Déjà, sans trop que l’on
comprenne au début, un des employés du musée remonte notre file d’attente, en
distribuant des questionnaires. Nos noms, prénoms, provenance, une adresse
email… Et le type de rajouter avec un grand sourire que nous pourrons faire la
prochaine session de cours d’ici une dizaine de minutes. De cours ? On se
penche un peu pour regarder le comptoir, et derrière la salle sombre ou des
groupes d’une vingtaine de visiteurs entourent des professeurs accoudés à de
petits bars… Un coup d’œil au mur, et à ses « six étapes pour bien tirer
une Guinness », et c’est la révélation : nous allons recevoir un
cours, suivi d’un examen pour servir des pintes de la bière éponyme !
Marie décide de ne pas y participer, un peu vite à mon goût : finalement
si elle n’en bois pas, rien ne l’empêche de suivre le cours, non ? Bon,
elle sera à l’atelier photographie. Nous attendons patiemment (ou pas) notre
tour. Les autres élèves de notre promotion (on réfléchit déjà aux amicales des
anciens, au discours de fin d’année ou au blason de la promo) seront trois
japonais, un autre couple de jeunes français et des anglais (ou américains) de
souche.
Notre session aura lieu comme
pour les autres autour d’un comptoir circulaire, dont le fond est entièrement
constitué de bouteilles de la marque mises en lumière, et qui illuminent cette
ambiance couleur bière foncée diffusée dans la pièce. La tireuse est là, avec
les grands verres spéciaux Guinness tout spécialement préparés pour nous. Et le
professeur… Lui aussi il est directement de Dublin, livré avec les cheveux roux
et les taches de rousseur, tout droit sorti du parfait manuel de la Saint
Patrick, si ce n’est qu’il n’est pas habillé en vert mais en noir, vous l’aurez
compris. D’un anglais très largement compréhensible (comprenez sans les
« eih » et « aigh » que les locaux mettent un peu partout
sur leurs voyelles) il nous explique que le cours va se faire en six étapes, et
qu’à partir de la moitié, nous passerons à la pratique afin de mieux s’initier
à l’art de la Guinness. Michel a la bouche ouverte d’extase, je regarde mes
camarades de classe comme avant un concours : d’ici une demi-heure, l’un
d’entre nous aura fait la meilleure bière… Rien d’autre ne peut compter !
Tant d’adrénaline ! Le
cours commence. Il faut un verre bien précis, optimisé pour gérer le gaz et la
mousse de la Guinness, qui sont bien spécifiques (comprenez : eh les gens,
n’oubliez pas de passer à la boutique, hein). Ensuite, il faut l’orienter
précisément, le logo de la marque tourné vers le client qui a l’honneur de se
voir préparer une bière. De cette façon, nous aurons un repère pour l’étape
suivante. Penchant le verre à un certain degré (je ne donnerai pas toutes mes
ficelles, car n’importe qui ne peut pas devenir Diplômé…), il faut alors
abaisser la manette de pression, et faire remonter le niveau de bière jusqu’au
marqueur (secret) et remettre le verre droit, pour le faire reposer durant deux
minutes trente au minimum. En effet la mousse va se tasser, et descendre vers
le fond du verre. C’est d’ailleurs dû aux propriétés spéciales de la bière
Guinness, qui est la seule pour laquelle la mousse descend dans le verre plutôt
que de laisser les bulles remonter.
C’est fascinant, mais le
premier pic de stress est arrivé. Suite à la démonstration parfaite de notre
mentor (dis, on peut l’appeler papa ?), nous les élèves avons à réaliser
notre propre montage de bière. Et quand aucun volontaire ne se propose, c’est
la petite voix de Julie qui retentit et que j’entends avancer. Alors soit elle
est courageuse et intrépide (en plus d’être jolie), soit elle est complètement
sous le charme de notre prof qui lui fait du coup de profonds sourires (est-ce
que j’ai précisé qu’il était ravagé par les taches de rousseur ?). En tous
les cas, c’est bien elle qui va faire nos premiers pas et tirer une bière…
Enfin, on ne passe pas loin du drame lorsqu’il s’agit d’attraper le manchon de
la machine à pression : Julie n’étant pas très grande, il s’en faut de
quelques centimètres pour que le liquide magique soit hors de portée.
Il faut tout de suite dire que
ma femme a pris cela avec le plus grand sérieux. Et comme tout ce qu’elle fait
sérieusement, elle va réussir avec une dégoutante facilité. Sa pinte est aussi
parfaite que celle de notre professeur. Même si Julie rentre dans le rang en me
disant d’y aller directement, je laisse passer un ou deux autres élèves avant
de m’y rendre à mon tour. Grand Dieux, c’est l’école primaire revisitée, et je
suis au tableau noir Guinness ! Mais en répétant les unes après les autres
les quatre premières étapes, tous ces petits travaux pratiques passent comme
une fleur. Michel après moi, va aussi réussir une belle pinte. Vivement que le
cours se termine, j’aime autant vous dire qu’il fait soif, par ici.
Les deux dernières étapes
permettent d’égaliser la bière, en n’utilisant pas la pression, et à laisser
une fois de plus reposer. C’est la plus délicate, pourrait-on dire. Et d’ailleurs,
si Julie (à nouveau première au front) fait une excellente prestation, et que
ma propre pinte est la perfection incarnée (normal, c’est la mienne), Michel se
laissera piéger par les dernières gouttes de mousse : sa bière comme
quelques autres déborde un peu, laissant d’embarrassantes traces de liquide le
long du verre frais. Mais bon, il faut croire que la Guinness Academy est assez
permissive, puisque nous aurons tous nos diplômes (sauf Marie, la pauvre).
Après une photographie de groupe (c’est la fête, nous posons avec nos pintes)
et une remise des papiers très officielle et nominative (le pauvre irlandais
qui a dû prononcer mon nom de famille…).
La promotion explose ensuite
naturellement, pour redevenir les anonymes visiteurs de ce musée d’exception.
Pour notre part, après quelques clichés de mousse débordante, il est plus que
temps de consommer nos bières. Et nul liquide n’a pu avoir pareil goût que
celui que nous avons nous-mêmes produit, que celui tiré avec la plus extrême
concentration, et autant d’efforts. Quelle visite, les enfants, quelle visite. Après
avoir réalisé que, puisqu’elles ne risquent plus de déborder, nous pouvons nous
promener dans le reste du musée avec nos pintes, nous décidons de monter au
dernier étage, siège d’un splendide bar panoramique. Il semble d’ailleurs que
tous les visiteurs, qu’ils aient ou non suivi le cours, se retrouvent ici en
fin de parcours : l’endroit est relativement bondé.
Quelle vitrine ! Au
centre de ce disque, le comptoir occupe une place significative (avec des choix
assez réduits, vous imaginez bien qu’on ne peut pas commander une Leffe). Et
sur 360 degrés, c’est Dublin qui se dévoile à travers une seule baie vitrée qui
fait tout le tour de la pièce. Des fauteuils modernes, des tables de bar du
dernier hype et des jeunes habillés comme pour sortir en boite (mais… il est
dix-neuf heures quinze !), sans compter la musique : nous venons de
débusquer le bar le plus branché de la capitale. Il faut dire qu’il suffit d’un
coup d’œil dehors pour comprendre pourquoi. L’usine Guinness est déjà de base l’un
des bâtiments les plus élevés de la ville, et nous nous tenons en surplomb. De
ce fait, la vue est dominante sur des kilomètres alentours. On comprend mieux
la ville, et nous prenons le temps de regarder clochers, toits de verre et nos
premières collines irlandaises, là-bas, au loin.
Nous profiterons de nos pintes
debout d’abord, puis assis devant cette fenêtre sur la capitale irlandaise. Et
nous sommes intarissables sur cette visite passée, qui a dépassé nos attentes
de si loin ! A côté de cette expérience, le reste de nos allées et venues
dans les rues du centre-ville paraissent fades… Mais nous n’avions pas le
recul, tout simplement. Les jambes crient un petit peu, d’ailleurs. Là encore,
c’est le premier jour. Il faut se réhabituer à marcher des heures, à avoir un
programme extraordinaire et à voir une myriade de lieux, de couleurs, de gens
qui à certains moments nous paraissent tellement exotiques ! Et cette bière,
mmmh… Marie a réussi à se trouver de l’eau (il y avait aussi des jus à
différents parfums, mais elle a capitulé devant l’échange en anglais
obligatoire), et nous la prenons un peu en pitié.
Vint le moment de descendre au
fond de la « pinte » autour de laquelle s’articule le musée. Une
descente de six étages dans un ascenseur de verre, nous offrant une dernière
fois une vue panoramique sur ces étages de culture brassée, ambrée, gloutonne. Une
fois dehors, il fait un peu plus sombre. De gros nuages sont revenus au-dessus
des rues, et les conducteurs de calèches devant l’entrée tirent des bâches en
prévision de la saucée à venir. Pour notre part, nous repassons en coup de vent
à notre petit appartement (cela devient une habitude) et partons immédiatement
pour le quartier de Temple Bar. Ce dernier n’est situé qu’à quelques centaines
de mètres de notre pension, mais Julie et moi sommes un peu inquiets. En effet,
il y a pas mal de monde en ville et ce sont majoritairement des anglophones.
Attention, ce qui nous dérange, ce n’est pas leur langue (magnifique au
demeurant) mais bien leur habitude de manger tôt, très tôt pour certains. Déjà
en Ecosse nous avions été surpris…
L’expérience va se répéter
ici. Il est presque vingt heures trente lorsque nous sommes en ville. Une heure
tout à fait décente dans un restaurant français, le début de l’apéro en
catalogne… Et la fin du service, dans un nombre spectaculaire de
bars-restaurants irlandais. Au début, nous sourions en coin, et on s’en amuse.
Vous ne servez plus aussi tard ? C’est le troisième âge ici ou quoi ?
Bien vite nous comprenons que ce n’est pas tant une question de capacité, mais
que c’est simplement l’heure de la métamorphose du service. Les cuisiniers
deviennent musiciens ou serveurs, les groupes ont besoin des tables pour s’installer,
les gens sont tous dehors à la recherche de la meilleure performance de « live
music ». Et nous, qui avons faim, cherchons un petit quelque
chose de traditionnel sans dépasser un budget faramineux (oui, nous avions
trouvé un restaurant, mais c’était plus cher que le prix de la nuit…)! Au bout
d’une vingtaine de minutes et presque autant d’adresses pleines à craquer, nous
ne baissons pas les bras, mais une inquiétude sourde commence à monter.
On ne va pas se résigner à
manger des Tacos pour notre premier dîner en Irlande, quand même ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire