Ce texte étant une
fiction tout à fait fictive, toute ressemblance avec des personnages réels
serait purement fortuite. Soyons clairs, au vu du texte, on est presque dans la
fantasy…
Samedi : L’objet mystère
Lorsqu’ils sont arrivés chez
nous à la veille du départ, on savait que l’aventure commençait en fait là, et
non au lendemain dans l’avion. Ils étaient venus plus tôt que prévu, après un
échange de messages excités de part et d’autre : chacun chez soi avec les
valises prêtes, nous tournions en rond sans avoir rien à ajouter. Ensemble au
moins, nous pouvions discuter du mois passé. On n’avait alors plus vu Michel et
Marie depuis plusieurs semaines, à l’occasion de leur anniversaire de mariage.
Le mois de juillet avait passé entre temps, et tout en prenant un verre (bien
trop tôt pour un apéritif, mais qui s’en souciait) nous avons évoqué un juillet
mitigé, entre grosses chaleurs et pluies intermittentes.
Dès le premier verre de rosé
pamplemousse, la tension qui était montée dans l’après-midi retombe : nos
vacances sont effectivement commencées, et cela s’annonce rarement mieux qu’avec
un verre bien frais à la main. Michel et moi échangeons rapidement les
dernières nouvelles de nos métiers respectifs, car la veille encore il était à
son poste… Moi, j’ai déjà une semaine de repos sous le bras, mais je
reprendrais plus tôt que lui.
Michel est grand, passant
allègrement la barre du mètre quatre-vingt. De nous quatre il est le plus
jeune, même si passé le milieu de la vingtaine, tout le monde s’accorde à dire que
ce n’est plus une réelle différence. Les cheveux bouclés, il aligne un départ
de barbe qui vient mourir aux tempes, le long de ses lunettes aux montures en
carbone. Il se plaint depuis quelques temps de prendre du poids (haha,
naturellement, passé les 25 ans et le mariage…) mais il était si maigre trois
ans plus tôt qu’il lui reste une marge considérable avant qu’un défaut soit
clairement visible. DJ émérite, c’est aussi mon principal partenaire dans les
jeux en équipes. Michel est lorrain, mais on lui pardonne, car depuis huit ans
avec Marie, il a eu le temps de s’améliorer...
L’heure est aux comparaisons
des poids de valises. Julie et moi, qui étions partis l’année dernière en
Ecosse huit jours avec chacun notre sac à dos, n’aurions jamais dû avoir de
difficulté à empiler nos deux affaires dans une seule (grosse) valise.
Pourtant, et comme la moitié de nos armoires étaient finalement empilées pour
le départ, nous avions passé une heure à faire des compromis. On était
particulièrement fiers du résultat, tant en poids qu’en volume : il nous
restait, cette fois, une marge significative pour ramener des souvenirs. Et par
souvenirs, soyons clairs, on parlait principalement de whisky. Ce n’est que
lorsque l’on a observé la valise de nos amis que j’ai pris conscience que Julie
avait une fois de plus fait des miracles avec ses propres affaires.
A ce moment-là, nous étions
mariés depuis deux ans déjà, qui avaient passé si vite. Julie est petite et
vive, sa voix haute prenant souvent un ton plus cassant qu’elle ne l’avait
prévu. Ses cheveux bruns cascadent d’habitude dans son dos, mais elle les a
coupés court au début de l’été, et peut à peine les attacher au moment du
voyage. Le visage ovale, elle cache son intelligence derrière ses sourires qui
me laissent désarmé. Organisatrice hors pair, elle finit son Doctorat en
Biologie, et comme elle soutiendra en septembre moins d’un mois après notre
retour, elle a déjà rendu son gigantesque mémoire. Julie parait frêle, et ne
manquera pas de s’en plaindre, mais ma femme est endurante bien au-delà du
commun. Elle peut marcher loin, porter son sac sans souci. Nous partageons
toutes nos passions, depuis la bonne chère jusqu’aux jeux vidéo.
Et donc c’est le moment de
s’inquiéter pour le poids du barda de nos amis : certaines compagnies sont
assez strictes sur les 20kilos autorisés dans les soutes, et les balances de
l’aéroport peuvent réserver des surprises. Hors, sur notre propre mesure, leur
bagage frôle déjà la limite… Par au-dessus. C’est sans doute lié à leur objet
mystère, qui doit être plus encombrant et plus lourd que le nôtre. Quelques
jours avant le départ, nous en avons fait un jeu agréable : chaque couple
devait ramener un objet inattendu, dont les autres devraient deviner la teneur.
Et Julie et moi, en ayant proposé l’épreuve, avions évidemment un bel
atout : une caméra GoPro tout terrain, avec un boitier de protection et
une fixation de tête. Je l’avais emprunté à mon travail, juste avant de partir
en vacances, et compte tenu de son prix et du fun qu’elle promettait, nous
allions « gagner » ce petit jeu haut la main.
C’était sans compter sur Marie.
Plus grande que Julie, la professeur des écoles (si je dis la maîtresse du
groupe, c’est connoté) aux cheveux noirs en bataille vous fixe de ses grands
yeux, et obtient sa réponse. Marie est tantôt joviale puis mélancolique, et
passe de l’un à l’autre plus vite que le commun des mortels. Fine et robuste,
c’est aussi une bonne sportive, qui décrochera par volonté plus vite que par
épuisement. Et c’est une stratège à ne pas sous-estimer, généralement ma
Némésis dans les jeux de table auxquels nous raffolons tous les quatre. Nous
sommes régulièrement les plus purs opposés dans nos gouts, au cinéma et en
littérature. On devrait peut-être même se jalouser pour l’attention de Julie,
entre meilleure amie et parfait marri… Mais non, ça n’a jamais été le cas. On
s’entend à merveille, tous les quatre (sauf, soyons francs, autour d’une carte,
et lorsqu’on s’égare trop loin dans un débat politique). Sauf que nos deux amis
sont comme nous, ils adorent gagner.
C’est eux qui prennent le
premier tour, et devinent en quelque minutes notre objet mystère, que je
m’empresse de sortir du sac. La caméra sportive passe de mains en mains, et
franchement, c’est plein de promesses. Aucun des deux n’ayant deviné
immédiatement, Julie et moi étions à présent bien curieux de découvrir ce qui
se cachait dans leur valise. Sauf que voilà, au bout de dix, puis une vingtaine
de questions, peau de balle. Impossible de trouver un quelconque indice utile.
C’est petit, ça ne sert ni à la plage ni à la montagne. C’est plié, aussi.
Puis, après une autre série, on découvre que ça ne prend pas vraiment de place,
et que ça ne leur a pas couté grand-chose pour le moment. Je suis sur le point
de baisser les bras (en toute honnêteté, je n’ai aucune idée) quand Julie
affiche un sourire profond, demande un moment de délibération avant de proposer
son idée. Et nous voilà seuls, elle rayonnante et moi, classique, avec un train
de retard.
- Je pense que c’est un
bébé » Elle me dit. Ah oui mais non, j’ai envie de répondre, parce que là
ce n’est pas dans la valise, hein. C’est pas du jeu, finalement !
- Ben souris, quoi » Elle
rajoute. Moi, j’étais dans le jeu. Comme d’habitude, je choisis mes priorités,
et comme souvent, je rate des révélations. Evidemment, ils attendent un enfant.
Quand je les vois revenir avec ce petit sourire en coin, je sais que Julie a
raison. C’est que ça met longtemps à me monter au cerveau, cette histoire. D’un
coup, nous sommes à les féliciter, et je passe presque en mode spectateur, dans
une vue à la troisième personne, à me voir manger des sticks pour éviter de
parler, parce que je ne sais tout simplement pas quoi dire.
C’est moi, John, le plus vieux
de la bande, qui reste un peu figé, de l’air que l’on prend pour recevoir un
cadeau que l’on a pas souhaité. Je souris à pleine dents, passe la main dans ma
barbe drue, aussi noire que mes cheveux. Je devrais manger un peu moins, mais
j’ai passé le mois de juillet à faire du sport pour pouvoir me lâcher en Irlande,
aussi je ne fais pas trop attention. Si je n’ai pas la taille de Michel, j’ai
la carrure bien plus robuste et musclée. Je passe deux fois plus de temps dans
mes pensées que les autres, me semble-t-il, alors je compense avec un humour
que je pense toujours percutant. Quant à l’esprit, je joue toujours à l’érudit
et tente d’en apprendre le plus sur tout, avec le résultat notable de me faire
oublier l’essentiel et retenir des détails idiots.
Evidemment, le temps que je sorte de ma léthargie, ils
ont annoncé fièrement qu’ils gagnaient, avec leur bébé (il fait la taille d’un
petit poids), contre notre GoPro.
J’ai accepté, soyons honnêtes,
c’était pour être poli… Au moins j’avais l’espoir que notre objet mystère nous
soit utile pendant le voyage. Parce que le leur, bon, à part empêcher Marie de
boire, la rendre malade (c’est la grande appréhension) et la fatiguer, je ne
vois pas trop ce que ça va nous apporter. De quoi ? Oui, après,
évidemment. Décidément, il n’y a que moi dans ce groupe pour penser uniquement
au moment présent !
Nous partons en ballade en
ville, parce qu’il fait chaud chez nous, que le temps est d’un bleu rayonnant
(ça s’annonce mitigé à Dublin) et que non, ce n’est toujours pas l’heure
d’aller au restaurant. Evidemment, le sujet de conversation, ce n’est pas la
caméra, on peut s’en douter. Mais bon peu à peu je rentre dans le jeu, parce
que nous ne passons pas notre temps sur le sujet. On parle de la Thèse de Julie,
de la ville, de meubles aux prix inaccessibles que l’on suit dans les vitrines.
Et puis, posés dans le nouveau parc de la médiathèque, nous lançons le sujet du
prénom. Ils ont leurs idées, évidemment, et ne veulent pas les partager, ce qui
est compréhensible. Ca ne nous empêche pas avec ma femme de les tester sur
quelques grands classiques, puis sur nos propres envies. Pas d’enfant, non, de
prénoms éventuels. Comme souvent avec eux, les sujets les plus simples peuvent
être développés en discussions infinies, que l’on étendra encore durant le
repas.
Doucement, nous arrivons au Restaurant.
Nous sommes sur une terrasse ombragée, à côté de l’eau calme du canal
touristique, et les maisons à colombages du Colmar classique nous entourent. Un
véritable trésor pour ceux qui voudraient découvrir la région… A priori pas
pour nous quatre, qui avons passé nos vies entières entre la Cathédrale de
Strasbourg et les Cités mulhousiennes. La carte est moins variée que dans mon
souvenir du site internet, et l’on se rend compte un peu tard que les plats,
très portés sur la viande, peuvent ne pas convenir à une femme enceinte. C’est
qu’il va falloir faire attention ! Très vite pourtant, les heureux élus
nous rassurent. Michel a scrupuleusement
épluché toutes les restrictions d’usages, et il y a assez peu débat sur
ce que Marie peut ou ne peut pas manger. Au pays de la charcuterie, la voilà
réduite à un assez drôle de régime.
Comme d’habitude au
restaurant, je passe une partie appréciable de mon temps à regarder les tables
alentours. Il y a la famille, parents et leur fille qui a amené son copain, qui
a dû commander son repas à six heures et demie pour en être à ce stade de leur
dégustation… A notre droite, un couple d’étrangers (peut-être des russes), qui picorent
avant de vite quitter le restaurant. D’autres duos sont à côté, il y a
largement de quoi observer en attendant nos plats. J’ai laissé Michel choisir
le vin, et nos escalopes (Dieu quelle taille, elles emplissent les assiettes à
elles seules) seront arrosées au pinot… Si aucun d’entre nous n’a fait mine
d’avoir assez faim pour prendre une entrée, c’était pour mieux se ménager la
carte des desserts ! Les filles font honneur avec leurs dames blanches
hautes comme l’avant-bras, je craque pour une tranche de tarte aux prunes, et
Michel prend de l’avance sur le voyage avec un Irish Coffee…
C’est aussi dans ce restaurant
que nous démarrons les échanges d’honneur, c’est-à-dire les paiements de repas
pour quatre. Afin de s’éviter d’avoir toujours à diviser les additions par
deux, chaque couple va régler les repas à son tour, en essayant de répartir
équitablement : ça aide, de partir avec ses meilleurs amis, parce qu’on se
sent en confiance : nous sommes tous quatre en vacances, avons décidé que
ce n’était pas le moment de rester proches du porte-monnaie.
Arrivés chez nous, nous
n’allons pas passer de longue soirée comme à notre habitude (moi, je suis assez
partant, mais je ne sais tout simplement pas être raisonnable), mais au
contraire nous coucher tôt, après un dernier petit verre et sans même jouer
(les jeux « courts » sont déjà dans les valises). Il faut dire que
demain, l’heure recommandée c’est quatre heures. Et ça, ça va faire des
dommages. Nous aurons bien le temps de profiter sur place tous ensemble.
C’est parti pour une courte nuit !
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