vendredi 21 mars 2014

I.R.L.A.N.D.E. voyage 1 épisode 1

Ce texte étant une fiction tout à fait fictive, toute ressemblance avec des personnages réels serait purement fortuite. Soyons clairs, au vu du texte, on est presque dans la fantasy…

 Samedi : L’objet mystère

Lorsqu’ils sont arrivés chez nous à la veille du départ, on savait que l’aventure commençait en fait là, et non au lendemain dans l’avion. Ils étaient venus plus tôt que prévu, après un échange de messages excités de part et d’autre : chacun chez soi avec les valises prêtes, nous tournions en rond sans avoir rien à ajouter. Ensemble au moins, nous pouvions discuter du mois passé. On n’avait alors plus vu Michel et Marie depuis plusieurs semaines, à l’occasion de leur anniversaire de mariage. Le mois de juillet avait passé entre temps, et tout en prenant un verre (bien trop tôt pour un apéritif, mais qui s’en souciait) nous avons évoqué un juillet mitigé, entre grosses chaleurs et pluies intermittentes.

Dès le premier verre de rosé pamplemousse, la tension qui était montée dans l’après-midi retombe : nos vacances sont effectivement commencées, et cela s’annonce rarement mieux qu’avec un verre bien frais à la main. Michel et moi échangeons rapidement les dernières nouvelles de nos métiers respectifs, car la veille encore il était à son poste… Moi, j’ai déjà une semaine de repos sous le bras, mais je reprendrais plus tôt que lui.

Michel est grand, passant allègrement la barre du mètre quatre-vingt. De nous quatre il est le plus jeune, même si passé le milieu de la vingtaine, tout le monde s’accorde à dire que ce n’est plus une réelle différence. Les cheveux bouclés, il aligne un départ de barbe qui vient mourir aux tempes, le long de ses lunettes aux montures en carbone. Il se plaint depuis quelques temps de prendre du poids (haha, naturellement, passé les 25 ans et le mariage…) mais il était si maigre trois ans plus tôt qu’il lui reste une marge considérable avant qu’un défaut soit clairement visible. DJ émérite, c’est aussi mon principal partenaire dans les jeux en équipes. Michel est lorrain, mais on lui pardonne, car depuis huit ans avec Marie, il a eu le temps de s’améliorer...

L’heure est aux comparaisons des poids de valises. Julie et moi, qui étions partis l’année dernière en Ecosse huit jours avec chacun notre sac à dos, n’aurions jamais dû avoir de difficulté à empiler nos deux affaires dans une seule (grosse) valise. Pourtant, et comme la moitié de nos armoires étaient finalement empilées pour le départ, nous avions passé une heure à faire des compromis. On était particulièrement fiers du résultat, tant en poids qu’en volume : il nous restait, cette fois, une marge significative pour ramener des souvenirs. Et par souvenirs, soyons clairs, on parlait principalement de whisky. Ce n’est que lorsque l’on a observé la valise de nos amis que j’ai pris conscience que Julie avait une fois de plus fait des miracles avec ses propres affaires.

A ce moment-là, nous étions mariés depuis deux ans déjà, qui avaient passé si vite. Julie est petite et vive, sa voix haute prenant souvent un ton plus cassant qu’elle ne l’avait prévu. Ses cheveux bruns cascadent d’habitude dans son dos, mais elle les a coupés court au début de l’été, et peut à peine les attacher au moment du voyage. Le visage ovale, elle cache son intelligence derrière ses sourires qui me laissent désarmé. Organisatrice hors pair, elle finit son Doctorat en Biologie, et comme elle soutiendra en septembre moins d’un mois après notre retour, elle a déjà rendu son gigantesque mémoire. Julie parait frêle, et ne manquera pas de s’en plaindre, mais ma femme est endurante bien au-delà du commun. Elle peut marcher loin, porter son sac sans souci. Nous partageons toutes nos passions, depuis la bonne chère jusqu’aux jeux vidéo.

Et donc c’est le moment de s’inquiéter pour le poids du barda de nos amis : certaines compagnies sont assez strictes sur les 20kilos autorisés dans les soutes, et les balances de l’aéroport peuvent réserver des surprises. Hors, sur notre propre mesure, leur bagage frôle déjà la limite… Par au-dessus. C’est sans doute lié à leur objet mystère, qui doit être plus encombrant et plus lourd que le nôtre. Quelques jours avant le départ, nous en avons fait un jeu agréable : chaque couple devait ramener un objet inattendu, dont les autres devraient deviner la teneur. Et Julie et moi, en ayant proposé l’épreuve, avions évidemment un bel atout : une caméra GoPro tout terrain, avec un boitier de protection et une fixation de tête. Je l’avais emprunté à mon travail, juste avant de partir en vacances, et compte tenu de son prix et du fun qu’elle promettait, nous allions « gagner » ce petit jeu haut la main.

C’était sans compter sur Marie. Plus grande que Julie, la professeur des écoles (si je dis la maîtresse du groupe, c’est connoté) aux cheveux noirs en bataille vous fixe de ses grands yeux, et obtient sa réponse. Marie est tantôt joviale puis mélancolique, et passe de l’un à l’autre plus vite que le commun des mortels. Fine et robuste, c’est aussi une bonne sportive, qui décrochera par volonté plus vite que par épuisement. Et c’est une stratège à ne pas sous-estimer, généralement ma Némésis dans les jeux de table auxquels nous raffolons tous les quatre. Nous sommes régulièrement les plus purs opposés dans nos gouts, au cinéma et en littérature. On devrait peut-être même se jalouser pour l’attention de Julie, entre meilleure amie et parfait marri… Mais non, ça n’a jamais été le cas. On s’entend à merveille, tous les quatre (sauf, soyons francs, autour d’une carte, et lorsqu’on s’égare trop loin dans un débat politique). Sauf que nos deux amis sont comme nous, ils adorent gagner.

C’est eux qui prennent le premier tour, et devinent en quelque minutes notre objet mystère, que je m’empresse de sortir du sac. La caméra sportive passe de mains en mains, et franchement, c’est plein de promesses. Aucun des deux n’ayant deviné immédiatement, Julie et moi étions à présent bien curieux de découvrir ce qui se cachait dans leur valise. Sauf que voilà, au bout de dix, puis une vingtaine de questions, peau de balle. Impossible de trouver un quelconque indice utile. C’est petit, ça ne sert ni à la plage ni à la montagne. C’est plié, aussi. Puis, après une autre série, on découvre que ça ne prend pas vraiment de place, et que ça ne leur a pas couté grand-chose pour le moment. Je suis sur le point de baisser les bras (en toute honnêteté, je n’ai aucune idée) quand Julie affiche un sourire profond, demande un moment de délibération avant de proposer son idée. Et nous voilà seuls, elle rayonnante et moi, classique, avec un train de retard.

- Je pense que c’est un bébé » Elle me dit. Ah oui mais non, j’ai envie de répondre, parce que là ce n’est pas dans la valise, hein. C’est pas du jeu, finalement !
- Ben souris, quoi » Elle rajoute. Moi, j’étais dans le jeu. Comme d’habitude, je choisis mes priorités, et comme souvent, je rate des révélations. Evidemment, ils attendent un enfant. Quand je les vois revenir avec ce petit sourire en coin, je sais que Julie a raison. C’est que ça met longtemps à me monter au cerveau, cette histoire. D’un coup, nous sommes à les féliciter, et je passe presque en mode spectateur, dans une vue à la troisième personne, à me voir manger des sticks pour éviter de parler, parce que je ne sais tout simplement pas quoi dire.

C’est moi, John, le plus vieux de la bande, qui reste un peu figé, de l’air que l’on prend pour recevoir un cadeau que l’on a pas souhaité. Je souris à pleine dents, passe la main dans ma barbe drue, aussi noire que mes cheveux. Je devrais manger un peu moins, mais j’ai passé le mois de juillet à faire du sport pour pouvoir me lâcher en Irlande, aussi je ne fais pas trop attention. Si je n’ai pas la taille de Michel, j’ai la carrure bien plus robuste et musclée. Je passe deux fois plus de temps dans mes pensées que les autres, me semble-t-il, alors je compense avec un humour que je pense toujours percutant. Quant à l’esprit, je joue toujours à l’érudit et tente d’en apprendre le plus sur tout, avec le résultat notable de me faire oublier l’essentiel et retenir des détails idiots.

Evidemment, le temps que je sorte de ma léthargie, ils ont annoncé fièrement qu’ils gagnaient, avec leur bébé (il fait la taille d’un petit poids), contre notre GoPro.
J’ai accepté, soyons honnêtes, c’était pour être poli… Au moins j’avais l’espoir que notre objet mystère nous soit utile pendant le voyage. Parce que le leur, bon, à part empêcher Marie de boire, la rendre malade (c’est la grande appréhension) et la fatiguer, je ne vois pas trop ce que ça va nous apporter. De quoi ? Oui, après, évidemment. Décidément, il n’y a que moi dans ce groupe pour penser uniquement au moment présent !

Nous partons en ballade en ville, parce qu’il fait chaud chez nous, que le temps est d’un bleu rayonnant (ça s’annonce mitigé à Dublin) et que non, ce n’est toujours pas l’heure d’aller au restaurant. Evidemment, le sujet de conversation, ce n’est pas la caméra, on peut s’en douter. Mais bon peu à peu je rentre dans le jeu, parce que nous ne passons pas notre temps sur le sujet. On parle de la Thèse de Julie, de la ville, de meubles aux prix inaccessibles que l’on suit dans les vitrines. Et puis, posés dans le nouveau parc de la médiathèque, nous lançons le sujet du prénom. Ils ont leurs idées, évidemment, et ne veulent pas les partager, ce qui est compréhensible. Ca ne nous empêche pas avec ma femme de les tester sur quelques grands classiques, puis sur nos propres envies. Pas d’enfant, non, de prénoms éventuels. Comme souvent avec eux, les sujets les plus simples peuvent être développés en discussions infinies, que l’on étendra encore durant le repas.

Doucement, nous arrivons au Restaurant. Nous sommes sur une terrasse ombragée, à côté de l’eau calme du canal touristique, et les maisons à colombages du Colmar classique nous entourent. Un véritable trésor pour ceux qui voudraient découvrir la région… A priori pas pour nous quatre, qui avons passé nos vies entières entre la Cathédrale de Strasbourg et les Cités mulhousiennes. La carte est moins variée que dans mon souvenir du site internet, et l’on se rend compte un peu tard que les plats, très portés sur la viande, peuvent ne pas convenir à une femme enceinte. C’est qu’il va falloir faire attention ! Très vite pourtant, les heureux élus nous rassurent. Michel a scrupuleusement  épluché toutes les restrictions d’usages, et il y a assez peu débat sur ce que Marie peut ou ne peut pas manger. Au pays de la charcuterie, la voilà réduite à un assez drôle de régime.

Comme d’habitude au restaurant, je passe une partie appréciable de mon temps à regarder les tables alentours. Il y a la famille, parents et leur fille qui a amené son copain, qui a dû commander son repas à six heures et demie pour en être à ce stade de leur dégustation… A notre droite, un couple d’étrangers (peut-être des russes), qui picorent avant de vite quitter le restaurant. D’autres duos sont à côté, il y a largement de quoi observer en attendant nos plats. J’ai laissé Michel choisir le vin, et nos escalopes (Dieu quelle taille, elles emplissent les assiettes à elles seules) seront arrosées au pinot… Si aucun d’entre nous n’a fait mine d’avoir assez faim pour prendre une entrée, c’était pour mieux se ménager la carte des desserts ! Les filles font honneur avec leurs dames blanches hautes comme l’avant-bras, je craque pour une tranche de tarte aux prunes, et Michel prend de l’avance sur le voyage avec un Irish Coffee…

C’est aussi dans ce restaurant que nous démarrons les échanges d’honneur, c’est-à-dire les paiements de repas pour quatre. Afin de s’éviter d’avoir toujours à diviser les additions par deux, chaque couple va régler les repas à son tour, en essayant de répartir équitablement : ça aide, de partir avec ses meilleurs amis, parce qu’on se sent en confiance : nous sommes tous quatre en vacances, avons décidé que ce n’était pas le moment de rester proches du porte-monnaie.

Arrivés chez nous, nous n’allons pas passer de longue soirée comme à notre habitude (moi, je suis assez partant, mais je ne sais tout simplement pas être raisonnable), mais au contraire nous coucher tôt, après un dernier petit verre et sans même jouer (les jeux « courts » sont déjà dans les valises). Il faut dire que demain, l’heure recommandée c’est quatre heures. Et ça, ça va faire des dommages. Nous aurons bien le temps de profiter sur place tous ensemble.


C’est parti pour une courte nuit !

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