Naturellement, la visite
commencée, il n’y a plus personne dans toute l’enceinte murée, si ce n’est nous
et le guide. Enfin, presque. Deux allemands viennent en courant se rajouter à
notre petit groupe, et nous suivons notre guide pendus à ses lèvres, que les
filles trouveront fort jolies d’ailleurs. Il faut dire que le type est un
passionné, cela se sent, non seulement dans la quantité affolante de détails
qu’il est capable de donner sur le Dunluce Castle, mais aussi à sa manière de
les raconter. Nous qui aimons l’humour un peu potache sommes tout à fait dans
l’ambiance, sauf peut-être Marie, qui à cause de la compréhension de cet
anglais oral et accentué, a parfois quelques secondes de retard. Nous aurons
même le temps, avec Michel, de faire quelques prises de vues entre chaque arrêt
de notre guide : comme il n’y a que nous, il n’est pas spécialement pressé
par le temps.
Disons-le tout de suite, les
bâtiments situés côté continental ne sont pas (et de loin) les plus
intéressants. Il s’agissait déjà à l’époque d’un ensemble hétéroclite de
fonctions essentielles à la vie d’une place forte (la forge entre autres) et
d’appartements spacieux destiné aux invités (sauf les plus exclusifs qui
pouvaient résider sur le roc). Avec l’écurie, qui dans son état actuel est plus
à imaginer qu’autre chose, nous avons vite fait le tour de cette partie du
Dunluce Castle. Il y a un puits, quelques restes de bâtiments plus ou moins
reconstitués. Là où tout cela devient beaucoup plus intéressant, c’est en
s’approchant de la minuscule passerelle qui sépare le fortin sur son rocher et
la partie sur la falaise : les murs font un entonnoir d’une cinquantaine
de mètres de long, se réduisant jusqu’à la largeur d’un seul cavalier :
pas besoin de beaucoup d’explications pour comprendre le génie défensif qui se
cache derrière une telle disposition… Un seul type un peu doué à l’épée peut
tenir le pont à lui tout seul : le nombre d’assaillants ne peut que les
gêner !
Ajoutons à cela que, de
l’autre côté de la passerelle, il y a tout une tour de pierre incluant
meurtrières et mâchicoulis, herse et quelques couchages pour les huit ou neuf
gars qui peuvent mitrailler tout ce qui arrive avec précision… Vous aurez
compris que prendre d’assaut ce type de forteresse doit se révéler plus
difficile que de trouver un restau ouvert à Londonderry. Pourtant, en écoutant
le guide, on s’aperçoit que la place a changé de main par la force à quatre ou
cinq reprises ! C’est la preuve que finalement, quand on met trop de
défenses devant, les assaillants sont plus motivés par l’idée de grimper vingt
mètres le long d’une corde au bout d’un grappin… Il y a eu bien plus de
scénarios de trahisons, de gardes achetés et de
« je-te-balance-de-la-haut-il-y-a-une-belle-vue » que d’histoires
façon « Gouffre de Helm » par ici. Une fois dans la petite cour
intérieure, nous sommes fascinés par le bâtiment principal, qui affiche un air
bien plus avenant avec ses colonnades, que le reste des murs. Tout simplement
parce que c’était une salle d’audience, et que j’imagine que les colonnades
c’est bien, mais qu’en cas d’assaut par la mer, dix-huit tonnes de roches et de
mortier, c’est plus solide. Bref nous faisons tout le tour de cet
extraordinaire château, en s’interrogeant sur les étages, sur la disposition
des pièces il y a de cela six cent ans. Je m’imagine de garde une nuit de tempête,
en plein hiver… J’espère que le whiskey allégeait un peu la tâche !
Il y a aussi les anecdotes
spécifiques au Dunluce Castle… Déjà, cette petite pièce découverte par les
archéologues, contenant des objets datés du début des raids vikings, prouvant
que les gens venaient déjà prendre refuge sur ce rocher. Motivés, les
pécores ! Puis ce petit réduit, accolé aux cuisines, avec une unique
petite fenêtre. Le guide nous fait rentrer, et puis raconte. Le châtelain de
l’époque, apprenant que sa fille unique s’était entichée d’un simple soldat,
entra dans une fureur noire. Pour empêcher les tourtereaux de se voir, il
enferma sa propre fille dans ce petit réduit, qu’il fit équiper d’un petit lit
et d’une minuscule armoire. Elle n’avait rien d’autre à faire de toute la
journée, que de balayer. On l’entendait ainsi, du matin au soir, frotter et
frotter encore. Mais voilà que l’amour ne disparaît pas d’un coup de balai.
Toujours amoureuse de cet homme du peuple, la belle finit par s’échapper du
réduit par une nuit sans lune, aidée par un autre garde du château. Pour ne pas
éveiller les soupçons, son amoureux était venu la chercher en barque, au pied
du roc, et la fit descendre à l’aide d’une corde… En réalité, la manœuvre
n’avait pas échappé au châtelain, mais voyant que sa première idée n’avait pas
l’effet escompté, il laissa partir sa fille, en espérant que la vie d’une femme
du bas peuple la révulserait bientôt, et qu’elle reviendrait bientôt quémander
sa place à ses côtés.
Mal lui en prit : on
retrouva le lendemain matin les restes de la barque, éparpillés sur toute la
plage, et les corps des deux amants unis pour l’éternité dans la mort froide.
Mais depuis, on raconte que par les nuits sans lune, on entend toujours dans ce
petit réduit, l’âme de la jeune femme revenir, prendre ce balai, frotter et
frotter encore… Alors je ne sais pas vous, mais moi, j’ai bien aimé ! On
n’est pas en Ecosse (patrie des fantômes, si vous ne saviez pas) mais l’effet
est bien là ! La visite continue, et nous visitons les ruines que, sans le
guide nous aurions juste traversé sans y prêter plus attention. Sous ses mots
par contre, elles deviennent salles de banquet, fournil, atelier… Ce sont les
petits détails qui rendent la visite passionnante, comme ces motifs au sol que
l’on trouve vaguement familiers… Les bâtisseurs de l’époque, pas idiots,
avaient bien compris l’intérêt de disposer à quelques kilomètres de là, d’un
bord de mer entièrement constitué de pierres hexagonales ! Le type ira
même jusqu’à glousser aux deux allemands qu’ils n’ont pas besoin d’aller à la
Giant’s Causeway, parce qu’ils auront tout vu à la fin de la visite (il est pas
modeste, lui…) !
Il va nous quitter au fond de
la cour, en face d’une rambarde qui surplombe le vide. Visiblement pressé parce
que le tour a duré bien plus longtemps que prévu, notre guide ne pourra pas se
retenir de nous compter une dernière anecdote. Elle se déroule au temps de la
grande opulence du comté de Dunluce, alors que le secteur est un pont
commercial majeur entre l’Irlande et l’Ecosse. C’est une femme qui est à la
régence du château, et elle a décidé de réunir toutes les personnalités de
l’Irlande du Nord et de l’île de Mull pour un grand banquet. C’est un évènement
qui n’a pas vraiment son pareil à l’époque, alors chacun de ces nobles va venir
en amenant sa suite. La pression sur le personnel est énorme, il faut donner le
meilleur de ce que la région peut fournir. Sauf que voilà, le jour venu, une
gigantesque tempête fait rage au dehors. Qu’à cela ne tienne, rien ne doit
transparaître sur le banquet, la salle de réception est bien à l’abri derrière
les hautes murailles ! Tout se passe correctement, jusqu’au plat de
résistance. Alors que les convives finissent leurs assiettes, un grand
craquement se fait entendre, qui résonne dans toute la salle. De quoi peut-il
bien s’agir ? Rien de moins qu’une partie des cuisines, au gré d’une
rafale plus forte qu’une autre, et peut-être sous l’action d’une vague plus
forte qu’une autre sur ce rocher exposé… La moitié de la pièce a dégringolé
douze mètres plus bas, emportant six des meilleurs cuisiniers de la région.
L’anecdote est bien dramatique, mais elle prend une autre dimension lorsqu’on
apprend que, observant le carnage, la première réaction de la comtesse aurait
été « oh mon Dieu, mais comment allons-nous faire pour le
dessert ? ».
Epic.
Le temps se couvre un peu, et
nous remontons jusqu’au parking, ou d’autres touristes se massent pour tenter
de prendre un cliché à travers les grilles. Leur restera-t-il un centième de ce
que nous retiendrons de cette visite ? J’en doute fort. Pour se donner une
idée, nous allons également descendre au pied du roc, sous la muraille et sous
la passerelle. Le chemin est inégal et glissant (nous sommes en chaussures de
ville, pour une fois), mais une belle surprise nous attend lorsque nous
atteignons le niveau de la mer. En effet si le fait de vivre dans un château en
surplomb d’un roc isolé par la mer rattaché par une fragile passerelle ne
suffisait pas, il se trouve que le rocher en question est creux, et pas qu’un
peu : on distingue la lueur du jour qui se reflète sur l’eau clapotant là,
à vingt mètres sous la salle de bal. Nous remontons les marches (ne pas
glisser, ne pas glisser) jusqu’au parking avec un respect renouvelé pour les
bâtisseurs du moyen-âge. Une fois à la voiture, je tiens à aller photographier
le bâtiment avec un plan plus large. Il y a une corniche de deux cent mètres
qui permet le voyage, mais je ne la parcourrai qu’avec Julie, nos deux compères
étant un peu à bout de forces.
Après les quelques clichés
(ils sont magnifiques) et quelques bisous (mais ça ne vous regarde pas) nous
revenons à la voiture. Julie et moi sommes encore en forme, et il faut dire que
le plan miniature de la région nous fait de l’œil avec tous ces petits joyaux
de lieux à visiter. Pourtant, nous allons d’abord déposer Michel et Marie au
B&B. Mon ami s’est déjà endormi sur la place arrière (grosse
fatigue !) et Marie préfère se ménager. Cela ne nous gênera pas outre
mesure, nous nous arrangeons en effet pour reporter au lendemain matin la
visite de la côte locale : cela nous permettra un véritable arc de cercle
avant de descendre au Sud sur Belfast. Tout de même, avant de reprendre la
voiture, nous demandons quatre ou cinq fois à nos amis si ça ne les dérange pas
que nous continuions sans eux. Manifestement non, puisqu’à l’arrivée au
B&B, il faut pratiquement les transborder en brouette jusqu’à leur chambre.
A la sieste !
Et à Julie et moi l’aventure.
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