vendredi 15 août 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 41

Episode 41: Un petit pas pour l'homme...

On se rend compte que les Marches des Géants, c’est vraiment l’endroit le plus touristique que nous visitons depuis le début de notre long Road trip. Pourquoi ? Il y a une route, piétonne, qui va du visitor’s center jusqu’au pied des falaises, quatre cent mètres plus loin. Goudronnée. Avec des petites navettes qui conduisent obèses, personnes âgées et japonais jusqu’à bon port à raison d’une rotation toutes les dix minutes. Ici, on croise des plaques en bronze, qui signalent des rochers ayant une forme particulière. Comme si tous les cailloux, avec un peu d’imagination, ne pouvaient ressembler à autre chose qu’à des pierres (ok, beaucoup de seins et de fesses, mais où est  le mal ?)… Nous passons donc à côté de la formation du dromadaire (à leur décharge, ça ressemblait vraiment), et suivons la route sous les falaises. Le lieu devient de plus en plus grandiose, la côte étant constituée uniquement de grandes criques creusées dans le littoral par la mer. Les roches les plus solides sont restées avancées sur la mer tandis que les autres ont reculé, inexorablement. C’est donc comme une suite de scènes de théâtre, avec la côte en guise de gradins qui s’étend sur des kilomètres.

Alors que nous passons la dernière pointe avant les marches, nous apercevons un certain nombre de touristes, égayés sur les rochers avancés sur la mer, petites formes vacillant au gré du vent et de leurs courtes jambes. Pourtant, de là où nous sommes, il n’y a rien de géologiquement transcendant. Quelques colonnes basaltiques tout au plus, masquées par la végétation. Au bord de la mer, une version noircie des rochers du Burren, cette région où les pierres ressemblaient à des pruneaux d’Agen. Mais au fur et à mesure que nous nous approchons, on devine quelques formes plus géométriques. Les gros blocs sont comme coupés à la serpe, taillés puis striés de coupures. Parfois, on discerne comme de gros cristaux de basalte dedans. Deux cent mètres plus loin, nous y sommes. Les touristes, comme nous (ah, qu’est-ce qu’ils nous ressemblent, pour certains), quittent la route pour s’engager sur le bord de mer. Et certains de se baisser, de photographier leurs pieds, de jouer avec ce sol, passé d’un désordre tout naturel, chaos de roches brisées et roulées par les marées, à un tapis inégal de formes géométriques. Des Hexagones. Partout. Un rêve de prof de géométrie, transposé en 3D par une nature capricieuse et génie créative à la fois. Ces colonnes aux six facettes s’élèvent chacune à une autre hauteur, donnant en effet une impression de plots, ou de marches étalées sans discernement sur cette pointe étrange tendue vers la mer.

C’est très localisé, comme truc. L’avancée vers l’océan fait une sorte de dent, de deux cent mètres par deux cent au point le plus large… Autour, quelques colonnes se retrouvent sur les parois des falaises, comme de grandes orgues devant l’assemblée. Il n’y a plus grand monde sur la route qui se termine ici, pour que les navettes puissent faire demi-tour et repartir : tout le monde déambule gaiement sur les colonnes hexagonales qui s’alignent jusqu’à l’eau. Les vagues (rappelons qu’il ne fait pas très beau) qui viennent taper sur les roches sont du plus bel effet, et c’est un sujet photo à la fois connu et attirant : on ne reverra plus Michel avant une bonne dizaine de minutes. Julie photographie ses pieds, tandis que j’erre un peu sans but, déstabilisé un moment par le nombre de touristes qui nous entourent. Il faut en plus garder toute son attention sur l’équilibre. A cause des pluies de quelques minutes qui balaient toute la région, les sommets des Marches sont particulièrement glissants, et certaines ont les angles arrondis qui permettront parfaitement aux chaussures de marche de perdre l’adhérence. Je n’ai pas très envie de tomber là-dessus : ça a l’air trop anguleux pour être agréable.

Pourtant, tout autour de nous, c’est un peu le championnat du casse-cou ! Il y a une petite avancée sur la mer, nommée le « King’s Seat » qui permet normalement d’aller faire un vœu… A mon avis ça ne marche que si on souhaite une évacuation en hélicoptère : les gens en petites claquettes n’hésitent pas à franchir sur la pointe des pieds un goulot parfois recouvert par l’eau, puis à escalader les marches glissantes pour se retrouver comme des malins à deux mètres au-dessus du niveau de la mer… Ce qui ne les protège même pas des embruns qui tapent sur ce rocher comme un forgeron sur une lame. Pour arranger le tout, on peut dire que bon nombre d’entre eux, surtout les asiatiques, ne sont pas DU TOUT habillés pour la pluie. Nous avons donc un ensemble magnifiques de capes de pluies, qui ressemblent à s’y méprendre à des sacs poubelles colorés. J’avoue, je m’y perds un peu : la curiosité géologique et la beauté du paysage cèdent le pas à l’observation des gens qui nous entourent, au moins également passionnants. J’essaie de me mettre à la place de cette dame de cent trente kilos qui tente d’escalader des roches plus hautes que ses genoux, en claquettes et son Iphone à la main. J’essaie de comprendre ce que peut ressentir ce petit garçon, trempé comme une soupe pour s’être trop près approché de la mer, tiré par ses parents français énervés. Mais enfin ça n’arrivera pas à la cheville des chinois, tout au bout de cette avancée sur la mer. Assis sur les dernières roches hexagonales, dos à la mer, ils sont tous regroupés pour une photo, capuches baissées et sourires jusqu’aux oreilles. J’irai jusqu’à m’arrêter pour les voir attendre… Un gros ressac. L’eau jaillit, dans un « floc » caractéristique, loin au-dessus de leur tête, pour leur retomber dessus dans un ballet élégant et humide. Mais quelle joie ! A les voir heureux, se taper sur l’épaule en riant de ces sensations fortes, je les envie un moment.

Eh, ben ! C’est que ce lieu unique a un effet différent sur chacun ! Moi, j’ai eu mon quart d’heure d’ethnologie, d’émotion, de repli sur moi. Michel a capturé le mouvement des vagues qui jouent avec la pierre mouillée. Marie s’est assise près du point culminant, et observe la baie en prenant le soleil. Julie déambule de gauche et de droite et mitraille aussi bien les touristes que ces curieux cailloux qui nous ont tous amenés ici. Après un dernier tour (finalement, c’est sacrément regroupé, pour une curiosité géologique !), nous partons vers l’ouest, histoire de rejoindre le sentier côtier sur les falaises : il va falloir remonter. C’est la pluie qui fait son apparition par contre, après s’être annoncée à coup de nuages d’une intensité assez dramatique pour passer les appareils photos en mode « noir et blanc ». Bien entendu, ça ne durera pas, on voit une fois de plus le beau temps poindre juste derrière, et déjà le grain suivant à l’horizon. C’est assez régulier comme météo, il suffit d’avoir les K-ways a moins de deux minutes de préavis !

Lorsque nous prenons un peu de hauteur, nous avons une meilleure vue sur les terres qui s’étendent au-delà de l’océan… Car oui, si ce sont bien des îles que nous voyons se dessiner en un trait prononcé au-dessus de la ligne d’eau, elles ne sont pas Irlandaises : à une cinquantaine de kilomètres, c’est l’Ecosse ! Moment souvenir pour Julie et moi, même si nous n’avons jamais été sur l’île de Mull : ces terres nues et sauvages nous ont envouté pour de bon. Arrivés au premier tiers de la montée (sans forcer), nous faisons le même arrêt que tous les autres visiteurs, c’est-à-dire quelques photos des orgues de basalte incrustés dans la pente à la verticale. Ces blocs, que l’on dirait empilés comme des colonnes naturelles, sont de véritables curiosités. En plus, leur taille est imposante : il y a largement la place de se tenir debout entre deux colonnes, histoire de donner une échelle à ce grand assemblage géométrique… Tout le monde y passe, à tel point qu’il y a une file d’attente ! Si d’habitude je ne suis pas friand de ce genre de rituel, Julie insiste à juste titre : quitte à avoir quelqu’un sur la photo au milieu des hexagones, autant que ce soit elle et pas une mégère ou un beauf à casquette casino.


Ensuite, eh bien c’est la montée jusqu’au bord de la falaise ! Une cinquantaine de mètres de dénivelé sec, avec des marches histoire de bien réveiller les jambes pour la partie qui suivra. Histoire aussi de montrer à tous ces pécores que non, nous sommes de vrais marcheurs, avec des chaussures de marche, les mollets qui vont avec et qu’ils peuvent se sentir honorés d’avoir réussi à nous suivre jusque-là. Ah, je sais, nous sommes magnanimes, parfois… En réalité, je ne suis pas seul à frôler l’overdose de gens, d’asiatiques mal préparés et de familles clichés au possible. Vite, un peu de nature ! Arrivés en haut, un peu essoufflés, nous faisons un petit point carte, pour continuer à l’ouest. On ne risque pas de se perdre : il y a des falaises à perte de vue, avec autant de criques et de pentes vertigineuses, et des vagues qui viennent en percuter les pieds dans de magnifiques gerbes d’écume. Nous marchons une centaine de mètres à peine avant de nous rendre compte qu’il y a quelque chose qui a changé. 

Et pour savoir quoi, il suffit en effet de regarder à droite et à gauche : il n’y a plus que nous, et la nature. 

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