mardi 20 mai 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 18

Episode 18: Vindidju D'Vosgien

Même en haussant le pas (ce n’est pas possible bien longtemps) nous sommes vites rattrapés. Un type, qui n’a même pas la décence de porter un sac à dos (et quand il va pleuvoir, t’auras l’air malin) mais arbore fièrement un t-shirt jaune rentré dans son pantalon de marche, nous dépasse au pas de course. Et comme un peu partout, entre randonneurs, nous échangeons un « hello » amical. Enfin, ici, amical mais louche. Déjà parce que le « Hello », même s’il ne s’agissait que d’un seul mot, sonnait vachement français. Bon, là, passe encore. Mais il ne nous a pas dépassé aussi vite qu’on ne puisse rien lire de ce qui était écrit sur ledit t-shirt (le jaune, on a beau dire, ça attire l’œil). Un français, nous en sommes surs à présent. Aucun de nous ne saura finalement dire s’il était pressé pour une raison ou une autre, s’il montait à une telle cadence car il était fâché ou si tout simplement il essayait ses nouvelles bottes de sept lieues (elles marchent).

Quant à nous, nous arrivons quelques minutes plus tard au bord du lac d’altitude qui va constituer notre terrain de jeu pour les deux prochaines heures. C’est de là que partait notre petit ruisseau ,de ce beau lac de retenue, au bleu pur et profond, sa surface sombre ridée par le vent qui rabat nos capuches. Derrière nous, l’infinie étendue du Kerry. Killarney se fond dans le paysage, le grand lac et ces mille ilots paraissent maintenant minuscules, presque bas de carte vis-à-vis des grandes plaines vallonnées qui s’étendent sur des dizaines de kilomètres vers le nord, tandis qu’à l’ouest nous voyons jusqu’aux premières falaises de Dingle, là où hier encore, nous étions en compétition pour voir la mer en premier.

Le Devil’s Punchball (le mec qui a donné les noms des lieux remarquables du coin était un génie) est bordé à sa gauche par une région assez plane mais très rocailleuse, et à sa droite par un véritable mur, une crête sur laquelle on voit se dessiner en contrejour la silhouette de notre mystérieux français sur le ciel gris. Le chemin faisant de toutes façons le tour de tout le massif, nous démarrons par la gauche (après notre grosse montée, autant faire une petite pause et commencer doucement)… La raison officielle et finale qui l’emporte sera la qualité déplorable de nos vessies communes : il n’y a pas, sur le flanc droit, un seul buisson qui soit compatible avec les envies du moment. Et avec des randonneurs qui surgissent au pas de course… Pfiou, un seul touriste et plus rien ne tourne rond.

La rive est bordée de gigantesques blocs de pierre claire, posés dans la tourbe noire, créant un contraste saisissant. Et quand je vous parle de blocs, je pèse mes mots : certains font aisément la taille d’une cabane, voire d’une petite maison. Et parmi eux, certains sont de véritables cubes façonnés par une nature capricieuse, qui aime à mettre des motifs géométriques là ou rien ne devait les justifier. Aussi nous en faisons notre terrain de jeu éphémère, montant tour à tour sur ces énormes tables de pierre, faisant mine de plonger dans les eaux noires… Dérangés, quelques moutons nous regardent en bêlant, cris qui se réverbèrent sur toute la cuvette : quel vacarme nous devons produire sur le versant opposé !

Alors que nous longeons ce petit lac, nous sommes un peu plus attentifs aux endroits où nous posons les pieds. Le sol est humide, et des couches de tourbe à notre gauche témoignent du sol imprégné : ce qui est vicieux dans ce genre d’environnement, c’est que cette terre moussue peut très bien recouvrir de vingt ou trente centimètres d’épaisseur une grosse flaque, voir un second lac tout entier. Enfin, cela dépend de l’environnement, mais Julie et moi en sommes familiers depuis notre voyage en Ecosse, qui coté tourbe nous a réservé des surprises (le marais des Morts, vous connaissez ?) Ici, il y a toujours des pierres dont le poids excède le mien, donc nous ne risquons rien (vu le poids de mes camarades, si je passe avec un sac à dos, ils n’ont aucune peur à avoir).

A l’opposé de la retenue du Devil’s Punchball, le chemin s’incline vers la droite, et monte sur cette fameuse crête, de près d’une centaine de mètres de dénivelé en un rien de temps. Mais à l’effort on peut compenser la vue. En effet, sur le bord de cette cuvette on découvre le flanc opposé de la montagne, et c’est à couper le souffle. Sur plusieurs centaines de mètres, la roche couverte de mousse et de buissons bouffants plonge à la verticale sur un second lac, qui nous parait bien loin… Près de trois ou quatre cent mètres de chute libre pour y arriver, mais en sautant du bord… Bref, c’est raidasse comme tout : Marie ne s’en approchera pas, laissant Michel faire les photos pour eux deux. C’est que nous mitraillons le coin à coup de déclencheurs : même si le ciel promet des retouches difficiles, pas évident de se freiner, ici.

Le sentier faisant finalement une boucle autour du lac, nous finissons par retrouver notre randonneur français. Il devait être en quête de son compagnon, tout à l’heure, car à présent ils sont deux hommes. Et comme nous savons qu’ils sont français, nous n’hésitons pas à les aborder. Aucun intérêt au final : le randonneur fou est un vosgien (pour un peu, on s’en serait douté) et son ami est de Saône et Loire… Avec un accent qui n’a rien à envier à un chti, pour le coup. C’est bien, on a fait connaissance, maintenant retournons à notre montagne. Dès qu’ils sont partis, le massif est tout à nous.

La récompense est à la mesure de l’effort, et arrivés en haut sur la crête au-dessus du Devil’s Punchball, nous sommes gratifiés d’une vue proprement hallucinante. C’est comme si tout le sud-ouest de l’Irlande nous était étalé devant les yeux. Les lacs, les collines (plus si vertes, vues d’aussi loin) et les innombrables massifs qui s’étendent à notre gauche jusqu’à perte de vue. De là, où nous pouvons installer trépied et retardateurs, nous tentons (avec plus ou moins de réussite) à faire des photos de groupe. Impossible d’en faire une seule ou nous sautons tous ensemble, malgré le mode rafale. Suit une véritable séance de photos en couple. Et puis peu à peu, tout en gardant les yeux rivés sur le lac (il n’est pas en contrebas, il est littéralement sous nous) nous nous cherchons un endroit abrité du vent pour manger. Force est de constater qu’il faudra encore patienter un peu : là- haut, il n’y a pas des masses de coins à l’abri du vent. Pas une plante qui dépasse les trente centimètres, pas un bord de tourbière qui soit absolument sec.

Bon, c’est définitivement suffisant pour y marcher tout de même. Un paysage lunaire, de différents plateaux d’herbe plane posés sur des monticules de tourbe noire. Et de l’autre côté ? Le ring of Kerry. Tout entier. Au centre, dans les nuages, il y a ce fameux massif, le plus haut de l’Irlande, que nous ne regretterons jamais : notre ballade est unique. Le paysage, époustouflant, la nature sauvage et l’effort… Bah, dans les limites du raisonnable. Finalement, nous commençons à descendre, devant une étendue de nature extraordinaire : nous faisons face au lac de Killarney. Je fais quelques essais avec la Go-Pro sur la tête, ce qui n’est pas évident parce qu’une fois le bandeau en place, je n’ai aucun moyen de savoir si cette dernière est allumée. Un véritable stress, qui va déteindre sur mes compagnons (on sent bien la frustration, au trentième « c’est allumé ? »). Mais pour l’heure ils ont encore un peu de répit : Michel et Marie, partis un peu en avance, ont pu nous trouver un repli de terrain au sec, pour lequel une ligne de roches fait un véritable banc naturel. Avec une vue pareille, on ne se fait pas prier.

Ici, à des kilomètres de rien, on savoure nos calories perdues à coup de fromage en tranche, de tomates croquées à s’en asperger le K-way, de pain de mie complet bourré de jambon local. Quelle saveur spéciale, du goût couplé à l’effort, du mérite et de l’infinie beauté du paysage de l’Irlande sauvage. On s’en rince l’œil un moment, jusqu’à vouloir prolonger la pause et faire une petite sieste sur place… Malgré tout il y a débat, et quelques rafales de vent finissent de nous convaincre que, pour éviter l’angine, il serait bon d’entamer la descente jusqu’à la voiture. Petit à petit, on se rapproche d’abord de la surface du Lac, à qui nous faisons nos adieux… Il est dans l’état même ou on l’a trouvé. Calme, noir, silencieux et réfugié dans son massif écrin. C’est comme si dans plusieurs siècles, on pouvait toujours le trouver exactement pareil, comme si le temps n’avait pas d’emprise ici.

Enfin, sur le chemin, c’est un peu la même impression, mais plus terre à terre : ça n’avance pas ! Le retour nous parait tout simplement éternel. En soi, c’est plutôt signe d’une bonne performance : nous avons beaucoup marché à l’aller… Par contre, ça n’en finit pas. La descente est technique, puisque le chemin ne serpente pas, se contente de suivre le fameux ruisseau sans varier d’un iota. C’est un peu comme descendre une suite ininterrompue de marches inégales et parfois glissantes. A l’arrière, je m’amuse avec la caméra pour passer le temps, en faisant différents plans larges, et en me demandant si ça ne bougera pas trop sur la vidéo. Je discute avec Marie, de cet enfant qu’ils attendent. Des peurs qui vont avec, de leurs attentes. Puis on passe carrément à l’humour, en adaptant toutes les chansons (dont, impossible de passer à côté, le fameux Connemara, ou bien l’Irish Rover) sur le thème de ces imbéciles de la télé qui nous ont pondu le tube de l’année 2013 : « Et quand il pète il troue son slip ». 
Au moins, personne ne nous a entendus.


Michel finit par en avoir marre, il lâche les chevaux de temps en temps, part dans des grandes foulées qu’il est le seul capable de faire, puis parvenu sur un petit promontoire, il attend que nous l’ayons rejoint, un peu plus péniblement. Voir la voiture, au départ c’est rassurant (on se dit qu’elle est à portée de main), mais au bout d’un moment c’est trop. Elle ne se rapproche pas ! Bon… Evidemment, ça nous parait long comme ça, mais ça n’a pas duré si longtemps, cette descente. On en avait plein les jambes, on venait de manger, c’était un effort supplémentaire. C’est qu’un voyage comme ça, ce n’est pas de tout repos ! Plus on veut en faire, plus il faut être prêt à sacrifier les heures à se prélasser, profiter du B&B… Lorsqu’on rejoint la voiture pourtant, il n’y a qu’une seule envie et elle est unanime : se relâcher et goûter au plaisir d’une bonne douche ! Après l’interminable changement de chaussure (et j’ai les pieds gonflés, et ça glisse…), tous en route pour Killarney !

1 commentaire:

  1. "Et là, elle est allumée?" était effectivement une phrase entendue à plusieurs reprises ce jour-là et les autres...

    Un texte avec une petite touche de mélancolie, avec des accents oniriques, quand tu décris les paysages... c'est joli !

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