jeudi 19 septembre 2013

Aventures marines (ou pas)

Bonjour lecteur! Oui, c'est calme ici depuis la fin du roman. Il est en relecture, et sache que tout ça avance lentement et que si je l'affiche ici, je ne pourrais pas le proposer à un éditeur. Comme l'indique le post précédent, ce ne sont pas les idées qui manquent. Donc j'en ai prise une au hasard et je me suis laissé porter. A vous de me dire! Ce texte aura peut-être des suites, mais je sors d'une relation de longue durée avec un document Word donc je suis pas sur de rechercher autre chose qu'un coup d'un soir. 

Espagne, 1671

Il faisait nuit, et le son des sabots était étouffé par les foulards de grosse laine attachés aux pattes des chevaux. Nous avancions sans un bruit, sans paroles parce qu’aucun d’entre nous ne savait exactement à quoi s’attendre. Notre guide, un contrebandier spaniard qui avait refusé de nous dire son nom, se tenait droit sur sa mule quelques pas en avant, et il aurait tout aussi bien pu nous mener dans quelque vile embuscade. Je guettais sans arrêt les parois du défilé rocheux dans lequel il nous dirigeait, à la recherche d’un éventuel reflet de lune sur une surface métallique. La protection. C’était sans doute la raison pour laquelle le Capitaine Jacques de Tourqueville nous avait fait participer à cette dangereuse excursion, qui devait tout de même rester discrète. En comptant le guide, nous étions six les uns derrière les autres, qui espérions passer inaperçus des soldats espaniols que nous attendions tous les dix mètres.

Pour plus de sécurité, Jacques avait interdit les armes à feux à ceux qui le suivraient. Et comme de juste, nous les avions amené. Caché dans mes braies, mon pistolet tapait contre ma cuisse à chaque pas de la jument que l’on m’avait attribué. C’était pire évidemment pour le second, que j’avais vu embarquer tout un arsenal dans son pantalon, et nul ne doutait que le capitaine avait remarqué son manège... Ah nous aurions eu l’air marrons si quiconque nous avait découvert. Déculottés pour charger nos armes, pris de court et ne parlant pas un mot du patois local. On nous aurait sans doute traînés dans les geôles de Cadix, que nul d’entre nous ne tenait à visiter : ceux qui y parlaient le français étaient bourreaux ou ne vivaient pas long. Enfin, les sons étouffés des embruns se firent plus présents.

Le chemin se rétrécissait encore alors que nous atteignîmes de hautes falaises de calcaire. Sans un regard, nous sommes tous descendus de nos montures : une chute ici entrainerait une mort inévitable. Nous aurions pu laisser les chevaux, mais entre elles les bêtes pouvaient se montrer bruyantes et nul ne voulait courir le risque. Les deux hommes de main qui me suivaient s’étaient arrêtés et se signaient comme de véritables paysans. En tant que Premier Lieutenant, c’était à moi de les rabrouer et de les faire avancer, mais je dus puiser dans mon imagination les arguments et les convaincre à la place : impossible de hausser le ton ou de menacer comme à mon habitude. Je leur sifflais mes imprécations entre les dents, et les deux brutes me passèrent devant tête basse. Et me voilà dernier de colonne. Mais comme je ne savais toujours pas l’objectif de cette randonnée, il ne me restait qu’à suivre sans demander mon reste.

La lune découverte miroitait sur la mer calme, qui laissait de rares vagues venir s’écraser sur les roches une centaine de pieds en dessous de nos souliers. On voyait le blanc des embruns venir lécher le pied des falaises et repartir paresseusement vers le large. La baie de Cadix faisait une anse de plusieurs lieues, mais le nuit était assez claire pour en distinguer la côte opposée. A ma droite, la ville elle-même faisait comme un halo lumineux moins loin qu’on ne l’aurait souhaité. Même si on disait ses ruelles assez sombres pour se faire trousser sans l’avoir remarqué, la distance suffisait amplement. A main gauche cependant, de rares buissons épineux se dessinaient le long de notre chemin de caillasse qui restait en hauteur. Puis, à la faveur d’un éperon rocheux, quelques oliviers centenaires faisaient bosquet sur une avancée de cette falaise blanche et poreuse. C’est là que le guide s’arrêta, et notre capitaine qui possédait quelques rudiments de langue locale, échangea avec lui. Pour notre part, nous partagions les rations emportées du bord avant notre départ en début d’après-midi. Le pain n’était pas de première fraîcheur, et les lanières de viande avaient transpiré leur sel sur les sacs et perdu toute saveur. J’allais envoyer nos deux larbins chercher des baies lorsque le capitaine et le second m’appelèrent auprès d’eux.

Comment n’avais-je pu le voir plus tôt ? Sa silhouette se détachait clairement sur la mer, ses trois mats balançant au gré des vagues. Même s’il n’était pas armé, les couleurs spaniardes flottaient à sa poupe, même de nuit, ce qui en disait long sur l’équipage : ceux qui ne rangent pas nos couleurs lorsque le soleil se couche sur mon navire peuvent s’attendre à une courte et douloureuse nuit à nettoyer le pont ou rabocher leurs draps que j’aurais déchiré. Mais je m’emballe un peu, car je n’ai point mon navire même si j’ai mon équipage (Monsieur le premier lieutenant, leur fais-je répéter à l’arrivée des mousses, est notre maître sur le bord), et pour office de navire nous naviguons sur une goélette trop lourdement chargée. Cela dit, si je comprends bien les pensées du capitaine, nous n’allons pas garder le « cormoran » très longtemps…

« - Il a l’air sacrément lège, capitaine !
- C’est parce qu’il sort de carène, lieutenant. Le bois n’a même pas encore travaillé. L’eau lui montera encore d’au moins quatre pieds lorsqu’on y fera monter mes canons.
- Nos canons sont en France, mon capitaine. » Fit remarquer le second. Se tournant vers son subordonné, Jacques prit une longue inspiration et il était évident qu’il s’empêchait de crier de toutes ses forces.
- Imbéciles ! Ce que je vous montre, c’est l’avenir ! Regardez sa proue, ses lignes ! Il sera magnifique, il sera dangereux et il peut porter tout ce qu’on voudra bien nous confier aux caraïbes. Mais non, vous, tout ce que vous voyez c’est qu’il flotte haut et qu’il est désarmé. N’est-ce pas pour l’aventure que vous êtes venus ? »
La question était rhétorique, émanant du capitaine… Mais dans les yeux du second, je pouvais lire aussi clairement qu’en plein jour que c’était les gains promis qui l’avaient entrainé avec nous. Pour ma part c’était mon premier poste de commandement, et je savais que nous avions pour ambition de rentrer sur un plus gros rafiot. Au moment de signer peu m’importait lequel, mais je m’étais vite aperçu qu’il n’allait pas nous tomber dans les mains par la grâce divine. Je l’acceptais. Et la proie, vue du haut de la falaise, paraissait plus tentante que jamais.

« - Santa Maria del Sol, qu’ils veulent l’appeler, reprenait le capitaine. Quelle originalité ! Quelle bouffonnerie, c’est tout les spaniards. Je ferais venir un prêtre, et on va nous le rebaptiser, vous allez voir ça.
- Quel nom, mon capitaine ?
- Je n’en sais encore rien ! Quelque chose qui aura plus d’allure, et ce ne sera pas bien difficile. Santa Maria del Sol… La sainte mère, c’est bien une égide pour ces pisse-froid. Allez, dites-moi qu’il vous plait au moins, ce navire ! Il est unique ! Le maitre charpentier qui l’a conçu est mort de maladie le mois dernier.
Le marchand, car c’en était un finalement, avait en effet bien fière allure. La proue était longue et effilée, tandis que son ventre s’étirait doucement sur ses flancs. Il n’aurait pas la capacité d’emport d’un quatre pont, ni la puissance de feu d’un galion, mais ce serait l’ami idéal pour repousser une frégate trop aventureuse, attaquer une barge lourde ou un camp ennemi et repartir en louvoyant sur les hauts fonds caribéens dont nous rêvions tous. Pour moi, c’était la perspective d’une grosse centaine de marins sous mes ordres. Et il filerait droit, oh oui. Je m’y voyais déjà, et il me faudrait un nouvel uniforme. Aucun de nous ne parlait, mais tous nous figurions déjà sur son pavillon arrière, en escale là où les femmes exotiques nous feraient bon accueil.

« Capitan ? » Cette fois c’était le guide. Il était venu jusqu’à nos côtés, et il semblait impatient de continuer jusqu’à la prochaine anse, encore un peu plus près de la ville. Revenus au bosquet d’oliviers, aucun d’entre nous ne voulait risquer plus, aussi nous avions déjà préparé les chevaux quand le petit homme s’énerva. Nous ne comprîmes deux mots de ce qu’il disait, mais ses chuchotements avec Jacques de Tourqueville étaient houleux. Ce dernier finit par se rendre, et emboita le pas au petit espagnol.

«  - Il dit qu’il veut nous montrer la crique suivante. Qu’il ne repartira pas sans que nous l’ayons vue. Préparez vos armes, c’est peut-être le traquenard que vous craigniez, lieutenant.
- Quelles armes, capitaine ? Vous nous avez interdit de…
- Celles que vous avez dans vos caleçons et que vous bringuebalez depuis midi, bande de crétins ! Et si vous n’y avez que la queue, prenez-là aussi, vous pourrez toujours les faire rire ! Maintenant cessez de caqueter comme les pochtrons que vous êtes et suivez moi. »
Il nous suffit de quelques dizaines de mètres. Une avancée sur la mer nous cachait une partie de la baie, plus abritée que les autres et protégée des courants par des fonds à quelques dizaines de brasses. Tout au bout, les rochers baissaient et venaient surplomber les corderies royales espagnoles qui précédaient les deux gigantesques bassins de carène. A plat ventre tous comme un seul homme, aucun d’entre nous ne s’intéressait pourtant aux installations portuaires des spaniards.

Parce qu’à une centaine de pas, bord à bord, une forêt toute entière de mats se balançait doucement. Une cloche signala un changement de quart, et les ponts s’emplirent de marins et militaires disciplinés, qui dans des ordres vifs et précis, prirent leurs postes sur les dix-huit navires que constituait la Grande Armada.


« Rentrons, j’en ai assez vu » chuchota le capitaine. 

1 commentaire:

  1. J'avais pas remarqué la première fois que j'avais lu le texte mais il y a deux coquilles
    - espaniols (fin paragraphe 1)
    - le nuit (début paragraphe 4)

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