Bonne lecture !
Dorian.
Une suite de courtes impulsions
transmises à son module de vie et reliées à sa couchette achevèrent de sortir
Dorian de sa période de sommeil. Dans un mouvement brusque, il alluma ses
photorécepteurs, et comprit que le message n’avait rien des habituels rapports
qui revenaient épisodiquement le déranger dans sa transe. Cette fois, l’alerte
était sérieuse, et d’ailleurs elle était répercutée à tous les vaisseaux
alentours. Glissant silencieusement dans l’exigu couloir central, Dorian laissa
une de ses membranes principales en contact avec le flux d’informations
principal qui courait sur la paroi, histoire de se mettre à jour… Son sommeil n’avait
que trop duré, dirait-on. La majorité des minuscules sondes robotiques qu’il
avait envoyé récupérer des informations étaient de retour à bord, toutes
bourrées de données à traiter, de rapports d’activité et d’images datées
importantes. Il faudrait compiler tout ça, et Dorian espérait en avoir le temps
avant la visite qui se profilait. Car une alarme comme celle qui l’avait
réveillé ne pouvait avoir qu’une seule signification. L’amiral de la flotte
allait arriver sous peu, et ses tournées d’inspection étaient connues pour être
un modèle de sévérité et de précision attendues.
Une fois dans le module de
pilotage, Dorian s’aperçut qu’il était (une fois de plus) bon dernier à activer
ses transpondeurs. Alderaan, qui ne prenait que de courtes phases de transe l’avait
devancé de loin pour accueillir l’amiral, tandis que Fidenia, disposant de
technologies plus avancées que celles de Dorian, pouvait piloter depuis sa
transe. Il était plus que temps de faire bouger les choses. En mettant en
contact ses deux membranes secondaires avec la poste de Pilotage, Dorian ne fit
soudain plus qu’un avec le Stix. Avec ses soixante mètres de long, son
profilage anguleux et sa surface absorbante, il avait fait plusieurs décennies
plus tôt, partie d’une escadre de reconnaissance de guerre. Dépassé rapidement
à cause de ses interfaces et de ses systèmes de combat, il avait été relégué à
des missions d’explorations. Pas étonnant qu’on y mette des pilotes de seconde
zone, pensa Dorian en apercevant son reflet sur l’écran de commandes, à la
faveur d’un rayon de soleil pendant qu’il faisait tourner l’appareil. Mais
enfin, il n’avait pas à se plaindre de sa mission, même si elle était souvent
ennuyeuse : Il n’avait jamais été doué pour le combat stellaire, alors
plutôt paresser autour de cette étoile-ci que de mourir dans une vague offensive
dans un système de conquête…
« - Mais qu’est-ce que tu
fichais ? Tu ferais mieux d’être là avant que l’Amiral ne se pointe ! »
Alderaan était dans son humeur habituelle : tout juste insupportable.
Dorian se concentra sur les coordonnées de la rencontre des trois vaisseaux
avec l’amirauté interstellaire. De sa position dans la ceinture d’astéroïdes,
il n’était pas si loin de P6T3SX. S’il avait eu le droit d’utiliser ses
réacteurs principaux, ces derniers n’auraient même pas eu le temps de monter en
puissance pour atteindre cette petite lune. Pourtant, les ordres étaient
clairs, la discrétion était primordiale… Dorian décida tout de même de pousser
les auxiliaires, histoire de gagner une petite heure sur le trajet. Ces derniers
émettaient une signature très faible, le risque d’être détecté était vraiment
minimal. Dorian profita du temps pour s’immerger dans les rapports des sondes,
qu’il classa le plus rapidement possible, en s’exclamant plusieurs fois sur le
contenu. En moins d’une transe, il avait raté une quantité astronomique d’évènements
majeurs ! Heureusement qu’il avait programmé les robots correctement,
Alderaan et Fidenia ne manqueraient pas l’opportunité de prouver qu’ils étaient
les meilleurs dans ce domaine, tandis que lui s’était retrouvé ici car il avait
raté un examen de passage.
Dorian allait une fois de plus se
plonger dans le souvenir douloureux de cette interminable journée de
catastrophes lorsqu’un voyant d’alarme vint le distraire. Le Stix était équipé
de capteurs performants, et l’appareil avait ralenti la course des moteurs à
plasma froids alors même qu’il avait détecté la menace. Ici ? Dans ce
petit système ? Etait-il possible que leurs trois vaisseaux ne soient pas
seuls à traîner dans le coin ? Le journal de bord indiquait que les Cairhe
n’avaient jamais poussé aussi loin vers la ceinture extérieure, mais on ne
savait jamais, avec eux. Dorian demanda un scan passif complet, déploya trois
antennes sur le sommet du cockpit et lança même une sonde photo-réceptrice.
Quelques
secondes plus tard, il avait l’image en direct par son interface sensorielle.
Heureusement ce n’était ni un vaisseau de guerre, ni un explorateur ennemi. C’était
une sonde, robuste mais efficace. Un petit réacteur à fission, pas aussi bien isolé
qu’il aurait du l’être, et surtout des instruments de mesure, dont un
spectromètre infrarouge… C’était bien ce dernier qui avait activé l’alarme du
Stix. La conception de cette sonde était assez intelligente, malgré des limites
qui paraissaient assez évidentes à Dorian, surtout de l’encombrement par
rapport à la taille énorme de cette pièce de mécanique un peu vulgaire. Il lui
fallut une ou deux secondes supplémentaires pour se rendre compte que si ce n’était
pas les Cairhe, ni l’un des trois vaisseaux de l’Amirauté, c’était une sonde
des habitants locaux. Etaient-ils capables à présent de se projeter aussi loin
de leur propre planète ? Il lui restait plusieurs dizaines de rapports à
observer, et alors qu’il les survolait, Dorian se rendait compte que depuis le
début de sa transe, les locaux avaient plus avancé dans certains domaines que
ce que sa simulation avait prévu. Il avait intérêt à intégrer toutes ces
données avant de voir l’amiral.
Le vaisseau d’Alderaan n’était
pas non plus prévu pour l’espionnage interstellaire. Avec sa taille imposante
de quatre cent mètres, il ressemblait, comparé à ceux de Dorian (le Stix) et de
Fidenia (le Torr), à un pataud ravitailleur. Sa conception ancienne ne pouvait
cependant faire oublier les six pièces d’artillerie à énergie concentrée
placées sur son pont supérieur. C’était un vaisseau d’attaque, dans la plus
pure tradition de l’Amirauté, et son commandant ne dépareillait pas avec le
navire stellaire : « Frapper d’abord, observer les dégâts »
aurait pu être gravé sur la passerelle. Dorian s’imaginait facilement la frustration
de ce pilote artilleur, qui ne pouvait pas exercer ses talents tant que le
système qu’ils observaient n’avait pas été officiellement classé comme
dangereux. Le Stix s’amarra à la seconde baie d’accrochage, juste à côté du
vaisseau de Fidenia. Pourtant, cette dernière était encore à l’intérieur, en
phase de réveil elle aussi.
Le Torr était le plus élégant des trois vaisseaux,
tout en courbes vides et pleines. Il avait été conçu pour l’observation, et
disposait des meilleurs senseurs, de la plus grande autonomie, et des sondes
robotisées les plus performantes. Un véritable petit miracle de technologie,
qui avait pourtant quelques défauts de jeunesse : une vitesse très limitée
et une fragilité extrême. Si elle pouvait passer littéralement devant les
capteurs des locaux, elle avait intérêt à bien calculer sa trajectoire :
un contact même minime avec les métaux épais des constructions locales
déchirerait sa fragile enveloppe.
Dorian eut à peine le temps d’échanger
les salutations d’usage avec Alderaan, de s’apercevoir que Fidenia était dans
la pièce, lorsque le cockpit fut assombri par la présence massive d’un croiseur
de l’amirauté. Un croiseur ! Ils ne manquaient pas d’humour, sur la
Planète Mère ! Six Périodes d’observations furtives, d’incursions autour
de la planète vivante locale, des dizaines de sondes envoyées récolter des
informations… Et voilà que l’Amiral Deogen arrivait en croiseur. La masse de
ces titanesques vaisseaux de guerre modifierait sans doute l’orbite même de la
petite lune à côté de laquelle ils tenaient leur petit rendez-vous. P6T3SX
devrait supporter le choc le temps de la rencontre. Dès que Dorian, Fidenia et
Alderaan se furent alignés, un capitaine apparut sur la passerelle, par l’ascenseur
de communication annulaire. D’un air sévère, il leur ordonna le Salut
traditionnel avant que, dans le rai de lumière suivant, l’Amiral Deogen
lui-même fasse son apparition. Flottant jusqu’au siège usé qu’occupait d’habitude
Alderaan aux commandes de son vaisseau, il leur rendit leur salut crispé, fit
une moue pas tout à fait dégoutée en jetant un coup d’œil à la passerelle, et
leur ordonna brièvement :
« - Faites-moi votre rapport,
rapidement. Il n’y a qu’une planète habitée ici ? »
« - Oui amiral. » Répondit
Alderaan. « Leurs moyens sont limités mais ils sont en pleine expansion.
Toutes nos données sont transmises à votre vaisseau à l’instant. »
-
En pleine expansion, hein ? Avez-vous été
détectés ?
- - Non, Amiral. » Répondit Fidenia. « Nos
systèmes sont encore largement plus performants que les leurs. Cependant, ils
ont beaucoup progressé dans leur exploration spatiale locale, nous avons du
être prudents ».
- - Mmh, je vois. Pouvez-vous me dire comment ce
nouveau joueur sur notre grande scène s’appelle ?
- Eh bien..." S'élança Dorian. "Ils ont appelé leur planète "La Terre" ...".
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