lundi 26 mai 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 20

Episode 20: License To Killarney

Lorsque nous foulons la rue piétonne, nous sommes presque intimidés. Il y a là la quasi-intégralité des touristes du sud-ouest irlandais. Evidemment, pour nous qui n’avons vu qu’un couple de vosgiens durant notre randonnée, le changement est brusque. Pire pour Michel qui n’était pas au Ross Castle. Pour souffler un peu, nous montons nous réfugier dans… Une boutique de souvenirs. Oui, je sais. Et oui, c’est aussi la même enseigne qu’à Dublin. Mais devinez quoi ? Ils ne vendaient pas la même chose ! Magnifique ! De quoi repartir une fois de plus avec les bras chargés et les cartes bancaires à bout de souffle. On achète même des cadeaux pour projeter les choses que l’on ose pas acheter pour nous, en témoigne mon écharpe (et bonnet) Guinness pour mon frère, par exemple. Seule la question de la place dans les valises (euh, oui, le coffre ferme de moins en moins bien) et la promesse des bouteilles de whiskey Bushmills nous freine un peu pour acheter de plus gros objets.

Heureusement d’ailleurs, parce que Michel et moi nous sommes entichés de versions peintes de l’instrument de musique de la branleuse. Peut-être, avec un peu d’entrainement, pourrions-nous devenirs d’authentiques branleurs ? Hum.

D’autre part, je n’ai pas non plus eu le droit de ramener mon amie, la mascotte de l’enseigne de souvenirs : un chien au long pif accueillant debout les visiteurs, du haut de son mètre quatre-vingts et avec une magnifique casquette verte. Dieux, je le regrette encore, celui-là. Au fur et à mesure de notre promenade, nous faisons bien attention de regarder les pubs : il a beau n’être que 18h30, cette fois nous sommes au taquet ! Pourtant, à part quelques restaurants d’ores et déjà bondés, nous n’arrivons pas à fixer notre dévolu sur un établissement en particulier. Il faut dire aussi que ce soir nous profitons du choix pléthorique d’enseignes pour ajouter un élément clé à notre recherche : les filles veulent du Guinness Stew… Un plat typique que nous n’avons pas encore eu l’occasion de goûter. Et même si je suis intimement persuadé qu’absolument toutes les cuisines peuvent le faire sur demande (c’est un peu comme chanter le Wild Rover), il n’est pas à la carte partout.

Bon, la promenade est belle, c’est le point clef. Les deux-trois rues principales du centre-ville piétonnier sont très animées. Marchant sur les pavés entre les maisons d’un ou deux étages (jamais plus) en pierres, nous remontons le long des pubs et des échoppes typiques. Beaucoup de souvenirs mais aussi de la mode irlandaise (et ses magnifiques pulls en laine de mouton au-then-tiques)… Que nous laisserons derrière nous. De temps en temps, il y a quelques moments bizarres, comme ces bâtiments sur lesquels des centaines de corbeaux ont élu domicile… Ca coasse sec, et avec le ciel gris, c’est propice aux prophéties un peu sombres !
En parlant de prophéties, que pensez-vous de cette dernière ?

«             Lorsqu’en Irlande vous serez, tous les quatre vous voudrez manger,
                Mais prends garde l’ami, car personne là-bas ne déjeune à midi,
                Si vous cherchez trop, jusqu’à ce que les forces vous échappent,
                Vous errerez, à la recherche de l’impossible échoppe,
                Jusqu’à accepter votre destin, de profiter de l’existant festin,
                Et de boire la bière à la chope. »

Elle va encore s’appliquer ce soir à Killarney. Oui, malgré les dizaines de pubs, les dizaines de restaurants, les trois ou quatre marchands de frites ambulants. Nous échouons, et c’est lamentable. Il commence à se faire faim lorsque nous rentrons, en désespoir de cause dans l’enseigne désignée par le Routard. Ca sent bon, ici ! Nous ne prêtons pas vraiment attention aux quelques personnes âgées qui se tiennent à droite de l’entrée, sans doute un reste de car de vieux qui attend pour les toilettes ou quelque chose comme ça… Nous attendons le serveur au comptoir pour voir s’il leur reste des places (c’est que, mine de rien, il y a du monde !), lorsqu’on entend la voix de crécelle d’une retraitée énoncer bien fort « ah on reconnaît bien les Français, à toujours passer devant tout le monde ». 
Mmmh ? Elle veut quoi, la grabataire ? Elle a perdu sa prothèse de hanche ? En fait, l’attroupement auquel nous n’avons pas prêté attention n’était autre qu’une file d’attente. Une file d’attente ! Dans un restaurant ! C’est quoi ici, la distribution de pain ? On s’en va, non sans un regard meurtrier pour cette vieille pie.

Le temps d’arriver au bout de la rue, nous n’avons pas trouvé notre bonheur. Qu’à cela ne tienne ! C’est moi qui guide le groupe, aussi je propose de remonter par une rue résidentielle, ce qui nous fera logiquement retomber sur l’une des trois rues piétonnes déjà visitées. On se promet d’ailleurs à cette occasion de baisser notre standard au moins pour la soirée, histoire de trouver un endroit ou manger avant qu’il ne soit, de nouveau, trop tard. Julie finit par passer devant en haussant le pas et le ton, à tel point qu’on croit qu’elle boude pour une raison obscure… Il ne faut pourtant pas s’y tromper : elle a faim, et lorsque mon épouse a faim, elle devient rapidement insupportable. Comme maintenant. Bref.

A deux autres reprises nous allons pousser la porte de restaurants bondés, trop bondés pour pouvoir en profiter. Et puis, à vingt mètres du magasin super-mode (toujours pas de pull en mouton massif ?), nous nous arrêtons dans une enseigne modeste, qui assure servir des plats dont du Guinness Stew… D’un coup d’un seul nous faisons nous aussi la queue. Mais c’est intelligemment, cette fois, parce qu’il y a pas mal de monde déjà sur le départ. Et en effet nous n’aurons pas à attendre bien longtemps pour qu’une table se libère… Aussitôt assis, nous nous promettons d’en profiter, et de faire durer ! Si déjà nous avons attendu, maintenant à nous de faire durer. En commençant par des boissons, et la bière tant attendue tout au long de la journée (toujours la même, je ne vous fais pas un dessin). Ensuite, ce soir nous avons décidé de faire le combo entrée + plats (vu que les desserts, dans le coin, ce n’est pas vraiment leur spécialité).

Marie et Michel choisissent d’abord des moules, tandis que Julie et moi, fidèles à nos principes, choisissons une soupe de légumes servie avec du Brown Bread (ici, du Guinness Bread). Tout en évoquant la randonnée du jour, les corbeaux ou même la qualité de notre B&B (après tout, Michel vient d’y faire une sieste de plus d’une heure), nous mangeons avec entrain. La soupe est délicieusement relevée, le pain est très chargé en céréales, épais, et fort en goût… Tandis qu’à ma droite, Michel et Marie savourent leurs moules (cuites dans la Guinness, si je ne m’abuse), nous profitons de cet instant culinaire. Il faut aussi se préparer à la suite, qui au niveau des quantités, se hausse sur une haute marche : deux assiettes gigantesques pour les filles, deux plateaux complets pour nous. 

Elles l’auront eu, leur Guinness Stew ! Prophétie ou pas, attente ou pas, petite vieille ou corbeaux coassant à l’unisson : nous avons nos plats, et le monde peut bien s’effondrer durant les vingt prochaines minutes, nous aurons la bouche pleine. Marie et Julie ont donc hérité d’une grosse potée de purée de pommes de terre, qu’entourent de beaux morceaux de bœuf en sauce à la bière… Michel et moi avons pour notre part joué la carte du burger « pur bœuf irlandais », et bien qu’il soit un peu sec , le plat est juste suffisamment massif pour nous faire soupirer de contentement en fin de repas. Et après avoir mangé autant, un peu de digestion et de boissons s’imposent… Mais prenons un peu notre temps, histoire de regarder les autres touristes pris dans la longue file d’attente. On a beau avoir été à leur place, nous prenons un malin plaisir à les détailler des yeux, à regarder leur réaction lorsqu’ils regardent nos assiettes vides et qu’ils nous voient nous tenir le bide…

Bon, nous n’allons pas faire de vieux os pour autant, ce n’est peut-être pas le bon endroit pour commencer un esclandre (mais y-en-a-t-il de bons ?). Une fois dans la rue, nous prenons bien attention à ne pas répéter l’inénarrable scénario des restaurants aux critères multiples. On cherche un bar avec de la live music, ou l’on puisse s’asseoir (avec les journées qu’on passe, s’asseoir, c’est cool). Cette fois, ça ne nous prendra pas une demi-heure ! Heureusement, parce qu’on serait rentrés, je crois. Non, nous n’avons fait que deux ratés : le premier dans un bar qui était si bondé que le guitariste jouait littéralement sur le public, le second dans une enseigne ou les seules places disponibles étaient au pied de la batterie et des baffles. Nous ne savions pas encore que le troisième serait le bon lorsque nous y sommes entrés… Cela paraissait un peu désespéré : même de dehors on pouvait voir que le pub était bondé.


Et en effet, juste à côté des musiciens il a fallu jouer des coudes ! La foule qui les entoure est compacte, la bière à la main, s’étend jusqu’au bar et suit le marbre comme une longue colonie de fourmis sur de la confiture. Il y a un second espace un peu plus loin que le comptoir, ou la musique nous parvient quand même et… Chance insigne, trois personnes qui quittent leur table littéralement au moment où nous arrivons (je crois que nous avons passé deux petites minutes debout). Aussi, je crois que notre malédiction s’est arrêtée là concernant à la fois le choix des bars et des restaurants. Nous voilà en effet assis, tous les quatre, dans un bar avec de la live music et un groupe irlandais. Et si ça ne suffisait pas, il reste la décoration murale. Nous ne l’avons pas immédiatement remarqué, dans notre euphorie, mais du sol au plafond, les murs de l’établissement sont tapissés de… Billets d’un dollar. 

Tous dédicacés. Des billets. Et vu le bar, la surface au plafond et les murs, il y en a pour plusieurs centaines. C’est… Non, pas beau (n’exagérons rien)… Génial. 

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