vendredi 27 juin 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 28

Episode 28: Les survivants du M.A.M.E.A.N

Evidemment, il ne nous est rien arrivés de proprement fantastique lorsque nous avons franchi le petit portail de fer. Enfin, pas tout de suite. D’abord, nous sommes montés le long de cette pente qui, d’en bas, cachait ben son jeu. Non seulement la montagne est bien plus haute que ce qu’elle laissait paraître, mais le sentier est raide à nous rappeler de vieilles courbatures. Nous continuons quelques minutes, sans toutefois avoir atteint le fameux col entre ces deux imposants géants de pierre sombre. Au mieux pouvons-nous profiter de la vue, qui offre tout de même le point de vue sur le lac tant attendu… Souvenez-vous, celui dont nous devions faire le tour. Eh bien ce ne sera pas le cas, parce qu’il est loin, ce lac. Même la première berge est loin, ne parlons même pas d’en faire le tour. Un peu abattus, nous nous rendons compte que notre randonnée du jour ne nous a pas vraiment menés à bon port, et que malgré la beauté de ce paysage austère et spirituel, nous aurions préféré un véritable sentier, avec un véritable balisage, et une véritable météo d’été aussi. Non content de se couvrir de façon inquiétante, le ciel nous balance des rafales de vent froid à faire grelotter.

Dans l’humeur, Julie et notre couple d’amis se sont arrêtés de concert, afin de réfléchir à la suite à donner à ces évènements. Il ne reste que moi qui, poussé par cette curiosité dévorante de l’exploration, bien en jambes après ce petit coup de sport, tient absolument à arriver au col (à l’aide d’arguments de mauvaise foi comme un « si si je vous jure ce doit être juste après ce monticule). Le souci dans ce genre de situation avec les gens qui vous ressemblent beaucoup, c’est qu’ils sont aussi têtus que vous. Ils ne veulent pas continuer, je ne veux pas renoncer. Tant pis, je leur laisse mon sac, et le K-way, pour partir dans une escapade de quelques minutes (une dizaine, ais-je annoncé). Quitte à vouloir faire du sport, autant courir, non ? N’en déplaise à mon genou, qui ne manquera pas de se rappeler à mon bon souvenir (mais après, c’est tout le truc).

Je pars donc d’une belle foulée à l’ascension de ce petit col, dont, je m’en rendrai vite compte, nous n’étions pas à la moitié de la montée. Ouch, donc. Et passé le petit virage qui me cache à la vue de mes camarades, il faut que je me remette à marcher plutôt que de gambader comme un cabri. Attention je garde une belle foulée, et me suis remis à courir dès le moment ou la pente s’est un peu calmée. Même si j’ai cru que ce moment n’arriverait jamais. Tout de même, passé un dernier lacet, la vue s’est un peu dégagée. Grande étendue recouverte d’une herbe curieusement verte au milieu de cet océan de jaune et d’orange, le col est recouvert de terre, de tourbe et de rochers blancs plantés comme au hasard dans un saupoudrage capricieux. A ma droite, la colline fait comme une muraille impénétrable, tandis que la pente de gauche est un peu plus douce. Dominant la passe, une chapelle de pierre et de bois semble surveiller tout le paysage dans son immensité. C’est en m’approchant que je commence à comprendre de quoi est question le Mamean.

C’est un pèlerinage, sans doute. Du milieu du col part un chemin de croix bien entretenu, marqué de petites stèles gravées élevées au milieu de ces touffes d’herbes drues et balancées par le fort vent du coin. Je monte sur ce promontoire naturel sans perdre de temps, à grandes enjambées. Arrivant au même moment du versant opposé, deux marcheurs (j’ai quand même regardé que ce n’était pas les vosgiens du jour d’avant) avec des bâtons soufflent un peu, en observant le paysage. J’ai dû leur sembler bien étrange, à monter devant la chapelle, pour y observer la vue et en redescendre aussitôt en quatrième vitesse. Là-haut, tout de même, c’est d’une beauté sans nom. Une grande croix celtique en granit monte la garde sur les deux vallées, qui s’en vont vers l’infini. Dans celle opposée au chemin que nous avons suivi jusqu’ici, une grande rivière coule paresseusement d’un bosquet à l’autre, et dans la nôtre, ce sont les massifs de sapins qui créent d’en haut des motifs variés. Quant à la religion, ici… Je dirais c’est moit’-moit’. S’il s’agit bien d’un chemin de croix et d’une chapelle, les motifs sont bien celtiques sur la croix, les montants et le toit de la bâtisse sont couverts d’enchevêtrements traditionnels, et un pilier est sculpté comme l’auraient fait de véritables vikings.

J’en suis à douze minutes lorsque je commence à redescendre, autant vous dire que je n’ai pas l’intention de traîner. Mais croire que je vais m’empêcher de courir dans un spectacle aussi grandiose, c’est mal me connaître. Je saute d’une pierre à l’autre, en glissant parfois, mais sans jamais perdre mon équilibre. La sensation est grisante, même si je transpire à grosses gouttes dans ma polaire remontée aux manches. C’est le moment de lâcher les chevaux ! Je me lance dans la descente sans retenue, tout à mon bonheur de savourer ces sensations fortes. Le cadre apparait soudain sublime, entre les étendues phénoménales devant moi, le concerto des 50 nuances de gris dans les nuages et la montagne, aride en pierriers, humide en tourbières. Finalement, la première du groupe que j’aperçois est Julie, qui n’aura pas eu la patience de m’attendre au-delà du délai annoncé. Elle m’accueille, presque inquiète, et plus encore lorsqu’elle se rend compte que je suis littéralement à bout de souffle.

Il faut dire que si je ne l’avais pas remarqué, il s’est doucement mis à pleuvoir, un crachin pas trop humide, mais qui semble coller à nos vêtements, nous oblige à fermer les K-ways. On redescend, tous ensemble, alors que je suis heureux d’avoir pu m’isoler quelques minutes pour me défouler. Rien ne peut m’atteindre maintenant, ni les chemins mal décrits, ni les lacs inexistants, ni la météo capricieuse. D’ailleurs, en parlant de sentiers, nous sommes un peu saoulés de la route goudronnée : un conciliabule improvisé et nous décidons de couper le chemin du retour par un  « chemin » que l’on devine couper à travers champs le paysage jusqu’à rejoindre la route. On se convainc qu’il est légitime par sa présence (en pointillés, quand même) sur la carte du Livre de Rando. J’ai beau annoncer à haute voix que cela risque d’être pour le moins hasardeux, boueux, je n’ai pas la majorité. Et puis moi j’ai déjà eu droit à mon escapade, faut que j’arrête de faire mon malin.

Au début, tout va bien. Le chemin descend plus ou moins progressivement à travers champs, traverse une ligne d’arbres… Nous sommes au aguets, afin de vérifier si une vache, un taureau ou tout simplement les cousins des belliqueux béliers de tout à l’heure ne sont pas en embuscade. Et on ne se prive pas d’en imaginer les moindres scénarios pour passer le temps. Mais ensuite, les choses se gâtent. Le chemin suit un petit ruisseau de dégagement, mais nous nous retrouvons en face d’une haute barrière de fil de fer, que nous n’estimons pas pouvoir grimper. Après quelques minutes à prospecter alentours (en faisant gaffe de ne pas marcher dans un trou d’eau, la surface herbeuse étant molle à souhaits), nous apercevons notre seule porte de sortie : un espace étroit ou un empilement de pierres permettra de passer au-dessus de la clôture. Oui oui, on passe les propriétés maintenant, on est des vrais hooligans. Ou bien n’a-t-on tout simplement pas l’envie de revenir en arrière ? Moui, c’est possible.

Problème, il faut traverser le ruisseau. Et donc remonter un peu, pour trouver un endroit d’où nous pourrons élégamment (si on a de la chance) sauter de pierres en pierres pour traverser les pieds au sec. Par un quelconque miracle, nous allons y arriver, même si on passe près de la catastrophe. Marie pose un pied à côté, mais ses chaussures sont bien imperméables. Quant à moi, je suis le plus à risque, pour la simple et bonne raison que je pèse dix kilos de plus que Michel sans le matériel que j’ai sur le dos depuis le départ de la voiture (de l’eau, la trousse médicale… nous aurons un débat là-dessus). Du coup, plus le sol est mou, plus j’ai de chances de passer à travers et de me retrouver avec de la tourbe jusqu’aux genoux, expérience déjà réalisée en Ecosse et pas des plus agréables. Nous formons donc une étrange queue-leu-leu à travers champ, avec Julie à l’avant qui trace notre chemin à coup de « c’est mou ! C’est tout mou ! », de Marie qui annonce « j’ai sproutché », de Michel qui lui dit d’avancer quand même, et de moi qui me demande si je ne vais pas silencieusement finir ma vie d’explorateur irlandais dans un lancinant bruit de succion de tourbe.

Les choses s’amélioreront un peu au champ suivant, dont nous baissons les fils de clôture (hahaha, ils sont électrifiés, challenge supplémentaire), mais qui dispose de suffisamment de pierres en surface pour que je sois rassuré. Nous finissons par rejoindre la route à l’endroit de notre première rencontre avec le troupeau de moutons. Avons-nous vraiment gagné du temps ? Non, sans doute pas, mais l’aventure n’en a été que plus belle. A voyager comme ça, avec ces amis-là, toute escapade est source infinie de fous rires. Il a beau pleuvoir à grosses gouttes lorsque nous apercevons la voiture, nous n’en sommes pas moins toujours en train de rigoler. Malgré tout il n’est toujours que onze heures, et on ne peut pas dire qu’on soit très fixés sur le programme de la journée. La pluie s’est installée, le Livre de Rando est officiellement premier sur la liste au prochain autodafé. Dix minutes plus tard, nous sommes tous assis dans la voiture.


Tiens, oui, la voiture ! Pourquoi ne pas, après tout, visiter ces longues étendues à couvert ? Nous avons de l’essence, un GPS (hahaha, hem…), des cartes pourries. Alors autant partir à l’aventure, non ? On saura toujours retrouver Roundstone quand il le faudra. Du coup, j’ai démarré le Quashqaï, et nous sommes partis pour une grande randonnée. En voiture. Et par où commencer, sinon par la route goudronnée d’où nous venons ? On a pas pu faire le tour du lac avant ? 

Pourquoi pas maintenant ? 

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