samedi 12 avril 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 9

9. Le Brevet, le Baccalauréat, et le diplôme de la Guinness Academy

Déjà, sans trop que l’on comprenne au début, un des employés du musée remonte notre file d’attente, en distribuant des questionnaires. Nos noms, prénoms, provenance, une adresse email… Et le type de rajouter avec un grand sourire que nous pourrons faire la prochaine session de cours d’ici une dizaine de minutes. De cours ? On se penche un peu pour regarder le comptoir, et derrière la salle sombre ou des groupes d’une vingtaine de visiteurs entourent des professeurs accoudés à de petits bars… Un coup d’œil au mur, et à ses « six étapes pour bien tirer une Guinness », et c’est la révélation : nous allons recevoir un cours, suivi d’un examen pour servir des pintes de la bière éponyme ! 

Marie décide de ne pas y participer, un peu vite à mon goût : finalement si elle n’en bois pas, rien ne l’empêche de suivre le cours, non ? Bon, elle sera à l’atelier photographie. Nous attendons patiemment (ou pas) notre tour. Les autres élèves de notre promotion (on réfléchit déjà aux amicales des anciens, au discours de fin d’année ou au blason de la promo) seront trois japonais, un autre couple de jeunes français et des anglais (ou américains) de souche.

Notre session aura lieu comme pour les autres autour d’un comptoir circulaire, dont le fond est entièrement constitué de bouteilles de la marque mises en lumière, et qui illuminent cette ambiance couleur bière foncée diffusée dans la pièce. La tireuse est là, avec les grands verres spéciaux Guinness tout spécialement préparés pour nous. Et le professeur… Lui aussi il est directement de Dublin, livré avec les cheveux roux et les taches de rousseur, tout droit sorti du parfait manuel de la Saint Patrick, si ce n’est qu’il n’est pas habillé en vert mais en noir, vous l’aurez compris. D’un anglais très largement compréhensible (comprenez sans les « eih » et « aigh » que les locaux mettent un peu partout sur leurs voyelles) il nous explique que le cours va se faire en six étapes, et qu’à partir de la moitié, nous passerons à la pratique afin de mieux s’initier à l’art de la Guinness. Michel a la bouche ouverte d’extase, je regarde mes camarades de classe comme avant un concours : d’ici une demi-heure, l’un d’entre nous aura fait la meilleure bière… Rien d’autre ne peut compter !

Tant d’adrénaline ! Le cours commence. Il faut un verre bien précis, optimisé pour gérer le gaz et la mousse de la Guinness, qui sont bien spécifiques (comprenez : eh les gens, n’oubliez pas de passer à la boutique, hein). Ensuite, il faut l’orienter précisément, le logo de la marque tourné vers le client qui a l’honneur de se voir préparer une bière. De cette façon, nous aurons un repère pour l’étape suivante. Penchant le verre à un certain degré (je ne donnerai pas toutes mes ficelles, car n’importe qui ne peut pas devenir Diplômé…), il faut alors abaisser la manette de pression, et faire remonter le niveau de bière jusqu’au marqueur (secret) et remettre le verre droit, pour le faire reposer durant deux minutes trente au minimum. En effet la mousse va se tasser, et descendre vers le fond du verre. C’est d’ailleurs dû aux propriétés spéciales de la bière Guinness, qui est la seule pour laquelle la mousse descend dans le verre plutôt que de laisser les bulles remonter.

C’est fascinant, mais le premier pic de stress est arrivé. Suite à la démonstration parfaite de notre mentor (dis, on peut l’appeler papa ?), nous les élèves avons à réaliser notre propre montage de bière. Et quand aucun volontaire ne se propose, c’est la petite voix de Julie qui retentit et que j’entends avancer. Alors soit elle est courageuse et intrépide (en plus d’être jolie), soit elle est complètement sous le charme de notre prof qui lui fait du coup de profonds sourires (est-ce que j’ai précisé qu’il était ravagé par les taches de rousseur ?). En tous les cas, c’est bien elle qui va faire nos premiers pas et tirer une bière… Enfin, on ne passe pas loin du drame lorsqu’il s’agit d’attraper le manchon de la machine à pression : Julie n’étant pas très grande, il s’en faut de quelques centimètres pour que le liquide magique soit hors de portée.

Il faut tout de suite dire que ma femme a pris cela avec le plus grand sérieux. Et comme tout ce qu’elle fait sérieusement, elle va réussir avec une dégoutante facilité. Sa pinte est aussi parfaite que celle de notre professeur. Même si Julie rentre dans le rang en me disant d’y aller directement, je laisse passer un ou deux autres élèves avant de m’y rendre à mon tour. Grand Dieux, c’est l’école primaire revisitée, et je suis au tableau noir Guinness ! Mais en répétant les unes après les autres les quatre premières étapes, tous ces petits travaux pratiques passent comme une fleur. Michel après moi, va aussi réussir une belle pinte. Vivement que le cours se termine, j’aime autant vous dire qu’il fait soif, par ici.

Les deux dernières étapes permettent d’égaliser la bière, en n’utilisant pas la pression, et à laisser une fois de plus reposer. C’est la plus délicate, pourrait-on dire. Et d’ailleurs, si Julie (à nouveau première au front) fait une excellente prestation, et que ma propre pinte est la perfection incarnée (normal, c’est la mienne), Michel se laissera piéger par les dernières gouttes de mousse : sa bière comme quelques autres déborde un peu, laissant d’embarrassantes traces de liquide le long du verre frais. Mais bon, il faut croire que la Guinness Academy est assez permissive, puisque nous aurons tous nos diplômes (sauf Marie, la pauvre). Après une photographie de groupe (c’est la fête, nous posons avec nos pintes) et une remise des papiers très officielle et nominative (le pauvre irlandais qui a dû prononcer mon nom de famille…).

La promotion explose ensuite naturellement, pour redevenir les anonymes visiteurs de ce musée d’exception. Pour notre part, après quelques clichés de mousse débordante, il est plus que temps de consommer nos bières. Et nul liquide n’a pu avoir pareil goût que celui que nous avons nous-mêmes produit, que celui tiré avec la plus extrême concentration, et autant d’efforts. Quelle visite, les enfants, quelle visite. Après avoir réalisé que, puisqu’elles ne risquent plus de déborder, nous pouvons nous promener dans le reste du musée avec nos pintes, nous décidons de monter au dernier étage, siège d’un splendide bar panoramique. Il semble d’ailleurs que tous les visiteurs, qu’ils aient ou non suivi le cours, se retrouvent ici en fin de parcours : l’endroit est relativement bondé.

Quelle vitrine ! Au centre de ce disque, le comptoir occupe une place significative (avec des choix assez réduits, vous imaginez bien qu’on ne peut pas commander une Leffe). Et sur 360 degrés, c’est Dublin qui se dévoile à travers une seule baie vitrée qui fait tout le tour de la pièce. Des fauteuils modernes, des tables de bar du dernier hype et des jeunes habillés comme pour sortir en boite (mais… il est dix-neuf heures quinze !), sans compter la musique : nous venons de débusquer le bar le plus branché de la capitale. Il faut dire qu’il suffit d’un coup d’œil dehors pour comprendre pourquoi. L’usine Guinness est déjà de base l’un des bâtiments les plus élevés de la ville, et nous nous tenons en surplomb. De ce fait, la vue est dominante sur des kilomètres alentours. On comprend mieux la ville, et nous prenons le temps de regarder clochers, toits de verre et nos premières collines irlandaises, là-bas, au loin.

Nous profiterons de nos pintes debout d’abord, puis assis devant cette fenêtre sur la capitale irlandaise. Et nous sommes intarissables sur cette visite passée, qui a dépassé nos attentes de si loin ! A côté de cette expérience, le reste de nos allées et venues dans les rues du centre-ville paraissent fades… Mais nous n’avions pas le recul, tout simplement. Les jambes crient un petit peu, d’ailleurs. Là encore, c’est le premier jour. Il faut se réhabituer à marcher des heures, à avoir un programme extraordinaire et à voir une myriade de lieux, de couleurs, de gens qui à certains moments nous paraissent tellement exotiques ! Et cette bière, mmmh… Marie a réussi à se trouver de l’eau (il y avait aussi des jus à différents parfums, mais elle a capitulé devant l’échange en anglais obligatoire), et nous la prenons un peu en pitié.

Vint le moment de descendre au fond de la « pinte » autour de laquelle s’articule le musée. Une descente de six étages dans un ascenseur de verre, nous offrant une dernière fois une vue panoramique sur ces étages de culture brassée, ambrée, gloutonne. Une fois dehors, il fait un peu plus sombre. De gros nuages sont revenus au-dessus des rues, et les conducteurs de calèches devant l’entrée tirent des bâches en prévision de la saucée à venir. Pour notre part, nous repassons en coup de vent à notre petit appartement (cela devient une habitude) et partons immédiatement pour le quartier de Temple Bar. Ce dernier n’est situé qu’à quelques centaines de mètres de notre pension, mais Julie et moi sommes un peu inquiets. En effet, il y a pas mal de monde en ville et ce sont majoritairement des anglophones. Attention, ce qui nous dérange, ce n’est pas leur langue (magnifique au demeurant) mais bien leur habitude de manger tôt, très tôt pour certains. Déjà en Ecosse nous avions été surpris…

L’expérience va se répéter ici. Il est presque vingt heures trente lorsque nous sommes en ville. Une heure tout à fait décente dans un restaurant français, le début de l’apéro en catalogne… Et la fin du service, dans un nombre spectaculaire de bars-restaurants irlandais. Au début, nous sourions en coin, et on s’en amuse. Vous ne servez plus aussi tard ? C’est le troisième âge ici ou quoi ? Bien vite nous comprenons que ce n’est pas tant une question de capacité, mais que c’est simplement l’heure de la métamorphose du service. Les cuisiniers deviennent musiciens ou serveurs, les groupes ont besoin des tables pour s’installer, les gens sont tous dehors à la recherche de la meilleure performance de « live music ». Et nous, qui avons faim, cherchons un petit quelque chose de traditionnel sans dépasser un budget faramineux (oui, nous avions trouvé un restaurant, mais c’était plus cher que le prix de la nuit…)! Au bout d’une vingtaine de minutes et presque autant d’adresses pleines à craquer, nous ne baissons pas les bras, mais une inquiétude sourde commence à monter.


On ne va pas se résigner à manger des Tacos pour notre premier dîner en Irlande, quand même ?

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