Troisième et dernière partie de la nouvelle "Pirates de Passage"
Tout
en sachant qu’il n’avait pas le choix, Jacques de Tourqueville sentait son
estomac se nouer. Le Venteux leur aurait apporté un grand courant, une marge de
quelques heures pour se fondre dans les nappes de brouillard qui envahissent la
côte du Nouveau Monde la nuit et en matinée. A présent, ils fonçaient droit
vers la bande de terre, ses marais et ses bancs de sable. Mais l’alternative était
le combat, et la Sans Peur ne pourrait pas en sortir victorieuse.
«
- Capitaine ! Cria un quartier maître. Capitaine, vingt
brasses ! » Courant dans un réflexe jusqu’au bastingage, Jacques
scruta la surface de la mer sur laquelle ils glissaient. Naviguer sur les hauts
fonds n’était ni un exercice facile, ni encouragé dans la capitainerie de par
le monde. Et pourtant, Samuel Bellamy, concentré comme jamais, souriait en
regardant leurs poursuivants.
«
- Vous savez que la quille de la Sans Peur descend à sept brasses, n’est-ce
pas ?
-
Mmmh. Si vous y tenez tant, à votre bateau, vous lui paierez bien un petit
carénage. Cela ne devrait plus tarder, à présent. » Blanc comme un linge, Jacques
venait enfin de comprendre dans quels méandres le pirate les entraînait. « -
A vos postes ! Attention à la collision ! »
A
peine eut-il prononcé les mots qu’un grondement lancinant se fit entendre. Tel
la plainte du navire hurlant de douleur, le grincement fut accompagné de fortes
vibrations, qui menaçaient de faire dangereusement tanguer le navire. Puis,
alors que Jacques avait sorti son sabre en se dirigeant vers les dernières
secondes de la vie de Samuel Bellamy, la Sans-Peur fit une petite embardée en
avant, comme plongeant dans un chenal plus profond. Bien qu’ayant la lame posée
sur la gorge, le pirate réussit à reprendre suffisamment de voix pour demander
au barreur de suivre un cap nord-ouest en s’aidant du travail de la vigie.
Comme s’il ne prêtait pas attention au fer qui lui faisait perler quelques
gouttes de sang tombant sur son col, il se tourna brusquement et regarda les
deux frégates adverses.
« -
Esquintez encore une fois ma coque et notre marché ne tient plus.
-
Sans être flagorneur, que vaudrait votre coque sans vous, Capitaine ? Ce n’était que des coraux, pour cette fois. Nous
sommes dans un chenal qui fait deux cent brasses de large. Ce sera beaucoup
plus dangereux dans quelques… » Comme ceux qui l’entouraient sur le
pavillon de poupe, il se jeta au sol. Dans un craquement sourd, le boulet de
douze livres vint fracasser la rambarde arrière. Ce n’était que le premier feu,
tous le savaient bien : il ne servait même à rien de ramper sur le bois
usé du pont en attendant la fin : quand cessait la dernière salve, les
prochains boulets parlaient anglais couramment.
«
- Dites à vos tireurs de viser les huniers ! Il ne faut pas qu’ils voient
le chenal !
-
Combien de temps faut-il qu’on reste sur cette course ?
-
Allons, Capitaine, quand on s’amuse
le temps n’a point d’emprise ! » Et devant le grognement de Jacques,
c’est le pirate lui-même qui prit la barre. Déjà, les deux vaisseaux anglais
prenaient la Sans Peur en tenaille, se décalant le Lion en premier à tribord et le Furious
en retrait : les deux navires ne se gêneraient pas lorsqu’ils tireraient
sur le français.
Sur
le pont de la Sans-Peur, le chaos s’installait au milieu de la bravoure des
hommes, suivant aveuglément les ordres du premier Lieutenant. De sa voix de
stentor il les encourageait à riposter à la pluie de balles à laquelle tous
faisaient face. Stoïquement, ils rechargeaient volée après volée, moins
nombreux à chaque fois que le navire s’enfonçait dans les vagues, tentant de
s’échapper à son destin. Les huniers ennemis avaient été abattus, mais il y
avait… Tant de morts déjà ! Au moins, le chenal évitait que l’un des
deux assaillants ne se mette sur le travers pour les bombarder. Jacques de
Tourqueville arma ses deux pistolets au moment où la proue rugissante des cris
anglais du Lion arriva à hauteur de
la poupe de la Sans-Peur. Les tirs redoublèrent d’efficacité, à tel point que
le capitaine était étonné d’avoir échappé au pire… Accroché à la barre, Samuel
Bellamy était immobile. Il aura tenu sa parole jusqu’au bout, pensa le capitaine.
Mais il s’aperçut avant l’instant fatidique de l’abordage que Samuel n’était
pas dans son dernier sommeil : ses lèvres bougeaient, sa tête dodelinait.
Il… Il comptait ?
Et
au milieu des cris, de la fumée bleue des mousquets, sous les lambeaux de la
grand-voile déchirée, Samuel Bellamy fit pivoter la barre. Il la fit tourner
jusqu’à ce qu’elle heurte le taquet dans un claquement sec, entraînant à nouveau
le navire dans un virage fou et apparemment incontrôlable. Atteint d’un éclat
au genou, Jacques s’effondra le long du bastingage alors que le navire gitait
sous la force du tournant. Et le capitaine n’en crut pas ses yeux : il
voyait le fond, devinait des roches acérées quelques brasses sous les embruns.
Comme des mains tendues, ces pics venaient happer le navire… Mais ce sont deux
autres proies qui firent les frais de l’audacieux virage du pirate : Dans
un grondement aussi brusque qu’affreux à l’oreille, le Lion s’échoua brusquement, ses marins projetés sur le pont. Le Furious, réussit mieux à ralentir
l’allure, mais ne put guère manœuvrer et les suivre dans le minuscule et
sinueux chenal. Sous les yeux ébahis des marins français qui s’éloignaient prudents,
le Lion finit par se disloquer, ses
marins pris en secours par l’équipage du Furious.
«
- Le passage Bellamy, annonça ce dernier en exécutant une référence parfaite.
Vous me devez une chaloupe, capitaine. » Il savait que ce dernier
tiendrait parole.
Une
heure et demie plus tard, ils se tenaient l’un en face de l’autre, Jacques et
le pirate le plus dangereux de cette partie de l’océan. Cérémonieusement, le
français enleva son couvre-chef, attirant l’attention des dizaines de marins
qui s’affairaient alentours.
« -
Le capitaine Bellamy quitte le navire » Cria-t-il. Et tous lui rendirent
les honneurs.
Outch ! Je comprends pourquoi tu dis que la fin tombe un peu à plat !
RépondreSupprimerMais finalement j'aime bien !
Le seul truc qui a fait que tu n'as pas gagné, c'est que finalement ce n'est pas vraiment une nouvelle, mais plutôt un récit court. Parce que sinon, c'est super bien ficelé et écrit !
Huhu merci Béné :)
RépondreSupprimerEffectivement la fin... Euh initialement la fin était quelque part en page 7, et quand bien même je m'étais tellement éclaté à faire ce texte que je n'avais pas vraiment envie qu'il finisse. Mon personnage de Pirate me trotte sérieusement dans la tête!
Sinon j'ai lu quelques unes des nouvelles "gagnantes". C'est sur qu'il y avait du niveau, mais... J'ai trouvé Roy très brouillon, et la dernière bien écrite mais archi-déja-vue...
Bon je suis aussi jaloux, n'en doutons pas.