vendredi 10 octobre 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 56 Final

Episode 56: Monsieur, Veuillez me suivre

(Ceci est le dernier épisode).

Cette fois, pas d’arrêt dans les boutiques de luxe, pas de petits étonnements devant les grandes tablettes de Toblerone. Non là c’est la course. Nous ne courons pas vraiment, histoire de ne pas se faire plaquer arbitrairement par une patrouille un peu sur les dents, mais cela ne nous empêche pas d’engager la vitesse maximale. Par chance, nous n’aurons pas de nouvelle fouille comme à l’aller, ce qui va nous faire économiser un temps précieux… Temps que nous pourrons investir sans paniquer pour chercher la bonne porte d’embarquement. Vraiment, la loi de Murphy nous a épargnés, ce qui nous fera en fin de compte arriver largement à l’heure devant le guichet de notre embarquement KLM. Moment que choisit Michel pour nous déballer un grand « ah, vous voyez, je vous l’avais bien dit ». J’accepte la critique, c’est sûr, nous avons été un peu paranoïaques. Mais si un seul de tous les maillons parfaitement huilés de l’aéroport néerlandais avait grippé ou lâché, nous aurions été limite pour le vol. Nous avons d’ailleurs beaucoup rigolé sur la prononciation par les hôtesses de nos noms de famille résonnant potentiellement dans les gigantesques terminaux. Cela nous était arrivé avant le Mozambique, et seule Julie avait reconnu son nom à la troisième tentative.

C’est le début de soirée. Et nous venons de courir, si l’héritage des dix jours de visite ne suffisait pas… Nous reprendrons notre sieste comme quatre beaux bébés (plus un vrai bébé) au cours du vol vers l’aéroport de Mulhouse-Bâle. Nous n’avons plus aucune pression, d’ailleurs. Nous nous jetterons avec animation le moment venu, sur les quelques cacahouètes que l’on nous distribue… Et j’attendrai en pure perte les magnifiques sandwichs que nous avions reçus lors du voyage aller : ils ne viendront jamais et seront regrettés. Le vol nous semblera long, en tout cas pour ceux qui comme moi sont épisodiquement les yeux ouverts… Michel ne rouvrira les siens qu’une fois sur le tarmac mulhousien. Un peu vannés, nous entrons dans l’aérogare en mode automatique, avant d’aller nous planter en contemplation devant la valse toujours infinie de cette machine magique qui a le don de cracher, avec une douceur toute relative, les valises de dizaines de passagers. On est comme hypnotisés devant ces sacs de toutes les couleurs qui viennent rebondir jusqu’à la rambarde, avant de faire parfois plusieurs tours en attendant leur propriétaire.

Je crois d’ailleurs que l’on ne s’est pas immédiatement rendus compte que cela devenait long, cette attente. Qu’autour de nous, il ne restait pas beaucoup de nos co-voyageurs depuis Amsterdam. Je scrutais encore impatiemment ces grosses lames de plastique caoutchoutées, lorsque j’ai entendu derrière moi Julie esquisser un « oh merde ». Et c’était à raison… Une dame tient une liste en main, et se dirige d’un pas assuré vers notre petit groupe. C’est bien le moment de remarquer que nous ne sommes plus que deux groupes : nous quatre, et une grande famille dont les trois enfants attendent encore en sautillant près de la machine.

« - Monsieur ? C’est vous, monsieur ? » 
Elle me pointe sa liste, après avoir prononcé mon nom compliqué du premier essai, ce qui a toujours le don de m’énerver. Les quatre premiers noms de sa liste, c’était nous. Elle nous fait la suivre, avant de nous expliquer tous ensemble ce qui est arrivé. Et voilà, ce n’est pas bien compliqué à comprendre : si pour notre part nous avons fait l’escale parfaite entre Aer Lingus et KLM à Amsterdam, nos valises (qui ont été identifiées, nous dit-on) sont restées au sol pendant que nous prenions l’avion. Voilà ce que ça fait, d’être à 600 bornes de ses bouteilles de whisky : on passe par les étapes successives de l’acceptation. Colère (mais quelle bande d’enfoirés), repli sur soi (si on les avait cherché nous-mêmes, peut-être que…), partage de la douleur (vous ne vous rendez pas compte, du Distillery Reserve !), résignation (si ça se trouve, ils ont déjà tout bu à cette heure) et espoir (bah, on les aura demain, et elles seront livrées intactes). La dame du service de l’aéroport a le mérite de nous expliquer clairement la situation, même si elle nous noie un peu sous une avalanche de paperasses. En effet, on ne va pas s’amuser à rester à Bâle, il faudra donc qu’ils nous livrent nos bagages. Mais attention, c’est là que la partie va se corser un peu.

Parce que nous sommes en France, ici, ma bonne dame. Rien n’est aussi simple. Pour bien nous faire comprendre que l’idylle est terminée, les services de l’aéroport en ont une bien bonne. Déjà, ils ne peuvent nous livrer nos bagages que demain, vers midi. Bon… A la limite, pourquoi pas. Mais que dans le Haut-Rhin aussi ! Non mais « vous comprenez pour Strasbourg les bagages repartent d’abord à la centrale à Paris avant de reprendre l’avion ». Oui… Logique, en somme ? Bon, on n’allait plus s’énerver à ce point-là de la soirée, contre cette dame que l’on devine aussi inflexible que l’iceberg de notre paquebot préféré. On soupire, on hausse les épaules. On en a marre. C’est dans ce genre de moments que le temps s’étire, qu’on se dit que finalement, le voyage est terminé et qu’on serait bien chez nous, à dormir dans notre lit. C’est sans doute pire encore pour Michel et Marie, qui en plus de tout ça vont devoir passer la nuit dans notre canapé. Nous prenons notre mal en patience pendant qu’elle finit ses papiers, et quittons l’aéroport presque bons derniers. Il ne reste plus grand monde dans cette petite ville de jour : quelques douaniers endormis, les agents d’entretien, deux chauffeurs de taxis et des familles qui ont soit quelques heures d’avance soit une journée de retard. Je me souviens que nous regardions tout et tout le monde, comme si nos bagages perdus allaient finalement réapparaître comme par magie, la caméra cachée…

Rien de tout ça. Une petite brise d’air chaud, le macadam rayonnant encore d’une belle journée d’aout alsacienne, voici tout ce qui nous attend au dehors. Une longue marche sans valises jusqu’à la voiture, dans laquelle je n’ai pas eu à changer de place par rapport au voyage. Sauf que voilà, je n’ai plus ni volant ni pédales, et c’est Michel qui va reprendre les commandes. Ca ne m’empêchera pas de faire jouer mes pieds en même temps que lui : il y a une petite réadaptation à subir. Nous avons ensuite lutté tous les quatre ensemble contre le sommeil, histoire de ne pas terminer cette incroyable épopée dans un platane à 10 minutes de chez nous… Et puis nous y serons, pour aller profiter quasi-instantanément d’un sommeil lourd, profond, réparateur.


La matinée bonus à attendre les bagages sera finalement bien employée. Nous allons pouvoir profiter de nos couchages respectifs sans avoir la perspective d’une journée de visite devant nous. Le petit déjeuner qui nous attend ne comporte ni œufs, ni bacon, ni haricots blancs, ni boudin noir. Retour aux classiques, finalement ! Nous aurons ensuite quelques heures à prolonger l’expérience, pour s’échanger les photos de tous les appareils (deux réflex, deux compact, les portables, la GoPro…) et de se regarder quelques vidéos encore en bonus…. Car le mec de l’aéroport a appelé, il sera en retard. L’occasion, juste avant qu’il ne sonne, pour que nous découvrions en images notre « moment gay » lors des premières minutes en voiture, ou de revoir cette route microscopique à coté de Torr Head. Tout cela nous parait déjà tellement loin, assis dans notre salon ! Pourtant c’était il y a quelques jours, quelques heures, tout restera gravé dans notre mémoire, c’est une certitude.

Les valises sont bientôt là, et il ne reste plus que de rares minutes à partager avec nos meilleurs amis. Bientôt, la porte claque, et nous poussons chacun de notre côté un soupir de soulagement. N’allez pas vous méprendre, ce n’est pas un relâchement de plaisir, ni un saut de joie. C’est plutôt, comme si une bulle venait d’éclater. Une bulle magnifique, aux reflets extraordinaires, et dix jours durant nous en avons retenu notre souffle. Que c’était beau !


Quelle aventure ! Qu’il y en ait d’autres, ou qu’elles soient différentes ne changera rien à l’affaire : cette parenthèse enchantée n’aura été possible qu’entre nous quatre. Nous y retournerons, c’est une promesse faite au vent, certes… Mais c’est ce même vent qui découpe les côtes vertes, qui balaie les sommets rocailleux et qui forme les vagues de cette inoubliable côte de l’Irlande. 



                                                           FIN. 


1 commentaire:

  1. "après avoir prononcé mon nom compliqué du premier essai" -> chez toi, ils arrivent au moins jusqu'à la 3ème et la 4ème lettre. Chez moi, ils peinent dès la 2ème -_-'

    J'ai retenu un ou deux spots de ce récit. Je sais pas - ne pense pas - qu'on fera exactement le même trajet que vous quatre lorsqu'on y sera (pas encore prévu), mais y'avait des passages intéressants (j'avoue, j'ai lu en diagonale quelque fois).

    Vais compléter votre parcours avec les billets que Pénélope a fait sur le sujet : http://www.penelope-jolicoeur.com/2014/05/irlande-1.html :)

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