samedi 2 août 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 38

Episode 38: A Derry sage

Une fois dans le brouillard au sommet d'Errigal, nous ne nous sommes pas inquiétés plus que cela, parce que même si la visibilité est minimale, on ne peut pas dire que la trace soit difficile à trouver : il n’y a pas moyen de se perdre dans le coin. Et heureusement parce qu’au vu des dénivelés, il y est possible de redescendre très, très vite. Non, nous préférons nous amuser quelques minutes de l’humidité incroyable qui nous enveloppe : les lunettes sont bientôt recouvertes de buée, et d’une fine pellicule d’eau, qui éclate en un kaléidoscope de gouttelettes lorsque je bouge un peu. Les cheveux de chacun, et des filles en particulier, sont également trempés en quelques instants. Notre appareil photo est vite mis dans le sac, tandis que Marie profite de l’étanchéité de leur compact pour mitrailler cette situation singulière. Avouons-le quand même, nous aurions préféré faire quelques panoramas bien dégagés du coin, puisqu’on sait que c’est une véritable claque de beauté. A la place de quoi nous mangeons nos bananes dans le calme avant de prendre le chemin du retour.

Tout le chemin de crête est envahi par le nuage, qui passe paresseusement sur le sommet. On voit clairement les volutes évoluer de droite à gauche, nous entourer et repartir de l’autre côté, comme dans un dessin animé : c’est un véritable brouillard à couper au couteau. Nous faisons bien attention à ne pas rater le sentier (encore une fois, ce n’était pas difficile) avant d’entamer la vraie descente passé le cairn du sommet. Là, il y a la véritable partie ennuyeuse : non seulement on n’y voit guère, mais en plus la descente est particulièrement technique. Plus encore qu’en montée, nos chaussures perdent rapidement l’adhérence. Il ne se passe pas dix secondes sans que l’un d’entre nous ne fasse un désagréable bruit de dérapage. Et l’on a beau savoir très bien tomber, ça ne donne pas très envie : nos réflexes sont mis à rude épreuve. Ce n’est qu’au bout de cinq bonnes minutes que l’on émerge du nuage, presque d’un seul coup.

Quelle symphonie pour nos yeux ! Avec le nuage en plafond, qui étend ses griffes vaporeuses sur les hauteurs, on a l’impression d’avoir comme un plafond blanc, véritable cadre pour les monts alentour. Quelques rideaux de pluie s’éloignent sur l’herbe verte, et on distingue à quelques kilomètres des rayons de soleil transperçant la couche de nuage pour aller illuminer quelques hectares qui brillent de toutes leurs couleurs irlandaises. Le calvaire se transforme en plaisir de descendre avec un tel décor étendu devant nous, comme une scène, comme un écran géant de cinéma. On ne peut pas plus toucher ces sommets, mais on peut sentir l’air frais, respirer l’iode de la mer mêlée à la pluie. Quelle splendeur, on ne s’en lasse pas. 

Frustrés tout de même de n’avoir pas eu plus que quelques secondes du côté ouest dégagé, Michel et moi profitons d’un rayon de soleil pour faire les aventuriers du risque. Nous traversons le gigantesque pierrier qui occupe la moitié haute de la montagne pour changer de point de vue. A l’horizontale, comme des chamois, nous sautons de pierre en pierre jusqu’à obtenir la vue désirée. Ce n’est pas toujours sans quelques frissons dans le dos (toujours se tenir prêt à lancer un dernier Adieu, au cas où), mais c’est aussi l’adrénaline qu’il fallait dans un tel moment de grandiose paysage. Revenus auprès de nos femmes respectives, nous prendrons le temps (surtout Michel) d’avoir la meilleure vue offrant ce contraste unique entre montagne cachée par les nuages, et plaine baignée par les rayons visibles du soleil.

Revenus au premier cairn, nous avons les jambes en compote. Il faut dire que se retenir en permanence est exigeant (Julie et moi avons passé une grande partie de la descente à se tenir par la main, à force de glisser sans moyens de se redresser) ! Michel n’y tient plus. A peine a-t-il bu quelques gorgées pour se réhydrater qu’il part en courant sur ce versant abrupt, menant la charge contre d’invisibles envahisseurs, et à gorge déployée. Je tenterai bien de le suivre à sa première course, mais l’intrépide est parti trop vite et trop loin… Comme je ne me fais pas assez confiance pour ne pas m’étaler tête la première dans la caillasse, je laisse filer. Et finalement nous allons descendre en courant main dans la main avec Julie, comme nous l’avions fait il y a quelques mois sur les versants de l’Etna. Michel, bon prince, nous attend après chaque section de plus d’une centaine de mètres, et bientôt nous pouvons le suivre, même si c’est à distance : nous sommes revenus sur la partie herbeuse (et mouillée) du Mont Errigal. Et si nous sommes toujours émerveillés devant le paysage, nous rions comme des gamins. Sautant de motte en motte, nous suivons Michel qui fait résonner ses « chboing chboing chboing » sur toute la pente, à en faire tourner la tête aux quelques locaux qui tentent l’ascension dans ce milieu d’après-midi.

Malheureusement, nous avons fini par revenir dans la partie franchement technique qui consiste à éviter à nos chaussettes de périr noyées dans d’atroces souffrances (et à finir de dégueulasser la voiture par la même occasion). Comme en plus il a plu depuis notre passage à l’aller, le sol est encore un peu plus détrempé… Mais cela aide aussi : il y a de véritables petits ruisseaux qui se sont constitués un peu partout, et c’est plus facile de les voir pour ensuite sauter par-dessus. Nous prenons la chose très à cœur, en cherchant toujours le chemin le plus optimal, ce qui à la fin nous permet de passer assez vite cette zone dite « de Sproutch ». Il reste qu’à une cinquantaine de mètres du parking, la dernière traversée de ruisseau est assez sportive. Michel passe sans aucun souci, mais lorsque Marie veut s’élancer, la motte la plus proche de la boue s’effondre, aussi va-elle tomber sur le côté, pour se relever rapidement. Un peu saoulée, elle va finir la traversée sans plus de considération pour ses chaussures. Julie, qui en a plein les jambes, va adopter la même technique, en passant très rapidement pour limiter les dégâts. Il n’y a finalement que moi (rappelons que je suis pas mal plus lourd que Michel) qui vais tenter le saut final… Et le réussir ! Cependant, comme j’ai mis à peu près cinq minutes à me préparer mentalement, tous les autres tournent rapidement le dos à mon exploit sportif pour arriver plus rapidement au parking.

Ce dernier s’est bien vidé depuis notre arrivée (il devait y avoir au moins trois bagnoles pour la famille des inconscients en sandales… Tiens mais au fait, on n’a vu ni hélicoptère ni ambulances : ils sont passés !). La route aussi, ce qui va me permettre de faire une ou deux photos sur le macadam, à quelques centimètres de l’asphalte, pour souligner la perspective. Une fois changés, même si on se sent encore sales, nous reprenons la route. Déserte sur une trentaine de kilomètres dans les montagnes, elle nous offre un dernier regard sur le Donegal, région inoubliable pour ses falaises, le mont Errigal et son Fish and Ships. Et nous la quittons dans l’heure suivante pour un autre comté, et même un autre pays : nous entrons en Irlande du Nord, via la nationale qui nous conduit à Londonderry. Au passage, il ne faut jamais prononcer le « London » et donc s’en tenir à Derry, sous peine de regard de travers (peine minimum). On aurait tendance à croire que la situation en Irlande du Nord est plus ou moins stable et calme depuis la fin des années 80, mais en fait pas du tout. C’est donc la gorge serrée que nous apprenons en entrant dans la ville, sur la radio, qu’une « fausse » manifestation à Belfast était en fait un guet-apens, et que 88 policiers ont été blessés par les groupes de vandales. Ambiance…

On sent tout de suite en entrant à Derry, que les villes d’Irlande du Nord ont quelque chose de dérangeant, comme un sentiment de tension qui flotte dans l’air et nous laisse un peu sur nos gardes. Comme par exemple lorsque l’on passe à côté d’un poste de police. Enfin, d’un château de police. Des murs de cinq mètres, surmontés de barbelés, au moins quatre mats truffés de caméras orientées dans tous les sens, et une entrée avec une fosse et une guérite ! Quant aux véhicules, ils tiennent plus d’un croisement entre un chasse-neige (lame incluse) et un blindé léger. Vraiment, ça met en confiance ! Déjà qu’il faut perpétuellement que je regarde le compteur pour faire du calcul mental (eh oui, ici, on est en milles ! On paye avec des Livres ! Quel bordel !).

Je suis un peu stressé lorsque nous arrivons près de notre hôtel, car les gens autour ont une tendance à rouler un peu n’importe comment, et que je suis un peu fatigué. Ce qui explique sans doute pourquoi je vais (un peu) aboyer sur Julie lorsque cette dernière va nous guider droit dans une impasse après un rond-point… Alors que j’avais dit que ce ne serait pas par la ! Bref. Cent cinquante mètres plus loin, nous pouvons nous garer et rentrer dans notre B&B du jour, qui tient plus du petit hôtel qu’autre chose. La tenancière nous accueille sans joie débordante non plus, et nous donne nos clefs plutôt que de nous amener à nos chambres (ça fait un peu objet de quête…). Julie et moi avons le plus difficile à monter, puisqu’un palier et demi à grimper sur ce petit escalier avec le sac sur l’épaule, c’est sportif ! Il faudra aussi improviser pour trouver ou mettre le sac dans la chambre, car cette dernière est minuscule, même si elle inclut la salle de bains. Entre la vue (magnifique) sur un muret de briques à deux mètres de la fenêtre, le carrelage fendu de la douche et la poussière un peu partout, nous sommes un rien déçus… D’autant qu’à Derry, ce n’était pas gratuit !


On ne savait pas encore que nous étions le couple le plus chanceux des deux !

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