(Ceci est le dernier épisode).
Cette fois, pas d’arrêt dans
les boutiques de luxe, pas de petits étonnements devant les grandes tablettes
de Toblerone. Non là c’est la course. Nous ne courons pas vraiment, histoire de
ne pas se faire plaquer arbitrairement par une patrouille un peu sur les dents,
mais cela ne nous empêche pas d’engager la vitesse maximale. Par chance, nous
n’aurons pas de nouvelle fouille comme à l’aller, ce qui va nous faire
économiser un temps précieux… Temps que nous pourrons investir sans paniquer
pour chercher la bonne porte d’embarquement. Vraiment, la loi de Murphy nous a
épargnés, ce qui nous fera en fin de compte arriver largement à l’heure devant
le guichet de notre embarquement KLM. Moment que choisit Michel pour nous
déballer un grand « ah, vous voyez, je vous l’avais bien dit ».
J’accepte la critique, c’est sûr, nous avons été un peu paranoïaques. Mais si
un seul de tous les maillons parfaitement huilés de l’aéroport néerlandais
avait grippé ou lâché, nous aurions été limite pour le vol. Nous avons
d’ailleurs beaucoup rigolé sur la prononciation par les hôtesses de nos noms de
famille résonnant potentiellement dans les gigantesques terminaux. Cela nous
était arrivé avant le Mozambique, et seule Julie avait reconnu son nom à la
troisième tentative.
C’est le début de soirée. Et
nous venons de courir, si l’héritage des dix jours de visite ne suffisait pas…
Nous reprendrons notre sieste comme quatre beaux bébés (plus un vrai bébé) au
cours du vol vers l’aéroport de Mulhouse-Bâle. Nous n’avons plus aucune
pression, d’ailleurs. Nous nous jetterons avec animation le moment venu, sur
les quelques cacahouètes que l’on nous distribue… Et j’attendrai en pure perte
les magnifiques sandwichs que nous avions reçus lors du voyage aller : ils
ne viendront jamais et seront regrettés. Le vol nous semblera long, en tout cas
pour ceux qui comme moi sont épisodiquement les yeux ouverts… Michel ne rouvrira
les siens qu’une fois sur le tarmac mulhousien. Un peu vannés, nous entrons
dans l’aérogare en mode automatique, avant d’aller nous planter en
contemplation devant la valse toujours infinie de cette machine magique qui a
le don de cracher, avec une douceur toute relative, les valises de dizaines de
passagers. On est comme hypnotisés devant ces sacs de toutes les couleurs qui
viennent rebondir jusqu’à la rambarde, avant de faire parfois plusieurs tours
en attendant leur propriétaire.
Je crois d’ailleurs que l’on
ne s’est pas immédiatement rendus compte que cela devenait long, cette attente.
Qu’autour de nous, il ne restait pas beaucoup de nos co-voyageurs depuis
Amsterdam. Je scrutais encore impatiemment ces grosses lames de plastique
caoutchoutées, lorsque j’ai entendu derrière moi Julie esquisser un « oh
merde ». Et c’était à raison… Une dame tient une liste en main, et se
dirige d’un pas assuré vers notre petit groupe. C’est bien le moment de
remarquer que nous ne sommes plus que deux groupes : nous quatre, et une
grande famille dont les trois enfants attendent encore en sautillant près de la
machine.
« - Monsieur ? C’est
vous, monsieur ? »
Elle me pointe sa liste, après avoir prononcé mon
nom compliqué du premier essai, ce qui a toujours le don de m’énerver. Les
quatre premiers noms de sa liste, c’était nous. Elle nous fait la suivre, avant
de nous expliquer tous ensemble ce qui est arrivé. Et voilà, ce n’est pas bien
compliqué à comprendre : si pour notre part nous avons fait l’escale
parfaite entre Aer Lingus et KLM à Amsterdam, nos valises (qui ont été
identifiées, nous dit-on) sont restées au sol pendant que nous prenions
l’avion. Voilà ce que ça fait, d’être à 600 bornes de ses bouteilles de
whisky : on passe par les étapes successives de l’acceptation. Colère
(mais quelle bande d’enfoirés), repli sur soi (si on les avait cherché
nous-mêmes, peut-être que…), partage de la douleur (vous ne vous rendez pas
compte, du Distillery Reserve !), résignation (si ça se trouve, ils ont
déjà tout bu à cette heure) et espoir (bah, on les aura demain, et elles seront
livrées intactes). La dame du service de l’aéroport a le mérite de nous
expliquer clairement la situation, même si elle nous noie un peu sous une
avalanche de paperasses. En effet, on ne va pas s’amuser à rester à Bâle, il
faudra donc qu’ils nous livrent nos bagages. Mais attention, c’est là que la
partie va se corser un peu.
Parce que nous sommes en
France, ici, ma bonne dame. Rien n’est aussi simple. Pour bien nous faire
comprendre que l’idylle est terminée, les services de l’aéroport en ont une
bien bonne. Déjà, ils ne peuvent nous livrer nos bagages que demain, vers midi.
Bon… A la limite, pourquoi pas. Mais que dans le Haut-Rhin aussi ! Non
mais « vous comprenez pour Strasbourg les bagages repartent d’abord à la
centrale à Paris avant de reprendre l’avion ». Oui… Logique, en
somme ? Bon, on n’allait plus s’énerver à ce point-là de la soirée, contre
cette dame que l’on devine aussi inflexible que l’iceberg de notre paquebot
préféré. On soupire, on hausse les épaules. On en a marre. C’est dans ce genre
de moments que le temps s’étire, qu’on se dit que finalement, le voyage est
terminé et qu’on serait bien chez nous, à dormir dans notre lit. C’est sans
doute pire encore pour Michel et Marie, qui en plus de tout ça vont devoir
passer la nuit dans notre canapé. Nous prenons notre mal en patience pendant
qu’elle finit ses papiers, et quittons l’aéroport presque bons derniers. Il ne
reste plus grand monde dans cette petite ville de jour : quelques douaniers
endormis, les agents d’entretien, deux chauffeurs de taxis et des familles qui
ont soit quelques heures d’avance soit une journée de retard. Je me souviens
que nous regardions tout et tout le monde, comme si nos bagages perdus allaient
finalement réapparaître comme par magie, la caméra cachée…
Rien de tout ça. Une petite
brise d’air chaud, le macadam rayonnant encore d’une belle journée d’aout
alsacienne, voici tout ce qui nous attend au dehors. Une longue marche sans
valises jusqu’à la voiture, dans laquelle je n’ai pas eu à changer de place par
rapport au voyage. Sauf que voilà, je n’ai plus ni volant ni pédales, et c’est
Michel qui va reprendre les commandes. Ca ne m’empêchera pas de faire jouer mes
pieds en même temps que lui : il y a une petite réadaptation à subir. Nous
avons ensuite lutté tous les quatre ensemble contre le sommeil, histoire de ne
pas terminer cette incroyable épopée dans un platane à 10 minutes de chez nous…
Et puis nous y serons, pour aller profiter quasi-instantanément d’un sommeil
lourd, profond, réparateur.
La matinée bonus à attendre
les bagages sera finalement bien employée. Nous allons pouvoir profiter de nos
couchages respectifs sans avoir la perspective d’une journée de visite devant
nous. Le petit déjeuner qui nous attend ne comporte ni œufs, ni bacon, ni
haricots blancs, ni boudin noir. Retour aux classiques, finalement ! Nous
aurons ensuite quelques heures à prolonger l’expérience, pour s’échanger les
photos de tous les appareils (deux réflex, deux compact, les portables, la
GoPro…) et de se regarder quelques vidéos encore en bonus…. Car le mec de
l’aéroport a appelé, il sera en retard. L’occasion, juste avant qu’il ne sonne,
pour que nous découvrions en images notre « moment gay » lors des
premières minutes en voiture, ou de revoir cette route microscopique à coté de
Torr Head. Tout cela nous parait déjà tellement loin, assis dans notre
salon ! Pourtant c’était il y a quelques jours, quelques heures, tout
restera gravé dans notre mémoire, c’est une certitude.
Les valises sont bientôt là,
et il ne reste plus que de rares minutes à partager avec nos meilleurs amis.
Bientôt, la porte claque, et nous poussons chacun de notre côté un soupir de
soulagement. N’allez pas vous méprendre, ce n’est pas un relâchement de
plaisir, ni un saut de joie. C’est plutôt, comme si une bulle venait d’éclater.
Une bulle magnifique, aux reflets extraordinaires, et dix jours durant nous en
avons retenu notre souffle. Que c’était beau !
Quelle aventure ! Qu’il y
en ait d’autres, ou qu’elles soient différentes ne changera rien à l’affaire :
cette parenthèse enchantée n’aura été possible qu’entre nous quatre. Nous y
retournerons, c’est une promesse faite au vent, certes… Mais c’est ce même vent
qui découpe les côtes vertes, qui balaie les sommets rocailleux et qui forme les
vagues de cette inoubliable côte de l’Irlande.
FIN.
"après avoir prononcé mon nom compliqué du premier essai" -> chez toi, ils arrivent au moins jusqu'à la 3ème et la 4ème lettre. Chez moi, ils peinent dès la 2ème -_-'
RépondreSupprimerJ'ai retenu un ou deux spots de ce récit. Je sais pas - ne pense pas - qu'on fera exactement le même trajet que vous quatre lorsqu'on y sera (pas encore prévu), mais y'avait des passages intéressants (j'avoue, j'ai lu en diagonale quelque fois).
Vais compléter votre parcours avec les billets que Pénélope a fait sur le sujet : http://www.penelope-jolicoeur.com/2014/05/irlande-1.html :)