mercredi 23 avril 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 12

12. Cashel, le vrai

Comme souvent, pour éviter la panique, il est bon de se poser pour réfléchir. Tel sera le prétexte officiel de notre premier arrêt dans une auberge en bord d’autoroute. La raison officieuse bien entendu, repose en large partie sur nos vessies saturées de café. Là où l’anecdote devient marrante, cela tient au lieu de notre arrêt. En effet, lorsque sur la quatre voies, on vous indique des sanitaires, on est en droit de s’attendre à une aire d’autoroute… Sauf que nous arrivons en face d’une véritable pension, avec un ou deux bus garés impeccablement devant, et pas grand monde autrement. Nous hésitons un peu avant de rentrer… 
Parce que oui, impossible d’aller jusqu’aux toilettes discrètement, il faut traverser un couloir que longe une baie vitrée donnant sur la salle à manger, absolument pleine à craquer. Confrontés à nos vessies, nous perdrons vite la face, aussi nous allons passer devant ces cent-cinquante personnes (majoritairement âgées) dont un certain nombre vont lever les yeux et tiquer devant ces touristes qui ne consomment pas mais filent en douce…

De toute façon, il est bien trop tard pour nous arrêter. Soulagés, nous remonterons le couloir le sourire aux lèvres, pour aller discuter de notre trajet sur le parking. Le soleil est maintenant franchement de sortie, c’est vraiment agréable.  Bon, nous avons un problème de Cashel, à l’évidence. Mais a force de feuilleter le routard et le plan de Julie, on en vient à trouver que celui que l’on recherche se trouve dans le Tipperary, et il n’y a qu’un seul Cashel dans ce comté –là. Il y en a un également à côté d’une agglomération dans le même coin, mais nous estimons (presque au vote) que ce n’est qu’un piège à touristes, et que d’ailleurs le bureau de tabac du coin doit bien rigoler à voir les gens chercher un château.

Puisque notre décision est prise, il n’y a plus qu’à rouler ! Si la campagne irlandaise n’est pas fascinante (des collines, des champs, ça rappelle un peu la Saône et Loire…), il y a régulièrement des éléments pour égayer le paysage : telle vieille tour à l’abandon, tel clocher de village isolé… Les nuances de vert s’étendent à l’infini sur un paysage digne de l’écran de Windows XP. Assez vite, nous approchons de notre destination, et quittons la quatre voies pour entrer dans le bocage, sur une route de campagne bien large. Dans l’idée, nous lançons ce jeu enfantin (mais capable de lancer des heures de polémiques) de « Qui a vu en premier … », mais pour le château cela va se révéler inutile. Il n’y avait pas vraiment besoin d’être aux aguets. Passé une colline, dans un long virage à gauche, il apparait d’un seul coup sur le sommet d’en face. Imposant, lourd, entourant tout le haut de la colline d’un épais rempart au sein duquel on distingue de hautes tours, un gigantesque donjon et d’énormes corps de bâtiment. Impossible que l’on se soit trompé de Cashel !

Bon, si on cherchait encore confirmation, la présence de touristes (quel fléau) nous aurait confortés dans notre idée. Dans les rues du village, il n’y a qu’à suivre les autres voitures de location (celles avec le type de carburant sur la trappe, ou un macaron Eurocar de la taille d’un ballon de foot…), elles sont légion. Et naturellement, il ne faudrait pas tomber dans le piège de vouloir se garer directement sous la muraille : non seulement ce doit être payant, mais les ruelles du coin paraissent malaisées pour un demi-tour (sans compter la taille du char). Par chance, une place se libère le long d’une maison juste quand nous arrivons. Ni une ni deux, je me lance dans un créneau à droite qui ne nécessitera que trois ou quatre essais (une paille)… C’est sur ce genre de voiture là que j’aurais aimé un radar de recul, mais bon, on a fait sans ! Nous prenons les appareils photos sous le bras, chargeons les sacs à dos, et partons à l’assaut du Cashel Castle !

Bon, c’est un abus de langage compréhensible quand on est au pied de l’édifice. Trompés par les tours, la muraille, le donjon, on en viendrait à ne pas voir l’usage premier de cette gigantesque construction, dont le moteur encore une fois, était la religion. Cashel, ce n’était par une résidence royale, une place forte en cas de repli ou une citadelle. Non, c’était un gros centre névralgique religieux, avec toute une congrégation, des gardes spécifiques et de quoi tenir contre… Euh, sans doute d’autres religieux. Ils ont mis les moyens sur les défenses, d’ailleurs, ça en impose à des kilomètres. C’est là que les Rois du Munster étaient couronnés, à l’époque, et la chapelle est censée être d’une beauté vespérale.

Bon, je serais en difficulté de vous la décrire, évidemment… Puisqu’on n’y est pas rentré ! La décision a fait l’unanimité en moins d’une minute. Nous étions au pied du rempart, juste devant le corps de garde qui abrite l’entrée. Devant nous, une muraille de dix mètres de pierre grise et massive, et ce château. L’endroit est à couper le souffle. Mais était-ce la présence d’un grand nombre de personnes âgées, le fait que soudain, on ressemblait trop à ces touristes aussi ennuyeux que communs ? Ou bien le prix de la visite (plus de quinze boules par personne !), toujours est-il que nous cherchons vite une solution alternative. Il y a d’ailleurs un sentier désert qui s’éloigne à gauche de l’édifice principal, et qui pourrait bien faire le tour du bâtiment médiéval. Aussitôt dit, aussitôt fait ! Nos jambes nous démangent de randonner, et le temps magnifique, ce bleu moutonneux du ciel qui court sur les cent nuances de vert du bocage, c’est un appel irrésistible.

Nous avons aussi notre petite idée photographique. En effet pas facile de prendre des paysages de tours et de donjons depuis l’intérieur des remparts. Ce faisant, nous allons prendre du recul, pouvoir faire de meilleures photos, travailler les angles. Et faire les cons, puisque cinquante mètres après s’être engagés du ce chemin gravillonné, le silence se fait et nous laisse entre amis. Il nous manquait encore un but, mais nous allons l’apercevoir du haut de notre colline. Tout absorbés que nous étions par les tours, les chemins de ronde, le verdoyant village, nous n’avions pas encore vu les ruines qui s’élèvent, solitaires, quatre cent mètres plus loin. Celles d’une abbaye, fortifiée elle aussi, dont il manque le toit et les arches, le cœur mangé par la verdure et exposant ses flèches et ses linteaux de pierre au soleil.

Il y a une traversée d’un plein champ, aussi nous jouons comme des gamins à surgir et disparaître des photos de nos camarades au gré des replis du terrain. L’herbe est douce et profonde, un véritable tapis de salle de bain, qui nous donne envie de s’y allonger et d’y faire des roulades. On se retiendra à temps, car il s’agit mine de rien d’un pâturage, qu’il y a donc invariablement des vaches ou des moutons pas loin, et que celui qui ferait des roulades se retrouverait sans l’ombre d’un doute avec quelques surprises… Avec le soleil et les fortifications derrière nous, c’est un petit paradis dont nous savourons chaque seconde. Arrivés au bas de la colline, nous nous serrons sur le bord d’une route de campagne, qui va nous permettre d’arriver juste devant les grilles de cette fameuse abbaye en ruines. Nous n’aurons même pas à sauter par-dessus : l’endroit est ouvert, une petite porte de métal grinçant ajoutant encore au pittoresque. Adossée au muret, une plaque nous informe que l’édifice servait de couvent de franciscains, il y a plus de sept cent ans… Devant nous, sur une centaine de mètres, une allée de grosses dalles de pierre qui traverse le pré fraîchement tondu, et puis ces ruines qui se découvrent à nous différemment selon les angles.

Il y a d’abord une ancienne cour intérieure, peut-être un cloitre, avec son gazon carré et ce qui devait être, il y a huit siècles, des arches à colonnades. D’une pièce à l’autre, à ciel ouvert, nous prenons le temps de nous imprégner du lieu, en tentant de s’imaginer les fonctions des différents espaces que nous traversons. C’est assez monumental, et pourtant il n’y  pas tant de place que ça... Tout en visitant, nous ne quittons pas des yeux le château, sur sa colline juste à côté, qui se dévoile dans toute sa grandeur. Et puis, nous avons l’œil exercé de par chez nous : tels trous espacés étaient à l’évidence les madriers qui soutenaient un étage, tel renfoncement devait être une cheminée ou un four… Puis l’on rentre dans l’église à proprement parler. L’architecture du lieu est différente de « nos » édifices : le clocher fortifié, plutôt que de s’élever au-dessus du chœur, est situé directement au centre de la croix formée par l’église : pile sur le transept. Et pour le soutenir, une véritable rosace de piliers entrecroisés dans un motif presque celtique par essence… C’est de toute beauté.

Lorsque l’on regarde le sol pourtant, on pourrait s’interroger au premier regard. Les grandes dalles sont inégales, certaines de teintes de marbre différentes des autres, certaines complètement éclatées par les effets du temps… En fait, il s’agit ni plus ni moins que de pierres « tombales ». Je serais bien en peine de dire si les corps sont dessous, mais en tout cas cela a pour effet d’apporter ce grain de sérieux, de calme éternel que dégage l’endroit. A l’intérieur des ruines du cœur, malgré le ciel ouvert, il n’y a pas un brin de vent, et l’écho de nos pas résonne sur les murs aux pierres taillées, qu’une fine mousse recouvre peu à peu.

Seul l’autel, qui semble d’un seul bloc de granit, se dresse encore au centre du chœur. Bloc de pierre sans aucun ornement, il semble immuable, comme s’il était destiné à perdurer même s’il ne restait des murs que poussières et racines de roches. Pour détendre un peu l’atmosphère entre nos déambulations respectueuses, nous en profitons quand même pour mettre en scène un assassinat rituel sur cet autel (je joue la victime, Michel le prêtre sanguinaire). Il ne manque que les cierges, les costumes et quelques chants (et des adeptes, et une corde, et la religion qui va avec) mais avec un peu d’imagination, on s’y croirait. Ensuite, nous finissons par nous séparer, chacun ayant son idée du plan architectural qu’il tient à photographier. Je m’arrange pour finir dans le champ qui entoure l’abbaye, qui me permet des plans sur le château au loin et sur les ruines entourées de tombes (des vraies, cette fois c’est certain), que l’on aperçoit sous les épis de blé, les herbes et les quelques ronces qui s’étendent invariablement vers la vieille structure de pierre.

Comme le temps passe vite dans ce temple du calme ! Lorsque nous nous retrouvons tous les quatre sur un muret à côté de ce grand carré d’herbe, il se fait sacrément faim. Bon, erreur stratégique de moi et Julie, nous n’avons pas les sandwichs (mais nous étions censés visiter le château, enfin !) qui sont dans la voiture (oui, oui, de l’autre côté de la colline). Tout en détectant une pointe d’énervement chez nos amis qui eux, avaient prévu le coup, nous devons nous contenter de l’apéro dans ces ruines-ci, à base de chips aromatisés à l’ail (garlic bread fait vachement plus exotique)... Il est temps de revenir à la voiture ! Nous retraversons rapidement les deux prés qui nous séparent du chemin des fortifications, en croisant toute une bande d’adolescents de Cashel dont la moitié est habillée façon hipster (les campagnes irlandaises aussi sont touchées). Je ferais aussi le tour du magasin de souvenirs du château avec Michel, en cherchant en vain une représentation médiévale, montrant ce dernier dans toute sa splendeur, sans échafaudages et ses murs complétés… Les filles ont cru bon d’aller directement à la voiture (en oubliant sans doute que les clefs sont dans ma poche).


Je prends le volant, pour nous trouver un endroit où nous poser pour manger. Et allez savoir pourquoi, nous votons à l’unanimité pour chercher un champ sur la petite route qui menait à l’entrée de l’abbaye. J’ai l’estomac qui gargouille presque aussi fort que notre moteur diesel, alors on a intérêt à trouver rapidement !

1 commentaire:

  1. Deux images me sont venues à l'esprit en lisant ton texte, qui est super, comme d'habitude :

    - la gamine de la Petite maison dans la prairie a certainement pris une bouse de vache / du caca de mouton dans ses godasses en descendant sa petite colline en trébuchant (ils étaient éleveurs si mes souvenirs sont bons)

    - on a marché sur des pierres tombales et si ça avait été à la pleine lune, ou dans un film de zombies, des mains auraient surgi de sous terre pour nous attraper les pieds. True story !

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