur circuit, et un autre dont soyons-en surs, la pile du pacemaker avait lâché. Je deviens franchement grognon, et c’est pire encore lorsque Marie et Michel, pauvres inconscients qui n’ont pas vu les volutes de fumée se dégager de mes oreilles, me le font remarquer. Julie aurait presque pu les prévenir : un franc silence aurait été la meilleure solution. A la place de quoi les remarques « calmes-toi tu es énervé », criantes vérités que je ne veux jamais entendre, résonnent en boucle dans mon esprit. J’ai presque envie de m’énerver franchement, juste pour leur montrer que là, on en est qu’à la mise en bouche, à l’apéritif. On en est aux verrines de l’énervement, là, les gars. Je peux sortir la choucroute, j’en suis à deux doigts. Julie l’a bien compris, qui ne dit rien mais se contente de me tapoter la jambe (ça ne change rien, mais je me calme en sachant qu’elle sait que je suis chaud bouillant).

J’aurais l’occasion de bouder tranquillement dans notre chambre, le nez vissé sur mon bouquin en attendant mon tour pour la douche (comme si on n’avait pas eu assez de flotte sur le coin de la gueule, franchement). Les bouquins, c’est magnifique. La projection fait que, en quelques minutes à peine, je ne suis plus sous la couette à Roundstone, mais à Vienne et au Pakistan avec Jack Ryan Junior. Traquer les terroristes, il y a pas, ça repose. Ca détend. Une demi-heure d’espionnages en tous genres plus tard, je peux tranquillement aller penser à autre chose sous la douche, et refaire le plein d’énergie. J’ai presque l’impression, en revenant dans la chambre, que le ciel s’est un peu dégagé. Tenterait-on une sortie ? Je le propose à Julie, qui accepte, frustrée d’avoir à passer plus d’une heure assise dans la chambre en attendant Godot (ou la fin de la pluie, allez savoir). Mais cette échappée, nous la tentons en solitaires : pas question de perdre du temps, et puis comme on ne les a pas prévenus, on ne voudrait pas déranger nos voisins au milieu d’une activité sportive de couple.

Une fois dehors, ça sent encore l’humide, mais au moins on n’est pas obligés de mettre les capuches. Nous cherchons d’un bon pas un chemin pour monter sur la colline située derrière le village, qui devrait en toute logique offrir une petite vue sur Roundstone et les quelques bras de mer situés dans le coin. La fin du village, nous l’atteignons facilement (tournez à gauche, voilà, encore cinquante mètres, et voilà). Il y a ensuite un enchaînement de fermes et de granges plus ou moins désertes. Nous passons (comme d’habitude) à un cheveu de nous faire dévorer vivants par un gros spécimen de chien, avant d’arriver en pleine nature. Ici, le paysage n’est pas arboré, il n’y a que des buissons qui se sont agrippés à la pente de la colline jusqu’à son sommet, montrant avec de véritables bosquets de fougères, des centaines de teintes de vert, de jaune, de bruns qui s’échelonnent à perte de vue. Malheureusement, la perte de vue, ce n’est bientôt plus que cent, puis cinquante mètres. Puis même vingt, en fait, avec du vent et… Oui, vous l’aurez deviné, de la pluie. Le grain s’est levé en quelques minutes, comme surgi de la mer, comme tombé d’un nuage beaucoup plus haut. 
C’est fou quoi, on ne peut pas sortir tranquilles cinq minutes sans se prendre le déluge.

Heureusement, nous avions prix nos imperméables, mais ça ne rend pas l’expérience plus plaisante. Nous tentons quelques vannes entre nous, mais en gros, nous nous contentons de rentrer au B&B le plus rapidement possible. Sans un mot, je me remets sous la couette, ressors mon bouquin, et m’y plonge avec une ardeur renouvelée. Julie s’en va dans une des siestes dont elle a le secret, endormie en quelques secondes à peine. C’est reparti pour l’espionnage. Les comptes bancaires des terroristes les ont trahis, et leur intermédiaire se fait filer à Vienne. La ville a l’air sympathique, mais l’action dérape bien vite avec une bavure : le principal suspect se fait renverser alors qu’il est sur le point de révéler des informations capitales. Retour à la case départ pour l’équipe d’investigation, qui va devoir revoir les détails en profondeur…

Quoi ? Comment ça, « on aimerait aller à la plage » ? Vous vous êtes cognés la tête ? M’enfin, regardez dehors, il pleut à torrents, et… Ah, ben non en fait. Minute. C’est très fort, parce que le Connemara nous a joué un tour qui n’appartient qu’à lui. Le temps que je poursuive mes investigations à Vienne, tout le gris a été remplacé par un bleu resplendissant. On devine un bon vent du large, et il n’y a plus une seule volute à l’horizon. Attention, je suis un peu frustré, donc pour moi ça ne change pas l’envie du moment. J’ai commencé à bouquiner, on ne pourra pas m’en déloger aussi facilement. Malheureusement pour moi, ce n’est pas aussi simple que de se retourner dans ce grand lit double. Julie vient me voir. M’expliquer que nos amis aussi ont envie d’aller voir la plage, que Marie a toujours son pari à respecter, que c’est sans doute l’unique occasion, et que cela ferait du bien à tout le monde de voir un peu l’extérieur sans avoir la paranoïa de remettre la capuche toutes les trente secondes. Enfin, du bien à tous, sauf à moi. Je veux lire. Mais bon, il faut quand même se rendre à l’évidence. Déjà, je suis marié, ce qui ne me donne pas toujours voix au chapitre. Et puis ensuite, il n’est pas difficile de comprendre que si le temps se maintient, je serais tout à fait à l’aise pour lire à la plage.

Ainsi donc nous sommes ressortis, même si j’étais à reculons. Je pense que Marie et Michel ont bien compris que j’étais encore un peu d’humeur bougonne (ou alors ils ont été briefés à mon insu), et ils respectent la distance de sécurité, ne tentent pas de nourrir l’animal à travers les grilles. De mon côté je récupère vite, parce que là dehors, c’est quand même une splendeur, quand on a de la visibilité. Nous longeons pour quelques kilomètres une côte très découpée, sans falaises mais saturée de petites criques, de replis, de failles dans ce granit épais qui parcours toute la côte jusqu’au pied des collines. Comme en Bretagne, d’épais taillis sont fichés dans les roches, de petits murets de pierre séparent champs de cailloux et arbres séculaires. Guidé par mes camarades (ils ont bien compris que je ne ferai pas l’effort, j’ai encore le Lough Maskey bien en tête), je les conduis à un petit parking, un peu en surplomb mais néanmoins léché par les embruns, juste au bord de la mer. Et a notre droite, la plage.

Nous décidons de marcher un peu le long de la ligne d’eau, de flâner entre terre et mer. Et deux cent mètres plus loin, nous établissons notre camp de base. Je ne me fais pas prier pour choisir un rocher, m’y caler profondément, et je sors mon bouquin. Difficile d’imaginer plus bel endroit pour lire (je vous parlerai du Mozambique un autre jour), les pieds nus enfoncés dans le sable chaud, la nuque caressée par le soleil retrouvé, et les cheveux en bataille par l’une ou l’autre bourrasque de vent. Un catamaran guidé de main de maître tire des bords à quelques mètres du sable, tandis que quelques mouettes curieuses se sont rapprochées de nous, pataugeant dans le sable mou effleuré par la mer. Le nez plongé dans mes pages, je rate le déshabillage de Marie (qui dans tous les cas ne m’était pas destiné), et reprends l’action sur les cris coordonnés du reste de l’équipe. Lors de la préparation du voyage, Marie s’était exclamée dans un seul souffle qu’elle n’hésiterai pas à se baigner en Irlande, faisant fi des températures, de la météo ou du fait que le pays n’est pas connu pour ses plages.

Puisque nous en avons trouvé une, de plage, elle est restée fidèle à sa parole. Et là ou clairement je serai retourné lire mon bouquin (vous ne le savez peut-être pas mais l’eau n’est pas tout à fait mon élément favori), Marie s’est élancée dans l’eau à toutes jambes. J’en étais à me remémorer les procédures en cas d’infarctus lorsqu’elle a finalement pu avoir assez de fond pour esquisser quelques brasses. J’étais sidéré parce qu’au final, non seulement elle avait tenu son pari mais elle avait l’air de vraiment en profiter. Ou bien profitait-elle de l’attention des deux photographes attitrés de l’évènement, Michel qui se rinçait l’œil pour son book perso et Julie qui restait dans une lignée plus traditionnelle. Je ne suis pas resté longtemps à regarder les longueurs de la seule femme en maillot de bain sur la plage, j’avais à faire à Vienne, aussi me suis-je laissé porter par le vent, le doux raclement des vagues sur les rochers, et cette sensation unique de se frotter les pieds dans le sable fin.


Lorsqu’enfin j’ai relevé la tête, j’étais seul. 

jeudi 3 juillet 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 29

Episode 29: Au Lough Maskey Ohé ohé

Comme le chemin paraît plus court une fois dans la voiture ! Sur cette mince bande de béton gravillonnée que nous avons parcourus ce matin, je m’avance à présent avec le Quashquaï, à un petit vingt à l’heure qui nous permet à tous de profiter du paysage. Avant d’arriver sous le Mamean, il faut à nouveau affronter les moutons, qui cette fois prennent une peur bleue à la vue de la voiture (hahaha, on fait moins les malins, maintenant !). Malheureusement n’étant pas bien plus intelligents que deux heures plus tôt, un bon nombre d’entre eux continuent plusieurs minutes à courir sur la route dans le sens de la marche. Eh bé. Ensuite, la route grimpe vers l’inconnu. Je roule encore moins vite, car nos regards sont comme attirés par les sommets, la pureté de cette lande qui s’en va de gauche et de droite se perdre dans les tourbières. Il pleut franchement, c’est un plaisir d’être à l’abri. Même si tout le monde fait des efforts pour baisser les vitres et tenter de temps en temps un cliché correct sur ces collines de pierre. Ce sera sans grand succès, un paysage comme celui-ci, il faut le vivre, c’est sans alternative.

Quelques centaines de mètres plus loin, c’est des vaches qui font obstruction. Pour des raisons évidentes avec l’assurance carrosserie, je vais un peu moins les brusquer que les moutons (même si ça ne m’empêche pas de klaxonner, il n’y a personne qui vit à des kilomètres à la ronde). Enfin, nous arrivons le long de ce grand lac (ici on dit Lough), qui paraît énorme mais mérite à peine de figurer sur les cartes de la région, sans parler du croquis immonde du Livre de Rando. La route descend le long de l’eau en zigzaguant sur de petites collines. Le rythme est unique, l’immensité toute à nous, et même les nuages bas ne viennent pas (trop) gâcher l’expérience. Une fois revenus sur un axe un peu plus fréquenté, chaque passage de voiture à nos côtés est comme un étrange rappel à la réalité à côté de tout ce dénuement naturel.

La pluie finit quand même par nous énerver, parce qu’elle empêche les prises de vues à travers le pare-brise, que les gouttes ont quand même trouvé moyen d’arroser les fenêtres, et que l’on ne peut rouler avec la vitre ouverte que quelques secondes sous peine d’inondation. Et puis quelques constructions humaines traversent cette nature vide par essence : plusieurs fois nous aurons des lignes électriques, infinies lignes droites qui semblent sortir directement des nuages pour les relier à la civilisation. Nous roulons à notre cadence d’escargots quelques kilomètres, avant que je finisse par regagner une allure de croisière plus raisonnable. Aucun de nous ne sait où aller, mais nous décidons de nous laisser bercer par les collines et les lacs, malgré le dépit d’être copieusement arrosés. Lorsqu’un carrefour se présente à nous, c’est le grand débat. Le seul objectif qui nous tient à minimum à cœur, c’est le Laugh Maskey. A cause de la chanson, oui (même si c’est un bal masqué, normalement, nous ne faisons aucune différence). Voyez, nous étions prêts à faire les idiots dans une parodie de clip. Pourtant, à l’intersection je repère un panneau pour une abbaye du seizième siècle. Je le « sens » bien, expliquais-je à mes camarades. Et ces derniers, mi-blasés mi-habitués à me voir faire de petits détours dans les premiers jours, ne se formalisent pas.

Un lough plus loin (la visibilité baisse drastiquement, ces dernières minutes), un grand panneau nous indique le parking. Oui, enfin, le parking voitures. On commence à comprendre que ce n’est pas la petite abbaye du village lorsque je m’aperçois qu’il y a un parking bus, puis un autre, puis deux parking voitures pleins, des guides de parking (oui oui comme à Europapark) et même un terrain de dégagement sur lequel on nous emmène, tout timides que nous sommes devenus. Ce n’est que lorsque nous passons un petit pont le long de l’eau que nous prenons véritablement la dimension du truc. Dans un « whaou » généralisé, nous nous sommes tous tournés vers la gauche. A deux cent mètres de là, le long d’un petit Lough parsemé de vaguelettes, l’un des plus imposants châteaux du pays. Erigé au-dessus de terrasses qui débordent de végétation, comme sorti de la brume épaisse qui envahit la vallée, le corps principal du bâtiment est à la fois massif et élégant, bardé de sculptures décoratives dans un style victorien (enfin, je crois que c’est victorien, en tout cas ça en jette sévère). Ce sont surtout les dimensions qui étonnent au milieu de ce coin perdu : c’est d’une démesure géniale… Presque appropriée au paysage.

Une fois garés sur un espace qui ne doit servir qu’en cas de grande affluence, sorte de terre-plein de sable orangé qui colle aux godasses, nous allons voir la bâtisse de plus près. Enfin, pas de trop près, car n’est-ce pas c’est payant. Le prix, qui englobe la visite des jardins, de l’abbaye, de l’énorme château… N’est qu’à seize euros. Mais les jardins, j’aime autant vous dire qu’ils sont déserts et humides, et que partout ou un espace est abrité, on trouve une vague ininterrompue de touristes. Et par touristes je veux dire retraités. Ils sont tous là, c’est à se demander s’ils poussent dans le coin, sans doute une usine. Devant l’affluence, que la météo explique aussi, nous renonçons. Et puis Marie et Michel ont une « limite de musées et châteaux » à ne pas dépasser, sorte de quota à respecter sur la durée du voyage, et qu’il serait bête de dépenser dans une visite non planifiée. Non, après quelques photographies le long de la berge, quelques photos de couples avec le château qui se découpe dans le nuage derrière nous, nous rebroussons chemins. C’est déjà l’heure de se préoccuper de nos vessies (ou encore, selon les points de vue), aussi nous allons tenter le coup dans la boutique/restaurant/hall d’accueil à l’entrée du parc. Et dès l’entrée, c’est comme un choc.

Nous n’avions pas oublié la pluie, loin de là, mais ses effets : tout le monde se réfugie à l’intérieur. La boutique est simplement bondée, mais il y a pire. Derrière, un gigantesque réfectoire semble littéralement sur le point d’exploser. A cause du nombre démesuré de touristes (moyenne d’âge, autour de 65) oui, mais aussi du niveau sonore proche d’harmoniques sans doute destructrices. Pour vous dire, rien qu’à traverser la salle on s’est presque sentis mal (et dévisagés, avec nos déguisements de randonneurs nous ne passons pas vraiment inaperçus). Devant les toilettes, les filles se résignent d’abord à une longue attente, avant de se rendre compte qu’il s’agissait simplement de trois nanas qui discutaient dans le couloir (pas de meilleur endroit, c’est certain). Enfin, lorsque nous sortons, nous nous apercevons qu’il y avait un accès juste à côté des toilettes, qui nous aurait évité la traversée de la salle infernale.

Quelques minutes plus tard, nous laissons Kylemore Abbey derrière nous. Les sentiments sont partagés, entre l’heureuse surprise de la découverte d’un tel chef d’œuvre au hasard complet, le monde que nous avons pu croiser, et la pluie. J’aime autant vous dire que la flotte, ce jour là, c’était parti pour durer. A tel point que dans les minutes qui ont suivi, nous n’avons même pas pu profiter du paysage, le Connemara tout entier semblant englouti dans un gigantesque nuage humide. Il fait froid en plus, parce que nous devons lutter contre la buée. Putain c’est juré, on se trouve le lough Maskey, on mange nos sandwichs sur place, et on rentre faire la sieste. Hum. C’est que, je vous l’ai déjà dit, le coin ne fleurit pas de routes à tous les printemps : les croisements se comptent sur les doigts d’une main, et les deux voies existantes sont… Tortueuses, pour être gentil. Il faut pas mal de temps pour faire peu de kilomètres, et pas mal de kilomètres pour progresser sur la carte.

Mais quand ça se dégage, nous sommes sans voix. Arrivés dans un fjord (ils disent aussi Lough, mais je considère que si c’est raccordé à la mer…), nous avons simplement l’un des plus beaux panoramas de tout le voyage. La mer, d’un bleu noir moutonnant, vient jouer avec le vert renouvelé qui couvre les pentes raides de cette cuvette naturelle. Les contrastes sont saisissants, et les cages à huitres qui dépassent de l’eau semblent faire miroiter les trois rayons de soleil qui viennent se perdre au cours de notre traversée. Au bout, un petit village, accroché à la mer, soudé à son moulin et résistant depuis des siècles aux assauts du temps, des vagues et des sentiers, qui doivent être traitres. Il y a des moutons colorés tout le long de la route, peints des fois du cou jusqu’à la queue pour identifier leur propriétaires, dans des tons bariolés qui les rendent reconnaissables à des centaines de mètres.

Quelle splendeur ! J’en rate le seul embranchement à dix kilomètres à la ronde, l’occasion de constater qu’un demi-tour sur ces petites routes est plus traitre qu’il n’y parait (heureusement avec l’affluence locale, on était au calme). La route serpente, monte d’abord puis descend se perdre dans des forêts de sapins, rendant la route dangereuse et glissante sous la pluie. Le GPS ne trouve pas la route pour le Lough Maskey (normal, d’où son nom), mais Julie nous guide à la carte… Et il est censé y avoir sur la portion que l’on traverse une route qui s’oriente à gauche. Sauf que rien, voilà. Pas de panneaux, pas d’autres indications que des ventes de lait de brebis, des marchés aux puces et des B&B pour touristes perdus. Dont nous faisons partie finalement, car je ne trouve pas l’embranchement. Et avec la pluie, le fait de ne pas trouver, la buée, le GPS, la pluie… On finit par perdre patience. Nous nous arrêterons quelques kilomètres plus loin, après avoir trouvé une aire en bord de route qui soit un minimum satisfaisante (une vue à minima, si déjà on doit manger dans la voiture). Devant nous, le Lough Akray, ou plutôt un petit bout de ce qui est le plus grand lac du pays. Souvenez-vous, nous l’avions déjà longé hier en arrivant dans le Connemara… A près d’une soixantaine de kilomètres de là ou nous sommes arrêtés. La déception est rude. Le voile de brume refuse obstinément de se lever, la pluie de cesser de tomber, et le Lough Maskey de se dévoiler. Alors, abandon ou éclair de sagesse, nous avons décidé, la bouche pleine, de revenir aux sources du bonheur, de prendre une bonne douche et d’aller se reposer.


Le Lough Maskey restera bel et bien masqué. Ohé, ohé.