Episode 44: Trône de Fer et route à Billy
On n’a presque plus l’habitude
d’être tout seuls, dans cette grande voiture. C’est à la fois un sentiment de
liberté et comme un gros manque. Julie et moi profitons de cette petite
escapade pour tenter de trouver l’un des lieux les plus hétéroclites de ce
petit bout d’Irlande du Nord : l’Allée des Dark Hedges, un site très
facilement reconnaissable et utilisé dans de nombreux films et séries, entre
autres Le Trône de Fer, dont la première saison a largement utilisé la région
comme lieu de tournage. Nous avons une adresse approximative, alors le GPS
devra faire avec. Il commence par nous faire passer à côté de la distillerie,
qui a l’air à la fois typique, traditionnelle, et énorme à la fois. Le site
s’étend sur plusieurs hectares. Et puis ensuite c’est la découverte, un hameau
juste à côté s’appelle Billy (en soi ça ne défrise pas mémé), exactement comme…
Le fameux matou de Michel et Marie. Nous sommes donc sur la route à Billy, avec
une pensée émue pour le chat éponyme.
Les Dark Hedges, c’est avant
tout un lieu bien caché. On n’arrive pas dans la région par hasard (ce n’est
pas du tout à côté de la mer), tout d’abord. Il faut passer par des hameaux
sans réelle visibilité, habités de retraités et de paysans en embuscades avec
leurs tracteurs. Puis s’engager sur des routes de bocage traitresses, dont les
haies sont si hautes qu’on se croirait dans un labyrinthe végétal. Les locaux
sont toujours capables de surgir à 60 mph (100 !) alors que je n’ose pas
dépasser les 40. Bref, c’est un peu sportif. Mais si on a forcément une raison
d’être ici, il faut aussi compter sur la chance pour tomber sur l’Allée. Moi
qui m’imaginais le lieu comme une route classique, sur quelques kilomètres,
j’ai été surpris de découvrir que l’endroit en question faisait à tout casser
quatre cent mètres. On y arrive un peu comme devant la Salle sur Demande,
(lecteurs de Harry Potter, je vous salue), il faut le vouloir, et avoir un peu
de chance : dans les deux derniers kilomètres, nous tournons pour trouver
car l’ami GPS est parti aux fraises.
Mais finalement, ça vaut
vraiment la peine d’être venus. Imaginez-vous qu’au dix-septième siècle, l’un
des nobles les plus influents du coin (Les Stuart, pas un nom courant à
l’époque…) souhaitait un peu de cachet pour accueillir ses invités. La route
gravillonnée qui menait jusqu’à sa porte ne suffisait pas, ça ne faisait pas assez…
Ouais, riche, quoi. Donc voilà qu’il plante des hêtres de part et d’autre du
chemin. Eh bien les arbres sont toujours là, mais ils ont un peu grandi, au
point de se rejoindre au-dessus de la petite route de campagne. Les
enchevêtrements de grosses branches tissent comme une énorme mosaïque
naturelle, et donne au chemin une atmosphère mystique assumée. C’est
l’inversion des couleurs. Le soleil qui tape sur les champs alentours rayonne
par en dessous, tandis que la canopée absorbe toute lumière quand cette
dernière vient se perdre le long des branches. Magique. Trois voitures sont
garées ici, avec quelques touristes qui papotent et qui prennent quelques
photos. Nous allons prendre quelques clichés, mais il pleut un peu, et d’autres
voitures viennent s’ajouter. Rationnels jusqu’au bout, Julie et moi nous disons
que cette route doit bien avoir un second côté !
Nous passons donc sous les
Dark Hedges. Et je comprends le nom, parce que j’ai rarement aussi peu regardé
la route : on se sent absorbé, passionné par cette ambiance sombre et
mystérieuse. Il pleut quelques gouttes, mais les rais de lumière sont nombreux
entre les nuages noirs, augmentant encore les contrastes sous cette cathédrale
naturelle. Une fois de l’autre côté, nous sommes seuls. Garés dans un virage,
nous avons tout le champ pour revenir sur nos pas et contempler à pied (avec
toujours un regard par-dessus l’épaule pour ne pas se faire ratatiner) cette
petite merveille locale. Nous faisons quelques photos, au milieu de la route,
en sautant. Mais on sait aussi immédiatement que rien de tout cela ne pourra
transparaître sur le papier glacé. C’est une ambiance, une symbiose, un moment
unique. L’essence même de ce petit coin de campagne d’Irlande du Nord, entre les
gouttes de pluie qui luisent sur l’herbe mouillée, et les rayons de soleil qui
tentent de percer le couvert des hêtres, on se sent transposés dans un ailleurs
que connaissent bien les amateurs de fantasy.
Au retour, nous sommes dans
nos pensées. Je tente sans grande réussite de me concentrer sur la route, mais
ce n’est pas évident car il n’y a personne alentours. Le GPS nous ramène au
gite, et nos estomacs grondent. Nous aurons tout de même une conversation
importante sur les noms des villages du coin, qui sont faciles à inventer. Nous
avons en effet traversés Ballymoney, Ballycastle, passerons demain à Ballyntoy…
Il y a comme un schéma qui se répète, non ? Lorsque nous revenons à
Bushmills (Bushmills !) nous n’avons plus tellement d’inspiration pour
continuer notre découverte de la région. Il nous reste plus d’une heure et
demie avant le restaurant, mais ce soir nous nous sommes promis de prendre
l’apéritif, alors Julie et moi partons pour nous reposer au gite, et profiter
d’une grande douche dans cette grande cabine de notre grande salle de bain. Pas
seulement grande, au fait, elle est haute aussi. Comme cette partie de la
maison a été rajoutée en annexe, il a fallu qu’ils fassent preuve d’imagination
pour certaines pièces, comme notre salle de bain : la lumière y entre par
un vélux en puits de lumière, quatre mètres au-dessus. Cela donne un peu
l’impression de se doucher dans une chapelle, quand même.
L’heure est venue de remplir
ce grand vide, nos estomacs. Après plus d’une semaine (déjà !) de gras à
tous les repas, une moyenne calorifique qui doit approcher celle d’un sumo en
herbe, ce break de dix heures après un petit déjeuner dégueulasse (n’ayons pas
peur des mots) fait de l’effet. Guidés par les explications de notre super hôte
du B&B, nous partons à pied pour le Bushmills Inn. L’occasion de repérer un
Spar pour le déjeuner de demain (pas possible qu’on refasse une journée à
jeun), mais aussi de se rendre compte qu’il est beaucoup trop tôt pour notre
réservation, et que le centre-ville n’offre pas de grande distraction. Comme
prévu nous trouvons un pub. L’animation est surtout à l’arrière-plan, et nous
hésiterons longtemps avant de savoir si les huit personnes qui ont une
discussion animée et des exclamations tonitruantes sont dans tous leurs états à
cause de la compétition de Golf qui passe sur écran géant (ben quoi ? Il
doit bien y avoir des fans de Golf, aussi non ?) ou si c’est pour leurs
propres performances au billard. Bon je vous rassure, personne ne peut être
aussi excité en regardant du golf. Pour notre part, nous sommes au calme, avec
juste le Barmen qui fait sa vaisselle derrière le comptoir. Une fois encore
dans cette partie de l’Irlande du Nord, l’accueil est au rendez-vous : le
mec est super sympa, avec un sacré bagout.
L’occasion de commander de
bonnes bières. Michel observe du coin de l’œil la façon de servir sa Guinness
(un sans faute) tandis que je crois partir pour une bière locale avec une
Smithwick. Je ne l’apprendrai qu’au retour, mais la Smithwick est en fait la
version d’Irlande du Nord de la Killkenny. Pas étonnant qu’elle me paraisse
excellente ! Julie quant à elle compare à son tour Bulmers et Magners,
tout aussi identiques. Nous passons un bon moment, et les filles décident de
prendre leur revanche d’hier soir à la Scopa. Bien mal leur en prend, car
l’équipe des garçons marque encore de précieux points (à un moment, les filles
sont un peu dégoutées, tandis que nous sommes en confiance : en Irlande du
Nord, on n’a jamais perdu !). Tranquillement, nous regardons les locaux et
leur partie de billard, discutons des journées passées, et de nos attentes du
restaurant de ce soir. Et elles sont hautes. D’autant plus hautes que nous
entrons progressivement dans un brouillard un rien alcoolisé (rappelons que
nous n’avons rien mangé ou presque de la journée).
Lorsqu’arrive notre heure,
nous partons très excités pour le Bushmills Inn. Et, rien que de l’extérieur,
on peut le confirmer : c’est LE restaurant incontournable de Bushmills
(Bushmills !). Il faut d’abord passer sous un porche imposant, avant
d’arriver dans une cour qui doit être charmante sous le soleil, agrémentée de
tables en extérieur, de tonneaux judicieusement disposés, et d’une vigne qui se
répand du sol jusqu’à l’imposante enseigne, en rampant sur le crépi blanc
cassé. Il pleut lorsqu’on arrive, mais il ne faut pas s’y tromper : même
dans l’obscurité relative, nous reconnaissons un lieu qui dans une capitale
serait dédié à un budget que nous nous interdisons. Pourtant, nous avons déjà
observé la carte, elle n’est pas si inabordable ! En poussant au-delà du
seuil, nous sommes assaillis par une vague de douce chaleur, une odeur à la
fois naturelle et enveloppante… A notre gauche, une cheminée abrite un feu de
tourbe, alimenté par une dizaine de briquettes rougeoyantes, les mêmes que nous
avons vu extraites au cours de notre long périple jusqu’ici. Notre table n’est
pas encore libérée, mais une réceptionniste va judicieusement nous installer
dans les profonds fauteuils devant la cheminée pour que nous puissions étudier
la carte.
On hérite chacun de… Ce genre
de fauteuils, tu sais, dans lesquels on s’assied sans y penser, avant de
réaliser qu’on voudrait bien ne plus jamais avoir à s’en lever. Sensation
extraordinaire, nous n’avons pas encore commandé, ni touché à un apéritif ici, ni
mangé une seule miette, pourtant… rah, on est sacrément bien !
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