Prison de Fleury, 2
octobre
A l’attention du capitaine Hakim Markelian
Cher capitaine,
Tout d’abord, permettez-moi de
vous féliciter pour votre promotion, même si elle date de quelques mois, je
n’avais pas alors l’envie de prendre la plume. J’ai toujours trouvé que vous
faisiez un lieutenant exemplaire, et je suis ravi que votre hiérarchie me
soutienne sur ce point. A eux non plus je n’ai pas écrit pour témoigner de mon
point de vue, je n’aurais pas souhaité vous nuire. Malgré tout, les journées
doivent êtres chargées dans votre nouveau poste de responsable des homicides
sur la région Paris-Nord. Bon, nous sommes entre gentlemen, c’est assuré.
J’ai ton attention, poulaga. Alors, on se tutoie,
non ?
Pourquoi est-ce que ce taulard
m’écrit, tu te demandes? C’est tout naturel. On s’est vraiment côtoyés que le temps
de ma garde à vue dans tes locaux, combien… Une grosse dizaine d’heures ?
Ton supérieur (quel tas de merde) a jugé bon de me placer en détention, alors
que toi, tu brûlais de continuer tes recherches. Et, je peux te l’avouer
maintenant, tu avais foutrement raison. Et même raison sur une échelle que tu
ne pouvais même imaginer. Ha les poulets, toujours à regarder la poutre dans le
cul du voisin. Tu n’avais pas remarqué comme je retenais ma respiration
lorsqu’en plein interrogatoire sur l’affaire qui me concernait, un de tes
collègues du Quai (Sandon, Sandier ? Un petit gros avec un manteau à la
colombo) avait déboulé en annonçant la découverte d’un nouveau cadavre de
chauffeur ? Peut-être. J’avais repéré dans ton regard l’intérêt du fin
limier (j’ai lu que c’était une race de chiens, tu te rends compte ?), et
c’est pour ça que j’ai choisi de t’écrire, à toi et pas un autre sous-fifre.
Tes résultats depuis les cinq ans que je suis en captivité sont excellents.
Plusieurs affaires, dont ce violeur-tueur de la Défense, un vrai héros, le
Markelian ! Enfin, gars ! Enfin t’es digne de mes attentions. Parce
que oui, j’ai des choses à te révéler, et je tiens à t’y associer… Histoire que
dans un souci d’égalité (je déconne), nos deux intelligences puissent se
montrer à la hauteur du challenge.
Le cadavre du chauffeur était
l’un des miens. Ouais, ouais, des miens, au pluriel. Doués comme vous êtes, vous
n’en avez trouvé que huit, mais il en reste deux, probablement bouffés par des
chiens errants le long de la berge de la Seine, plus haut que vos zones de
recherche.
Toi, Markelian, t’étais le
seul dans tout le central à trouver que mes déclarations paraissaient « vides
de sentiments et récitées ». Evidemment, tête de con, j’étais pas vraiment
un touriste ! J’avais tué une petite vieille en la poussant du haut des
escaliers d’un immeuble, et « oh je m’en voulais terriblement ». Tu
parles. J’ai même cru que vous l’aviez repérée, ma comédie. Parce que bon, est
ce que c’était vraiment nécessaire de m’interroger six heures d’affilée si
c’était pour me croire ? Pour écrire dans ton rapport que c’était bien un
homicide involontaire ? Ptet que je suis démasqué, je me disais à
l’époque !
Bon, je m’étais livré un peu
tard, c’est vrai. Mes arguments ne tenaient pas tous la route, mais comme il
n’y avait pas d’autre explication, vous étiez bien obligés d’y croire. Et attention,
j’ai pas menti sur toute la ligne, hein, je l’ai dézinguée la vieille. C’était
moi. Si je récitais ma leçon, c’était pour pas en dire trop, c’est tout. La
plupart du temps, je bosse sous contrat, et là c’était le cas. Mais t’espérais
quand même pas que je déballe ça avec les menottes dans le dos ? T’es con
ou quoi Markelian ? Et oh, debout là dedans ! Si je l’ouvrais à
propos de ça, il aurait fallu que je raconte tout le reste, ça aurait pris des
plombes. Alors je m’en suis tenu à ce que je voulais bien vous dire : j’ai
poussé la vieille, elle est morte, c’était triste. Terrible. Tu voulais aussi
que je raconte que j’avais claqué sa tête 4-5 fois sur le marbre pour bien être
sûr ? Eh ben ouais, mais c’est pas sept ans que je prenais, là, c’était
vingt. Vingt ans, t’imagines ? Faudrait vraiment que je sois un abruti
fini.
J’aurais pu te raconter les
chauffeurs de taxi. Un contrat de vicieux, ça. Un albanais qui m’avait
embauché, un vrai rapiat. Ce trou du cul avait rien trouvé de mieux que virer
dix chauffeurs de la circulation pour que les siens puissent s’installer. Je
sais pas vraiment si ça a marché, tu imagines que depuis que je suis en cabane,
je le vois pas m’apporter des petits pains tous les mardis. Il sait sans doute
pas que c’est moi, d’ailleurs, ils me connaissent pas sous le même nom que
vous. Tiens je te vois réfléchir, capitaine. Tu me crois pas. Tu t’en balances
de ces chauffeurs, tu penses que je me met la main dans le slip à te raconter
des conneries. Tiens, voilà un détail qui te fera relire les rapports
d’autopsie (prévois un bon café, mon salaud). L’albanais était un croyant, un
vrai fana. Il m’avait commandé que je fasse un petit croissant de lune sur la
poitrine des chauffeurs. Et l’enculé, comme le détail a pas fuité dans la
presse, il a voulu une ristourne ! Si c’est pas gonflé.
Alors, tu me crois,
Markelian ? On est pas encore copains, toi et moi ? Enfin, je sens
que j’ai ton attention, c’est déjà ça. Ici c’est la jungle. Pas un qui sait
qu’avec un crayon on peut faire autre chose que planter des néonazis sous la
douche. Attention, c’est un vrai plaisir, faut pas déconner. Mais on se lasse
de tout. Personne ne lit ici. Si t’as pas deux-trois nichons sur chaque page,
t’as gaspillé ton argent. Franchement ? Je m’ennuie. Tu sais que je suis
riche ? Enfin, pas riche riche, mais je pourrais prendre une petite
retraite pour me ranger. Personne n’a trouvé mon fric, crois-moi, sinon
j’aurais reçu plus de visites. Eh ouais. Note que, je fais pas ça que pour
l’argent mais je serais un vrai débile de pas en profiter.
Et toi dans tout ça ? Tu
sais toujours pas pourquoi je me suis rendu pour avoir buté la petite vieille.
Ca viendra, Markelian, ça viendra. Si je te raconte tout maintenant, t’en auras
assez pour te torcher toute la semaine. C’est pas le but. Je suis un tueur. Ca
donne… Un pouvoir. Tu peux l’imaginer ou pas ? Hein, capitaine, t’as déjà
vidé quelqu’un ? Je suis pas sur que non. T’aurais peut-être les couilles,
même si tu t’en voudrais à mort. Rah, j’aimerais que tu me dises, ça me
travaille depuis des heures. Tu me tuerais ? Oui. Ca aurait même de la
gueule, ça. Tu vois, capitaine, j’ai besoin de me tourner vers quelqu’un qui
pourrait me comprendre. Pas d’un idiot de psy qui va m’écouter débiter mes faux
remords comme dans les dernières années. Je suis pas Hitler hein, je suis bien
désolé pour la vieille Delage, mais comme dit c’était pas personnel. Mauvais
endroit, mauvais moment, et on m’avait payé.
Oui toi, Markelian, tu m’écouteras.
Bon tu répondras jamais parce que toi et moi, on est pas fait pour se payer des
bières, plutôt se les envoyer à la gueule quand on aura fini nos munitions.
Mais quand même. Et puis je sais que tu voudras les lire, mes lettres. C’est
pas parce que t’aimes mon style, chou, mais tu veux de l’avance sur les autres,
et tu l’auras. Parce que c’est à toi que je parle.
Avec la vitesse habituelle
pour le courrier depuis Fleury, je me serais échappé depuis deux-trois jours
quand tu liras tout ça. Enfin, je serais peut-être cané, et là ça te feras
juste rire. Sale con. Mais je pense que je serais dehors, plutôt. J’y ai mis
les moyens, j’ai léché trop de culs pour que ça rate. Bientôt l’heure, dis-donc !
Allez, on se revoit bientôt
mon petit Markelian. Tu vas voir, on va bien rigoler.
Cedric.