vendredi 8 août 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 40

Episode 40: Après nous le déluge...

C’est Julie qui a la lourde tâche de me réveiller. Non pas à cause du réveil, qui a sonné comme de juste à l’heure indiquée, mais comme j’ai choisi de rallonger ma nuit durant son temps de salle de bain, je me roule en boule dans un déni de réalité somme toute assez commun. Après une bonne dizaine de jours, j’ai l’esprit qui commence à divaguer un peu, à me dire que finalement, les vacances, c’est aussi fait pour se reposer, non ? C’est le moment de reprendre le contrôle : si je ne me raisonne pas un minimum, nous allons perdre du temps, et rater une seule visite dans notre périple Irlandais me parait être un crime bien pire que de ne pas rattraper deux ou trois heures de sommeil. Enfin, ne mentons pas, c’est quand même bien Marie qui m’a sorti du lit. 

Nous rejoignons nos camarades au rez-de-chaussée, et ils sont en retard… Il faut dire quand même que pour eux, ça a été un peu infernal : leur chambre a tenu toutes ses promesses ! Le chauffage a bien tourné, et le fait d’avoir du coup les fenêtres ouvertes n’a pas amélioré leur isolation acoustique. Camion poubelle, ambulances, police (souvenez-vous, le château est à deux cent mètres de là), ils ont eu toute la panoplie du désagréable. Pour vous dire, je ne sais pas s’ils ont trouvé le courage de s’y doucher, de peur d’en ressortir un peu plus sales. Pas compliqué de comprendre que du coup, Marie soit un peu à vif et hérissée ce matin. Michel quant à lui, a beaucoup plus intériorisé, il affiche un air blasé qui nous interroge du regard : quand-est-ce qu’on part ?

Eh bien, après un bon petit déjeuner, non ? Nous voici installés après un peu d’attente. Oui vous ne rêvez pas, il y a d’autres locataires, et si la salle à manger est de taille raisonnable, il semble que la cuisine ne puisse pas suivre pour plus de six ou sept résidents. On nous invite à passer commande assez rapidement, et je suis le seul à tenter l’aventure pour quelque chose de chaud : les autres demandent des toasts à tartiner avec les quelques confitures du coin. C’est vrai que je n’ai pas très faim non plus, mais enfin la journée ne sera pas moins sportive que toutes les autres, alors je ne veux pas faire une croix sur des œufs brouillés servis sur toasts. Ouais. Alors, quand on est servis… Je mesure mon erreur. Sérieusement, je me suis demandé durant ce petit déjeuner si, à l’avenir, je serais capable de remanger une seule fois des œufs brouillés. Ou même des toasts. On me sert en effet une assiette au centre de laquelle le brouillé est d’une couleur bien pâle, le tout baignant dans un demi centimètre de flotte. De flotte ! Je ne sais pas si vous avez déjà fait des œufs brouillés, ça ne nécessite déjà pas beaucoup d’ingrédients, mais surtout pas de l’eau ! Quelle horreur, je soupçonne avec un frisson dans le dos que ce soit de l’eau de vaisselle (en tout cas ce n’était pas de la Carola bleue, pour ceux qui voulaient savoir). La partie qui surnage est insipide, mes toasts ont un coin qui baigne dans l’eau (je vous conseille les toasts mouillés, si un jour vous devez vomir et que ça ne vient pas).

Bref, sans vouloir m’étendre sur le sujet, si j’étais peut-être celui des quatre le plus laxiste sur la qualité de l’hôtel jusqu’ici, je fulmine. Je. Ful. Mine. Me saloper un petit-déjeuner. Les fous, quoi. Les autres ont bien compris le malaise, aidés, par (je crois) le gros « Bwêêêrk » que j’annonce en repoussant mon assiette (je l’aurais bien lancée, mais au détriment des autres clients). A partir de là, c’est le duel du foutage de gueule. Je pense bien que tout le monde dans la pièce (nous sommes en position centrale) a compris ce que nous avions sur le cœur à propos de la qualité et du service. On en tartine, de la vanne bien grasse (à défaut d’œufs brouillés). En cuisine aussi, le message est passé, on nous regarde en coin, on vient nous demander d’un air complaisant si nous avons besoin d’autre chose (concert de « oh non, non surtout pas, pitié »). C’est l’heure de partir, en leur balançant leur fric à la figure s’il le faut. Comme c’est étonnant par rapport aux autres jours, il ne nous faut ici que quelques secondes pour refermer les sacs, les poser sur les épaules et partir sans un regard en arrière. Nous retrouvons Marie et Michel au pied des marches, il ne reste plus qu’à régler l’addition.

Mais Julie, telle une cocotte-minute, doit laisser échapper la pression. Elle ruminait depuis le simulacre de petit déjeuner, il fallait que ça sorte… Polie et respectueuse jusqu’au bout, elle attendra que la tenancière ait son argent pour prendre la parole et de lancer un « I want to say something ». Quand je l’entends dire cela, je rentre déjà les épaules, elle utilise son ton le plus cassant, son pouvoir rayonne à plusieurs mètres : quand cela vous tombe dessus, c’est les jambes qui tremblent, une bonne nausée et surtout l’impression d’être l’instrument le plus inutile du monde. Pour vous dire, j’avais presque pitié de ce que la pauvre bonne femme allait devoir avaler. Presque. Mais je m’en délectais, aussi. « It was AWFULL ! » Bien joué, chérie ! C’était le mot que je cherchais depuis dix bonnes minutes ! J’avoue, je n’ai pas retenu tout le reste, mais ma femme (dont j’étais l’homme le plus fier) lui a fait l’énoncé de tout ce qui n’allait pas, lui a annoncé clairement qu’elle allait descendre son hôtel sur le net (elle l’a fait depuis) et qu’elle ne conseillerait à personne d’y venir. Mais finalement, la tenancière le savait, qu’elle proposait de la merde. Et vous savez quoi ? Non seulement elle était au courant, mais elle s’en fichait comme de sa deuxième chaussette.

Avant que Julie ne sorte ses griffes et se jette à son cou, je lui ai posé la main sur le dos, histoire qu’elle revienne un petit peu sur Terre : la nana de l’hôtel se fichait de nous, se fichait de savoir que les prestations étaient les moins bonnes que nous ayons connu… Il ne servait à rien de rester plus longtemps dans cette maison de fous.

Voilà, nous étions sur la route, et ne pouvions pas penser à autre chose qu’à cette altercation finale. Il faut dire que là, il faudrait mettre la barre très haut pour nous faire oublier cet épisode ! Et ce n’est pas ce que propose l’Irlande du Nord pour le moment : de gros et sombres nuages parcourent la campagne avec nous, larguant des rideaux de pluie visibles à des kilomètres (oui vous savez, cette unité bizarre qu’ils n’utilisent pas ici). La route semble longue, et elle l’est également parce que le GPS nous fait un peu des siennes, à force de vouloir absolument nous conduire au parking du « Visitors center » des marches des géants, la fameuse et mondialement connue Giant’s Causeway. Sauf que nous, comme dans le Kerry, avons prévu, malins, de faire une randonnée dont les Marches seront le point culminant. Mais comme dans le Kerry, il faut trouver le bon point de départ. Et après quelques virages un peu aléatoires dans des quartiers résidentiels, un arrêt visibilité (avec la pluie, impossible de se repérer sur la route) et le fait de remarquer (excitation montante) que nous sommes juste à côté de Bushmills (Bushmills !), nous finissons par nous garer sur le parking d’un club de Golf, au bord de mer.

Nous mettrons un bon quart d’heure uniquement pour sortir de la voiture, car nous attendons que le déluge se calme un petit peu… La force en est telle qu’on la mesure au bruit que fait la flotte en se désintégrant sur le pare-brise ! Pourtant, nous sommes prêts : Julie, dans un raid suicide est allée prendre sa douche pour nous ramener nos chaussures de marche. Surtout, nous refusons de baisser les bras : ça va se calmer, c’est sûr ! On voit déjà quelques portions de ciel bleu qui entourent peu à peu la région. Mais enfin quand même, nous avons eu du flair, car quelques minutes auront suffi pour que la douche se transforme en une fine pellicule de gouttelettes. Nous avons fait passer le temps avec le Routard, décidés à manger ce soir dans un restaurant digne de ce nom, et en avons trouvé un qui correspond pile avec le profil, à Bushmills (Bushmills !) Ca, ce sera pour ce soir, à présent, c’est la rando ! Parés avec nos K-ways, nous sortons. C’est que maintenant, nous avons bien hâte de nous dégourdir les jambes !

Justement, le chemin démarre le long de ce gigantesque green de golf… Nous faisons très attention à vérifier la trajectoire des quelques balles en train de filer : il y a un sacré vent, et je ne tiens pas particulièrement à mourir d’une balle dans la tête (de golf, surtout). Ensuite, le trajet goudronné suit une voie ferrée, dans un cadre absolument magnifique, entouré par les vertes couleurs du golf, les gros chargés du ciel, et les roseaux penchés devant le bord de mer. Nous allons longer une longue plage, sur laquelle viennent s’écraser d’impressionnants rouleaux d’écume. Le paysage est d’une beauté violente, saisissant de vie et de mouvements. On en prend plein les oreilles aussi, à se croire le long de l’eau tant le vent porte. Après un petit pont de bois, nous apercevons au loin un énorme manoir enraciné sur les rochers le long de l’eau. Sensations fortes garanties… Et confort inclus, sans doute. Le ciel, noir par endroits, nous convainc plusieurs fois de ne pas lâcher nos vêtements de pluie malgré les rayons de soleil : il va s’agir d’être réactifs ! Enfin, après la traversée d’un petit bois aéré, nous arrivons au point de départ de cette voie ferrée très spéciale, hôte d’un train touristique dont le point de départ est le Visitors Center des Marches. S’il ne s’agit pas d’un train à vapeur, son look années cinquante a un petit charme vieillot qui s’accorde parfaitement avec les façades de pierre et les éléments de paysage alentours.


Nous ne nous attardons pas, et plongeons brièvement dans la foule, qui arrive du parking (record du monde, 6 Pounds par personne !) et qui descend des bus garés ici à la file indienne. Et encore, il est seulement dix heures et demie ! Bon, comme nous n’avons pas de ticket payant, nous ne savons pas trop où nous devons nous avancer pour passer jusqu’au chemin côtier (on cherche le sentier « non arnaqué » svp)… Et c’est au moment où il se remet à pleuvoir à grosses gouttes que nous trouvons enfin la bande de gravier qui évite le Visitors Center, qui, il faut quand même l’admettre, est de toute beauté avec son toit végétal et ses formes minérales… Il y a un plan que nous prenons en photo, et une grande descente sur des marches de granit un peu traîtres. Enfin, arrivés à hauteur du front de mer, devant les falaises, nous avons cette impression unique que l’on retrouve au premier rang d’un grand huit, juste avant le départ. 

On est biens, on est prêts, pour la Giant’s Causeway. 

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