Ce matin, il aura fallu se
lever quelques minutes plus tôt, histoire de boucler à nouveau les valises en
prévision de notre départ : après deux nuits passées dans notre B&B de
Killarney, nous partons dans la matinée pour le Connemara. Je suis heureux de
n’avoir qu’un petit mal de crâne, car conduire toute la journée avec la gueule
de bois m’aurais fichu sur la touche pour longtemps. Mais d’abord, un bon bol
de gras, et quelques tartines de café (ou l’inverse, je ne sais plus trop).
Arrivés à table avec Julie, nous décidons d’attendre nos amis pour commander…
Michel et Marie, qui vont nous faire une petite frayeur en ne descendant que
cinq ou six minutes plus tard. Apparemment, le réveil a été violent dans plus
d’une chambre. Même s’il n’est encore que huit heures quarante. Et que nous
sommes les premiers à pouvoir commander.
Seule Julie ne trouvera pas le
courage de se décider pour un full Irish Breakfast. Pour ce qui est de nous
autres, nous avons chacun notre variante. Marie ne prendra pas d’œufs, Michel les
aura frits et moi brouillés. Parce que oui, il y a de l’œuf. Et du bacon
grillé. Et des saucisses frites. Et du boudin à l’avoine. Et même la tomate
servie avec, sensée faire office de bonne conscience au milieu de ce menu « lipides
et artères bouchées », a apparemment été cuite dans le gras. Une minute de
silence a été requise pour nos filtres intestinaux. La sensation est
indescriptible, mais sachez juste que les ingrédients sont extraordinaires, que
le goût est incomparable, que l’on a plus faim directement après, mais qu’on se
sent sale. Personnellement, j’avais l’impression de transpirer de l’huile. Mais
enfin, la journée contiendra sans doute de quoi utiliser cette considérable
portion de réserves, non ? Au cas où (on ne sait jamais), nous terminons
cette petite orgie avec des toasts généreusement tartinés de confiture (elle
n’est pas frite). Mais quand même lorsque l’on retourne dans les chambres, on
en est à se demander si on n’a pas un tout petit peu trop mangé. A neuf heures
du matin. On n’a même pas encore eu nos frites de la journée !
Avant de prendre sérieusement
la route, nous faisons à nouveau un arrêt au supermarché, pour que les filles
puissent sortir nous acheter de quoi constituer notre repas de midi
(clairement, il faut de l’imagination pour se croire capable de manger quoi que
ce soit de plus aujourd’hui). Puis nous prenons la route vers le nord et les
falaises de Moher. La route commence de façon un peu chaotique, car c’est à
nouveau le parcours du combattant sur des deux voies minuscules… Et il y a du
monde en face. Il faut dépasser aussi, car les traînards sont légion ce matin.
C’est plus technique que lors de notre arrivée depuis Dublin, il faut vraiment
être concentré en permanence. On ne va pas se mentir, j’ai tâté du buisson plus
d’une fois (en serrant les dents et les fesses), la faute à la largeur de la
route pas toujours adaptée. Lors d’un croisement, j’ai littéralement senti le
camion en face frôler mon rétroviseur. A force, on se met même à douter de la
sécurité globale : j’ai beau me répéter « ça passe, ça passe »
je ne sais plus si c’est absolument vrai.
Malheureusement, nous ne
pourrons pas rejoindre une autoroute digne de ce nom avant Limerick, la grande
ville du coin. Le centre-ville est censé être magnifique, mais nous avons dans
un débat animé avant le départ, décidé que nous n’aurions pas le temps pour un
arrêt là-bas. C’est que, pour arriver à Moher depuis Killarney, il faut
contourner un énorme bras de mer. Mais enfin c’est vrai que dans certaines
portions, la petite route sinueuse est assez jouissive
(« 100 ! ») et réserve quelques paysages très sympathiques entre
deux haies de cet épais bocage.
Lorsque nous rejoignons
l’autoroute, la plupart d’entre nous n’avons qu’une seule envie, c’est de nous
soulager. Il faudra pourtant attendre, il n’y a pas vraiment d’aire de repos
dans la zone. Nous repérons quand même un château, qui a défaut d’une visite,
proposera bien quelques commodités, non ? Le Bunratty Castle nous attend à
moins de cinq minutes de la quatre-voies. Constitué pour ainsi dire d’un seul
donjon massif, il domine cette région de plaines et d’embouchures, juste à côté
d’une large rivière. A chacun des quatre angles droits de ce haut château, les
fortifications sont bien visibles. Et si la base est creusée d’arches et de
hautes fenêtres, il ne faut pas s’y tromper, je n’aurais pas voulu être du côté
des assaillants. D’ailleurs il n’a jamais été attaqué.
Nous arrivons sur un
gigantesque parking, qui nous met immédiatement la puce à l’oreille. Il y en a
pour des centaines de mètres, et plusieurs bus sont déjà alignés sur leurs
places respectives. Tout ça pour un (beau, certes) château ? En fait,
c’est un peu plus intéressant. Le Bunratty Castle abrite sur son terrain un
écomusée permettant de remonter l’Irlande à travers les âges et les professions
de ses figures historiques. Pour être franc, ce n’était pas donné, mais si nous
avions eu deux ou trois heures de rab’ (pas avant une bonne semaine, donc)
j’aurais fait le forcing pour que l’on effectue la visite : ça avait l’air
absolument passionnant ! Mieux encore, la boutique de souvenirs juste à
côté de l’entrée dispose de toutes les commodités nécessaires pour que nous
soyons des touristes détendus. Nous saurons cette fois résister aux appels de
la boutique, et saurons repartir sans sac-mouton supplémentaire, sans objet en
forme de trèfle et même sans « l’instrument-décoré-de-la-branleuse ».
Afin de profiter tout de même
un peu de la vue du corps principal du Bunratty, nous remontons le long parking
et allons faire des photos de l’autre côté, appuyés sur le pont de pierre que
gardait déjà quelques siècles plus tôt le gros donjon. Malheureusement, nous ne
trouverons pas le courage de nous attarder dans le coin : juste à côté des
hauts murs, une odeur de vomi insoutenable nous force à reculer pour revenir à
la voiture. Marie a le cœur au bord des lèvres, aussi nous prendrons le temps
de profiter quelques minutes supplémentaires de l’ombre dispensée par les
grands chênes du parking. La météo est au beau fixe, nous avons vraiment de la
chance.
Lorsque nous repartons, je
joue la sécurité en choisissant de prendre de l’essence alors que la jauge est
juste passée sous la moitié… Mais bon, les prochaines zones risquent d’être
très reculées (le Connemara dans mon esprit, c’est un peu le désert en plus
vert), donc prenons de l’essence. Je suis presque déçu que le service ne soit
pas « à l’écossaise », c’est-à-dire servi directement par un
pompiste. Ici c’est comme chez nous. En plus cher, quoi.
Une fois sur la route à
nouveau, nous savons que notre prochain arrêt n’aura lieu qu’aux falaises de
Moher. Enfin, presque, quoi. Nous savons que nous n’avons pas envie de nous
garer au milieu des dix mille touristes qu’accueille la zone (oui pour le coup,
ici c’est très touristique), sur un parking qui fait payer six euros par tête
(même pas par voiture). L’idée même de devoir payer pour un accès à la nature
me révulse au plus haut point. Et heureusement, mes camarades pensent pareil,
donc nous cherchons l’accès piéton au chemin côtier qui s’approche des falaises
par un cap, à l’ouest. Quand je vous dis ça, c’est à peu près aussi clair pour
notre plan sur place. Le GPS fait semblant de ne pas connaître les falaises
(hors parking officiel), donc il ne sera pas d’une grande aide. Tout de même,
lorsque nous arrivons dans le dernier patelin avant l’avancée sur la mer qui
fait plusieurs kilomètres de large, j’impose un point carte.
Michel, comme les autres occupants, ne sait pas trop. On
devrait s’approcher, c’est sûr, tout en restant le plus possible le long de la mer
mais sans aller trop proche, sous peine de devoir très souvent faire demi-tour.
Dans l’expectative, nous finissons par nous dire que le principe du sentier
côtier, c’est de rester précisément le long de l’eau. Dans les faubourgs de ce
village (en gros, des maisons secondaires, accrochées les unes après les autres
sur de petites pentes entre les champs de blé), nous prenons donc le cap, au
jugé, pour nous rapprocher le plus possible du cap. Lorsqu’enfin on estime
qu’il ne reste plus que quatre possibilités.
a. Nous avons trouvé au pif
b. Nous ne sommes pas du tout au bon endroit
c. C’est un guet-apens et nous allons nous faire
kidnapper par un fermier
d. La réponse d
En tout cas, j’ai trouvé où garer notre encombrant SUV
sur ces routes d’un cheval de large. Sous un soleil de plomb (non, franchement,
ça tape) nous nous équipons pour notre randonnée autour du cap, en direction
des falaises. Comme on voit le bord de mer, à quelques centaines de mètres de
là, et qu’il n’est pas forcément très abrupt, je commence à avoir des doutes.
Malheureusement je n’aurais pas le temps de les exprimer. Ma vessie fait des
siennes, il faudra que je laisse de l’avance à mes compagnons. Ensuite, nous
longeons de grands corps de ferme, et la route s’incurve lentement vers la
gauche, pour déboucher sur le front de mer. De grands rochers gris tiennent
lieu et place de la plage, découpant la côte dans d’aiguisées langues de
pierres, sur lesquelles de petits embruns viennent se briser. C’est beau, et
une petite brise bienvenue nous apporte l’air salé du large. Quelle carte
postale ! A perte de vue, la côte. Et à nos côtés, quelques maisons basses
aux toits de chaume, éparpillées le long du rivage, guetteurs immobiles dans le
paysage verdoyant. Splendide.
Mais pas l’ombre d’un chemin, par contre.
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