lundi 18 août 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 42

Episode 42: L'appel du vide

Extraordinaire. Il n’y a pas d’autre mot pour décrire cette incroyable ballade au sommet des falaises de la Giant’s Causeway. On ne s’y ennuie jamais, pour commencer : il y a toujours un but atteignable en quelques minutes, en l’occurrence un à-pic au-dessus de l’océan bien animé, puis le suivant… Aucun ne ressemble vraiment au suivant, alors nous nous précipitons à chaque fois sur ces avancées de terre qui ont l’air parfois en équilibre précaire. Marie passera quelques fois son tour lorsqu’il s’agit d’aller au bord, et à raison : c’est beaucoup plus dangereux qu’à la Downpatrick’s Head. En effet ici, derrière quelques touffes d’herbe parfois bien accueillante, se cache une chute sur des rochers acérés, battus par le vent et les vagues. Mais si toutefois je voulais choisir de sauter d’une falaise, je serais facilement dans mon top 10. Le paysage est grandiose, tout en éléments mouvants, que ce soient les nuages, les vagues, le vent qui balaie les crêtes, les vaches qui mastiquent quelques dizaines de mètres derrière la ligne de côte… Il y a une grandeur toute épique à cette petite randonnée, qui va d’ailleurs s’allonger au fur et à mesure que l’on s’éloigne des Marches, parce qu’à chaque fois que l’on est sur une crête, on a l’envie dévorante de voir la suivante.

Nous saurons (tout juste) résister à l’appel du vide, tout en observant scrupuleusement ce qui se passe sous nos pieds. De l’arc en ciel sorti de nulle part juste après le dernier rideau de pluie (strictement impossible à capturer sur nos photos dans la précipitation), jusqu’aux randonneurs jusqu’au boutistes, qui ont cru bon de suivre ce qu’ils ont pris pour un sentier, quelques mètres en dessus de la ligne d’eau. C’est à se demander s’ils voient le danger, eux qui sont pris entre la paroi verticale et les creux de plusieurs mètres. Nous marchons et gagnons peu à peu en hauteur, avec des vues privilégiées sur les falaises, puis sur la baie à l’Ouest et ses roches blanches. A notre droite, on devine une plage jusqu’à laquelle nous pourrions marcher… Si seulement on voulait y passer la journée. C’est une possibilité que je défendrais, mais le vote ne m’est pas favorable. Et en effet, comme il est impossible de réaliser une boucle, chaque mètre parcouru devra être remarché en sens inverse.

C’est cela, et le vent devenu presque impossible à contrer, qui nous feront faire demi-tour. Je suis sérieux cependant : en haut de la dernière crête franchie, il y a tant de vent que les filles ont du mal à marcher, que le moindre brin d’herbe est couché et en souffrance… Michel et moi en profitons pour tenter comme des gamins de s’appuyer sur le vent, dans un mouvement qui n’a rien à envie à Michaël Jackson… Mais les rafales ne sont de loin pas aussi uniformes qu’on pourrait le souhaiter, aussi nous sommes le plus souvent à moins d’une fraction de seconde de finir tête la première dans ce profond matelas d’herbe humide. Les vaches Guinness nous regardent, nous sommes un véritable spectacle. Un peu plus loin sur le chemin du retour, nous nous arrêtons pour partager quelques biscuits sur un banc. Oui, vous aurez remarqué que je n’ai pas parlé de pique-nique aujourd’hui. Il faut dire que Derry était si accueillant que nous n’avons pas pu trouver sur notre route de supérette ouverte, ni un quelconque vendeur de casse-dalle pour ce midi. Mais notre plan est solide : nous ferons l’économie de ce déjeuner (les fous, vu la qualité du menu de ce matin…) pour se rattraper dans un beau restaurant à Bushmills (Bushmills !).

Par ailleurs nous avons l’occasion de réfléchir au passé, lorsque nous sommes assis sur ce banc. En regardant le large et les rochers acérés qui transpercent la surface sombre de l’eau, impossible de ne pas penser aux galions espagnols qui, tentant d’échapper à la tempête et à la marine d’Elizabeth I d’Angleterre, sont venus s’échouer sur ces rivages peu hospitaliers. En effet, on apprend sur une petite plaque que de nombreux restes, des canons et plusieurs objets reconnaissables ont été découverts, prouvant que la Grande Armada avait payé ici un lourd tribut. Pour notre part, nous repassons devant le Visitors Center, qui a remplacé tous les touristes de tout à l’heure, par d’autres à peine différents. Nous haussons le pas pour nous retrouver à nouveau le long de cette voie ferrée, puis du golf, ou le beau temps (ou l’absence de grain) a attiré plusieurs clients désireux de risquer nos vies alors que nous longeons le terrain. De retour dans la voiture, il y a un petit conciliabule, mais nous sommes relativement d’accord : dirigeons nous vers la ville, berceau du Whiskey et de notre hébergement du jour. Je découvrirai à cette occasion que nous sommes vraiment idéalement placés : a moins de cent cinquante mètres de notre B&B trône l’usine originale de Bushmills (Bushmills !).

Après l’accueil d’hier, nous étions un peu méfiants vis-à-vis des habitants de l’Irlande du Nord mais heureusement, l’homme qui nous accueille dans notre nouveau chez nous est vraiment digne des plus beaux éloges hôteliers. On sent que la maison est la leur, qu’ils vivent dedans… Mais ça ne les empêche pas d’avoir des chambres absolument gigantesques, très bien équipées. Pour vous faire le tableau, la salle de bains dont je dispose avec Julie est plus grande que la chambre d’hier soir. Pas mal, non ? Lorsque le grand bonhomme, la cinquantaine, va nous demander si nous désirons quelque chose de plus, nous lui demandons quelques informations sur le Bushmills Inn, trouvé dans le routard. Apparemment, nous avons vu juste : c’est LE bon restaurant du village. Par contre, nous prévient le propriétaire en regardant nos pantalons de marche, nos t-shirts usés et nos sacs à dos « It’s a fancy restaurant »… De quoi nous faire éclater de rire. On s’habillera donc, et nous avons déjà l’eau à la bouche, non seulement car nos estomacs sont vides (très très vides), mais aussi parce que le type nous débusque les menus ! Ils sont écrits en bon anglais, mais nous repérons tout de suite la qualité des plats. Voilà le programme pour ce soir !

Comme il n’est encore pas quinze heures, je potasse un petit plan trouvé dans la documentation des chambres. Et en fin de compte, c’est exactement le genre de document qu’il nous aurait fallu chaque jour où nous avons pu hésiter sur le programme : il y a plus d’une vingtaine de points d’intérêt étalés sur l’ensemble de la région… Bien plus que ce que nous sommes capables de faire aujourd’hui et même demain, mais de quoi donner des idées ! Julie et moi sommes convaincus par le Dunluce Castle, qu’elle avait déjà repéré sur les différents guides à notre disposition. Pour les autres, ce sera un petit peu plus difficile : Michel n’est pas dans une forme resplendissante, et Marie dit aussi vouloir se reposer. Tout de même, on finit par les persuader de venir au moins voir le bâtiment et le prendre en photo. Comme il est posé sur un promontoire qui s’avance sur la mer, je me dis qu’on doit avoir une belle vue sur le bâtiment en allant sur la falaise d’à côté… Malheureusement, je tape un peu trop loin, il n’y a pas d’endroits élégants pour se garer… Nous finirons sur une aire de repos, à tenter d’apercevoir quelque chose d’autre que le bout de mur que l’on voit poindre derrière la crique naturelle…

Le second essai sera le bon… Pour ce qui est de localiser le château en tout cas. Oui, parce que pour un site aussi magnifique, il n’y a en tout et pour tout, qu’une vingtaine de places de parking, plus un emplacement pour les bus. Et c’est tout ! Au premier passage, donc, choux blanc. Mais au second, nous avons un petit peu de chance : un type s’en va au moment où je me présente entre les murets de pierre. Nous aurons tous un peu de mal à ouvrir les portes sans les écorcher, mais nous sommes au Dunluce Castle ! Le type qui a décidé un jour d’établir ici sa forteresse était à la fois un génie et un dangereux psychotique. Architecturalement, c’est fabuleux. Plusieurs bâtiments forment une première enceinte sur la terre ferme, et le corps principal du château est sur un rocher isolé, séparé du continent par une grosse dizaine de mètres de vide, que surplombe un ponton de bois très étroit. A la verticale de la roche (et même parfois en dévers), les murs s’élèvent pour former le grand assemblage de cet incroyable lieu de vie et de pouvoir.


Il y a beaucoup de monde pour prendre des photos à l’extérieur, et finalement très peu d’entre eux dans la petite pièce qui fait office de bureau d’accueil. On y trouve pourtant une maquette fidèle de ce que devait être tout le complexe il y a de cela cinq siècles. Il y a même des visites. Petit regard vers les autres, haussements d’épaules. Pourquoi pas, finalement ? Une bonne vieille visite guidée, en petit comité qui plus est (pour le moment, nous sommes les seuls inscrits, et ça part dans cinq minutes !), et pour un prix raisonnable. De quoi passer une belle après-midi ! Aussitôt, on nous traite comme des hôtes de marque. L’enceinte nous est libre, alors nous pouvons pourrir à l’envi les photos de tous ceux qui sont cantonnés derrière les lourdes grilles… Ce n’est que lorsque les premières gouttes font leur apparition, que je me rends compte que je vais devoir passer tout ce monde en sens inverse et sprinter jusqu’au coffre du Quashqaï avant que la visite ne commence ! Bon, comme nous sommes seuls, notre Guide va nous attendre le temps qu’il faudra, en expliquant aux autres l’héraldique de la famille qui a bâti le Dunluce Castle. 

Et nous ne le savions pas encore, mais le château réserve son lot de surprises !

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