Comme le chemin paraît plus
court une fois dans la voiture ! Sur cette mince bande de béton
gravillonnée que nous avons parcourus ce matin, je m’avance à présent avec le
Quashquaï, à un petit vingt à l’heure qui nous permet à tous de profiter du
paysage. Avant d’arriver sous le Mamean, il faut à nouveau affronter les
moutons, qui cette fois prennent une peur bleue à la vue de la voiture (hahaha,
on fait moins les malins, maintenant !). Malheureusement n’étant pas bien
plus intelligents que deux heures plus tôt, un bon nombre d’entre eux
continuent plusieurs minutes à courir sur la route dans le sens de la marche.
Eh bé. Ensuite, la route grimpe vers l’inconnu. Je roule encore moins vite, car
nos regards sont comme attirés par les sommets, la pureté de cette lande qui
s’en va de gauche et de droite se perdre dans les tourbières. Il pleut
franchement, c’est un plaisir d’être à l’abri. Même si tout le monde fait des
efforts pour baisser les vitres et tenter de temps en temps un cliché correct
sur ces collines de pierre. Ce sera sans grand succès, un paysage comme
celui-ci, il faut le vivre, c’est sans alternative.
Quelques centaines de mètres
plus loin, c’est des vaches qui font obstruction. Pour des raisons évidentes
avec l’assurance carrosserie, je vais un peu moins les brusquer que les moutons
(même si ça ne m’empêche pas de klaxonner, il n’y a personne qui vit à des
kilomètres à la ronde). Enfin, nous arrivons le long de ce grand lac (ici on
dit Lough), qui paraît énorme mais mérite à peine de figurer sur les cartes de
la région, sans parler du croquis immonde du Livre de Rando. La route descend
le long de l’eau en zigzaguant sur de petites collines. Le rythme est unique,
l’immensité toute à nous, et même les nuages bas ne viennent pas (trop) gâcher
l’expérience. Une fois revenus sur un axe un peu plus fréquenté, chaque passage
de voiture à nos côtés est comme un étrange rappel à la réalité à côté de tout
ce dénuement naturel.
La pluie finit quand même par
nous énerver, parce qu’elle empêche les prises de vues à travers le pare-brise,
que les gouttes ont quand même trouvé moyen d’arroser les fenêtres, et que l’on
ne peut rouler avec la vitre ouverte que quelques secondes sous peine
d’inondation. Et puis quelques constructions humaines traversent cette nature
vide par essence : plusieurs fois nous aurons des lignes électriques,
infinies lignes droites qui semblent sortir directement des nuages pour les
relier à la civilisation. Nous roulons à notre cadence d’escargots quelques
kilomètres, avant que je finisse par regagner une allure de croisière plus
raisonnable. Aucun de nous ne sait où aller, mais nous décidons de nous laisser
bercer par les collines et les lacs, malgré le dépit d’être copieusement
arrosés. Lorsqu’un carrefour se présente à nous, c’est le grand débat. Le seul
objectif qui nous tient à minimum à cœur, c’est le Laugh Maskey. A cause de la
chanson, oui (même si c’est un bal masqué, normalement, nous ne faisons aucune
différence). Voyez, nous étions prêts à faire les idiots dans une parodie de
clip. Pourtant, à l’intersection je repère un panneau pour une abbaye du
seizième siècle. Je le « sens » bien, expliquais-je à mes camarades.
Et ces derniers, mi-blasés mi-habitués à me voir faire de petits détours dans
les premiers jours, ne se formalisent pas.
Un lough plus loin (la
visibilité baisse drastiquement, ces dernières minutes), un grand panneau nous
indique le parking. Oui, enfin, le parking voitures. On commence à comprendre
que ce n’est pas la petite abbaye du village lorsque je m’aperçois qu’il y a un
parking bus, puis un autre, puis deux parking voitures pleins, des guides de
parking (oui oui comme à Europapark) et même un terrain de dégagement sur
lequel on nous emmène, tout timides que nous sommes devenus. Ce n’est que
lorsque nous passons un petit pont le long de l’eau que nous prenons
véritablement la dimension du truc. Dans un « whaou » généralisé,
nous nous sommes tous tournés vers la gauche. A deux cent mètres de là, le long
d’un petit Lough parsemé de vaguelettes, l’un des plus imposants châteaux du
pays. Erigé au-dessus de terrasses qui débordent de végétation, comme sorti de
la brume épaisse qui envahit la vallée, le corps principal du bâtiment est à la
fois massif et élégant, bardé de sculptures décoratives dans un style victorien
(enfin, je crois que c’est victorien, en tout cas ça en jette sévère). Ce sont
surtout les dimensions qui étonnent au milieu de ce coin perdu : c’est d’une
démesure géniale… Presque appropriée au paysage.
Une fois garés sur un espace
qui ne doit servir qu’en cas de grande affluence, sorte de terre-plein de sable
orangé qui colle aux godasses, nous allons voir la bâtisse de plus près. Enfin,
pas de trop près, car n’est-ce pas c’est payant. Le prix, qui englobe la visite
des jardins, de l’abbaye, de l’énorme château… N’est qu’à seize euros. Mais les
jardins, j’aime autant vous dire qu’ils sont déserts et humides, et que partout
ou un espace est abrité, on trouve une vague ininterrompue de touristes. Et par
touristes je veux dire retraités. Ils sont tous là, c’est à se demander s’ils
poussent dans le coin, sans doute une usine. Devant l’affluence, que la météo
explique aussi, nous renonçons. Et puis Marie et Michel ont une « limite
de musées et châteaux » à ne pas dépasser, sorte de quota à respecter sur
la durée du voyage, et qu’il serait bête de dépenser dans une visite non
planifiée. Non, après quelques photographies le long de la berge, quelques
photos de couples avec le château qui se découpe dans le nuage derrière nous,
nous rebroussons chemins. C’est déjà l’heure de se préoccuper de nos vessies
(ou encore, selon les points de vue), aussi nous allons tenter le coup dans la
boutique/restaurant/hall d’accueil à l’entrée du parc. Et dès l’entrée, c’est
comme un choc.
Nous n’avions pas oublié la
pluie, loin de là, mais ses effets : tout le monde se réfugie à l’intérieur.
La boutique est simplement bondée, mais il y a pire. Derrière, un gigantesque
réfectoire semble littéralement sur le point d’exploser. A cause du nombre
démesuré de touristes (moyenne d’âge, autour de 65) oui, mais aussi du niveau
sonore proche d’harmoniques sans doute destructrices. Pour vous dire, rien qu’à
traverser la salle on s’est presque sentis mal (et dévisagés, avec nos
déguisements de randonneurs nous ne passons pas vraiment inaperçus). Devant les
toilettes, les filles se résignent d’abord à une longue attente, avant de se
rendre compte qu’il s’agissait simplement de trois nanas qui discutaient dans
le couloir (pas de meilleur endroit, c’est certain). Enfin, lorsque nous
sortons, nous nous apercevons qu’il y avait un accès juste à côté des
toilettes, qui nous aurait évité la traversée de la salle infernale.
Quelques minutes plus tard,
nous laissons Kylemore Abbey derrière nous. Les sentiments sont partagés, entre
l’heureuse surprise de la découverte d’un tel chef d’œuvre au hasard complet,
le monde que nous avons pu croiser, et la pluie. J’aime autant vous dire que la
flotte, ce jour là, c’était parti pour durer. A tel point que dans les minutes
qui ont suivi, nous n’avons même pas pu profiter du paysage, le Connemara tout
entier semblant englouti dans un gigantesque nuage humide. Il fait froid en
plus, parce que nous devons lutter contre la buée. Putain c’est juré, on se
trouve le lough Maskey, on mange nos sandwichs sur place, et on rentre faire la
sieste. Hum. C’est que, je vous l’ai déjà dit, le coin ne fleurit pas de routes
à tous les printemps : les croisements se comptent sur les doigts d’une
main, et les deux voies existantes sont… Tortueuses, pour être gentil. Il faut
pas mal de temps pour faire peu de kilomètres, et pas mal de kilomètres pour
progresser sur la carte.
Mais quand ça se dégage, nous
sommes sans voix. Arrivés dans un fjord (ils disent aussi Lough, mais je
considère que si c’est raccordé à la mer…), nous avons simplement l’un des plus
beaux panoramas de tout le voyage. La mer, d’un bleu noir moutonnant, vient
jouer avec le vert renouvelé qui couvre les pentes raides de cette cuvette naturelle.
Les contrastes sont saisissants, et les cages à huitres qui dépassent de l’eau
semblent faire miroiter les trois rayons de soleil qui viennent se perdre au
cours de notre traversée. Au bout, un petit village, accroché à la mer, soudé à
son moulin et résistant depuis des siècles aux assauts du temps, des vagues et
des sentiers, qui doivent être traitres. Il y a des moutons colorés tout le
long de la route, peints des fois du cou jusqu’à la queue pour identifier leur
propriétaires, dans des tons bariolés qui les rendent reconnaissables à des
centaines de mètres.
Quelle splendeur ! J’en
rate le seul embranchement à dix kilomètres à la ronde, l’occasion de constater
qu’un demi-tour sur ces petites routes est plus traitre qu’il n’y parait
(heureusement avec l’affluence locale, on était au calme). La route serpente,
monte d’abord puis descend se perdre dans des forêts de sapins, rendant la
route dangereuse et glissante sous la pluie. Le GPS ne trouve pas la route pour
le Lough Maskey (normal, d’où son nom), mais Julie nous guide à la carte… Et il
est censé y avoir sur la portion que l’on traverse une route qui s’oriente à
gauche. Sauf que rien, voilà. Pas de panneaux, pas d’autres indications que des
ventes de lait de brebis, des marchés aux puces et des B&B pour touristes
perdus. Dont nous faisons partie finalement, car je ne trouve pas l’embranchement.
Et avec la pluie, le fait de ne pas trouver, la buée, le GPS, la pluie… On
finit par perdre patience. Nous nous arrêterons quelques kilomètres plus loin,
après avoir trouvé une aire en bord de route qui soit un minimum satisfaisante
(une vue à minima, si déjà on doit manger dans la voiture). Devant nous, le
Lough Akray, ou plutôt un petit bout de ce qui est le plus grand lac du pays.
Souvenez-vous, nous l’avions déjà longé hier en arrivant dans le Connemara… A
près d’une soixantaine de kilomètres de là ou nous sommes arrêtés. La déception
est rude. Le voile de brume refuse obstinément de se lever, la pluie de cesser
de tomber, et le Lough Maskey de se dévoiler. Alors, abandon ou éclair de
sagesse, nous avons décidé, la bouche pleine, de revenir aux sources du
bonheur, de prendre une bonne douche et d’aller se reposer.
Le Lough Maskey restera bel et bien masqué. Ohé, ohé.
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