Episode 55: Petits transit entre amis
Une fois sur la route,
l’ambiance oscille vite entre une sorte de sieste bien méritée et une
mélancolie latente. C’est la fin des vacances, et nous tentons à la fois de profiter
un maximum des derniers instants, tout en sachant bien qu’il ne reste qu’une
longue liste de choses plus ou moins ennuyeuses à régler si elles se passent
correctement (exemple : un décollage raté, c’est vite chiant). Evidemment,
nous avons relâché trop vite notre garde, et grâce à une suite merdique de feux
rouges à quatre voies dans lesquels je suis systématiquement mal placé nous
mettrons un peu plus de temps que prévu pour quitter Belfast... Malgré tout une
fois sur l’autoroute, les locataires de la banquette arrière partent dans une
sieste méritée, tandis que je vérifie une fois toutes les vingt minutes que
nous sommes toujours sur la bonne route. Direction plein sud : nous
retournons à Dublin, pour rendre la voiture et prendre l’avion. Comme nous
avons le temps de réfléchir et que j’ai beaucoup d’imagination, je commence à
suer à grosses gouttes : la voiture ne passera jamais le contrôle, on va
en avoir pour 1500 boules, c’est sûr. Je réussis peu à peu à me convaincre que
ce n’est pas grave, que le voyage les valait largement, qu’une fois partagée
cette somme, ça ne fait plus que 375euros par personne…
Il faut dire qu’à part rouler
à la limite de la vitesse autorisée, on manque singulièrement de choses à
faire. Nous sommes encore dans l’ambiance de notre visite du Titanic Belfast,
et c’est normal. Une petite heure plus tard, c’est l’occasion de se féliciter
une fois de plus d’avoir choisi de prendre un GPS (et de n’avoir pas baissé les
bras avec lui, il est devenu le cinquième compagnon, au même titre que le
bébé). Parce que certes, je suis capable de dire que nous sommes en banlieue
Nord de Dublin, que l’aéroport est à un jet de pierre… Mais j’aurais été
strictement désespéré s’il avait fallu retrouver notre loueur de voiture tous
seuls. Nous utilisons aussi les portables (celui de Michel), au risque
d’utiliser un peu de nos forfait data, pour pouvoir trouver une station
essence. C’est le moment de savoir si on est joueurs ou pas. Michel me
conseille de ne pas le remplir à ras-bord, car cela ne se verra pas sur la
jauge, et nous pourrons payer moins. C’est vrai, finalement, comme il nous
reste moins de deux kilomètres à faire, autant jouer un peu sur la mesure… Par
contre, je n’ai pas dû les arnaquer de beaucoup : je n’ai pas l’habitude
de faire le plein à l’oreille alors j’aime autant vous dire qu’on ne devait pas
être trop loin du taquet !
Arrive le moment de retenir
notre souffle. Je fais bien attention à ne pas me prendre la barrière,
traîtresse, à l’entrée de chez Enterprise. On aurait eu l’air malin ! L’un
des agents vient immédiatement nous voir… Mais nous le ferons patienter, car il
faut encore vider le Quashquaï de toutes nos affaires, et aussi se changer pour
Julie et moi (nous mettons toujours nos chaussures de marche dans l’avion,
histoire d’économiser trois kilos)… Finalement, le type repart, mais une
hôtesse vient faire le tour de la voiture dans la foulée. Par chance, le rétro
le plus frôlé est à l’ombre, elle va donc passer à côté sans s’en soucier.
Reste la bosse sur le coffre ! Cette dernière était apparue dès le premier
soir à Killarney, sans que l’on soit rentrés dans quoi que ce soit… Elle n’est
pas très profonde, mais elle fait un joli rond. Et vous savez quoi ?
Personne ne s’en apercevra. Parce qu’en fait, nous sommes encore en train de
nous changer : le coffre est ouvert, il aurait manqué toute la lunette
arrière que ce serait passé à l’as. On me donne mon reçu, et nous avons la
chance de pouvoir profiter d’une navette qui va nous amener presque
immédiatement à l’aéroport. Pour nous, c’est le grand soulagement ! Au
moins une étape qui est bien allée !
Une fois à l’aéroport, on se
fait déposer au mauvais terminal, parce qu’une fois encore, aucun de nous
quatre n’a compris la question. Mais bon, on a deux heures pour trouver un comptoir,
ça devrait aller, non ? Hum. Au début, c’est ce que nous avons pensé.
Notre vol de 16 heures 30, nous avions le temps de le voir venir. Malgré tout,
il y a du monde aux guichets d’Aer Lingus, alors nous devons prendre notre mal
en patience. On s’amuse de regarder les couples s’engueuler, de voir des
petites mamies avec la moitié de leur maison dans leur porte-valise… Les
mauvaises nouvelles vont commencer là, au guichet. Mais pas pour les raisons
que nous avions attendu : Michel et Marie ont judicieusement réparti les
poids de leur valises, et ont improvisé un second bagage. Notre propre valise
frôlera la mesure des 20kg, mais par en dessous, donc on s’en fiche. Non le
gros souci, c’est que ces handicapés chez Aer Lingus, ne sont pas fichus de
nous enregistrer sur notre correspondance. Il faudrait qu’on fasse notre
check-in du vol Amsterdam-Mulhouse en ligne… Ou bien se renseigner, parce que
la nana n’en sait rien et clairement, la question ne lui dresse pas les poils
hors du string.
Commence alors un long voyage,
plus fatiguant qu’il n’y parait. Nous cherchons d’abord le guichet de la KLM,
avec qui nous effectuerons notre second vol. Mais il est dans l’autre terminal.
Une fois sur place, il faut trouver la bonne personne pour répondre à nos
renseignements (donc pas celle à qui nous nous sommes adressés, bien sûr). Tout
ça pour déboucher sur une non-information, à savoir que eux non plus, ils ne
peuvent pas nous faire le check-in d’ici. Mais on peut le faire en ligne,
non ? Problème, le site ne semble pas être disponible en version mobile,
et donc la validation ne passe pas sur les portables. La tension s’élève un
peu. Nous retournons dans l’autre terminal (ça ne fait que trois fois qu’on
pratique ce couloir qui semble infini), qui dispose de PCs en libre accès. Ces
derniers proposent une demi-heure de web gratuit, pour peu qu’on s’inscrive.
Largement de quoi faire notre petite opération, non ? Non. Soit le système
n’est pas au point, soit le modem est assuré par un hamster dans une roue en
carton, mais malgré un quart d’heure à s’acharner, il nous est impossible de nous
connecter au réseau mondial.
Bon, tant pis ! Nous
aurons bien le temps de faire ce check-in à Amsterdam, puisque nous avons sur
place près d’une heure entre notre arrivée et le « boarding time ».
C’est juste que nous n’avons pas vraiment confiance dans les bornes (rappel, à
Bâle ça n’avait pas marché) et que une heure trente pour sortir, passer la
douane, rentrer, faire la queue, le check-in, les contrôles d’entrée, et
rejoindre un terminal potentiellement lointain, ça nous parait un peu ric-rac. A
défaut, toute cette histoire nous aura bien occupés en attendant notre vol. Il
y a encore largement le temps, après le contrôle des sacs (pas de Big Lens
aujourd’hui) pour s’asseoir dans la zone de Duty Free et de regarder les
différents produits. Michel et moi allons tour à tour observer les whiskey,
pour constater qu’on ne nous a pas menti, le fameux Distillery Reserve dans nos
valises n’est pas vendu ici. Mais enfin il y a de quoi faire, et même pour ceux
qui veulent dépenser des sommes indécentes. Dans un moment de repos, nous nous
relayons aussi pour dévorer des yeux l’hôtesse qui officie dans l’espace
« beauté et détente » au centre de l’atrium : nous sommes
subjugués.
Encore un peu d’attente devant
notre avion, et puis c’est l’embarquement. Cette fois, nous ne ferons pas de
chichis, parce que nous sommes trop crevés… Une fois assis dans l’avion, c’est
comme si un bouton « off » avait été déclenché, et nous partons dans
un repos réparateur. C’est à mon réveil que j’ai comme un doute… J’ai
l’impression que nous avons oublié quelque chose d’important, dans notre
histoire de correspondance. Et c’est lorsque je croise les billets que je me
rends compte d’un oubli : l’horaire indiqué à Amsterdam tient compte du
décalage horaire d’une heure entre l’Irlande et le continent. Une boule se
forme dans mon estomac alors que j’en informe les autres, qui s’inquiètent
aussi. C’est vrai que pour faire toutes les formalités, c’est trop long. Une
fois réveillé, Michel nous assure de façon péremptoire que nous aurons le
temps, avant de se tourner et de replonger dans le sommeil. Bien, nous n’aurons
pas le choix, ça passera ou bien nous serons coincés dans la capitale des
Pays-Bas un peu plus longtemps. Comme par chance nous sommes dans les deux
premiers rangs de l’avion (il n’y a pas de première classe), nous pouvons
prévenir le personnel naviguant que nous aimerions vraiment être les premiers à
nous jeter dans le boyau histoire d’avoir une petite chance de battre le
chronomètre.
L’avion passe l’Angleterre,
puis la mer cachée par les nuages, avant de descendre sur Amsterdam. Nous
sommes prêts à bondir au moindre signal ! Et du coup, toutes les
procédures vont nous paraître absolument infinies. Par chance, on accoste
directement sur un terminal, car si on avait dû attendre un bus comme à
l’aller, ça ne serait jamais allé. Dès que nous avons le droit de quitter le
bord, nous jaillissons comme des diables en boite, et nous élançons au pas de
course dans le couloir. En moins de deux minutes, et malgré un flux
ininterrompu de voyageurs autour de nous, nous pouvons trouver une borne de
check-in (l’ultime option étant de se rendre directement à la porte
d’embarquement, en leur expliquant la situation). Nous sommes tous trop nerveux,
alors c’est Michel qui s’y colle. Avec calme et rapidité, il enchaîne les
fiches client et replis les rubriques à l’aide de nos cartes d’identité. Il
faut ensuite scanner les papiers que nous trimballons dans une pochette à
l’arrière de nos sacs depuis dix jours. Et là, vous ne me croirez jamais, mais
ce sont des bips tout à fait normaux et accueillants qu’a produit la machine. Malgré
le stress, la fatigue, et surtout la loi de Murphy qui stipule bien que puisque
nous en avons absolument besoin, la machine ne peut pas fonctionner
correctement… Elle nous imprime nos « boarding pass » personnels.
Cependant, la course n’était
pas encore gagnée. Il nous restait un petit quart d’heure avant l’embarquement,
et pour autant que l’on sache, il pouvait bien être à l’autre bout de cet
aéroport de plusieurs kilomètres de long.