mardi 3 février 2015

Accusé (Episode 10)

rappel, l'extrait suivant est issu du journal intime d'adolescence du héros).

Episode 10: Tous les chats sont gris

On discutait de films quand le grand frère de Chloé est venu la chercher. Il a discuté un peu avec nous et puis il a regardé Lydia sans dire un mot pendant tout le temps où sa sœur s’habillait. JC bouillonnait, mais Geoffrey et moi on faisait notre possible pour lui parler de Jurrassic Parc 3 qui sort l’année prochaine. Il faut dire que, si ce couple-là n’était pas une évidence pour tous ceux qui les connaissent, Lydia est magnifique. Et ses nichons, tu n’as pas idée, JC nous les a déjà décrit en détail. Geoffrey a vraiment réussi à détourner l’attention, parce qu’il en a profité pour nous montrer le nouveau portable que sa mère lui a prêté. On envisageait d’ouvrir les Pages Jaunes et d’appeler n’importe qui, mais personne ne savait comment cacher un numéro, alors on a décidé de sortir faire quelques conneries dehors.

On s’est sacrément bien marrés. La plupart du temps, on se cachait à un coin de rue, et celui ou celle qui était désigné devait courir jusqu’à une porte, sonner et se barrer avant que les habitants ne voient qui que ce soit. Moi, j’ai eu de la chance, une des maisons était vide, et on ne m’a pas vu pour la seconde. On a fait un grand tour du quartier, et on a même utilisé quelques pétards Bison, ceux qui te ramènent directement une heure de colle au bahut. Il y a quand même eu un moment bizarre quand on est arrivés dans la rue derrière chez Aude. Elle nous a montré l’enclos d’un énorme chien que ce voisin utilisait pour faire chier tout le quartier. Et là, avec JC, ils ont quand même pas eu les jetons de balancer des pétards dans l’enclos ! J’essayais de ne pas être le premier à courir, mais j’imagine que si le gars était sorti de sa maison, on aurait passé un sale quart d’heure. J’essayais de rester avec Gwen, qui a adopté une attitude pour laquelle elle fait semblant de me voir. On avait même séparés les groupes à un moment, et elle s’était exprès mise dans l’autre sans un regard.

Arrivés à la maison d’Aude, on a retrouvé Geoffrey qui balisait d’avoir perdu son chapeau à mille francs, alors qu’en fait il l’avait laissé sur le canapé. On s’est installés et les autres ont voulu refaire un poker, mais les filles n’en voulaient pas. Evidemment, tu imagines, elles voulaient danser. On a eu un gros débat sur les discothèques (conclusion, on a tous hâte d’aller y faire un tour mais pour des raisons différentes), et on a fini par mettre la musique avec un gros volume. Mon plan habituel de « je reste assis et je vous regarde » n’a pas marché très longtemps, parce que tout le monde devait participer. C’est Aude elle-même qui est venue me chercher, alors je n’ai pas résisté d’autant que ça faisait quelques minutes que je ne la quittais pas des yeux. Et Gwenaëlle alors ? Je ne sais pas, autant elle a semblé aventureuse au cours du repas, autant elle était distante ensuite. Je décidais de ne pas y penser en me laissant bercer pour le moment. On a quatorze ans putain, si je n’ai pas le droit d’essayer d’embrasser la moitié du monde (les filles, quoi) c’est qu’il y a quelque chose qui cloche. Enfin, avec Aude c’est toujours spécial aussi. Elle est venue m’appâter, pour aussitôt retourner à sa conversation avec Geofffrey ! Je me demande si ce petit saligaud n’est pas aussi sur le coup, l’air de rien.

Inévitablement, on a dansé sur tous les tubes (et un sacré nombre que je ne connaissais pas), en enchaînant les chorégraphies. Là, ça a été difficile, parce que les filles arrivaient à se synchroniser et à faire des trucs de fous, tandis que moi (et Cédric pareil) j’étais perdu. Mais bon elles sont venues nous aider, et à la fin de deux ou trois morceaux qui se ressemblaient, on était tous ensemble, c’était cool. Même si la danse, ce n’est vraiment pas mon truc, personne n’avait l’air de trop se moquer. Après que nos CDs aient été terminés, Aude a mis la télé, elle a une chaîne spéciale sur le câble avec des clips de tubes modernes. Et qui dit tubes… dit aussi slows. Passé 23 heures, il y en a eu plusieurs. Au début, tout le monde est gentiment retourné s’asseoir en quatrième vitesse. Tout le monde sauf JC et Lydia, qui se chuchotaient des trucs à l’oreille.

Ca devenait gênant, alors Aude s’est levée, et s’est avancée vers moi… C’était comme un rêve, sauf que évidemment, elle a demandé à Geoffrey, assis à côté de moi, s’il voulait bien danser. Mortifié, je ne me suis levé que vers la fin de la chanson pour aller demander la main de Gwenaëlle. Qui a dit oui ! J’étais fier. Bien entendu, ça n’a duré que quelques secondes, mais je me sentais apaisé ! Et puis ce n’était pas un slow comme dans les colonies de vacances. Non, on était vraiment dans les bras, avec sa tête appuyée contre mon épaule ! Je pouvais sentir son parfum, et c’était magnifique, tu imagines. Une senteur orangée, quelque chose de frais, de la cannelle… Sa robe exhalait le neuf, de cette odeur que je pourrais renifler à m’en rendre malade. Et la peau se ses bras, douce comme du velours ! J’étais en transe. A la fin de la chanson, j’ai essayé de faire abstraction de tout ce qui nous entourait (des baisers mouillés, à l’évidence). Gwen m’a regardée dans les yeux,  et elle s’est un peu avancée. Je suis sur que j’aurais pu l’embrasser, juste là.

Mais en fait JC était déjà à côté de nous, il voulait absolument danser avec Gwen pour la prochaine chanson. Quel connard ! Non seulement il passe la moitié de la soirée dansante avec la langue dans la bouche de Lydia, mais il vient m’interrompre au pire moment ! D’ailleurs Gwenaëlle ne s’y est pas trompée. Pour le punir, elle a fait un rapide pas de côté et s’est presque jetée sur Cédric. Surpris, il en a quand même bien profité. J’ai laissé passer Céline Dion pour grommeler dans mon coin, avant de dire oui à Mélanie, qui ne pouvait pas mettre sa tête contre mon épaule, puisqu’elle était beaucoup plus grande que moi. A la place, on avait presque les têtes qui se touchaient, c’était… Intéressant ! Mélanie, qui m’avait percée à jour, m’a demandé si j’avais vu Geoffrey et Aude s’embrasser. La réponse était non, j’étais trop absorbé, mais là ça dépassait les bornes ! Rétrospectivement, j’aurais du rester avec Aude dès le départ ! Mes plans ont changé, d’ailleurs depuis je me suis promis de détester Geoffrey, et c’est con parce qu’on s’entend bien d’habitude.

A la télé, les pubs étaient de plus en plus chaudes ! Cédric, JC et moi avons soudainement montré plus d’intérêt pour la télévision. Aude a vite décidé que les clips, c’était terminé. Elle a proposé mon jeu préféré pour les fins de soirée, un Action/Vérité. Tu sais, celui où on te pose la question, Action ou vérité. Il faut choisir avant même que les autres décident quel sera le défi ! Tu comprendras facilement pourquoi, dans ce petit groupe, je choisissais toujours Action (même si je faisais semblant de prendre Vérité de temps en temps pour changer d’avis au dernier moment). Pourtant, on n’a pas eu le temps d’arriver jusqu’à moi. Lydia a répondu à une question, Cédric a tenté de s’embrasser le coude (héhé, impossible) mais arrivé à Geoffrey, il a proposé qu’on aille se coucher. Petit con ! Enfin, je ne l’ai pas dit. Je n’étais pas fatigué pour un sou, mais on est quand même tous allé dans nos chambres respectives.

On a dormi dans nos sacs de couchage avec des petits matelas gonflables. C’était fun, j’étais dans celui qui était le plus proche de la porte. Au début, on a voulu faire des farces aux filles, mais personne n’arrivait à se décider : si on débarquait pendant qu’une d’entre elles se changeait, on allait se faire lyncher. Non, on a joué la sécurité en prévoyant de débarquer tôt dans leur chambre pour y faire une bataille de polochons. A la place, on a décidé de se raconter quelques blagues et des histoires à faire peur. On a donc baissé le volet jusqu’en bas, pour ne laisser filtrer aucune lumière. Je n’en menais pas large, tu imagines. Les histoires des autres étaient nulles (et moi je n’avais carrément rien qui venait), donc on a voulu faire un jeu, mais Cédric (ou JC ?) dormait déjà, donc on s’est tous alignés. J’étais plus crevé que ce que j’imaginais au départ, mais j’ai pris une éternité pour m’endormir. C’était une transe bizarre, dans laquelle j’avais l’impression que le monde entier passait à côté de moi pour entrer et sortir de la chambre. Une fois, la porte était ouverte pour de bon, le reste n’était que des rêves. 

mardi 20 janvier 2015

Accusé (Episode 9)

(rappel, l'extrait suivant est issu du journal intime d'adolescence du héros).


Episode 9: Retour en adolescence

02/11/2000
Cher journal, je sais, je n’ai pas parlé de la journée d’hier, mais il n’y avait rien à en dire : j’ai profité de ce mardi de vacances pour dormir dès que je le pouvais. Les évènements de la nuit chez Aude étaient trop présents dans mon esprit. Je pense que rétrospectivement, j’ai sans doute fait une connerie, mais je raconte tout à l’envers. J’ai peut-être brisé ma promesse pour Aude mais… Enfin, revenons sur un Wonder-Weekend !

Revenons même à vendredi dernier, parce que même si je ne l’ai pas écrit alors (la demi-finale de Koh-Lanta, c’était quand même quelque chose !), il y a eu un petit évènement. Comme d’habitude, j’ai fait le trajet du retour du collège (on avait Christensen de 4 à 6 : la pieuvre !) avec Aude. Elle ne disait pas grand-chose, et elle n’a pas voulu lâcher le morceau avant qu’on arrive au carrefour. Mais là, elle m’a dit qu’elle avait quelque chose d’important à m’annoncer. J’ai tout de suite eu des sueurs froides, avec l’estomac tordu comme une vieille serpillère. J’étais sûr qu’elle avait trouvé un de mes poèmes, qui trainent partout. Ou pire, un dessin. Ou pire, toi, cher journal. Bref j’avais un peu les jetons, à cause de notre espèce d’entente : aucun de nous ne devait évoquer ses sentiments, surtout moi (avec le fiasco de l’année dernière, on se demande pourquoi). Et voilà qu’elle me dit qu’elle ne voulait pas m’inviter à Halloween (merci Aude !) mais qu’elle l’a fait parce que nous sommes de supers amis. Alors elle et Gwenaëlle avaient une promesse pour moi : de ne pas tenter de sortir avec l’une d’elles durant la fête. Bon, à toi je peux le dire, je savais que je mentirais avant d’ouvrir la bouche. J’avais dit à tout le monde que j’y allais. Et puis, ces derniers temps, Séverine (c’est bon, elle s’est mise à côté de moi en allemand !) m’occupe beaucoup.

Bref donc comme j’ai menti tout de suite, je n’y pensais plus (typique de mes devoirs de français). Je ne pensais plus non plus à mon déguisement, ce qui fait qu’au dernier moment, j’ai dû emprunter toute la panoplie de plongée de Marc. Lui n’y venait pas, à la fête, alors il attend toujours mon rapport (et il ne sera pas déçu) ! Je suis arrivé juste en retard, déposé par ma psychotique de mère qui a râlé tout le chemin sur la petite trace qu’ont fait mes palmes sur la porte. Cool, la maniaque ! Pour éviter tout moment gênant, en sachant que Gwen et Aude seraient sur place plus tôt, j’avais stratégiquement trainé : malgré tout, j’étais l’un des premiers sur place. Jeoffrey était présent en Cow-boy, avec ce qui ressemblait au pantalon de son frère qui fait de la moto. Il m’a dit que son chapeau valait plus de 1000 francs mais il se foutait de moi. Un chapeau, de cowboy ! Bref nous sommes allés nous occuper de la musique, j’avais amené ma pochette de CD des musiques de Gladiator et de Nirvana, ainsi que des cassettes de compilations (tu me connais j’ai laissé les plus inspirantes à la maison). 

En s’occupant de la musique, on n’avait pas besoin d’aller voir les meufs à la cuisine. Cédric faisait l’aller-retour entre les deux groupes, en se vantant de sortir son pistolet à billes de son costume de James Bond. C’était cool ! JC est vite fait venu nous voir quand il est arrivé (il était habillé en africain de souche) pour nous raconter que Lydia et lui avaient presque couché ensemble. Il aurait voulu nous en dire plus, mais le reste des filles était arrivé. Mélanie en danseuse de ballet, Aude en fée clochette (ma fée à moi) et Gwenaëlle en… Je ne sais pas, mais jolie ! Lydia était en africaine pour aller avec JC, et Chloé qui s’était pointée en retard, n’avait aucun déguisement. Par mimétisme avec Aude et Gwen, je fais semblant de ne pas l’aimer beaucoup, mais tu sais qu’elle est de plus en plus sexy… Et puis elle est cool, même si elle ne suit pas souvent le groupe.

Evidemment, comme je m’y étais pris à la dernière minute, mon costume (qui a fait sensation) n’était pas aussi photogénique que les autres. Difficile de concurrencer James Bond, Doudou la Savanne et un cow-boy ! Finalement c’était un plan assez moyen, j’avais trop chaud avec ce truc moulant, et je me sentais souvent à poil. Les filles avaient ramené du punch, pour commencer. Moi qui ai toujours cru qu’on disait « peunch », j’ai failli éclater de rire (mais comment savoir aussi, je ne suis pas martiniquais moi) plus d’une fois. Tout le monde a cru que je faisais semblant d’être saoul alors qu’en fait j’avais de petites crampes avec mes palmes. Mais ce n’était pas grave, parce qu’on a bien rigolé ensuite en faisant semblant d’être bourrés. Cédric l’avait déjà été, lui, il m’a même dit qu’il a déjà vidé une demi-bouteille de rouge avec son père. Moi je m’en fiche, j’étais le premier des garçons à fumer. Et même à revendre des cigarettes (il ne faudrait pas qu’on sache que c’est Chloé qui me les vend). Bref, c’était cool, et avec la musique on avait mis une sacré ambiance. Les filles sont ensuite allé faire la cuisine, parce que c’était un défi. Il fallait savoir si elles cuisinaient mieux que nous (on a fait le repas du lendemain). Evidemment, Aude était chez elle, alors elles ont pu faire un gâteau.

Chloé est quand même restée avec nous, à cause de la prise de tête avec Aude et Gwen sur le fait qu’elle n’avait pas de déguisement, et qu’en plus, ses parents venaient la chercher le soir. C’était débile, on voyait bien que Chloé était au bord des larmes. Nous n’avons pas trop su quoi faire, alors Geoffrey a proposé de nous apprendre à jouer au Poker, avec des billets de monopoly. Au début, on n’était pas très chaud, mais je me suis dit que stratégiquement, tout jeu qui pouvait être précédé de « strip » était bon à connaître. Bon, je t’avoue que je n’ai pas tout retenu, parce que Geoffrey et Cédric, qui connaissaient déjà les règles, n’ont fait que nous arnaquer du début à la fin. Moi qui me considérais comme un menteur accompli, j’en ai été pour mes frais. Les filles sont revenues avant la fin de la partie, et semblaient presque énervées qu’on se soit amusés. Lydia était rouge comme une coccinelle (pourtant JC jouait avec nous) et c’est Mélanie, la plus discrète des filles de la Terre, qui a relancé les conversations. Le Punch a rapidement été terminé, alors j’ai proposé de faire une photo pendant qu’on avait tous nos costumes (comme ça j’avais moins de remords à mettre autre chose ensuite).

Tout le monde a aimé mon idée, parce que j’étais le seul à avoir ramené un appareil photo. Au début, je m’étais mis entre Aude et Gwenaëlle, mais finalement on a changé pour mieux faire les idiots. Et en parlant d’idioties, c’est de nouveau Mélanie (il va falloir que je change de regard, elle a des idées géniales) qui a proposé qu’on fasse un défilé de mode. Au début, on se regardait bizarrement avec les autres mecs, mais c’était cool. On devait rester dans la grande chambre au rez-de-chaussée et utiliser la grande penderie que les parents d’Aude n’utilisent plus (il faut dire que pour passer certains trucs sur soi, il fallait avoir plus de courage que pour une tenue de plongée…). J’étais avec JC, qui boudait parce qu’il voulait se changer avec Lydia… Enfin, comme on dit, il y a des hôtels pour ça ! Lydia n’avait pas l’air d’être pressée, puisqu’elle s’est vite fait débrouillée pour être avec Mélanie. On était donc censés être par deux, mais au bout de quelques minutes c’était déjà n’importe quoi ! Aude a réussi à perdre un truc qu’elle est allée chercher dans la chambre avec Geoffrey pendant dix bonnes minutes.

Il y a aussi eu un évènement hautement érotique, mais dont personne n’a parlé ensuite (je n’étais quand même pas le seul à l’avoir vu ! Impossible ?). Gwenaëlle attendait Aude, avec son « habit de scène »,  habillée en russe, avec un énorme col de fourrure et un grand manteau en cuir, et même une chapka ! Cela dit, elle n’avait pas vu qu’un des énormes boutons s’était ouvert. Et en dessous… J’ai vu son sous-tif ! Je te jure, Marc va en pleurer de rage quand je lui raconterais. Je ne sais même pas si quelqu’un d’autre l’a vu, mais Cédric à côté de moi avait tellement l’air de ne pas y penser que je suis sûr qu’il n’a pas pu manquer ça : rouge, comme la couleur de sa robe du déguisement initial ! En dessous ? Je ne me lasse pas d’imaginer.

Lydia a fini par appeler Aude parce que ça sentait le cramé. C’était le gâteau, qu’à force de photos et de déguisements, on avait tous oublié. Chloé se retenait de rire, et Aude était rouge jusqu’aux oreilles, d’autant qu’elle n’avait pas retrouvé son truc (une histoire de boucles d’oreille). Geoffrey ne l’avait pas beaucoup aidée ! Du coup, nous avons retrouvé nos chances de mieux cuisiner que les meufs demain à midi. Nous sommes restés dans la cuisine le temps qu’elles finissent de faire leur salade de riz et de réchauffer le poulet qui allait avec. C’était quelconque, mais pas mauvais ! JC a tenté de faire manger sa part à Mélanie, qui n’avait rien voulu sans son assiette. Elle devait être malade, je ne l’ai pas vue manger plus de trois cuillérées d’affilée durant ces deux jours. Le repas était bien, mais Cédric a commencé à parler de chansons du moment, et j’étais complètement paumé. Il faut bien dire que les paroles d’ « Angela », ça me passionne moyen. Mais c’est à ce moment-là que la fête a basculé pour moi, et que j’ai sans m’en rendre compte brisé ma parole à Aude. Gwenaëlle m’a fait du pied ! A moi ! Elle agissait en toute connaissance de cause, je le voyais sur sa figure, faussement détendue mais les oreilles bouillonnantes. Elle déviait le regard, et plus je réagissais, plus je tentais de me convaincre que Gwen ne pensait pas simplement caresser le pied de la table. Impossible qu’elle se soit trompée !


Bon je sais que pour toi, je dois tout clarifier, tout expliquer. C’est bien Aude que j’aime, ça fait des années. Mais Gwen… euh… Est une fille ! Ca compte. D’autre part, Aude se rendra peut-être compte qu’elle voulait me garder pour elle, si je sors avec Gwenaëlle. Maintenant, je ne sais pas, mais sur le moment, j’ai envoyé valser toute autre pensée parasite. Tu sais, je crois que le destin m’envoie des signes évidents. D’abord cette vision extraordinaire de son sous-tif, puis elle me fait du pied : durant une nuit, les étoiles se sont alignées, je l’ai bien senti. 

mercredi 7 janvier 2015

Accusé (Episode 8)

Episode 8: K.O. debout

Disons-le immédiatement, je me sentais souillé rien qu’à la lecture de la lettre de Gwenaëlle. Avant même de m’attarder sur son contenu qui m’avait fait à la fois dresser les cheveux sur la tête et pleurer à chaudes larmes, je m’en voulais de l’avoir seulement lue. C’était si… Si intime ! Je n’aurais jamais seulement pu imaginer qu’un être humain puisse être aussi méthodiquement, mentalement et physiquement brisé. Cette violence intrinsèque et claire avec laquelle Gwenaëlle décrit les coups… Quelle horreur. Au risque de me répéter, à ce point de mon récit, je vous rappelle que ce n’est pas moi, Tristan, qui ait violé l’une de mes amies de collège. Imaginer la scène me donne la nausée, ne m’aurait pas excité pour un sou. C’est idiot, d’ailleurs, j’ai tout de suite tiqué lorsqu’elle a raconté cette scène terrible de viol. Même si ça avait été moi, rien ne se serait passé de cette façon. 

Pourquoi ? Eh bien parce que je déteste être dans le noir, pour commencer. Je suis absolument incapable de dormir sans un rai de clair de lune, une veilleuse ou tout simplement un volet ouvert. Alors agresser quelqu’un… Et puis, Gwenaëlle me prête une force que je n’avais pas alors. Maintenant oui, mais je n’ai commencé à me mettre au sport sérieusement qu’à l’université. A la fin de mes années de collège, je n’envisageais pas d’effort plus important que de pédaler jusqu’au bahut. Dans mes rêves, j’avais assez de bras pour porter Aude, qui était si aussi fine que le personnage de la fée clochette qu’elle incarnait. Rappelons qu’en plus je me voyais comme le chevalier servant de cette dernière. Violer Gwenaëlle, quelle idée !

Bon, d’un autre côté, je me suis longtemps félicité d’avoir obtenu cette lettre. En effet, j’ai vite compris pourquoi le Lieutenant Romanet en avait après moi. Du point de vue policier, c’était un cadeau du ciel pour leur affaire ! Voici un récit circonstancié, que personne ne viendrait nier parce que Gwenaëlle avait bien vécu un traumatisme fort étant adolescente, et que son entourage pourrait le confirmer. On allait me regarder comme le pire salaud de l’univers, mais au moins maintenant je savais pourquoi. C’était important, parce que j’aurais fini par m’énerver sérieusement sur toute une partie de la justice, sans savoir pourquoi, avant même que les audiences commencent. Nom d’un chien, ils avaient le matériel pour venir me chercher demain, si le plaisir leur en prenait ! Je vous avoue bien volontiers que je me sentais épié, même seul à mon ordinateur, les pieds froids à trois heures et quart du matin. J’ai immédiatement fait disparaître le fichier comme Bastien, mon ami hackeur, me l’avait recommandé. Et puis j’ai du attendre le matin, couché en attendant un sommeil qui n’est venu que beaucoup trop tard. Mon torse me lançait des vagues de douleurs qu’il était facile d’imputer à la fatigue et au stress que je subissais.

C’était aussi une réalisation du geste d’Aude. Lorsque votre meilleure amie décide d’en finir, et vous livre d’une telle façon le coupable de son mal-être depuis quinze ans, il y a de quoi perdre sérieusement les pédales. Comment aurais-je réagi à la place d’Aude ? Peut-être pas différemment. Bien sûr, j’aurais voulu qu’elle ne me tire jamais dessus, mais je comprenais mieux. Ou bien était-ce parce qu’il s’agissait d’Aude ? J’en étais à me demander si inconsciemment je n’éprouvais pas toujours une bouffée de sentiments adolescents pour elle, lorsque finalement le sommeil m’a emporté vers d’autres rivages. J’ai eu beau essayer de me lever avec Claire, qui partait tôt à son travail, mais je n’ai pas pu. Câline, elle m’a laissé dormir avant de quitter notre appartement sur la pointe des pieds. Ce nouveau matin n’a donc commencé qu’à onze heures et quart, lorsque je me suis relevé dans un sursaut, en plein soleil sur un lit vide.

J’étais bien réveillé, mais une partie de moi ne pouvait s’empêcher de penser que j’avais perdu ma matinée, car je n’avais toujours pas de véhicule. J’ai mangé un lourd petit déjeuner dans un silence oppressant, en repensant à cette fête d’halloween vécue par Gwenaëlle. Lorsque je l’avais lue, plusieurs souvenirs m’étaient remontés, mais ce n’était pas grand-chose, assurément. Je me souvenais avoir en effet caressé ses cheveux lors de cette sieste, sur une chanson d’Ace of Base. Bien entendu, de mon côté c’était un souvenir heureux, celui d’un moment de calme et de repos, passé en compagnie d’une fille (et ce n’était pas courant pour moi, à l’époque). Le pourquoi de ce geste m’échappait encore, par contre. Il y avait cette promesse de ne pas m’approcher des filles, qui m’avait marqué… Je restai là, la cuillère en l’air au-dessus de mon bol de céréales un long moment. C’était idiot, puisque je ne pouvais pas obtenir de réponses. Claire est revenue peu après, étonnée de mon humeur redevenue morose. L’arrivée du facteur, à midi quinze, n’a rien arrangé. Ma convocation pour un entretien à la police n’avait pas traîné. L’inspecteur Romanet m’avait tout de suite semblé avoir les dents longues, et il ne lâcherait pas prise facilement. J’avais quatre jours d’indisponibilité à cause de ma blessure par balle avant ce « rendez-vous » : il fallait absolument que j’en profite pour me disculper.

C’est pourquoi je n’ai pas lâché Claire, jusqu’à ce que ma fiancée accepte de me conduire, sur le chemin de son travail, au garde-meuble où étaient stockés tous les meubles, ainsi que les affaires de mes parents. J’étais si impatient d’aller fouiller cette véritable caverne d’Ali Baba à la recherche d’indices et de n’importe quel matériel permettant de me disculper, que je ne m’étais pas préparé au choc (pourtant prévisible) qui m’a assailli lorsque j’ai ouvert la première porte de garage. Il y avait cette odeur, qui surpassait celle de vieilleries entassées dans une cave. Une effluve brève et poignante : après deux ans dans ce garde-meubles, ces objets sentaient toujours « la maison ». Une demi-seconde durant, j’ai été replongé dans mon enfance, alors que je m’étais cogné sur quasiment tous les coins accessibles de ces meubles de lourd bois foncé. Un soupir plus tard, une pensée pour mes parents, et je refermais la lourde porte derrière moi. Je ne tenais pas à ce qu’un quidam remarque les objets entassés jusqu’au plafond, et en déduise qu’il y en avait pour une fortune. C’était le cas, d’ailleurs, la valeur cumulée de ce qui était précautionneusement entassé là dépassait sans doute celle des voitures garées dans quelques-uns des box mitoyens.

Armé d’une lampe de poche et de ma frontale aux piles bientôt déchargées, je m’étais doucement dirigé vers les différents composants de mon ancienne chambre. Celle que j’occupais enfant, dans laquelle j’avais passé des heures en tant qu’adolescent un peu prostré, et quitté à reculons lors de mon stage, en fin d’études. Je fouillai d’abord le bureau, posé à même le sol, et dont les tiroirs n’étaient retenus que par d’épaisses bandes de scotch. Il y avait là une mine de souvenirs en tout genres, des exemplaires de cours depuis bien longtemps oubliés, des polycopiés égarés au dernier moment et des lettres d’amour avortées. Un post-it « Je l’ai embrassée » qui m’a fait sourire, et plusieurs dizaines de feuillets griffonnés de dessins de personnages de mangas. Il faut bien dire que si je savais pertinemment avoir pris des photos de cette affreuse soirée, je n’étais pas à l’époque un modèle de rangement, ni même un passionné de clichés. Elles avaient du atterrir… Dans une boite de documents en vrac ? Cette fois, je dus ramper sous l’ancienne table du salon pour atteindre le bon carton. J’y trouvais, sous un nombre impressionnant de cartes d’anniversaires débiles (j’ai eu 18 ans comme tout le monde) un petit livret de photos qui contenait, défraîchies par la mauvaise qualité d’impression, celles que je recherchais.

Après ma lecture la veille au soir de la lettre de Gwenaëlle, j’eus la gorge serrée en regardant ces six photos. Elles ne révélaient rien, évidemment, sinon le bon moment que nous avions tous l’impression de passer. Il faut dire qu’un seul cliché était daté après l’agression. Il avait du avoir lieu lors de cette impressionnante bataille de coussins que nous avons partagé dans la chambre des filles. On y voyait clairement Aude, un coussin flou par la vitesse de frappe, JC et Cédric qui se protégeaient l’un-l’autre… Un souvenir vivant d’une scène en apparence innocente. Les cinq autres ne montraient pas grand-chose de plus. Un portrait de groupe quelques minutes avant notre arrivée, une photo des filles qui préparaient le gâteau, un cliché de moi portant l’un des gigantesques manteaux en vison lors de notre défilé de mode improvisé… Les deux restants étaient flous au possible. L’un semblait quand même montrer le groupe en train de chercher des partenaires pour les slows, tandis que l’autre révélait Geoffrey, flou, riant en ouvrant son sac de couchage.

C’était tout. En même temps, je ne savais pas trop ce que j’avais espéré. Peut-être un détail ? Bien sûr, entre le récit de Gwen et mes souvenirs reconstitués, je commençais à avoir une image assez précise de cette fameuse soirée d’halloween. J’allais rentrer pour tenter de les coucher par écrit, et je me souviens avoir commencé à fermer le carton. Un trousseau de porte-clefs en bloquait un des pans. C’est à ce moment-là que j’ai remué le contenu de ces vieilleries, et que trois à quatre feuillets sont apparus sur la lumière crue de la lampe frontale. Des pages d’agenda, en apparence insignifiantes. Mais mes mains s’étaient crispées, et mon cœur faisait des bonds formidables dans ma poitrine. Je m’étais souvenu en voyant ces pages, de la raison exacte qui m’avait fait les détacher de mon agenda. J’avais décidé, quelques jours avant la fête, de démarrer un journal intime. Décision qui n’avait pas duré, mais j’en étais certain, couvrait cette période. J’ai du fouiller une demi-heure de plus pour le trouver, en milieu de pile avec des cours d’allemand de ma période lycéenne. J’avais tellement mal au torse que j’ai cru successivement que mes sutures avaient lâché, que j’allais m’évanouir, ou qu’un caillot allait me laisser crever là, dans un garage fermé, tenant une faible preuve de mon innocence.


J’ai marché jusqu’à chez moi, juste pour me rassurer sur mon état de santé, qui en fait était catastrophique. Je n’ai pas eu la force d’ouvrir mon agenda avant le lendemain matin, après plus de 16 heures de sommeil ininterrompu. Et j’étais de nouveau alité, avec de la fièvre en prime. Je me suis fait enguirlander par Claire, le médecin, Marc qui était enfin rentré de vacances, et même la voisine recrutée par ma fiancée sur le tas, pour venir vérifier toutes les heures que je restais un bon patient. J’ai acquiescé, attendu que tout ce beau monde soit parti, et puis je me suis jeté sur mon agenda de l’année 2000-2001. Et tout était-là, dans ces pages de mon écriture manuscrite immonde à l’époque et pire aujourd’hui. C’était une époque où, influencé par les écrits d’autres adolescents (Anne Frank en tête), je tentais de rendre la vie au collège passionnante en n’en gardant que les aspects positifs. Heureusement, comme j’avais gardé un souvenir excellent de cette soirée d’Halloween, presque tout y était.