Une fois dans la cour
intérieure du château, ce dernier parait moins impressionnant. C’est sans doute
parce que, même si l’endroit est dans un exceptionnel état de conservation, il
est vide. Pas d’écuries, pas de forge, pas de four à pain. Un unique donjon
dominateur, dont les pierres des Burren vont pouvoir lui assurer une
extraordinaire durée de vie. Le drapeau Irlandais, qui flotte en haut de la
tour, est le seul élément du tableau qui soit un peu dynamique : même la
mer a l’air figée ici. Après un tour à l’extérieur des murailles (pas vraiment
adapté à nos chaussures de ville, mais nous en avions envie), nous revenons
doucement sur le parking. Je passe personnellement quelques minutes à observer
l’état des rétroviseurs, celui de gauche ayant salement froufrouté contre un
buisson à quelques kilomètres de là. Et en effet il est rayé, mais ce sont pour
la plupart des traces très végétales : une bonne saucée à l’irlandaise et
il n’y paraitra plus !
D’ailleurs, ça se couvre. Et
nous nous dirigeons vers les nuages, qui s’amassent au-dessus de Galway. Comme
la route ne progresse pas très vite, nous commençons à jouer au « Qui
suis-je », un énième passe-temps consistant à deviner à quelle
personnalité réelle ou fictive le maitre du jeu est en train de penser. Comme
ce dernier ne peut que répondre par oui ou par non, il s’agit de trouver un
personnage suffisamment atypique pour tromper les autres occupants de la
voiture. Bientôt, nos arrivons à Galway, sous une pluie fine. Mais ce n’est pas
ce qui m’embête le plus : passé les trois premiers rond points, nous
sommes pris dans une file de voiture qui s’étire jusqu’au-delà de notre champ
de vue. Oui, vous avez bien lu, nous avons eu un bouchon en Irlande. Il
s’agissait en plus de rester relativement concentré, car on ne change pas
facilement de voie ici, et comme je n’ai pas envie d’apprendre de nouvelles insultes
en gaélique, il faut essayer de prévoir à l’avance. Pas facile avec notre GPS,
mais nous finissons par y arriver.
A la sortie de la ville, c’est
la frontière toute symbolique de l’entrée dans le Connemara. Oui, oui, Sardou,
je sais. Mais honnêtement, ce n’est pas l’ambiance : nous profitons de nos
nombreux CDs de musique traditionnelle pour évacuer l’envie de démarrer un
« Terre. Brulée… ». A la place c’est l’Irish Rover à fond de gorge,
et c’est quand même autre chose. Nous entrons dans cette région mythique en
longeant un long lac qui se ramifie plus loin, en une dizaine de bras qui
s’étendent entre les sommets. Et un regard sur la carte nous le confirmera,
c’est bien le plus grand lac de la région. Peu à peu, au fur et à mesure que
les dernières maisons de Galway sont derrière nous, les arbres cèdent la place
à de grandes étendues de ces hautes herbes vertes et brunes qui poussent dans
la tourbe et qui ont fait la renommée de la région. Nous laissons les nuages
derrière nous progressivement, et entrons dans le vif du sujet avec de
véritables petites chaines de montagne qui s’élèvent de droite et de gauche.
Nous débouchons ainsi dans une
sorte de vallée glacière, au centre de laquelle coule une large rivière, qui
semble relier quelques bosquets de sapins au milieu de ce paysage sauvage et
presque désertique. Le relief est pelé, il n’y a aucune plante plus haute qu’un
buisson sur ces collines aux pentes aigües. C’est si beau, que je demande
régulièrement à Marie et Julie de prendre des photos, ce qu’elles font de bonne
grâce, même si ce n’est pas aussi facile depuis les places arrière. Il faut
dire qu’en tant que conducteur, il est facile pour moi d’avoir une vue
panoramique… J’en prends plein les yeux ! Et puis ici, une grande première
depuis le début du voyage, il est en fait réellement possible de rouler à 100
km/h. Difficile donc de retenir les chevaux alors que l’on passe dans des
vallées aussi extraordinaires. Partout où se pose mon regard, c’est le complexe
d’Obélix : « Il doit y avoir une belle vue, de là-haut ! ».
Et c’est sans doute vrai.
Le Connemara, c’est assez
désert dans son genre. Il n’y a pour ainsi dire pas de village ailleurs que sur
le bord de mer (et encore, c’est discret). Du coup, sortis de la banlieue de
Galway, nous avons une paix royale sur des dizaines de kilomètres : tout
au plus quelques fermes qui sont présentes, deux ou trois chapelles situées sur
le bord de la route, et une auberge ou deux qui accueillent ceux qui se sont
aventurés trop tard le soir pour rentrer à l’heure. Tout parait plus grand ici…
Sauf la signalisation, bien sûr. A force de rouler à bonne vitesse sur l’unique
« grand axe » de la région, j’ai failli en oublier qu’il faudrait
sortir pour rouler vers Roundstone, où nous avons réservé notre prochain
B&B. Là par contre, on retrouve une route minuscule (merci quand même au
GPS de nous avoir indiqué la sortie), et je manque deux fois en deux minutes de
me payer un mouton sur le capot. Nous passons sur de petits ponts de pierre,
traversons des cours d’eau que l’on devine poissonneux (rappelons qu’ici, c’est
la patrie du saumon, hein).
Je m’énerve doucement derrière
un imbécile qui doit être en train de somnoler au volant, et qui m’empêche de
profiter de cet instant parfait ou la conduite s’allie au paysage pour en faire
une immersion extraordinaire. Comment peut-il être possible d’ignorer
l’appel de ces virages goudronnés, de ces petites bosses jouissives, de ces
petites côtes subites qui obligent à rétrograder ? Bref, la journée à
conduire finit par me fatiguer au point que je râle contre ce pauvre type qui
n’avait sans doute d’autre but que d’arriver chez lui sans se stresser. Et puis
d’un coup, nous arrivons sur le front de mer. On croit tout d’abord à un énième
lac gigantesque, avant de comprendre que les vaguelettes qui se perdent sur
l’horizon n’ont d’autre origine que l’Océan lui-même. Alors que nous arrivons
vers notre petit village, nous longeons l’eau, et c’est une vision absolument
sublime. Comme d’habitude. Et comme d’habitude, il ne manque qu’une chose pour
la petite touche finale : des baleines. Nous scrutons, juste au cas où.
Après quelques virages le long
de l’eau, nous arrivons en vue de Roundstone. Ah, Roundstone… Le coup de cœur,
immédiat et intégral. Un petit patelin niché au bord de l’eau, abritant une
crique et son minuscule port de pêche le long d’un grand fjord. Il n’y a rien
ici sinon une poignée d’habitants qui se répartissent entre les pêcheurs, les
trois-quatre commerçants et les quelques fermiers qui ont de grosses granges à
flanc de colline. Et pourtant, la beauté du lieu attire : c’est tout sauf
calme à l’heure où nous arrivons. Tout d’abord, nous croirons à une fête
importante, trompés par les fanions étendus d’une façade blanche à l’autre
au-dessus de la départementale. Mais il semble que ce soit juste le concert du
soir qui rende le village très animé.
Comme vous l’avez sans doute
imaginé, un tel village de charme n’est guère conçu pour abriter des centaines
de places de parking. Il faudra donc se faufiler sans arrêt pour ranger le Quashqaï
le long de la rue principale (je ferai quatre aller-retour pour voir si ce
n’est pas payant, car je suis méfiant jusqu’au bout). Comme nous avons vite
repéré notre B&B (c’est la seule et unique maison rose de la rue), nous
prenons d’ores et déjà tous nos bagages avant de se tasser tous ensemble dans
la salle du petit déjeuner qui jouxte l’entrée. Une petite dame sympathique
nous sert un accueil digne du Messie (pas Lionel, l’autre). Elle nous
attendait, se montre très prévenante, nous donne immédiatement les clefs, et se
tient prête à répondre à toutes nos questions.
D’ailleurs elle nous demande ce
que l’on prendra au petit déjeuner, mais lorsqu’elle voit nos mines étonnées,
repousse la question à plus tard. Tout juste si on a le temps de dire « café »
pour les uns « thé » pour les autres qu’elle a déjà disparu dans le tout
petit escalier au bout du couloir. A l’étage (ouch, pas facile de monter les
valoches ici) nous héritons de deux magnifiques chambres jumelles, avec tout le
confort nécessaire. Et la vue sur la mer (ainsi que sur la voiture,
stratégiquement garée là dix minutes plus tard). C’est splendide de calme, de
style kitch retenu (on sent bien qu’ils avaient envie de plus de fleurs sur les
murs, mais se sont retenus au dernier moment : merci).
Je prendrai encore quelques
minutes pour fermer les yeux et les reposer. Avec la conduite j’ai l’impression
d’avoir passé trois jours sur la route et mon cerveau se remet tout juste de ne
pas voir défiler des buissons sur les côtés. Nous sommes vraiment bien
installés, c’est vraiment notre coup de cœur. Il fait beau, nous sommes au
milieu du Connemara, et l’aventure continue ! Enfin, je ne suis pas tout à
fait mécontent de profiter encore un peu de mon bouquin et d’une douche (oh le
bonheur, ça valait presque l’après-randonnée). Une fois requinqués, nous
décidons d’aller faire un tour de la ville et de nous dégourdir les jambes, qui
sont encore un peu fatiguées avec le voyage. Mais vous connaissez le meilleur
remède contre les courbatures ? Oui, madame au fond ?
La bière, c’est tout à fait ça.
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