mercredi 25 juin 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 27

Episode 27: Le chemin numéro 6

Pas facile de sortir du lit, au Connemara. Le ciel est voilé ce matin, et j’avoue qu’on aurait bien profité d’une grasse matinée. Même si on l’aurait regretté ensuite, évidemment. Il y a tant à faire dans ce pays, que rester réfléchir à nos bières de la veille ne serait pas très productif. Et puis il faut éliminer le gras. Ou en reprendre, c’est au choix. C’est donc pour cela qu’après mure réflexion à notre table au rez-de-chaussée, je prendrai le petit déjeuner à base d’œuf frit, de saumon fumé et de toasts grillés. Oui. Le saumon, à huit heures, rien de moins. Le burlesque de la situation ne me frappe qu’un peu plus tard, lorsque je réalise que mon corps risque d’apprécier moyen le poisson gras aussi tôt dans la journée. Et le café avec, et la tartine de confiture en dessert ? Je vais finir par bannir définitivement les mots comme « raisonnable » et « diététique » de mon vocabulaire de vacances. Extraordinaire tout de même cette capacité à se baser uniquement sur le gout pour tout avaler à une heure pareille.

D’ailleurs, pas besoin de se forcer. Le saumon est à proprement parler excellent, avec quatre belles tranches épaisses, luisantes. Si ça se trouve, le poisson en question a été pêché à deux cent mètres de là, c’est peut-être ce qui rajoute encore au goût. Mes camarades ont choisi des options plus classiques, œufs sur toasts pour Julie et Michel, grande salade de fruits pour Marie, qui va reporter son attention sur la confiture. Nous avons également ce matin une longue discussion sur les aliments interdits en cas de grossesse, liste exhaustive qui regroupe, n’allons pas nous mentir, à peu près tout ce qui est bon (sauf les huitres, ça ne m’aurait pas manqué).

Reste la question fondamentale de savoir ce que nous allons faire aujourd’hui. Nous prenons le joker avec la participation attendue des deux femmes propriétaires de notre B&B. On a beau les surprendre en pleine vaisselle, elles mettent tout en plan pour nous aider. La plus vieille d’entre elles, qui nous a pris hier pour les images du Saint-Esprit, revient nous voir avec un livre (qui ne doit plus être édité depuis les années 80) listant les quinze plus belles « randonnées » du coin. Oui, remarquez les guillemets, ils sont importants. Nous avons toute la journée devant nous, alors naturellement on est à la recherche de quelque chose qui en jette, l’ascension de la plus haute montagne du coin, un tour de vingt bornes avec des falaises à pic, des cascades… Mais rien de ce qui se trouve dans ce petit bouquin ne nous parle vraiment. Les promenades font pour la plupart trois à quatre kilomètres, sont sur des petites routes et, pour la grand majorité d’entre elles, sont situées au bord de mer (quand même, avec d’aussi jolies montagnes, c’est criminel). Nous resterons longtemps dubitatifs. Mais pour nous aider, Sardou n’est jamais loin. Aussi, dans un souci de respect de la chanson (sans doute), Michel souhaite une randonnée le long d’un lac du Connemara. Je veux un peu de montagne, Julie des moutons et Marie un chemin qui fasse précisément moins de 20 bornes, rapport à son état.

Nous fixons finalement notre choix sur le chemin numéro six. Un chemin pas trop éloigné de la route principale de la région, censé s’enfoncer dans un massif entourant un beau lac, dont nous pourrons faire le tour. L’échelle est clairement mal représentée dans le bouquin (impossible pourtant que la géologie du coin ait tellement changé, ils devaient juste être un peu nuls en dessin). Il faudra trouver le chemin, voilà tout ! Guillerets, nous montons nous changer à l’étage, et sortons quelques minutes plus tard charger la voiture et profiter de l’unique supérette ouverte de Roundstone, qui se trouve être aussi l’unique supérette de Roundstone. Nous, du moment où nous pouvons trouver du pain vaguement tartinable, quelques tranches de jambon local par personnes avec des tranches de fromage, nous avons notre bonheur. Nous complétons avec des pommes et des bananes, nos seuls légumes (de la semaine).

Fronde sociale à la caisse, je décide d’acheter un cake aux fruits confits, ce qui fait tiquer nos amis et ne réjouit pas Julie plus que cela. Tant pis, je l’achèterai tout seul, et puis je le mangerai tout seul aussi, ça leur fera les pieds. Un petit coup d’œil nous apprend qu’à cette heure, le pub est fermé, nous ferons donc notre première tournée après notre retour. Le village est encore comme endormi lorsque nous partons. Il n’y a pas un son, pas un brin de vent. Même la mer est particulièrement calme et silencieuse. Pas un hasard alors que nous soyons les seuls sur la route, même les moutons ne se pressent pas pour sauter sous mes roues comme à leur habitude, c’est vraiment étrange. Le premier véritable obstacle de la journée vient de la description on ne peut plus succincte du début de chemin sur ce que nous appellerons le « livre de rando ». Il y a bien une carte, et une phrase de début (entre le lac machin et l’intersection bidule, prenez à votre gauche), mais il va falloir salement se concentrer pour arriver à quelque chose.

Avec l’aide du GPS, nous avons plusieurs candidats potentiels pour le chemin numéro six. Arrivés devant le premier par contre, ça ne correspond pas au Livre de rando, donc ce doit être plus loin, après le prochain hameau. Dans ce dernier, fausse alerte lorsque nous nous garons à côté de l’église : on pense à tort qu’il y a un chemin qui part derrière, mais en fait non. Soyons clairs, on ne sait pas trop ou l’on va. Alors on continue sur cinq kilomètres supplémentaires, jusqu’à ce que la route fasse de grands lacets. Virages qui ne sont évidemment pas représentés dans le bouquin : on doit avoir continué trop loin : demi-tour. Quand on en est à se dire qu’on va abandonner si on ne trouve pas au prochain passage, nous découvrons une minuscule bande goudronnée qui s’éloigne dans la lande. Bingo ! Je roule deux cent mètres et, juste à côté d’un talus, je trouve de quoi me garer sur un grand bas-côté de gravier. Oui parce que ici, ce n’est pas le bon endroit pour le camping sauvage. Avec un sol en tourbe, j’ai l’impression qu’on pourrait s’enfoncer jusqu’à la taille rien qu’à deux mètres de la route.

Ce n’est qu’une fois les chaussures au pied et après une bonne centaine de mètres marchée d’un bon pas que nous réalisons à quel point les montagnes sont loin. Le lac ? N’en parlons pas, on ne le voit même pas, il doit être derrière la prochaine forêt de sapins. Evidemment, ces imbéciles du livre de Rando ont du se planter dans les distances et proportions : à présent que nous sommes dessus, le tour a l’air proprement gigantesque. Mais je vous rappelle que nous sommes invincibles, que marcher ne nous fait pas peur, et que nous sommes au milieu de rien, oh pardon, du Connemara. Autour de nous, même si on est dans une grisaille matinale, ça envoie du lourd niveau paysage. Le jaune-brun de la végétation de tourbe fait contraste au vert profond des bosquets de sapins éparpillés ça et là, parfois jusqu’aux pieds de ces petites montagnes, qui présentent souvent un versant doux et recouvert de buissons, et un autre pierreux, boursouflé de cette roche grise et immuable. Une vraie carte postale… Ne manque que le lac, n’est-ce pas !

Pour maintenir notre attention, les attractions ne manquent pas. Des vaches broutent à cinq cent mètres de la voiture, et même si elles pataugent un peu dans la boue, nous sommes vite intéressés (surtout Michel, qui y voit sans doute ses prochains burgers Irlandais). Surtout par certaines d’entre elles qui ne ressemblent pas aux françaises typiques : de grandes et belles bêtes d’une robe noire profonde et uniforme (de véritables canapés en devenir). Unanimement, nous décidons d’appeler cette race la Guinness, pour des raisons que je n’ai sans doute pas besoin d’énumérer. Un peu plus loin, c’est le tour des moutons. D’abord derrière un enclos, juste avant un petit repli de terrain. Cela donne un drôle d’effet de perspective, puisqu’entendant nos pas, plusieurs animaux lèvent la tête : on a l’impression pour certains qu’ils n’ont pas de pattes, ou que leur tête surgit du sol. Un petit peu plus loin nous avons l’occasion de jouer au berger, puisque les moutons suivants sont sur le bord de la route.

N’étant pas biologiste, je ne peux pas vraiment dire si scientifiquement le mouton est un animal très intelligent pour sa catégorie. De mes expériences par contre, cet animal est proche de la débilité la plus absolue (juste derrière certains politiciens). Pour les cas du jour, la moitié des moutons aura décidé d’un commun accord (bêêêêê) que nous sommes à craindre mais pas trop, justifiant une fuite sans fin devant nous sur cette route ou nous marchons. L’autre moitié, voulant sans doute affirmer une mainmise sur cette partie de la région (cela fait peut-être longtemps que leur territoire n’a pas été disputé), fait face en bêlant une attitude vindicative. Je ne sais pas vous, mais un bélier qui charge, ça ne m’intéressait pas outre mesure. Donc on ne les a pas quitté des yeux, allant jusqu’à crier et gesticuler pour leur faire peur. Ceux-là nous ont suivi longtemps aussi. Je vous laisse imaginer le burlesque sur un bon kilomètres de large, entre les fuyards qui beuglaient notre arrivée, et les moutons hardis qui nous poursuivaient, on faisait un drôle de convoi.

On a su qu’on ne pourrait pas faire la totalité lorsque nous sommes arrivés à la première intersection. Cette partie du plan, qui représentait une fraction du dessin (pourri) du livre de rando, nous avait pris 45 minutes d’un bon pas, une bonne louchée de nos volontés, et pire encore, ne nous avait donné aucun lac. Alors, quoi faire d’autre ? Nous continuons encore un peu, histoire de voir si on ne peut pas déboucher sur la berge à l’improviste (peut-être est-ce le Lough Caché ? Il y a bien le Lough Maskey)… Dix minutes plus tard, nous sommes dépassés en trombe par le paysan du coin, qui nous regarde du même air suspicieux que ses béliers, avant d’arriver à une autre intersection. La bande goudronnée nous laisse l’occasion de nous engager sur un petit chemin de randonnée, qui monte se perdre entre deux des montagnes locales. 

Nous décidons de monter y faire un tour, ne serait-ce que parce que (et comme dirait Obélix) « il doit y avoir une belle vue, de là-haut ». Sauf que le chemin passe entre deux grilles de fer forgé, usées par les ans. La rouille a depuis longtemps remplacé la peinture, et les gonds sont de travers. C’est une porte qui ne protège rien, un passage dans un océan de nature, une entrée sur un royaume vide. Et au milieu de ce tableau, ciel sombre chargé de pluie, végétation cramée et sapins austères, une seule inscription en lettres de fer, sur cette grille menaçante. Comme une incantation, comme un mot interdit, un portail surnaturel…


« M.A.M.E.A.N »

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