En suivant le boulevard de
l’université, nous arrivons aux abords de Temple Bar, quartier emblématique de
Dublin, contenant la plus grande partie des alcooliques et des touristes de la
ville dès la nuit tombée. On l’aura compris, nous reviendrons le soir venu, car
pour l’instant les pubs, fussent-ils à quatre étages (Julie nous en parle
depuis un certain temps) ne sont pas beaucoup animés le dimanche un peu après
16 heures. Nous traversons donc le pont sur le fleuve (dont je n’ai pas retenu
le nom), imposant et au fort débit (le fleuve, pas le pont, essayez de suivre
deux minutes). Pourtant, nous n’avons d’yeux que sur la berge d’en face. Déjà
parce que sur les voies suivant le cours d’eau, les façades sont colorées au
possible, et que le soleil venu profiter d’une trouée les éclaire avec une
belle lumière. Ensuite parce que là-bas, en suivant cette grande avenue, se
dresse The Spire.
Pour fêter l’an 2000,
l’Irlande s’est dotée de la plus haute sculpture d’Europe (continentale
comprise, n’est-ce pas messieurs les concepteurs de GPS). Cent vingt mètres
d’aluminium, en forme d’une seule pointe d’aiguille pointée vers le ciel, et
très légèrement inclinée. C’est monumental, même si à regarder la pointe, il y
a une notion de légèreté impressionnante : on se demande comment une si
petite structure peut monter aussi haut. Naturellement passé le pont, on a
l’impression d’être juste à côté et puis en fait pas du tout…
En s’en rapprochant, nous
enlevons nos coupe-vent, il fait beau à nouveau. Nous avons vite compris que
dans ce pays, il faudrait qu’on soit rodé au geste de pliage-dépliage :
dans certaines régions, c’est une question de minutes entre un soleil qui tape
dur et une pluie venteuse et froide. Après avoir admiré les briques d’époque et
les gravures de bronze qui décorent l’ancienne poste, nous nous approchons de
la fameuse sculpture.
The Spire, c’est vite ennuyeux d’un point de vue photographique.
De loin, c’est sur un boulevard touristique, il y a donc systématiquement un
bus (voire un bus à impériale) capable de vous gâcher le cliché… Et puis de
près bien sûr, même en grand angle pas moyen de rentrer la flèche toute entière
dans le cadre. Il nous faudra bien quelques minutes pour trouver la bonne
approche, et quelques autres pour profiter du feu vert et aller jusqu’au pied
de la structure. Et vous savez quoi ? Ce n’est pas vraiment au pied que
l’on peut le mieux profiter de cette sculpture du millénium : d’en bas,
cela ressemble juste à un cylindre d’aluminium poli de trois mètres de
diamètre. Il faut vraiment se décrocher le cou alors pour en apprécier la
hauteur.
L’avenue en question, qui fait
deux fois deux voies avec The Spire au centre sur un terre-plein qui se
prolonge sur des kilomètres, n’est autre que les Champs Elysées locaux. Les
boutiques de luxe se battent le mètre de pavé sous de hautes façades de la fin
du 19ième siècle. Ce n’est pas vraiment Haussmannien, mais presque… Nous
remontons la route sur quelques centaines de mètres, profitant de l’animation
de Dublin un dimanche après-midi. Il y a beaucoup de monde sur les trottoirs,
dans les bus cabriolets et bariolés dans lesquels s’entassent les touristes au
premiers rayons de soleil, mais aussi dans les boutiques. De vêtements, de
chaussures, dans les Mc Donald (après tout, s’il y a Mac devant, c’est que
c’est Irlandais, non ?), et dans les magasins de souvenirs. Enseignes que
d’ailleurs nous nous efforçons de snober : ce n’est pas vraiment notre
genre de ramener la parfaite panoplie de l’objet kitch, qu’il s’agisse d’une
boule à neige, d’une cuillère avec des armoiries ou d’un porte-clés avec notre
nom dessus.
Oui, enfin, quand même. On
voit bien qu’il s’agit d’une chaîne de magasins de souvenirs, qu’ils sont très
organisés, méthodiques. Et par malheur, nous nous apercevons également qu’eux
sont malins lorsqu’il s’agit de marketing. Qu’ils ont réalisé que les
porte-clés, ça ne nous intéressait pas… Mais qu’une pinte estampillée Guinness,
oui. Et ça, ça change tout. Revenus presque à hauteur de The Spire, nous
craquons d’une envie commune et entrons donc dans ce que nous pensons être le
pire des attrape touristes. Flute alors, on se laisse complètement submerger
par l’émotion.
Comprenant que le visiteur est
un alcoolique en puissance, tout est fait ici pour le mettre dans les
meilleures dispositions. Guinness, qui est LA marque emblématique de la ville
(que dis-je, de toute l’Ile !) a bien joué son coup. Des tasses, des pintes,
des pulls, des polos, des chemises, des bérets, des cannes de marche, tout est
disponible à l’effigie de la bière sombre. C’est un festival de la marque,
déclinée en plus dans des sous-produits : du chocolat, du thé, des
biscuits, des préservatifs… Et si cela ne suffisait pas, il y en a aussi avec
Irish Whiskey dessus. Plusieurs allées (oui en fait, si la devanture fait
croire à une boutique de 25m², derrière ça fait la longueur d’un terrain de
football) sont consacrées aux habits, et là encore un soin tout particulier est
à noter dans l’offre. Nous sommes irrémédiablement attirés. Et ce ne sont pas
juste les motifs, c’est assez bien taillé, la qualité est là.
Je crois qu’à ce stade il faut
remercier nos femmes. Elles, qui ont gardé les yeux grand ouverts alors que
Michel et moi, portés par une envolée lyrique, étions prêts à acheter une
panoplie complète, bérets en tweed, gilet Guinness doublé en mouton véritable
et caleçons « I’ll show you Ireland »… Au contraire, elles sauront
nous canaliser vers des objets tout aussi mythiques que nous n’aurons pas honte
de porter et montrer lorsque nous serons revenus (et puis il faut penser à nos
valises qui sont déjà presque pleines sans compter le futur whisky). Je
repartirais avec un polo, Michel un T-shirt, Marie un sac « mouton »
et Julie avec le second Mug Guinness, afin que nous puissions passer nos petits
déjeuners à penser à la bière épaisse et noire juste après nos tartines. Mmmh….
Lorsque nous sortons enfin,
nous sommes pris de remords. Ca ne fait que quelques heures que nous déambulons
sur place, et nous avons déjà acheté tous nos souvenirs ? On serait pas un
peu débiles des fois (c’est pas le débat, mais il est toujours utile de se
poser la question de temps en temps) ? Bon voilà, on se promet que ça ne
se reproduira pas, que nous devons rester vigilants, rester en groupe… Et puis,
à compter du lendemain, nous serons dans le reste du pays, hein ! Si ça se
trouve, ils ne sont même pas civilisés là-bas, à se chauffer au coin du feu
avec des briques de tourbe et pêcher le saumon toute la journée avant d’aller
au pub. On aura sans doute pas l’occasion d’en acheter ailleurs, des souvenirs,
donc on a bien fait d’en profiter (débiles, peut-être pas, mais naïfs je crois
qu’on peut signer).
Nous quittons la grande avenue
pour nous engager dans une perpendiculaire tout aussi commerçante, mais avec
des enseignes qui tirent moins dans le luxe. Tout de suite, on sent les
échoppes plus populaires. Deux cent mètres plus loin, on est carrément hors de
vue des touristes à la ronde. Nous passons d’ailleurs sous un pont à quatre
voies, qui abrite de l’autre côté de l’asphalte, des pubs loin d’être décorés,
à l’allure louche et aux vitres fumées : changement d’ambiance à
l’horizon ! Tous les quatre, nous hésitons sur la route à suivre… Mais
nous avons encore des jambes, la femme enceinte n’est pas fatiguée, aussi nous
descendons le long du fleuve sur plusieurs centaines de mètres. A présent, nous
sommes dans un quartier qui assume une modernité architecturale liée à l’essor
économique de l’Irlande d’avant la crise : de belles tours de verre, de
grands hangars sur les quais transformés en lofts et en bureaux d’architectes
en tout-ouvert…
L’alternance de l’ancien avec
les poutres aux rivets apparents, et du neuf avec les briques et le verre fumé
donnent un style très agréable à regarder. Le quartier doit pulluler de
travailleurs en semaine, même s’il est désert (on est dimanche). Au loin se
dresse le Convention Center, ou Julie a déjà présenté ses travaux, sorte de
cylindre en plan incliné vers le fleuve, à la façade transparente posée sur des
fondations de pierre blanche. Mais nous n’irons pas jusque là-bas, malgré la
présence d’une frégate d’époque, avec ses trois mats faisant contraste sur la
modernité alentours. A la place, nous traversons un pont piétonnier moderne, à
l’image technologique du quartier que nous quittons.
C’est l’occasion pour faire
des panoramas, faire quelques clichés à quatre entre deux petites averses, mais
aussi de regarder le plan pour convenir de la suite. A l’unanimité, nous en
avons pas mal dans les jambes pour un premier jour (il ne faut pas oublier que
même si nous avons dormi sur le chemin, on a quand même fait 2000 bornes), et
il faut en garder pour quelques incontournables que nous voulons encore
visiter. On décide du coup d’aller flâner quelques temps dans le quartier de l’université,
et pourquoi pas de boire un coup. C’est l’occasion, lors de la suite de cette
balade, de passer dans des zones d’habitations différentes du reste du centre.
Des maisons basses, en brique rouge façon Angleterre, chacune avec son petit
jardinet. On s’y verrait plutôt bien, d’autant que le reste de la ville est
tout spécialement accueillant.
Il y a aussi notre enseigne
préférée de la ville. Pour couper vers une artère commerçante, nous prenons par
un axe à priori peu touristique. Un grand hôtel y a élu résidence, mais ce n’est
pas ce dernier qui va attirer nos attentions, ni nos esprits pervers. Au
contraire, c’est bel et bien le magasin « Multi-Bite », notre propre
icone du quartier qui se dresse fièrement sur le boulevard. C’est fermé comme
nous sommes un dimanche, aussi nous ne saurons jamais ce qu’ils vendent chez "Multi Bite".
Mais bizarrement, nous avons
une petite idée.
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