Vous savez, il y a ce réflexe
que nous avons tous. Un étudiant (ou quelque autre espèce repoussante) s’avance
vers vous et vous propose un dépliant. Effroi. Dégout. Bah, quelle
horreur ! Et ce, peu importe ce que comporte le dépliant ou la remarque
qui va avec (la meilleure que j’ai eue de ma vie étant « mais Monsieur,
c’est pour le Sida ! ». Franchement, pour ? Mais c’est une autre
histoire). Ainsi donc nous avons eu cette réaction dans les rues de Temple Bar,
au début de nos recherches. Et la personne ne devait pas être si mauvaise
communicatrice que cela, puisqu’au moins l’un d’entre nous a fini avec le
dépliant en main, tout en disant que non, merci, cela ne nous intéressait pas.
Je ne suis pas certain que l’on ait vraiment prêté attention au papier, qui
indiquait un restaurant, mais dans un premier étage quelconque, et sans live
music.
Fous que nous étions alors, à
croire que nous pourrions trouver une place dans un bar, avec un menu pas cher,
traditionnel, avec de la musique irlandaise ! Et pourquoi pas de la
nourriture qui ne soit pas frite, tant qu’on y est ! Non, vraiment, nous
avons visé trop haut. Une fois arrivés dans une partie du quartier qui comporte
plus d’appartements que de pubs (une hérésie), nous savons devoir rebrousser
chemin. Non seulement nous n’avons pas trouvé, mais l’heure continue de
tourner, comme la Guinness dans nos estomacs vides. C’est pourquoi, finalement
et presque en désespoir de cause, nous sommes retournés jusqu’à cet étudiant,
et lui avons demandé si chez eux, on voudrait bien encore de nous quatre,
pauvres pouilleux.
Et s’il restait de la place,
était-ce parce que l’endroit est horrible ? Vu la population dans la rue,
nous avons des doutes bien fondés. Par chance, c’est pareil dans le
restaurant : tout est bondé (principalement des retraités, nous avions
quand même raison sur un point) sauf une petite table ou nous pourrons sans
peine nous serrer à quatre. Ouf. Sauvés. Reste plus qu’à espérer qu’avec notre
budget on pourra se payer plus qu’une salade, parce que peu importe le menu,
nous ne bougerons pas. On a presque l’impression de les avoir gagnés, ces
places.
The Old Mill n’est finalement
ni un restaurant miteux, ni un trois étoiles pompeux. C’est une enseigne
honnête, avec des plats irlandais, des Guinness bien tirées (maintenant, on va
faire attention toute notre vie, c’est sur) et bien situé au centre de Dublin.
Si on excepte le coté Live Music, on n’est pas loin du Graal attendu. Les
tables sont serrées, et puisque la pièce est décorée de lambris, au-dessus
desquels sont affichés de nombreuses gravures d’époque et d’autres souvenirs
divers et variés, l’atmosphère est assez chargée. C’est un peu bruyant, mais
pas plus qu’un Winstub de chez nous (d’ailleurs, les meubles, nappes et même le
parfum de la cuisine rappelle un peu les enseignes alsaciennes, tartes flambées
en moins).
Nous commandons, sans oublier
les inévitables boissons qui nous rappellent le musée, en regrettant pour ma
part de ne pas pouvoir uniquement se rafraichir avec ce liquide tout au long du
voyage. Malheureusement, c’est assez peu compatible avec la conduite, et il
faut avouer qu’une fois une ou deux pintes bien tassées, le corps n’est pas
vraiment prêt pour la randonnée. Tant pis, soupirons nous, il faudra bien boire
de l’eau, le moment venu. Vis-à-vis de mes petits camarades, je fais le bon
élève pour ce repas, en étant le seul à ne pas commander un semblant de burger
(à croire qu’ici, on ne peut pas vous servir une pièce de viande sans la mettre
dans du pain). Nous trinquons tranquillement en faisant la revue de notre
extraordinaire journée, avant que la conversation reparte sur les bébés, et
plus précisément celui qu’attendent nos amis. J’avoue ne pas m’être totalement
fait à l’idée, mais il faut bien dire que Marie n’a pas été très handicapante
aujourd’hui, au contraire.
Lorsque nous sommes servis,
nous commençons à réaliser à quel point cette semaine va être une véritable
cure d’huile de friture et de gras en tout genre. Pour ceux qui auraient cru
avoir une exception avec le duo improbable lasagnes-frites à midi… Attention,
hein, on aime le gras. En tant qu’alsaciens, je dirais qu’on a même ça dans le
sang (littéralement, sans doute). Mais là, euh, comment vous dire… J’avais
commandé des saucisses de porc irlandais en sauce forestière avec de la purée.
A priori pas de quoi paniquer, non ? Mais c’était oublier qu’en Irlande,
on te frit tout. Oui, même les saucisses. Bon, c’est très gouteux, ça les rend
moelleuses à l’intérieur et croquantes à l’extérieur, c’est terriblement bon.
Mais ça reste des saucisses frites, si tu vois l’image. Quand ça croque, ça
sent un peu le fond de poêle.
Reste que si on écarte nos
futurs problèmes coronariens, les menus sont excellents. Les portions de frites
de mes voisins sont assez généreuses pour que je vienne y puiser, ma sauce
forestière est suffisamment poivrée, on passe un très bon moment culinaire. A
noter quand même que comme l’endroit n’était sans doute pas pensé comme un
restaurant initialement, le parcours pour retrouver les toilettes est assez
épique, puisqu’il y a au moins deux volées d’escaliers en bois dans l’arrière
salle (on se demande si on ne va pas tomber sur une partie de poker mafieuse en
ouvrant la prochaine porte).
Une fois de plus repartis de
là avec une addition raisonnable, nous faisons une découverte qui nous freine
un peu dans nos ardeurs : à l’extérieur la météo capricieuse refait des
siennes. Il pleut un crachin épais, qui ne donne pas très envie de flâner dans
les rues. Allons, il suffit juste de se trouver un bar avec une petite table,
et des tabourets, qui serve une bonne bière et qui soit encore en plein concert.
Vous avez remarqué que le coup du restaurant ne nous a pas fait vraiment
baisser nos prétentions ? Eh bien même attitude, même résultats. La grande
majorité des bars qui nous plaisent (c’est-à-dire tout ceux qui ne font pas
repères de marins à gros bras ou discothèque) sont absolument bondés, la faute
à l’heure, au mauvais temps… Les rares pour lesquels il serait facile de
s’installer (et encore) sont ceux pour qui les musiciens ont déjà remballé.
Qu’à cela ne tienne, le
quartier à lui tout seul comporte des spécificités. Comme ce fameux bar à
quatre étages, dont Julie nous a rabâché les oreilles durant toute une partie
de la préparation du voyage. C’est en quelque sorte notre plus grosse attente,
parce que ma femme nous a vendu du rêve, avec de la live music différente sur
plusieurs étages, le premier étant réservé au restaurant… Arrivés devant le pub
en question, nous ne sommes pas déçus (je me demande même si
l’établissement n’est pas LE « temple bar » qui aurait donné son nom au
quartier). Bondé au rez-de-chaussée, couvert sur toute sa façade claire de
fanions en tous genres, toutes ses fenêtres allumées… Nous entrons. Et déjà,
première désillusion, parce qu’au moment où nous posons le pied à l’intérieur,
le chanteur du groupe prend le micro pour déclamer un « thank you guys,
we’re gonna do a break ».
En bref, c’est l’heure de la pause. Tu parles
d’une chance. Mais bon, il devrait y avoir de l’ambiance aux autres étages,
non ? Haha. Non. En fait, Julie nous a semble-t-il survendu le source de
notre convoitise. Il y a au mieux deux étages et demi (si on compte un genre de
demi-palier) dont tout ce qui se trouve au-dessus du sol est un restaurant
aussi classique que « The Old Mill » dans lequel nous avons dîné.
L’ambiance n’est pas feutrée, mais on est loin des gigues et des claquettes que
nous nous figurions. Quelle déception, finalement ! Dans un geste futile,
nous faisons l’aller-retour dans les escaliers, car c’est à croire qu’on nous a
volontairement déconstruit au moins un étage de fête et d’ambiance !
Julie boude. Evidemment, la
dernière fois qu’elle est venue, ce n’était pas pareil mais dans notre fatigue,
rien ne nous engage à la croire. Et puis, elle avait peut-être deux ou trois
bières apéritives dans le nez, auquel cas les étages ont fini par
s’additionner… Pour notre part, c’est la fatigue qui nous rattrape. Sans trop
commenter le fait, nous rebroussons le chemin vers l’hôtel. Moi, qui suis
encore en forme (ça fait bien longtemps que j’espérais cette sortie dans le quartier…
Les évènements m’ont un peu déçu), fais tout pour engager mes amis et ma femme
qui bougonne dans l’un des trois ou quatre pubs décents que nous croisons
encore, mais que nous passons malgré les accents de musique traditionnelle.
J’ai l’estomac qui se serre un peu en y pensant, mais… tout seul, ça n’aurait
pas été pareil, n’est-ce-pas ? Je finis par m’avouer que j’ai les yeux un
peu plus gros que le ventre, qu’il reste neuf jours à tenir et que rien que
demain, il va falloir conduire au moins cinq ou six heures.
Mouais. Reste que je deviens
grognon moi aussi. Michel et Marie nous guident droit à notre petit
appartement.
De là, évidemment, nous
discutons un peu histoire de profiter du salon… Mais là, bien au calme, dans
les profonds fauteuils, nous ne ferons pas les couche-tard. Nous avons bien
profité de la journée pour discuter, comptons nous lever à une heure
raisonnable demain matin (tant à faire, dans ce pays). Et le temps d’évoquer
tout ça, Michel s’est déjà endormi ! Profondément enfoncé dans le canapé,
monsieur est parti pour un autre voyage. Et puis même si je regrette un peu sur
le moment de ne pas avoir poussé notre expérience de Temple Bar, je réfléchis à
cette journée qui vient de passer. Il n’y a pas franchement grand-chose à
regretter… Et quand c’est ma tête qui touche l’oreiller, je m’endors presque
instantanément : il y avait comme un besoin !
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