vendredi 22 août 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 43

Episode 43: A château, château et demi

Naturellement, la visite commencée, il n’y a plus personne dans toute l’enceinte murée, si ce n’est nous et le guide. Enfin, presque. Deux allemands viennent en courant se rajouter à notre petit groupe, et nous suivons notre guide pendus à ses lèvres, que les filles trouveront fort jolies d’ailleurs. Il faut dire que le type est un passionné, cela se sent, non seulement dans la quantité affolante de détails qu’il est capable de donner sur le Dunluce Castle, mais aussi à sa manière de les raconter. Nous qui aimons l’humour un peu potache sommes tout à fait dans l’ambiance, sauf peut-être Marie, qui à cause de la compréhension de cet anglais oral et accentué, a parfois quelques secondes de retard. Nous aurons même le temps, avec Michel, de faire quelques prises de vues entre chaque arrêt de notre guide : comme il n’y a que nous, il n’est pas spécialement pressé par le temps.

Disons-le tout de suite, les bâtiments situés côté continental ne sont pas (et de loin) les plus intéressants. Il s’agissait déjà à l’époque d’un ensemble hétéroclite de fonctions essentielles à la vie d’une place forte (la forge entre autres) et d’appartements spacieux destiné aux invités (sauf les plus exclusifs qui pouvaient résider sur le roc). Avec l’écurie, qui dans son état actuel est plus à imaginer qu’autre chose, nous avons vite fait le tour de cette partie du Dunluce Castle. Il y a un puits, quelques restes de bâtiments plus ou moins reconstitués. Là où tout cela devient beaucoup plus intéressant, c’est en s’approchant de la minuscule passerelle qui sépare le fortin sur son rocher et la partie sur la falaise : les murs font un entonnoir d’une cinquantaine de mètres de long, se réduisant jusqu’à la largeur d’un seul cavalier : pas besoin de beaucoup d’explications pour comprendre le génie défensif qui se cache derrière une telle disposition… Un seul type un peu doué à l’épée peut tenir le pont à lui tout seul : le nombre d’assaillants ne peut que les gêner !

Ajoutons à cela que, de l’autre côté de la passerelle, il y a tout une tour de pierre incluant meurtrières et mâchicoulis, herse et quelques couchages pour les huit ou neuf gars qui peuvent mitrailler tout ce qui arrive avec précision… Vous aurez compris que prendre d’assaut ce type de forteresse doit se révéler plus difficile que de trouver un restau ouvert à Londonderry. Pourtant, en écoutant le guide, on s’aperçoit que la place a changé de main par la force à quatre ou cinq reprises ! C’est la preuve que finalement, quand on met trop de défenses devant, les assaillants sont plus motivés par l’idée de grimper vingt mètres le long d’une corde au bout d’un grappin… Il y a eu bien plus de scénarios de trahisons, de gardes achetés et de « je-te-balance-de-la-haut-il-y-a-une-belle-vue » que d’histoires façon « Gouffre de Helm » par ici. Une fois dans la petite cour intérieure, nous sommes fascinés par le bâtiment principal, qui affiche un air bien plus avenant avec ses colonnades, que le reste des murs. Tout simplement parce que c’était une salle d’audience, et que j’imagine que les colonnades c’est bien, mais qu’en cas d’assaut par la mer, dix-huit tonnes de roches et de mortier, c’est plus solide. Bref nous faisons tout le tour de cet extraordinaire château, en s’interrogeant sur les étages, sur la disposition des pièces il y a de cela six cent ans. Je m’imagine de garde une nuit de tempête, en plein hiver… J’espère que le whiskey allégeait un peu la tâche !

Il y a aussi les anecdotes spécifiques au Dunluce Castle… Déjà, cette petite pièce découverte par les archéologues, contenant des objets datés du début des raids vikings, prouvant que les gens venaient déjà prendre refuge sur ce rocher. Motivés, les pécores ! Puis ce petit réduit, accolé aux cuisines, avec une unique petite fenêtre. Le guide nous fait rentrer, et puis raconte. Le châtelain de l’époque, apprenant que sa fille unique s’était entichée d’un simple soldat, entra dans une fureur noire. Pour empêcher les tourtereaux de se voir, il enferma sa propre fille dans ce petit réduit, qu’il fit équiper d’un petit lit et d’une minuscule armoire. Elle n’avait rien d’autre à faire de toute la journée, que de balayer. On l’entendait ainsi, du matin au soir, frotter et frotter encore. Mais voilà que l’amour ne disparaît pas d’un coup de balai. Toujours amoureuse de cet homme du peuple, la belle finit par s’échapper du réduit par une nuit sans lune, aidée par un autre garde du château. Pour ne pas éveiller les soupçons, son amoureux était venu la chercher en barque, au pied du roc, et la fit descendre à l’aide d’une corde… En réalité, la manœuvre n’avait pas échappé au châtelain, mais voyant que sa première idée n’avait pas l’effet escompté, il laissa partir sa fille, en espérant que la vie d’une femme du bas peuple la révulserait bientôt, et qu’elle reviendrait bientôt quémander sa place à ses côtés.

Mal lui en prit : on retrouva le lendemain matin les restes de la barque, éparpillés sur toute la plage, et les corps des deux amants unis pour l’éternité dans la mort froide. Mais depuis, on raconte que par les nuits sans lune, on entend toujours dans ce petit réduit, l’âme de la jeune femme revenir, prendre ce balai, frotter et frotter encore… Alors je ne sais pas vous, mais moi, j’ai bien aimé ! On n’est pas en Ecosse (patrie des fantômes, si vous ne saviez pas) mais l’effet est bien là ! La visite continue, et nous visitons les ruines que, sans le guide nous aurions juste traversé sans y prêter plus attention. Sous ses mots par contre, elles deviennent salles de banquet, fournil, atelier… Ce sont les petits détails qui rendent la visite passionnante, comme ces motifs au sol que l’on trouve vaguement familiers… Les bâtisseurs de l’époque, pas idiots, avaient bien compris l’intérêt de disposer à quelques kilomètres de là, d’un bord de mer entièrement constitué de pierres hexagonales ! Le type ira même jusqu’à glousser aux deux allemands qu’ils n’ont pas besoin d’aller à la Giant’s Causeway, parce qu’ils auront tout vu à la fin de la visite (il est pas modeste, lui…) !

Il va nous quitter au fond de la cour, en face d’une rambarde qui surplombe le vide. Visiblement pressé parce que le tour a duré bien plus longtemps que prévu, notre guide ne pourra pas se retenir de nous compter une dernière anecdote. Elle se déroule au temps de la grande opulence du comté de Dunluce, alors que le secteur est un pont commercial majeur entre l’Irlande et l’Ecosse. C’est une femme qui est à la régence du château, et elle a décidé de réunir toutes les personnalités de l’Irlande du Nord et de l’île de Mull pour un grand banquet. C’est un évènement qui n’a pas vraiment son pareil à l’époque, alors chacun de ces nobles va venir en amenant sa suite. La pression sur le personnel est énorme, il faut donner le meilleur de ce que la région peut fournir. Sauf que voilà, le jour venu, une gigantesque tempête fait rage au dehors. Qu’à cela ne tienne, rien ne doit transparaître sur le banquet, la salle de réception est bien à l’abri derrière les hautes murailles ! Tout se passe correctement, jusqu’au plat de résistance. Alors que les convives finissent leurs assiettes, un grand craquement se fait entendre, qui résonne dans toute la salle. De quoi peut-il bien s’agir ? Rien de moins qu’une partie des cuisines, au gré d’une rafale plus forte qu’une autre, et peut-être sous l’action d’une vague plus forte qu’une autre sur ce rocher exposé… La moitié de la pièce a dégringolé douze mètres plus bas, emportant six des meilleurs cuisiniers de la région. L’anecdote est bien dramatique, mais elle prend une autre dimension lorsqu’on apprend que, observant le carnage, la première réaction de la comtesse aurait été « oh mon Dieu, mais comment allons-nous faire pour le dessert ? ». 
Epic.

Le temps se couvre un peu, et nous remontons jusqu’au parking, ou d’autres touristes se massent pour tenter de prendre un cliché à travers les grilles. Leur restera-t-il un centième de ce que nous retiendrons de cette visite ? J’en doute fort. Pour se donner une idée, nous allons également descendre au pied du roc, sous la muraille et sous la passerelle. Le chemin est inégal et glissant (nous sommes en chaussures de ville, pour une fois), mais une belle surprise nous attend lorsque nous atteignons le niveau de la mer. En effet si le fait de vivre dans un château en surplomb d’un roc isolé par la mer rattaché par une fragile passerelle ne suffisait pas, il se trouve que le rocher en question est creux, et pas qu’un peu : on distingue la lueur du jour qui se reflète sur l’eau clapotant là, à vingt mètres sous la salle de bal. Nous remontons les marches (ne pas glisser, ne pas glisser) jusqu’au parking avec un respect renouvelé pour les bâtisseurs du moyen-âge. Une fois à la voiture, je tiens à aller photographier le bâtiment avec un plan plus large. Il y a une corniche de deux cent mètres qui permet le voyage, mais je ne la parcourrai qu’avec Julie, nos deux compères étant un peu à bout de forces.


Après les quelques clichés (ils sont magnifiques) et quelques bisous (mais ça ne vous regarde pas) nous revenons à la voiture. Julie et moi sommes encore en forme, et il faut dire que le plan miniature de la région nous fait de l’œil avec tous ces petits joyaux de lieux à visiter. Pourtant, nous allons d’abord déposer Michel et Marie au B&B. Mon ami s’est déjà endormi sur la place arrière (grosse fatigue !) et Marie préfère se ménager. Cela ne nous gênera pas outre mesure, nous nous arrangeons en effet pour reporter au lendemain matin la visite de la côte locale : cela nous permettra un véritable arc de cercle avant de descendre au Sud sur Belfast. Tout de même, avant de reprendre la voiture, nous demandons quatre ou cinq fois à nos amis si ça ne les dérange pas que nous continuions sans eux. Manifestement non, puisqu’à l’arrivée au B&B, il faut pratiquement les transborder en brouette jusqu’à leur chambre. A la sieste ! 

Et à Julie et moi l’aventure. 

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