mercredi 2 octobre 2013

Salut, capitaine

Prison de Fleury, 2 octobre

A l’attention du capitaine Hakim Markelian

Cher capitaine,

Tout d’abord, permettez-moi de vous féliciter pour votre promotion, même si elle date de quelques mois, je n’avais pas alors l’envie de prendre la plume. J’ai toujours trouvé que vous faisiez un lieutenant exemplaire, et je suis ravi que votre hiérarchie me soutienne sur ce point. A eux non plus je n’ai pas écrit pour témoigner de mon point de vue, je n’aurais pas souhaité vous nuire. Malgré tout, les journées doivent êtres chargées dans votre nouveau poste de responsable des homicides sur la région Paris-Nord. Bon, nous sommes entre gentlemen, c’est assuré.

J’ai ton attention, poulaga. Alors, on se tutoie, non ?

Pourquoi est-ce que ce taulard m’écrit, tu te demandes? C’est tout naturel. On s’est vraiment côtoyés que le temps de ma garde à vue dans tes locaux, combien… Une grosse dizaine d’heures ? Ton supérieur (quel tas de merde) a jugé bon de me placer en détention, alors que toi, tu brûlais de continuer tes recherches. Et, je peux te l’avouer maintenant, tu avais foutrement raison. Et même raison sur une échelle que tu ne pouvais même imaginer. Ha les poulets, toujours à regarder la poutre dans le cul du voisin. Tu n’avais pas remarqué comme je retenais ma respiration lorsqu’en plein interrogatoire sur l’affaire qui me concernait, un de tes collègues du Quai (Sandon, Sandier ? Un petit gros avec un manteau à la colombo) avait déboulé en annonçant la découverte d’un nouveau cadavre de chauffeur ? Peut-être. J’avais repéré dans ton regard l’intérêt du fin limier (j’ai lu que c’était une race de chiens, tu te rends compte ?), et c’est pour ça que j’ai choisi de t’écrire, à toi et pas un autre sous-fifre. Tes résultats depuis les cinq ans que je suis en captivité sont excellents. Plusieurs affaires, dont ce violeur-tueur de la Défense, un vrai héros, le Markelian ! Enfin, gars ! Enfin t’es digne de mes attentions. Parce que oui, j’ai des choses à te révéler, et je tiens à t’y associer… Histoire que dans un souci d’égalité (je déconne), nos deux intelligences puissent se montrer à la hauteur du challenge.

Le cadavre du chauffeur était l’un des miens. Ouais, ouais, des miens, au pluriel. Doués comme vous êtes, vous n’en avez trouvé que huit, mais il en reste deux, probablement bouffés par des chiens errants le long de la berge de la Seine, plus haut que vos zones de recherche.  

Toi, Markelian, t’étais le seul dans tout le central à trouver que mes déclarations paraissaient « vides de sentiments et récitées ». Evidemment, tête de con, j’étais pas vraiment un touriste ! J’avais tué une petite vieille en la poussant du haut des escaliers d’un immeuble, et « oh je m’en voulais terriblement ». Tu parles. J’ai même cru que vous l’aviez repérée, ma comédie. Parce que bon, est ce que c’était vraiment nécessaire de m’interroger six heures d’affilée si c’était pour me croire ? Pour écrire dans ton rapport que c’était bien un homicide involontaire ? Ptet que je suis démasqué, je me disais à l’époque !

Bon, je m’étais livré un peu tard, c’est vrai. Mes arguments ne tenaient pas tous la route, mais comme il n’y avait pas d’autre explication, vous étiez bien obligés d’y croire. Et attention, j’ai pas menti sur toute la ligne, hein, je l’ai dézinguée la vieille. C’était moi. Si je récitais ma leçon, c’était pour pas en dire trop, c’est tout. La plupart du temps, je bosse sous contrat, et là c’était le cas. Mais t’espérais quand même pas que je déballe ça avec les menottes dans le dos ? T’es con ou quoi Markelian ? Et oh, debout là dedans ! Si je l’ouvrais à propos de ça, il aurait fallu que je raconte tout le reste, ça aurait pris des plombes. Alors je m’en suis tenu à ce que je voulais bien vous dire : j’ai poussé la vieille, elle est morte, c’était triste. Terrible. Tu voulais aussi que je raconte que j’avais claqué sa tête 4-5 fois sur le marbre pour bien être sûr ? Eh ben ouais, mais c’est pas sept ans que je prenais, là, c’était vingt. Vingt ans, t’imagines ? Faudrait vraiment que je sois un abruti fini.

J’aurais pu te raconter les chauffeurs de taxi. Un contrat de vicieux, ça. Un albanais qui m’avait embauché, un vrai rapiat. Ce trou du cul avait rien trouvé de mieux que virer dix chauffeurs de la circulation pour que les siens puissent s’installer. Je sais pas vraiment si ça a marché, tu imagines que depuis que je suis en cabane, je le vois pas m’apporter des petits pains tous les mardis. Il sait sans doute pas que c’est moi, d’ailleurs, ils me connaissent pas sous le même nom que vous. Tiens je te vois réfléchir, capitaine. Tu me crois pas. Tu t’en balances de ces chauffeurs, tu penses que je me met la main dans le slip à te raconter des conneries. Tiens, voilà un détail qui te fera relire les rapports d’autopsie (prévois un bon café, mon salaud). L’albanais était un croyant, un vrai fana. Il m’avait commandé que je fasse un petit croissant de lune sur la poitrine des chauffeurs. Et l’enculé, comme le détail a pas fuité dans la presse, il a voulu une ristourne ! Si c’est pas gonflé.

Alors, tu me crois, Markelian ? On est pas encore copains, toi et moi ? Enfin, je sens que j’ai ton attention, c’est déjà ça. Ici c’est la jungle. Pas un qui sait qu’avec un crayon on peut faire autre chose que planter des néonazis sous la douche. Attention, c’est un vrai plaisir, faut pas déconner. Mais on se lasse de tout. Personne ne lit ici. Si t’as pas deux-trois nichons sur chaque page, t’as gaspillé ton argent. Franchement ? Je m’ennuie. Tu sais que je suis riche ? Enfin, pas riche riche, mais je pourrais prendre une petite retraite pour me ranger. Personne n’a trouvé mon fric, crois-moi, sinon j’aurais reçu plus de visites. Eh ouais. Note que, je fais pas ça que pour l’argent mais je serais un vrai débile de pas en profiter.

Et toi dans tout ça ? Tu sais toujours pas pourquoi je me suis rendu pour avoir buté la petite vieille. Ca viendra, Markelian, ça viendra. Si je te raconte tout maintenant, t’en auras assez pour te torcher toute la semaine. C’est pas le but. Je suis un tueur. Ca donne… Un pouvoir. Tu peux l’imaginer ou pas ? Hein, capitaine, t’as déjà vidé quelqu’un ? Je suis pas sur que non. T’aurais peut-être les couilles, même si tu t’en voudrais à mort. Rah, j’aimerais que tu me dises, ça me travaille depuis des heures. Tu me tuerais ? Oui. Ca aurait même de la gueule, ça. Tu vois, capitaine, j’ai besoin de me tourner vers quelqu’un qui pourrait me comprendre. Pas d’un idiot de psy qui va m’écouter débiter mes faux remords comme dans les dernières années. Je suis pas Hitler hein, je suis bien désolé pour la vieille Delage, mais comme dit c’était pas personnel. Mauvais endroit, mauvais moment, et on m’avait payé.

Oui toi, Markelian, tu m’écouteras. Bon tu répondras jamais parce que toi et moi, on est pas fait pour se payer des bières, plutôt se les envoyer à la gueule quand on aura fini nos munitions. Mais quand même. Et puis je sais que tu voudras les lire, mes lettres. C’est pas parce que t’aimes mon style, chou, mais tu veux de l’avance sur les autres, et tu l’auras. Parce que c’est à toi que je parle.

Avec la vitesse habituelle pour le courrier depuis Fleury, je me serais échappé depuis deux-trois jours quand tu liras tout ça. Enfin, je serais peut-être cané, et là ça te feras juste rire. Sale con. Mais je pense que je serais dehors, plutôt. J’y ai mis les moyens, j’ai léché trop de culs pour que ça rate. Bientôt l’heure, dis-donc !


Allez, on se revoit bientôt mon petit Markelian. Tu vas voir, on va bien rigoler.


Cedric. 

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