mercredi 2 avril 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 5

5. Avec des Frites

Assis presque seuls dans ce restaurant, nous nous émerveillons devant un menu local, car nous sommes encore dans cette fameuse phase connue de tous les touristes du monde, celle ou le pays d’accueil semble si exotique, si extraordinaire que nous devons l’analyser sous toutes ses coutures. Pour nous c’est aussi le moment de souffler après plusieurs heures de déplacements non-stop, de petits stress qui viennent se cumuler, d’interrogations fondamentales (qui a osé programmer un GPS comme ça et le tendre à son chef en disant « oui, oui c’est bon ça marche nickel » ?). Même si l’on sert des alcools ici, nous décidons d’un commun accord (et avec une volonté incroyable) d’attendre plus tard pour entamer la longue liste des bières et autres sucreries fermentées locales : nous sommes à jeun, et les estomacs grondent.

Il n’y a pas grand monde à cette heure, aussi nous pouvons rapidement commander et le service sera preste. Marie, qui est un peu plus faible que nous autres en anglais, s’en tire haut la main en désignant son plat du doigt sur le menu… Autour de nous, les murs blancs du restaurant étrennent quelques toiles, laissant de grands espaces nus pour mettre en valeur le mur opposé à l’entrée. Couvert d’alcôves remplies de bouteilles vides de toutes couleurs et formes, ce dernier fait tout à la fois office de décoration et de source de lumière pour les tables éloignées. Nous, nous sommes installés proches du coin de rue, capables de voir derrière nous l’avenue passante et ses touristes qui se rendent à la cathédrale ou descendent vers le fleuve. Les stores laissent entrer la lumière et cachent le mauvais temps qui s’annonce : peu importe, nous sommes venus équipés ! Et puis, c’est le bord de mer, cela peut toujours s’améliorer, non ?

Voilà la serveuse revenir avec nos plats, que nous prenons à peine le temps de photographier (oui, c’est quand même le premier menu local, même si on ne va pas le poster sur Instagram, ne vas pas croire). Michel et moi avons des hamburgers, qui sont généreux. Julie a opté pour une tartine de saumon, et Marie des lasagnes (pas très local, les lasagnes, mais passons). Tous les plats étant généreusement accompagnés de grands bols de frites épaisses, brûlantes, faites maison.

C’est l’occasion rêvée de rappeler en ces lignes que la pomme de terre est bel et bien le produit national, loin devant l’herbe verte, la Guinness ou le Triple Distilled Whisky : c’est la patate. Et donc, par extension, la frite. Pour nous ce midi, ce sera donc un BLT avec des frites, un hamburger de bœuf avec des frites, des lasagnes… avec leurs frites. Oui oui, même les lasagnes. C’est d’une audace gustative qui dépasse notre imagination sur le moment (ou comment mixer les plats lourds : j’envisage le concept choucroute-purée lorsque nous serons revenus). Mais bon affamés comme nous sommes, inutile de préciser que les frites sont les bienvenues.

La cuisine est simple, mais gouteuse. Ce serait passé encore mieux avec une décoction de malt-houblon fermentée (oui bon, une bière quoi), mais ce sera pour plus tard. Volonté, vous dis-je. Sans pour autant se presser, nous décidons de remettre les desserts à plus tard (il n’y a guère qu’en France et dans les pays de l’Est que nous avons la tradition des pâtisseries) pour se concentrer sur notre visite de la ville. A l’aide d’un plan touristique, j’établis un petit parcours pour éviter qu’on se retrouve trois fois dans les mêmes avenues. Grâce à l’Euro, nous savons que nous avons mangé pour une somme raisonnable en partant…

Nous remontons donc l’une des artères principales de la vieille ville pour arriver devant la mairie de Dublin. Ici, les pubs sont de plus en plus nombreux, affichent des programmes ambitieux et des festivités tous les soirs (bref le cliché irlandais dans toute sa beauté). Il y a aussi pour nous des différences, habitués que nous sommes des grandes zones commerciales. Une multitude de supérettes Spar et 7/11 sont ouvertes, dont les couleurs vives égaient un peu la pierre sombre des maisons de Dublin. L’architecture globale date des années 20-30, donnant dans le massif et durable : a priori cela ne produit pas un centre-ville bourré de joie de vivre… Mais les bars fleuris au possible, les restaurants et les fanions tendus au-dessus des rues ravivent suffisamment la flamme.

Nous arrivons à la mairie, et trouvons en quelques secondes l’occasion de faire les idiots (le contraire aurait été étonnant) en utilisant les minuscules guérites de style « garde nationale », qui sont pour l’heure dépourvues desdits soldats. On s’y masse à quatre, laissons un autre français nous prendre en photo… Bref on joue les touristes parfaits. La mairie est accolée au château de Dublin, bâtiment qui est presque une expérience en soi... Nous ne visiterons pas l’intérieur, mais les espaces sont publics et c’est une bonne occasion de flâner dans ce quartier intéressant. Dans la première cour que l’on rejoint par un porche, on retrouve des façades ouvragées du 18è siècle et de grandes et hautes fenêtres. Deux grandes horloges en vis-à-vis ornent les frontaux des plus longs bâtiments. Et au centre de cet espace pavé, une exposition des plus temporaires (surtout avec cette météo) : de grandes sculptures de sables.

L’ouvrage mérite d’être mentionné, parce qu’il doit représenter un beau nombre d’heures de travail. Pourtant sur cette place imposante, ces montages de sable jaune font un peu déplacé, c’en est presque dommage. Nous quittons ce grand espace par une autre façade, qui donne sur une rue en dévers bordant la chapelle du château. Cette dernière est en adéquation totale avec la première partie de la construction. Avec ses accents gothiques et ses nombreuses flèches taillées dans la pierre gris sombre du cru, le contraste avec le marbre blanc est brutal, sans parler de l’époque de construction. Pas désagréable, mais surprenant. Michel et moi tentons de capturer une perspective des sculptures avec nos réflex, sans toutefois y passer trop de temps. Ce n’est qu’en continuant notre tour du château que nous constatons que le reste de l’architecture du lieu confine au patchwork de styles et d’âges.

C’est comme un condensé, comme si la ville avait voulu réunir toutes les époques en un seul lieu. Un donjon rond crénelé s’élève haut, bordé par des façades de crépis coloré. Une extension austère aux fenêtres barrées laisse place quelques mètres plus loin à de hauts murs peints en jaune et rouge. Enfin, après un pont de pierre qui traverse l’une des rues adjacentes, c’est un bâtiment de verre aux tons bleu vifs et aux angles aigus qui vient compléter le tableau. Tout s’enchaîne mais rien ne se ressemble, et c’est ce qui fait la particularité du lieu. Nous finissons notre tour dans un petit parc rond, à la pelouse immaculée d’un vert presque fluorescent. Quelques mouettes viennent faire peur aux enfants et poser pour les touristes (nous résisterons jusqu’au bout). Nos réactions sont un peu mitigées vis-à-vis du lieu en général. L’objectif étant sans doute de faire réagir, c’est pleinement réussi. Pourtant, nous restons dubitatifs pour ce qui est de considérer ça comme un bel ouvrage. Peut-être que pour nous qui sommes habitués à de longues avenues, à des châteaux en pierre ou tout simplement à des styles un peu plus affirmés, c’est un peu « too much ». Mais enfin c’est quand même très intéressant, et cela nous pousse à continuer la découverte de la capitale Irlandaise.

Julie, qui est la seule d’entre nous à avoir déjà été sur place, a largement contribué à notre tour de la cité, puisque nous ne savons pas à priori quels écueils éviter. Notre prochaine étape sera donc l’université de la ville, laquelle a comme toutes les institutions anglo-saxonnes une vieille histoire derrière elle. En y allant, nous tombons comme sur un avant-goût du musée Guinness : l’un des pubs quasi-dédié à ce breuvage est couvert de publicités à l’effigie du Toucan. Devant la grande porte d’entrée de l’université, une foule de touristes se presse, renforcée par les bus de « city touring » garés au chausse-pied devant les espaces verts bordant les énormes montants de chêne. En effet, les lieux sont des incontournables, nous apprend Julie. Comme on est en aout en effet, je doute que les gens qui nous entourent soient des étudiants, tout spécialement les asiatiques et leurs coupe-vent violets ou jaune Pikachu.

Hors du flux de circulation, dans cette enclave de vieux bâtiments de trois étages, nous profitons du calme en flânant sur les pavés inégaux. Le clocher de l’université, qui fait aussi office d’arc de triomphe, est au centre de cette disposition très géométrique. Nous l’admirons de tous les côtés, puisque nous marchons en suivant les espaces verts (en Irlande, l’expression prend tout son sens). Un gigantesque marronnier rayonne et projette son ombre sur les grandes arches vitrées des salles de cours et les bureaux des professeurs.

La véritable attraction (même si nous étions très bien, nous, à faire notre petit tour tout seuls) c’est la bibliothèque de l’université. Payante, interdite aux photographies (!) elle est célèbre pour ses trois étages de bois, et son espace central qui laisse passer un puits de lumière autour des rangées de tomes centenaires, ses rambardes de marbre conservant sans doute la mémoire dizaines de générations d’étudiants penchés sur des pages obscures. Mais bon tout cela, il faudra le regarder sur Internet, n’est-ce-pas. Eh… Oui. Il ne fait pas beau, en fait il pleut un crachin léger depuis une dizaine de minutes. Et le touriste de base en Irlande, que fait-il quand il pleut ? En plein dans le mille : il va à la bibliothèque ! Bon j’ai oublié de vous parler d’un « détail » qui attire en fait ici des dizaines de milliers de visiteurs par an. Ladite bibliothèque abrite plusieurs ouvrages séculaires, mais aussi le fameux Book Of Kells, livre enluminé datant de plus d’un millénaire, traitant… Eh bien du nouveau testament (quelle surprise… Quoique, il était plus nouveau à l’époque que maintenant !).


Donc pour faire court, il pleut sur le Trinity College, et nous ne pouvons pas nous abriter parce qu’une grosse centaine d’abrutis (beaucoup nous ressemblent) font la queue jusqu’à fort loin des portes de la bibliothèque. Comme nous décidons que le bouquin en question ne mérite pas une heure et demie d’attente (je vous l’ai dit, qu’on n’avait pas encore eu de bière ?), nous décidons de mettre nos habits de pluie et de quitter le centre historique pour le nouveau cœur de la Ville. D’ailleurs, on la voit depuis le parvis de la Fac de Littérature, notre prochaine étape : The Spire, dressée comme pour piquer le soleil.

2 commentaires:

  1. Au fait, la tartine au saumon n'étais pas accompagnée de frites... le plat le plus léger de la journée donc ;-)
    Sinon, la bibliothèque c'est vrai que c'est dommage de ne pas y avoir été mais par expérience je sais que ça ne vaut pas 1h d'attente. Déjà que ça ne vaut pas les 8€ demandés pour y entrer.

    Sinon superbe description. On s'y croirait ;-) Un peu moins d'humour que dans les textes précédents, mais bon, on a pas non plus passé notre temps à se fendre la poire!

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  2. On revit le voyage en lisant tes textes ! Bravo pour cette capacité que tu as de décrire les choses avec autant de précision !

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