dimanche 30 septembre 2012

Chasseur de chasseur - Part 5


J’ai dormi. Presque douze heures, allongé dans mes habits de boucher sur un lit dur comme la pierre. Quand j’ai ouvert les yeux, j’ai réalisé que je devais me calmer. Qu’à ce rythme-là, je ne tiendrais pas une semaine de plus. Reprendre la traque, oui, mais avec le cerveau cette fois. Du coup, plutôt que de plonger dans la rue et me ruer à l’enterrement du braconnier de la nuit dernière, je me suis offert une douche, infinie. Littéralement. Je suis resté dessous jusqu’à ce que le pommeau ne crache plus que quelques gouttes en tremblant de l’air présent dans le tuyau. Elle était tiède, mais je m’en fichais, parce que pour la première fois depuis deux ou trois semaines, je pouvais réfléchir. Sans pression finalement : personne ne savait même que j’étais à Khartoum. J’avais du liquide, un compte bien garni à l’international, et mon employeur cautionnait ce que je faisais… Enfin, tant que je ne me faisais pas prendre.

Plus j’y pensais, et plus je réalisais que mes deux proies n’étaient pas absolument nécessaires pour remonter la filière. D’un œil exercé j’avais avisé plusieurs commerçants avec des pièces plus ou moins imposantes en ivoire. Ils devaient bien obtenir leur matière première quelque part. Evidemment, je m’éloignais de ma filière originelle : comment être sûr que faire tomber une branche de l’arbre assurerait la vie des éléphants du parc de Macambé ? Pour l’instant, je n’avais pas la réponse. J’étais descendu prendre un café, vêtu d’une nouvelle djellaba troquée au tenancier de l’hôtel, que j’appréciais de plus en plus : il ne posait pas de questions. Je ne devais pas être un mauvais client d’ailleurs, considérant les deux camés croisés dans l’escalier, les yeux rougis par le manque de coke, maigres comme les roseaux et haletant après deux volées de marches. Pour ma part j’avais jeté ma drogue, le Ternex, dans la douche, avant de sortir de la chambre. Je ne toucherais plus à cette saloperie. Elle avait ses avantages, c’est sûr, et sans la chimie présente dans les pilules, je n’aurais peut-être jamais traqué les deux imbéciles jusqu’ici. Mais peut-être que si. Et avec l’esprit un peu plus clair, Mehdi serait peut-être encore en vie.

Le café me brûlait la gorge, amer comme jamais. Je profitais du soleil sans nuages alors que la journée était bien avancée, en tentant d’évacuer le pénible souvenir de la nuit. J’avais vu son corps agoniser contre moi dans une part non négligeable de mon sommeil. Il avait été rejoint au petit matin par des souvenirs plus anciens, plus violents aussi. Des visages d’européens qui hurlaient à n’en plus finir, et puis le bateau, bien sûr. Par chance, dès que la cale se formait dans mes cauchemars, je savais qu’il ne restait plus que quelques secondes à retenir mes peurs avant le réveil. Heureusement, une bonne partie de la nuit n’avait été qu’un sommeil lourd et calme. Ce qui expliquait mon humeur joyeuse.

Je dégustais mon premier vrai repas depuis une éternité dans un boui-boui à quelques pas à peine d’un vendeur d’ivoire qui m’intéressait. Un pain de maïs et de la volaille bouillie avec du riz : un vrai bonheur. J’allais passer le début de soirée dans ces échoppes mal tenues, remplies de bric-à-brac jusqu’au plafond bas, et qui ne mettaient que de rares articles en valeur… Au nombre desquels, justement, on retrouvait plusieurs artefacts en ivoire. Je ne me focalisais pas sur ces derniers pour ne pas attirer l’attention, d’autant que je n’avais pas le courage ni l’envie d’en acheter une pièce. 
J’aurais dû, pourtant, avant d’envoyer la pièce à l’équipe scientifique du Parc, qui aurait pu me renseigner en temps utile sur leur provenance : les morceaux que je tenais entre mes doigts étaient peut-être ceux de la matriarche du clan de Bataa, que j’avais le premier retrouvé, encore agonisante au bord du lac. Ou bien s’agissait-il de notre raid raté sur les cavaliers, en avril, dont quatorze éléphanteaux avaient été les victimes. Je finis par quitter l’allée, poussé par la raison. Aurais-je été sous médication ce soir que je n’aurais pas su prédire la fin de la soirée. Pour le coup, je me forçais à déambuler dans un autre quartier, à respirer à grandes goulées et à penser à autre chose. Heath assurait la protection du parc, et l’anglais était aussi doué que moi dans notre macabre métier.

Les prostituées du coin n’étaient pas plus bavardes que moi, mais je n’étais pas venu chercher d’information, cette fois. Juste de la détente, jusqu’à ce que la nuit soit bien avancée, et que je rentre à mon hôtel. Sans surprise, on avait fouillé ma chambre, mais je m’y attendais. Sans être particulièrement paranoïaque, j’avais tout de même tué un homme la veille, aussi les précautions étaient de mise. Couché au sol dans une position aussi grotesque qu’inconfortable, j’allais desceller les deux carreaux de la baignoire et vérifier que mes armes étaient toujours au même endroit. J’achevais ainsi cette journée, presque de congés, en démontant et nettoyant mes armes, sans hâte et sans pensées parasites, l’esprit reposé.

2 commentaires:

  1. Un joli texte qui nous ramène à notre Dexter de la savane... C'est bien de le voir plus calme que la fois précédente! Par contre, il est peut-être un peu trop calme du coup vu qu'il ne fait pas grand chose de sa journée. On ne sait donc pas trop comment il va faire pour poursuivre son enquête...

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  2. Un texte plus calme certes, mais qui nous plonge dans la psychologie de ton personnage... Moi j'adore !
    Une fois de plus, je pense qu'il faut que l'on considère l'ensemble des textes de la série pour apprécier toute la valeur de celui-ci, comme tous nos textes écrits en plusieurs morceaux... Et ce n'est pas si simple pour les lecteurs !

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