samedi 22 novembre 2014

Accusé (épisode 2)


Quand vous vous réveillez dans un lit qui n’est pas le vôtre, et que le premier élément qui saute aux yeux c’est la paire de menottes de police qui vous retient au lit, vous refermez les yeux. En tout cas moi, c’est ce qui m’est arrivé. Sur le moment, je n’ai rien voulu savoir, comme si mon cerveau était, en contemplant le métal brillant, retombé dans cette terrible spirale de violence de la nuit précédente. Une sorte d’échappatoire de quelques secondes, pas spécialement couronnée de succès. A mon second essai, juste un coup d’œil, j’ai vu Claire, couchée dans l’un de ces inconfortables fauteuils d’hôpitaux, ceux qui n’ont pas un dossier suffisamment haut pour reposer la tête. Alors ma fiancée s’était recroquevillée sur le tissu rêche, et elle dormait en boule, ses doigts ouverts à quelques centimètres des miens. J’allais tenter d’attirer son attention, lorsqu’en inspirant une première bouffée d’air chargé de cette unique fragrance hôpital, j’ai eu l’impression qu’on me déchirait le sternum en deux. Et c’est en voulant bouger les deux bras pour m’agripper le buste que je me suis rendu compte que le droit était largement engoncé dans un grand plâtre qui s’étendait bien plus haut que l’épaule. Je soupirais, à la limite du ricanement : à me voir, on aurait plus cru à un accident de voiture qu’à une tentative de meurtre.

Mais enfin, à ce que je sache, les victimes ne portent pas de menottes, si ? Il y avait toujours ce décalage entre ma compréhension et les faits, à tel point qu’en refermant les yeux une seconde fois, je me demandais si la balle n’avait pas endommagé quelques neurones. Bêtement, sans vouloir me réveiller totalement, je me suis mis à faire des additions mentales, puis à me souvenir de mon enfance (en occultant le collège, je ne voulais rien savoir d’Aude). Tout collait. J’avais le souvenir de cette terrible nuit, de ce pistolet, qui me courait dans la tête en boucle, en arrière-plan. Celui-là par contre, je n’arrivais pas à l’occulter. J’espérais qu’Aude passait un très mauvais moment en prison, voire qu’elle y crève, soyons honnêtes. Mais pas avant qu’on m’ait expliqué pourquoi elle avait pris le soin de faire tout ce chemin au milieu de la nuit pour venir me tirer dessus. Sur moi. 

Je veux dire, j’étais dans un tel état d’incompréhension qu’elle aurait pu sonner, hurler et tirer sur le voisin. Il n’aurait pas pu être plus surpris. A ce point de mon récit, j’imagine qu’il n’est pas nécessaire de vous dire que je n’ai jamais tué personne. Que si ma vie jusqu’à ce matin n’était pas un long fleuve tranquille, ça n’avait jamais été plus loin qu’une bagarre peu glorieuse, au lycée. Je n’avais jamais vu un pistolet aussi près que ce matin, encore moins un qui fonctionnait. Bref, il ne me restait plus qu’à ouvrir les yeux et à tenter de démêler le fil de cette incompréhensible pelote.

Entre temps, je m’étais rendormi. Lorsque je me redressais, Claire était bien réveillée, même s’il faisait nuit derrière les grands stores en tissu. La voir me réconfortait tellement ! Avec son grand gilet gris passé sur ses épaules, ses longs cheveux noirs dont les boucles remontaient sur ses épaules et ses beaux yeux calmes, elle représentait la vision dont j’avais le plus besoin dans un lit d’hôpital. Claire a vu que j’essayais de lui parler, mais elle ne m’en a pas laissé le temps. D’un bond, elle me serrait à m’étouffer, le genou planté dans le matelas sans aucune considération pour mon plâtre. J’ai voulu la serrer en retour, mais je n’ai pu qu’esquisser le mouvement, avec ces fichues menottes. Franchement ! Pourquoi m’avait-on attaché, moi ? Lorsque je lui posais la question, Claire a baissé la tête. Elle s’est mordue la lèvre, et m’a répondu qu’un lieutenant de la police voulait me parler quand je me réveillerais, et que ça ne pourrait pas attendre. Figurez-vous que les médecins pensaient me garder endormi encore une bonne journée. Il faut croire que se faire tirer dessus à bout portant, ça fait réfléchir ! Ma fiancée a eu une réaction assez étrange face à tout ça. Claire a pris ses distances dès cet instant à l’hôpital. Elle ne voulait rien avoir à faire avec la police, ne voulait même pas que l’on discute de la veille. Elle ne m’a pas non plus bombardé de questions pour savoir qui était Aude, ou de quoi elle m’accusait. Pour être honnête, j’imagine qu’elle avait un peu peur des réponses.

C’est le chirurgien qui a fait rappeler les flics. Tout du moins après s’être assuré que j’étais capable de manger un bouillon insipide et un véritable arbre de noël de gélules. Le docteur était grand, avec des mains encore plus grandes, c’était impressionnant. Il m’a bien plu, parce qu’il expliquait les choses clairement et simplement. C’était le premier, en plus d’une demi-journée, que j’étais tout à fait capable de suivre, et je lui en étais reconnaissant. La balle avait apparemment perforé le haut de mon poumon droit, avant de ricocher sur une côte et de ressortir en me fêlant l’omoplate. J’avais aussi la tête et le cou bandés parce qu’en tombant en arrière sous la force de l’impact, j’avais une commotion cérébrale. Sans oublier la coupure au front, qui rendait encore l’addition un peu plus salée. 
Heureusement qu’il n’y avait aucun miroir, je devais être méconnaissable !

La police est arrivée trois minutes après que je me sois rendu compte que je n’étais pas capable de me déplacer jusqu’aux toilettes. J’étais déjà honteux, de mauvaise humeur et quand j’ai vu le Lieutenant Romanet, j’ai été pris d’une brusque envie de me rendormir. Il était grand aussi, mais beaucoup plus dans le genre rugbyman que le chirurgien. Cette carrure ! J’en étais à me demander s’il passait les portes lorsqu’il s’est assis sur le fauteuil où Claire avait passé toute la journée. Elle était allée se chercher à manger, nous laissant entre quatre-z-yeux et une paire de menottes. Juste après les présentations, j’ai attaqué sans tourner autour du pot.

-           Alors, Lieutenant, c’est quoi, ça ? Dis-je en lui montrant le cerclage de métal.
-       J’avais besoin de vous parler dès votre réveil, et comme je ne savais pas dans quel état vous étiez, je voulais vous garder sur place. Ne vous inquiétez pas. » Sur quoi il sortit sa paire de clef, et décrocha les bracelets, tout en observant attentivement mes réactions.
-          Vous n’avez pas tout à fait répondu à ma question, Inspecteur
-          Lieutenant.
-          Oui, bon, lieutenant. A ce que je sache, on ne menotte pas toutes les victimes de tentatives de meurtre, si ? »

A quoi il a répondu en marmonnant dans sa barbe de trois jours, et en fouillant dans son porte-document. Il en a sorti un petit enregistreur vocal, et m’a demandé d’un air nonchalant si ça ne me dérangeait pas qu’il garde une trace de cette conversation. A tout vous dire, son attitude m’énervait au plus haut point. J’étais nerveux, ma couverture de lit était soudain trop chaude. On a beau être quelqu’un de fondamentalement honnête, quand un flic vous dit qu’il veut vous enregistrer, ça fait surgir quelques gouttes de sueur. J’ai voulu une seconde lui dire d’aller se faire voir ailleurs, le forcer à me convoquer un autre jour, appeler l’infirmière ou beugler que je voulais un avocat. Mais je n’ai rien dit, tout simplement parce que je voulais voir quelles cartes le lieutenant Romanet avait en main. Ce type donnait l’impression de savoir ce qui m’était arrivé, et j’aurais presque repris une balle de mon plein gré pour avoir des réponses. J’ai dit oui, et j’ai attendu ses questions.

-          On va juste vérifier que ce bidule est en route, reprit le lieutenant. Comment vous appelez-vous ?
-          Tristan. Tristan Bleuet. J’ai 29 ans et je me suis fait tirer dessus cette nuit.
-          Je sais, Mr Bleuet. Continuons, voulez-vous ?
-          Mmh.
-          Connaissez-vous Mme Gwenaëlle Hobb ?
-          Qui ça ? » Immédiatement, la conversation prenait un tour inattendu, même si je m’étais préparé à tout. Pourquoi ne me parlait-il pas de mon agression ?
-          Gwenaëlle Hobb, c’était une amie d’enfance d’Aude Marchianni. Gwen, ça ne vous dit rien ?
-          Si. Je… C’était une amie d’Aude, mais aussi une des miennes, au collège. Ca remonte à quinze ans, la dernière fois que je l’ai vue. Et c’était valable pour Aude jusqu’à ce matin.
-          Donc vous diriez que l’avez bien connue ?
-          Dites lieutenant, vous vous souvenez de vos amis de collège ? A l’époque, oui sans doute bien, même si je me souviens qu’elle était assez discrète. Elle trainait tout le temps avec Aude, et j’allais les rejoindre à la sortie des cours.
-          Vous êtes certain que vous ne l’avez pas revue depuis ?
-          Oui, bordel, j’en suis vraiment certain ! Et si vous en veniez au fait ? Qu’est-ce que son amie du collège vient faire là-dedans ? Quel rapport avec Aude et son pistolet ?
-          Vous n’avez vraiment aucune idée ? Aucune raison pour une vengeance qui vous vient ?
-          De quoi ? Une vengeance ? »

C’était un dialogue de sourds, dans lequel on s’éloignait lui et moi de ce que nous voulions. Par chance, le lieutenant Romanet s’en est vite rendu compte. Il avait l’air perplexe de celui qui va avoir une enquête bien plus difficile que prévu. Mais ce n’était rien à côté de moi, j’avais l’air furieux de celui qui a pris un pruneau dans l’épaule et qui a l’impression d’être le dernier à savoir pourquoi. Bref, il a pris son carnet déjà barbouillé d’inscriptions et de griffonnages du haut en bas, et m’a enfin livré quelques bribes de vérité.

-          Gwenaëlle Hobb est la raison pour laquelle mademoiselle Marchianni est venue pour vous abattre la nuit dernière. Elle nous l’a avoué en quelques minutes, presque jeté à la figure sans chercher à nier. En fait, elle semble vous tenir personnellement responsable de la mort de Gwenaëlle.
-          Sa mort ? Attendez…
-          Gwenaëlle Hobb a été retrouvée morte dans son appartement parisien il y a cinq jours, le 11 novembre. J’ai récupéré les notes de mes collègues de Paris, et il s’avère que c’est un cas de suicide avéré. Mademoiselle Hobb s’est pendue. Son appartement était fermé de l’intérieur, et elle avait envoyé des lettres à plusieurs personnes de sa connaissance. Elle était dépressive depuis des années C’est là que vous entrez en jeu, apparemment.
-          Moi ?
-          Les lettres destinées à sa famille ne contenaient que des excuses. Mais celle qu’a reçu Aude Marchianni et qui l’a conduite chez vous était beaucoup plus longue. Nous l’avons récupérée, Aude l’avait sur elle. Gwenaëlle s’y confiait à sa meilleure amie pour la première fois. Elle a couché par écrit un véritable traumatisme de son adolescence, dont elle ne s’est jamais remise. Ca ne vous dit toujours rien ?
-          Mais… Eh bien non, en fait. Pour moi, on nage toujours dans le délire.

-          Ah. C’est étrange, parce que figurez vous que Gwenaëlle vous désigne clairement comme étant celui qui l’a sauvagement violée, durant une fête d’Halloween. »



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