jeudi 29 mai 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 21

Episode 21: Le crâne, les roses et des pommes,

Aussitôt assis, nous n’avons plus qu’une envie, c’est de jouer. Pas une fois durant l’ensemble du voyage nous ne sommes sortis sans notre petite boite de jeux (et ça inclut les soirs où nous n’avons pas joué…). Mais d’abord, il va falloir consommer, les enfants ! Si Marie s’abstient pour des raisons évidentes, nous n’avons pas ce genre de restrictions… Michel prend son habituelle Guinness (sa teinte de peau aura changé avant la fin du trajet, à ce rythme) , tandis que Julie et moi décidons de nous essayer au cidre. Oui parce que, pour ne rien vous cacher, je me suis renseigné avant de partir, et les productions de cidre irlandais sont assez réputées.

C’est moi qui me dévoue pour la première tournée. Le truc, c’est que le comptoir est un peu encombré, entre les vingt clients de toutes façons accrochés au marbre par d’invisibles tentacules, ceux qui ont le dos tourné pour regarder les musiciens, et ceux qui comme moi viennent ravitailler leurs amis, la compétition est rude. Et quand il vient vers moi, le barman… Il me faudra répéter une ou deux fois l’ensemble de la commande. Le mieux c’est qu’il ne me la confirme pas, je n’ai donc aucun moyen de savoir s’il a bien compris ce que je voulais. Je suis d’autant plus inquiet qu’après l’avoir vu tirer une Guinness (dans les règles de l’art, c’était on ne peut plus correct), le type ne cherche pas de bouteille, il retourne à la tireuse… Ah mais ça ne je pouvais pas deviner : ici, ils ont du cidre à la pression (La. Classe.). Les verres à cidre sont tout simplement énormes, c’est plutôt engageant !

A notre table, nous n’hésitons pas longtemps avant de commencer à jouer. C’est que, même si nos petits jeux ne prennent pas beaucoup de place, ils sont rapidement vus par les autres clients qui nous entourent comme une activité exotique : nous sommes très observés. Mais d’abord, goûtons ce cidre, le Bulmers. Déjà, il est beaucoup plus coloré que le breton : il tire sur l’orange-rose ! Surtout, la surprise est gustative : c’est un délice absolu. Pétillant, fort en goût, il sent vraiment l’essence de la pomme. Inutile de préciser à quelle vitesse il descend, parce que à partir de cet instant, je serais tiraillé tout au long du voyage : je ne suis plus tout à fait certain que la Guinness soit ma boisson irlandaise favorite. Oui, je sais, blasphème, tout ça tout ça, mais… Bon, le Bulmers quoi ! Dernière chose sur cette boisson extraordinaire : c’est une traîtresse de premier ordre. Sous ses airs de jus de pomme, elle cache bien son jeu, et vient vous frapper derrière le front avec une régularité qui n’a rien du flegme irlandais. Pas de conduite ce soir ? C’est tant mieux. Contentons-nous déjà de retrouver le B&B. Julie est aussi emballée que moi par le cidre, même si elle est (comme toujours) beaucoup plus raisonnable.

Nous démarrons par quelques parties de Skull and Roses. Un jeu dont le principe est simple et repose sur le bluff : armés de dessous de verre personnalisés, chacun pose à son tour sa carte… Toute l’astuce reposant sur le fait de savoir qui a déposé des roses ou son crâne lorsque l’on dévoile les cartes. Je ne sais pas si vous saisissez le principe, mais dans les jeux de bar, plus c’est simple, plus ça peut devenir diablement stratégique et engageant. Nous, par exemple, pouvons y jouer des heures. C’est justement parce qu’on se connait aussi bien, d’ailleurs. Michel, par exemple, agit le plus souvent comme s’il se fichait éperdument de gagner tant que nous tombons sur son crâne lorsque l’on dévoile les cartes. Julie ne bluffe pas souvent et Marie… Bah Marie est imprévisible. Le plus difficile avec elle, c’est son inconstance. Des fois, elle va perdre quatre fois de suite. Mais il faut croire que ce soir, elle lit en nous comme dans un livre ouvert, parce qu’elle nous écrase comme un essaim de moucherons. Il faut croire qu’être enceinte donne quelques pouvoirs psychiques.

C’est uniquement parce qu’elle mène d’une pleine tête que nous cessons d’y jouer (j’aurais quand même remporté une partie, na !), pour passer à la Scopa, un jeu de cartes italien encore plus stratégique. Les regards autour de nous sont très amusés : les gens ont bien remarqué que nous ne sommes pas de simples joueurs de poker ou de bridge. Non, nous jouons des parties animées, que personne ne comprend (on en voit qui articulent des « Kamoulox » de temps en temps) sans décodeur…

Et pour la Scopa, c’est encore pire. Les quelques-uns qui regardent la partie (eh oui, vous aviez cru que je ne vous voyais pas, appuyés sur la porte ?) s’agitent un peu, croient piger le truc lorsque l’on a des cartes faces ouvertes au centre. Mais lorsqu’ils voient que l’on joue par équipe, que l’on joue mains ouvertes, ils finissent par lâcher l’affaire : que ces tarés jouent entre eux, tant qu’ils nous fichent la paix !

Nous sommes de bons consommateurs, d’ailleurs, ce soir. Je me bois avec grand plaisir une seconde pinte de cidre, tandis que Michel s’engage sur un Whiskey, qu’il sirote en regardant ses cartes. Malheureusement, tout l’alcool du monde n’y changera rien, ce n’est décidément pas la soirée de l’équipe des hommes… Nous nous faisons exploser une première fois (un score humiliant, genre 11-2 ou 11-3, sec), ne baissons pas les bras et retombons dans le piège immédiatement après. Les filles sont en communion d’une quelconque façon : elles succèdent les mains victorieuses et les « Scopas » (le fait d’enlever la dernière carte de la table) à une vitesse qui dépasse notre stratégie. Nous rions. Jaune. Ou bien, oui c’est ça nous en sommes persuadés, c’est à cause du Kerry. C’est sans doute ça, nous sommes absolument incapables de gagner à Killarney ! Mais demain, les filles, on sera dans le Connemara, les filles. Eh ouais. Demain, revanche.

Entre temps, le besoin pour une bonne nuit de sommeil commence à se faire sentir. Nous passons encore un bon quart d’heure à rigoler tous les quatre, avant que Michel se lève pour aller payer (c’est son tour). Contrairement à ce qui aurait pu arriver un peu plus d’une heure auparavant, personne ne se jette pour prendre notre table. En fait, un tour d’horizon rapide nous apprend qu’il n’y a plus vraiment foule. Il reste bien sur un cœur d’habitués (ou de touristes habitués au bar) qui entoure les musiciens, lesquels jouent leur derniers morceaux. Ils étaient assez doués, même si j’avoue n’avoir pas été concentré sur leur musique tout du long (nous avons quand même réagi au quart de tour lorsqu’ils ont entonné les trois chansons qui nous sont familières).

Le retour vers le gite sera un peu brumeux, la faute aux pommes du cidre irlandais, même s’il n’y a pas assez de rues dans la zone pour nous perdre. La plupart des bars sont sur la fin de leur ambiance la plus festive, même s’il n’est pas vraiment tard (ouh-là-là, minuit quand même presque !). Lorsque nous passons devant, nous nous rendons compte que nous n’avons pas visité l’église de Killarney, ni sa cathédrale, devant laquelle nous avons roulé trois ou quatre fois. Mais bon, on ne peut pas tout voir… Arrivés au B&B, nous nous donnons rendez-vous à l’ouverture du petit déjeuner, et nous séparons pour une bonne nuit de digestion. Demain, on commence tôt, il y aura de la route et du gras !

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