Assis presque seuls dans ce
restaurant, nous nous émerveillons devant un menu local, car nous sommes encore
dans cette fameuse phase connue de tous les touristes du monde, celle ou le
pays d’accueil semble si exotique, si extraordinaire que nous devons l’analyser
sous toutes ses coutures. Pour nous c’est aussi le moment de souffler après
plusieurs heures de déplacements non-stop, de petits stress qui viennent se
cumuler, d’interrogations fondamentales (qui a osé programmer un GPS comme ça
et le tendre à son chef en disant « oui, oui c’est bon ça marche
nickel » ?). Même si l’on sert des alcools ici, nous décidons d’un
commun accord (et avec une volonté incroyable) d’attendre plus tard pour
entamer la longue liste des bières et autres sucreries fermentées locales :
nous sommes à jeun, et les estomacs grondent.
Il n’y a pas grand monde à
cette heure, aussi nous pouvons rapidement commander et le service sera preste.
Marie, qui est un peu plus faible que nous autres en anglais, s’en tire haut la
main en désignant son plat du doigt sur le menu… Autour de nous, les murs
blancs du restaurant étrennent quelques toiles, laissant de grands espaces nus
pour mettre en valeur le mur opposé à l’entrée. Couvert d’alcôves remplies de
bouteilles vides de toutes couleurs et formes, ce dernier fait tout à la fois
office de décoration et de source de lumière pour les tables éloignées. Nous,
nous sommes installés proches du coin de rue, capables de voir derrière nous
l’avenue passante et ses touristes qui se rendent à la cathédrale ou descendent
vers le fleuve. Les stores laissent entrer la lumière et cachent le mauvais
temps qui s’annonce : peu importe, nous sommes venus équipés ! Et
puis, c’est le bord de mer, cela peut toujours s’améliorer, non ?
Voilà la serveuse revenir avec
nos plats, que nous prenons à peine le temps de photographier (oui, c’est quand
même le premier menu local, même si on ne va pas le poster sur Instagram, ne
vas pas croire). Michel et moi avons des hamburgers, qui sont généreux. Julie a
opté pour une tartine de saumon, et Marie des lasagnes (pas très local, les
lasagnes, mais passons). Tous les plats étant généreusement accompagnés de
grands bols de frites épaisses, brûlantes, faites maison.
C’est l’occasion
rêvée de rappeler en ces lignes que la pomme de terre est bel et bien le
produit national, loin devant l’herbe verte, la Guinness ou le Triple Distilled
Whisky : c’est la patate. Et donc, par extension, la frite. Pour nous ce
midi, ce sera donc un BLT avec des frites, un hamburger de bœuf avec des
frites, des lasagnes… avec leurs frites. Oui oui, même les lasagnes. C’est
d’une audace gustative qui dépasse notre imagination sur le moment (ou comment
mixer les plats lourds : j’envisage le concept choucroute-purée lorsque
nous serons revenus). Mais bon affamés comme nous sommes, inutile de préciser
que les frites sont les bienvenues.
La cuisine est simple, mais
gouteuse. Ce serait passé encore mieux avec une décoction de malt-houblon
fermentée (oui bon, une bière quoi), mais ce sera pour plus tard. Volonté, vous
dis-je. Sans pour autant se presser, nous décidons de remettre les desserts à
plus tard (il n’y a guère qu’en France et dans les pays de l’Est que nous avons
la tradition des pâtisseries) pour se concentrer sur notre visite de la ville.
A l’aide d’un plan touristique, j’établis un petit parcours pour éviter qu’on
se retrouve trois fois dans les mêmes avenues. Grâce à l’Euro, nous savons que
nous avons mangé pour une somme raisonnable en partant…
Nous remontons donc l’une des
artères principales de la vieille ville pour arriver devant la mairie de
Dublin. Ici, les pubs sont de plus en plus nombreux, affichent des programmes
ambitieux et des festivités tous les soirs (bref le cliché irlandais dans toute
sa beauté). Il y a aussi pour nous des différences, habitués que nous sommes
des grandes zones commerciales. Une multitude de supérettes Spar et 7/11 sont
ouvertes, dont les couleurs vives égaient un peu la pierre sombre des maisons
de Dublin. L’architecture globale date des années 20-30, donnant dans le massif
et durable : a priori cela ne produit pas un centre-ville bourré de joie
de vivre… Mais les bars fleuris au possible, les restaurants et les fanions
tendus au-dessus des rues ravivent suffisamment la flamme.
Nous arrivons à la mairie, et
trouvons en quelques secondes l’occasion de faire les idiots (le contraire
aurait été étonnant) en utilisant les minuscules guérites de style « garde
nationale », qui sont pour l’heure dépourvues desdits soldats. On s’y
masse à quatre, laissons un autre français nous prendre en photo… Bref on joue
les touristes parfaits. La mairie est accolée au château de Dublin, bâtiment
qui est presque une expérience en soi... Nous ne visiterons pas l’intérieur,
mais les espaces sont publics et c’est une bonne occasion de flâner dans ce
quartier intéressant. Dans la première cour que l’on rejoint par un porche, on
retrouve des façades ouvragées du 18è siècle et de grandes et hautes fenêtres.
Deux grandes horloges en vis-à-vis ornent les frontaux des plus longs
bâtiments. Et au centre de cet espace pavé, une exposition des plus temporaires
(surtout avec cette météo) : de grandes sculptures de sables.
L’ouvrage mérite d’être
mentionné, parce qu’il doit représenter un beau nombre d’heures de travail.
Pourtant sur cette place imposante, ces montages de sable jaune font un peu
déplacé, c’en est presque dommage. Nous quittons ce grand espace par une autre
façade, qui donne sur une rue en dévers bordant la chapelle du château. Cette
dernière est en adéquation totale avec la première partie de la construction.
Avec ses accents gothiques et ses nombreuses flèches taillées dans la pierre
gris sombre du cru, le contraste avec le marbre blanc est brutal, sans parler
de l’époque de construction. Pas désagréable, mais surprenant. Michel et moi
tentons de capturer une perspective des sculptures avec nos réflex, sans
toutefois y passer trop de temps. Ce n’est qu’en continuant notre tour du
château que nous constatons que le reste de l’architecture du lieu confine au
patchwork de styles et d’âges.
C’est comme un condensé, comme
si la ville avait voulu réunir toutes les époques en un seul lieu. Un donjon
rond crénelé s’élève haut, bordé par des façades de crépis coloré. Une
extension austère aux fenêtres barrées laisse place quelques mètres plus loin à
de hauts murs peints en jaune et rouge. Enfin, après un pont de pierre qui
traverse l’une des rues adjacentes, c’est un bâtiment de verre aux tons bleu
vifs et aux angles aigus qui vient compléter le tableau. Tout s’enchaîne mais
rien ne se ressemble, et c’est ce qui fait la particularité du lieu. Nous
finissons notre tour dans un petit parc rond, à la pelouse immaculée d’un vert
presque fluorescent. Quelques mouettes viennent faire peur aux enfants et poser
pour les touristes (nous résisterons jusqu’au bout). Nos réactions sont un peu
mitigées vis-à-vis du lieu en général. L’objectif étant sans doute de faire
réagir, c’est pleinement réussi. Pourtant, nous restons dubitatifs pour ce qui
est de considérer ça comme un bel ouvrage. Peut-être que pour nous qui sommes
habitués à de longues avenues, à des châteaux en pierre ou tout simplement à
des styles un peu plus affirmés, c’est un peu « too much ». Mais
enfin c’est quand même très intéressant, et cela nous pousse à continuer la
découverte de la capitale Irlandaise.
Julie, qui est la seule
d’entre nous à avoir déjà été sur place, a largement contribué à notre tour de
la cité, puisque nous ne savons pas à priori quels écueils éviter. Notre
prochaine étape sera donc l’université de la ville, laquelle a comme toutes les
institutions anglo-saxonnes une vieille histoire derrière elle. En y allant,
nous tombons comme sur un avant-goût du musée Guinness : l’un des pubs
quasi-dédié à ce breuvage est couvert de publicités à l’effigie du Toucan. Devant
la grande porte d’entrée de l’université, une foule de touristes se presse,
renforcée par les bus de « city touring » garés au chausse-pied
devant les espaces verts bordant les énormes montants de chêne. En effet, les
lieux sont des incontournables, nous apprend Julie. Comme on est en aout en
effet, je doute que les gens qui nous entourent soient des étudiants, tout
spécialement les asiatiques et leurs coupe-vent violets ou jaune Pikachu.
Hors du flux de circulation,
dans cette enclave de vieux bâtiments de trois étages, nous profitons du calme
en flânant sur les pavés inégaux. Le clocher de l’université, qui fait aussi
office d’arc de triomphe, est au centre de cette disposition très géométrique.
Nous l’admirons de tous les côtés, puisque nous marchons en suivant les espaces
verts (en Irlande, l’expression prend tout son sens). Un gigantesque marronnier
rayonne et projette son ombre sur les grandes arches vitrées des salles de
cours et les bureaux des professeurs.
La véritable attraction (même
si nous étions très bien, nous, à faire notre petit tour tout seuls) c’est la
bibliothèque de l’université. Payante, interdite aux photographies (!) elle est
célèbre pour ses trois étages de bois, et son espace central qui laisse passer
un puits de lumière autour des rangées de tomes centenaires, ses rambardes de
marbre conservant sans doute la mémoire dizaines de générations d’étudiants
penchés sur des pages obscures. Mais bon tout cela, il faudra le regarder sur
Internet, n’est-ce-pas. Eh… Oui. Il ne fait pas beau, en fait il pleut un crachin
léger depuis une dizaine de minutes. Et le touriste de base en Irlande, que
fait-il quand il pleut ? En plein dans le mille : il va à la
bibliothèque ! Bon j’ai oublié de vous parler d’un « détail »
qui attire en fait ici des dizaines de milliers de visiteurs par an. Ladite
bibliothèque abrite plusieurs ouvrages séculaires, mais aussi le fameux Book Of
Kells, livre enluminé datant de plus d’un millénaire, traitant… Eh bien du
nouveau testament (quelle surprise… Quoique, il était plus nouveau à l’époque
que maintenant !).
Donc pour faire court, il
pleut sur le Trinity College, et nous ne pouvons pas nous abriter parce qu’une
grosse centaine d’abrutis (beaucoup nous ressemblent) font la queue jusqu’à
fort loin des portes de la bibliothèque. Comme nous décidons que le bouquin en
question ne mérite pas une heure et demie d’attente (je vous l’ai dit, qu’on n’avait
pas encore eu de bière ?), nous décidons de mettre nos habits de pluie et
de quitter le centre historique pour le nouveau cœur de la Ville. D’ailleurs,
on la voit depuis le parvis de la Fac de Littérature, notre prochaine
étape : The Spire, dressée comme pour piquer le soleil.
Au fait, la tartine au saumon n'étais pas accompagnée de frites... le plat le plus léger de la journée donc ;-)
RépondreSupprimerSinon, la bibliothèque c'est vrai que c'est dommage de ne pas y avoir été mais par expérience je sais que ça ne vaut pas 1h d'attente. Déjà que ça ne vaut pas les 8€ demandés pour y entrer.
Sinon superbe description. On s'y croirait ;-) Un peu moins d'humour que dans les textes précédents, mais bon, on a pas non plus passé notre temps à se fendre la poire!
On revit le voyage en lisant tes textes ! Bravo pour cette capacité que tu as de décrire les choses avec autant de précision !
RépondreSupprimer