Episode 40: Après nous le déluge...
C’est Julie qui a la lourde tâche de me réveiller. Non pas à cause du réveil, qui a sonné comme de juste à l’heure indiquée, mais comme j’ai choisi de rallonger ma nuit durant son temps de salle de bain, je me roule en boule dans un déni de réalité somme toute assez commun. Après une bonne dizaine de jours, j’ai l’esprit qui commence à divaguer un peu, à me dire que finalement, les vacances, c’est aussi fait pour se reposer, non ? C’est le moment de reprendre le contrôle : si je ne me raisonne pas un minimum, nous allons perdre du temps, et rater une seule visite dans notre périple Irlandais me parait être un crime bien pire que de ne pas rattraper deux ou trois heures de sommeil. Enfin, ne mentons pas, c’est quand même bien Marie qui m’a sorti du lit.
C’est Julie qui a la lourde tâche de me réveiller. Non pas à cause du réveil, qui a sonné comme de juste à l’heure indiquée, mais comme j’ai choisi de rallonger ma nuit durant son temps de salle de bain, je me roule en boule dans un déni de réalité somme toute assez commun. Après une bonne dizaine de jours, j’ai l’esprit qui commence à divaguer un peu, à me dire que finalement, les vacances, c’est aussi fait pour se reposer, non ? C’est le moment de reprendre le contrôle : si je ne me raisonne pas un minimum, nous allons perdre du temps, et rater une seule visite dans notre périple Irlandais me parait être un crime bien pire que de ne pas rattraper deux ou trois heures de sommeil. Enfin, ne mentons pas, c’est quand même bien Marie qui m’a sorti du lit.
Nous rejoignons nos camarades au
rez-de-chaussée, et ils sont en retard… Il faut dire quand même que pour eux,
ça a été un peu infernal : leur chambre a tenu toutes ses promesses !
Le chauffage a bien tourné, et le fait d’avoir du coup les fenêtres ouvertes
n’a pas amélioré leur isolation acoustique. Camion poubelle, ambulances, police
(souvenez-vous, le château est à deux cent mètres de là), ils ont eu toute la
panoplie du désagréable. Pour vous dire, je ne sais pas s’ils ont trouvé le
courage de s’y doucher, de peur d’en ressortir un peu plus sales. Pas compliqué
de comprendre que du coup, Marie soit un peu à vif et hérissée ce matin. Michel
quant à lui, a beaucoup plus intériorisé, il affiche un air blasé qui nous
interroge du regard : quand-est-ce qu’on part ?
Eh bien, après un bon petit
déjeuner, non ? Nous voici installés après un peu d’attente. Oui vous ne
rêvez pas, il y a d’autres locataires, et si la salle à manger est de taille
raisonnable, il semble que la cuisine ne puisse pas suivre pour plus de six ou
sept résidents. On nous invite à passer commande assez rapidement, et je suis
le seul à tenter l’aventure pour quelque chose de chaud : les autres
demandent des toasts à tartiner avec les quelques confitures du coin. C’est
vrai que je n’ai pas très faim non plus, mais enfin la journée ne sera pas
moins sportive que toutes les autres, alors je ne veux pas faire une croix sur
des œufs brouillés servis sur toasts. Ouais. Alors, quand on est servis… Je
mesure mon erreur. Sérieusement, je me suis demandé durant ce petit déjeuner
si, à l’avenir, je serais capable de remanger une seule fois des œufs
brouillés. Ou même des toasts. On me sert en effet une assiette au centre de
laquelle le brouillé est d’une couleur bien pâle, le tout baignant dans un demi
centimètre de flotte. De flotte ! Je ne sais pas si vous avez déjà fait
des œufs brouillés, ça ne nécessite déjà pas beaucoup d’ingrédients, mais
surtout pas de l’eau ! Quelle horreur, je soupçonne avec un frisson dans
le dos que ce soit de l’eau de vaisselle (en tout cas ce n’était pas de la
Carola bleue, pour ceux qui voulaient savoir). La partie qui surnage est
insipide, mes toasts ont un coin qui baigne dans l’eau (je vous conseille les
toasts mouillés, si un jour vous devez vomir et que ça ne vient pas).
Bref, sans vouloir m’étendre
sur le sujet, si j’étais peut-être celui des quatre le plus laxiste sur la
qualité de l’hôtel jusqu’ici, je fulmine. Je. Ful. Mine. Me saloper un
petit-déjeuner. Les fous, quoi. Les autres ont bien compris le malaise, aidés,
par (je crois) le gros « Bwêêêrk » que j’annonce en repoussant mon assiette
(je l’aurais bien lancée, mais au détriment des autres clients). A partir de
là, c’est le duel du foutage de gueule. Je pense bien que tout le monde dans la
pièce (nous sommes en position centrale) a compris ce que nous avions sur le
cœur à propos de la qualité et du service. On en tartine, de la vanne bien
grasse (à défaut d’œufs brouillés). En cuisine aussi, le message est passé, on
nous regarde en coin, on vient nous demander d’un air complaisant si nous avons
besoin d’autre chose (concert de « oh non, non surtout pas, pitié »).
C’est l’heure de partir, en leur balançant leur fric à la figure s’il le faut.
Comme c’est étonnant par rapport aux autres jours, il ne nous faut ici que
quelques secondes pour refermer les sacs, les poser sur les épaules et partir
sans un regard en arrière. Nous retrouvons Marie et Michel au pied des marches,
il ne reste plus qu’à régler l’addition.
Mais Julie, telle une
cocotte-minute, doit laisser échapper la pression. Elle ruminait depuis le
simulacre de petit déjeuner, il fallait que ça sorte… Polie et respectueuse
jusqu’au bout, elle attendra que la tenancière ait son argent pour prendre la
parole et de lancer un « I want to say something ». Quand je
l’entends dire cela, je rentre déjà les épaules, elle utilise son ton le plus
cassant, son pouvoir rayonne à plusieurs mètres : quand cela vous tombe
dessus, c’est les jambes qui tremblent, une bonne nausée et surtout
l’impression d’être l’instrument le plus inutile du monde. Pour vous dire,
j’avais presque pitié de ce que la pauvre bonne femme allait devoir avaler.
Presque. Mais je m’en délectais, aussi. « It was AWFULL ! » Bien
joué, chérie ! C’était le mot que je cherchais depuis dix bonnes
minutes ! J’avoue, je n’ai pas retenu tout le reste, mais ma femme (dont
j’étais l’homme le plus fier) lui a fait l’énoncé de tout ce qui n’allait pas,
lui a annoncé clairement qu’elle allait descendre son hôtel sur le net (elle
l’a fait depuis) et qu’elle ne conseillerait à personne d’y venir. Mais
finalement, la tenancière le savait, qu’elle proposait de la merde. Et vous
savez quoi ? Non seulement elle était au courant, mais elle s’en fichait
comme de sa deuxième chaussette.
Avant que Julie ne sorte ses
griffes et se jette à son cou, je lui ai posé la main sur le dos, histoire
qu’elle revienne un petit peu sur Terre : la nana de l’hôtel se fichait de
nous, se fichait de savoir que les prestations étaient les moins bonnes que
nous ayons connu… Il ne servait à rien de rester plus longtemps dans cette
maison de fous.
Voilà, nous étions sur la
route, et ne pouvions pas penser à autre chose qu’à cette altercation finale. Il
faut dire que là, il faudrait mettre la barre très haut pour nous faire oublier
cet épisode ! Et ce n’est pas ce que propose l’Irlande du Nord pour le
moment : de gros et sombres nuages parcourent la campagne avec nous,
larguant des rideaux de pluie visibles à des kilomètres (oui vous savez, cette
unité bizarre qu’ils n’utilisent pas ici). La route semble longue, et elle
l’est également parce que le GPS nous fait un peu des siennes, à force de
vouloir absolument nous conduire au parking du « Visitors center »
des marches des géants, la fameuse et mondialement connue Giant’s Causeway.
Sauf que nous, comme dans le Kerry, avons prévu, malins, de faire une randonnée
dont les Marches seront le point culminant. Mais comme dans le Kerry, il faut
trouver le bon point de départ. Et après quelques virages un peu aléatoires
dans des quartiers résidentiels, un arrêt visibilité (avec la pluie, impossible
de se repérer sur la route) et le fait de remarquer (excitation montante) que
nous sommes juste à côté de Bushmills (Bushmills !), nous finissons par
nous garer sur le parking d’un club de Golf, au bord de mer.
Nous mettrons un bon quart
d’heure uniquement pour sortir de la voiture, car nous attendons que le déluge
se calme un petit peu… La force en est telle qu’on la mesure au bruit que fait
la flotte en se désintégrant sur le pare-brise ! Pourtant, nous sommes
prêts : Julie, dans un raid suicide est allée prendre sa douche pour nous
ramener nos chaussures de marche. Surtout, nous refusons de baisser les
bras : ça va se calmer, c’est sûr ! On voit déjà quelques portions de
ciel bleu qui entourent peu à peu la région. Mais enfin quand même, nous avons
eu du flair, car quelques minutes auront suffi pour que la douche se transforme
en une fine pellicule de gouttelettes. Nous avons fait passer le temps avec le
Routard, décidés à manger ce soir dans un restaurant digne de ce nom, et en
avons trouvé un qui correspond pile avec le profil, à Bushmills (Bushmills !)
Ca, ce sera pour ce soir, à présent, c’est la rando ! Parés avec nos
K-ways, nous sortons. C’est que maintenant, nous avons bien hâte de nous
dégourdir les jambes !
Justement, le chemin démarre
le long de ce gigantesque green de golf… Nous faisons très attention à vérifier
la trajectoire des quelques balles en train de filer : il y a un sacré
vent, et je ne tiens pas particulièrement à mourir d’une balle dans la tête (de
golf, surtout). Ensuite, le trajet goudronné suit une voie ferrée, dans un cadre
absolument magnifique, entouré par les vertes couleurs du golf, les gros
chargés du ciel, et les roseaux penchés devant le bord de mer. Nous allons
longer une longue plage, sur laquelle viennent s’écraser d’impressionnants
rouleaux d’écume. Le paysage est d’une beauté violente, saisissant de vie et de
mouvements. On en prend plein les oreilles aussi, à se croire le long de l’eau
tant le vent porte. Après un petit pont de bois, nous apercevons au loin un
énorme manoir enraciné sur les rochers le long de l’eau. Sensations fortes
garanties… Et confort inclus, sans doute. Le ciel, noir par endroits, nous
convainc plusieurs fois de ne pas lâcher nos vêtements de pluie malgré les
rayons de soleil : il va s’agir d’être réactifs ! Enfin, après la
traversée d’un petit bois aéré, nous arrivons au point de départ de cette voie
ferrée très spéciale, hôte d’un train touristique dont le point de départ est
le Visitors Center des Marches. S’il ne s’agit pas d’un train à vapeur, son
look années cinquante a un petit charme vieillot qui s’accorde parfaitement
avec les façades de pierre et les éléments de paysage alentours.
Nous ne nous attardons pas, et
plongeons brièvement dans la foule, qui arrive du parking (record du monde, 6
Pounds par personne !) et qui descend des bus garés ici à la file
indienne. Et encore, il est seulement dix heures et demie ! Bon, comme
nous n’avons pas de ticket payant, nous ne savons pas trop où nous devons nous
avancer pour passer jusqu’au chemin côtier (on cherche le sentier « non arnaqué »
svp)… Et c’est au moment où il se remet à pleuvoir à grosses gouttes que nous
trouvons enfin la bande de gravier qui évite le Visitors Center, qui, il faut
quand même l’admettre, est de toute beauté avec son toit végétal et ses formes
minérales… Il y a un plan que nous prenons en photo, et une grande descente sur
des marches de granit un peu traîtres. Enfin, arrivés à hauteur du front de
mer, devant les falaises, nous avons cette impression unique que l’on retrouve
au premier rang d’un grand huit, juste avant le départ.
On est biens, on est
prêts, pour la Giant’s Causeway.
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