Aussitôt assis, nous n’avons
plus qu’une envie, c’est de jouer. Pas une fois durant l’ensemble du voyage
nous ne sommes sortis sans notre petite boite de jeux (et ça inclut les soirs
où nous n’avons pas joué…). Mais d’abord, il va falloir consommer, les
enfants ! Si Marie s’abstient pour des raisons évidentes, nous n’avons pas
ce genre de restrictions… Michel prend son habituelle Guinness (sa teinte de
peau aura changé avant la fin du trajet, à ce rythme) , tandis que Julie et moi
décidons de nous essayer au cidre. Oui parce que, pour ne rien vous cacher, je
me suis renseigné avant de partir, et les productions de cidre irlandais sont
assez réputées.
C’est moi qui me dévoue pour
la première tournée. Le truc, c’est que le comptoir est un peu encombré, entre
les vingt clients de toutes façons accrochés au marbre par d’invisibles
tentacules, ceux qui ont le dos tourné pour regarder les musiciens, et ceux qui
comme moi viennent ravitailler leurs amis, la compétition est rude. Et quand il
vient vers moi, le barman… Il me faudra répéter une ou deux fois l’ensemble de
la commande. Le mieux c’est qu’il ne me la confirme pas, je n’ai donc aucun
moyen de savoir s’il a bien compris ce que je voulais. Je suis d’autant plus
inquiet qu’après l’avoir vu tirer une Guinness (dans les règles de l’art,
c’était on ne peut plus correct), le type ne cherche pas de bouteille, il
retourne à la tireuse… Ah mais ça ne je pouvais pas deviner : ici, ils ont
du cidre à la pression (La. Classe.). Les verres à cidre sont tout
simplement énormes, c’est plutôt engageant !
A notre table, nous n’hésitons
pas longtemps avant de commencer à jouer. C’est que, même si nos petits jeux ne
prennent pas beaucoup de place, ils sont rapidement vus par les autres clients
qui nous entourent comme une activité exotique : nous sommes très
observés. Mais d’abord, goûtons ce cidre, le Bulmers. Déjà, il est beaucoup
plus coloré que le breton : il tire sur l’orange-rose ! Surtout, la
surprise est gustative : c’est un délice absolu. Pétillant, fort en goût,
il sent vraiment l’essence de la pomme. Inutile de préciser à quelle vitesse il
descend, parce que à partir de cet instant, je serais tiraillé tout au long du
voyage : je ne suis plus tout à fait certain que la Guinness soit ma
boisson irlandaise favorite. Oui, je sais, blasphème, tout ça tout ça, mais…
Bon, le Bulmers quoi ! Dernière chose sur cette boisson
extraordinaire : c’est une traîtresse de premier ordre. Sous ses airs de
jus de pomme, elle cache bien son jeu, et vient vous frapper derrière le front
avec une régularité qui n’a rien du flegme irlandais. Pas de conduite ce
soir ? C’est tant mieux. Contentons-nous déjà de retrouver le B&B.
Julie est aussi emballée que moi par le cidre, même si elle est (comme
toujours) beaucoup plus raisonnable.
Nous démarrons par quelques
parties de Skull and Roses. Un jeu dont le principe est simple et repose sur le
bluff : armés de dessous de verre personnalisés, chacun pose à son tour sa
carte… Toute l’astuce reposant sur le fait de savoir qui a déposé des roses ou
son crâne lorsque l’on dévoile les cartes. Je ne sais pas si vous saisissez le
principe, mais dans les jeux de bar, plus c’est simple, plus ça peut devenir
diablement stratégique et engageant. Nous, par exemple, pouvons y jouer des
heures. C’est justement parce qu’on se connait aussi bien, d’ailleurs. Michel,
par exemple, agit le plus souvent comme s’il se fichait éperdument de gagner
tant que nous tombons sur son crâne lorsque l’on dévoile les cartes. Julie ne
bluffe pas souvent et Marie… Bah Marie est imprévisible. Le plus difficile avec
elle, c’est son inconstance. Des fois, elle va perdre quatre fois de suite.
Mais il faut croire que ce soir, elle lit en nous comme dans un livre ouvert,
parce qu’elle nous écrase comme un essaim de moucherons. Il faut croire qu’être
enceinte donne quelques pouvoirs psychiques.
C’est uniquement parce qu’elle
mène d’une pleine tête que nous cessons d’y jouer (j’aurais quand même remporté
une partie, na !), pour passer à la Scopa, un jeu de cartes italien encore
plus stratégique. Les regards autour de nous sont très amusés : les gens
ont bien remarqué que nous ne sommes pas de simples joueurs de poker ou de
bridge. Non, nous jouons des parties animées, que personne ne comprend (on en
voit qui articulent des « Kamoulox » de temps en temps) sans
décodeur…
Et pour la Scopa, c’est encore pire. Les quelques-uns qui regardent
la partie (eh oui, vous aviez cru que je ne vous voyais pas, appuyés sur la
porte ?) s’agitent un peu, croient piger le truc lorsque l’on a des cartes
faces ouvertes au centre. Mais lorsqu’ils voient que l’on joue par équipe, que
l’on joue mains ouvertes, ils finissent par lâcher l’affaire : que ces
tarés jouent entre eux, tant qu’ils nous fichent la paix !
Nous sommes de bons
consommateurs, d’ailleurs, ce soir. Je me bois avec grand plaisir une seconde
pinte de cidre, tandis que Michel s’engage sur un Whiskey, qu’il sirote en
regardant ses cartes. Malheureusement, tout l’alcool du monde n’y changera
rien, ce n’est décidément pas la soirée de l’équipe des hommes… Nous nous
faisons exploser une première fois (un score humiliant, genre 11-2 ou 11-3,
sec), ne baissons pas les bras et retombons dans le piège immédiatement après. Les
filles sont en communion d’une quelconque façon : elles succèdent les
mains victorieuses et les « Scopas » (le fait d’enlever la dernière
carte de la table) à une vitesse qui dépasse notre stratégie. Nous rions.
Jaune. Ou bien, oui c’est ça nous en sommes persuadés, c’est à cause du Kerry.
C’est sans doute ça, nous sommes absolument incapables de gagner à
Killarney ! Mais demain, les filles, on sera dans le Connemara, les
filles. Eh ouais. Demain, revanche.
Entre temps, le besoin pour
une bonne nuit de sommeil commence à se faire sentir. Nous passons encore un
bon quart d’heure à rigoler tous les quatre, avant que Michel se lève pour
aller payer (c’est son tour). Contrairement à ce qui aurait pu arriver un peu
plus d’une heure auparavant, personne ne se jette pour prendre notre table. En
fait, un tour d’horizon rapide nous apprend qu’il n’y a plus vraiment foule. Il
reste bien sur un cœur d’habitués (ou de touristes habitués au bar) qui entoure
les musiciens, lesquels jouent leur derniers morceaux. Ils étaient assez doués,
même si j’avoue n’avoir pas été concentré sur leur musique tout du long (nous
avons quand même réagi au quart de tour lorsqu’ils ont entonné les trois
chansons qui nous sont familières).
Le retour vers le gite sera un
peu brumeux, la faute aux pommes du cidre irlandais, même s’il n’y a pas assez
de rues dans la zone pour nous perdre. La plupart des bars sont sur la fin de
leur ambiance la plus festive, même s’il n’est pas vraiment tard (ouh-là-là,
minuit quand même presque !). Lorsque nous passons devant, nous nous
rendons compte que nous n’avons pas visité l’église de Killarney, ni sa
cathédrale, devant laquelle nous avons roulé trois ou quatre fois. Mais bon, on
ne peut pas tout voir… Arrivés au B&B, nous nous donnons rendez-vous à l’ouverture
du petit déjeuner, et nous séparons pour une bonne nuit de digestion. Demain,
on commence tôt, il y aura de la route et du gras !
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