Autant le chemin nous a paru
d’une langueur terrifiante, autant la route est bouclée en quelques
minutes : je conduis sans l’aide du GPS, sans avoir à se poser des
questions toutes les deux minutes, ou chercher un embranchement de la taille
d’un portail de nain de jardin. Je porte la Go-Pro, tout heureux de montrer la
route en vidéo (ça a créé comme un silence quand même… Ou bien tout le monde
est crevé, ce qui est possible). Il faut dire que jusqu’à l’entrée de
Killarney, on a encore droit à un panneau « 100 » aussi improbable
que si on l’avait trouvé au bord du Devil’s Punchball. Mais, hein, rien ne
m’empêchera d’essayer… Une fois en ville, le soleil est de mise (ça n’aurait
pas pu être deux heures plus tôt pour les photos, non, c’est quand on est dans
la circulation et crevés) et il y a soudain beaucoup plus de monde dans la
cité, qui s’anime au point de presque créer un bouchon avant notre
embranchement.
Heureusement que nos douches
électroniques ne sont pas compliquées (si, toutefois, on s’abstient de toucher
à tous les boutons), autrement, je crois qu’on aurait entendu nos cris de
désespoir à travers les cloisons. C’est l’heure de se reposer. Mais alors que
Julie profite d’une eau magnifiquement chaude, je fais un peu le point.
Physiquement, ce n’était pas si difficile, et après un quart d’heure allongé
sur mon lit, j’ai déjà les fourmis dans les jambes. J’ai déjà décidé qu’après
ma douche et un second petit temps de repos, j’irais visiter quelque
chose : il n’est encore que seize heures, il y a largement de quoi faire
pour remplir l’après-midi. Attention, ça ne m’empêche pas de savourer ce moment
de calme, à me plonger épisodiquement dans mon bouquin, ou tout simplement
regarder le plafond en repensant à ces paysages qui resteront longtemps gravés
dans mes souvenirs.
Je suis presque étonné que
Julie soit d’accord avec moi. Elle acquiesce immédiatement, en ajoutant qu’elle
non plus n’a pas envie de rester se reposer. Et après, on s’étonne que nous
soyons ensemble depuis bientôt une décennie ! N’importe quel individu sain
d’esprit profiterait de cette après-midi pour se reposer. En parlant d’eux
d’ailleurs, ils sont divisés sur la question. Marie est partante, mais Michel
dort déjà et ne donne pas l’impression de vouloir aller ou que ce soit. Nous
serons donc trois à partir pour l’expédition au Ross Castle. Dans ma lecture
d’hier soir, j’ai survolé un prospectus : le monument est situé à moins de
cinq kilomètres de là, et pour y arriver c’est enfantin : il est dans le
pur et simple prolongement de notre rue. Bon, nous sommes tous d’accord sur les
modalités : ballade calme, pas trop longue, en habits de ville. On ne nous
fera pas remettre les chaussures de marche aujourd’hui.
Mais il faut signaler que la
route pour atteindre le château est particulièrement originale. Non, pas
spécialement dans sa forme… Déjà, il y a la signalisation. Pas de panneau
« 100 » (chuis déçu), mais à la place, tous les kilomètres, des
avertissements « attention calèches » très imagés. Et ils sont
valables, puisque sur le seul trajet aller, j’aurais l’occasion d’en passer au
moins trois ou quatre. Tractés par deux chevaux, les lourdes voitures sont pour
la plupart décapotées, toutes en structure bois recouverts de stuc. Les
cochers, paresseusement assis leur fouet à la main, conduisent les touristes
jusqu’au centre-ville à une cadence toute médiévale. Ce doit être même un peu
long, sans parler de l’odeur … La route est tapissée de m… de traces de
cheval. Nous arrivons à un grand parking, dont je n’arrive toujours pas à
savoir à ce jour s’il est payant. Il m’a d’abord semblé que oui, sauf qu’en
tournant un peu, nous n’avons trouvé aucune machine qui ne soit réservée au
bus… Et les véhicules autour de nous n’ont rien sur le pare-brise. On quitte
donc le parking en espérant très fort qu’il n’y aura pas contrôle de police.
Les filles disent que je m’inquiète pour rien.
Puis on arrive devant le Ross
Castle. Construit au bord du lac de Killarney, ce dernier dégage une impression
de force gravée dans le temps. Constitué d’un corps principal avec un énorme
donjon rectangulaire surplombé par un toit incliné, il a une position dominante
sur tout le reste de la plaine. Il n’est pas difficile de comprendre qu’au
XVIème siècle, il contrôlait tout l’accès à la partie sud du Ring of Kerry. Le
donjon est côté lac, tandis que les plus épaisses parties du rempart se
trouvent à l’opposé. Comme la plupart de ceux qui ont traversé l’histoire, le
Ross Castle a été construit puis reconstruit à plusieurs reprises, et c’est
particulièrement voyant sur le côté terre, pour lequel le chemin de ronde est
posé sur une épaisseur phénoménale de mur, faisant face à la plaine avec des
plans inclinés (pour que les boulets rebondissent). Le château est visitable,
mais nous arrivons trop tard et nous voulions juste flâner : de toutes
façons, il est possible de se promener dans l’enceinte sans ticket d’entrée.
Après avoir examiné le premier
rempart (il n’en reste que quelques pans), nous montons dans la cour intérieure
qui est surélevée par rapport au niveau du lac, et qui est très bien conservée.
Quatre canons, qui attendent d’éventuels envahisseurs à stopper, gardent les
remparts de toute leur masses noires. Pour Julie et moi, c’est une bonne
aubaine : jusqu’à maintenant, dans la majorité de nos voyages, nous avons
toujours trouvé un canon à côté duquel poser. C’est devenu non seulement une
recherche originale, mais aussi une collection de photos de nous, appuyés sur
des canons tout autour du monde. Bon choix que le Ross Castle, donc : les
pièces d’artillerie sont dans un état remarquable. Nous ne resterons pas
longtemps dans la cour, préférant longer le donjon, et descendre une volée de
marches. Là, sur un gravier fin, deux quais partant du château vont s’enfoncer
doucement dans l’eau, de façon à prendre le bateau sur un tableau
idyllique : les petites îles boisées sont reflétées dans le lac calme, les
montagnes à quelques milles de là font comme une toile grandiose, et des rais
de lumière à travers les nuages donnent un air surréaliste.
Bon, je suis désolé de vous
décevoir, mais le Ross Castle, ce n’est pas la place forte qu’on imagine. Non,
moi je dirais que c’est plutôt le château de la loose. La faute à… Une
malédiction. Si, si. Attends, tu crois que je me fiche de toi ? Je ne sais
plus qui avait eu une vision, faisant la prophétie que le jour ou des
envahisseurs viendraient du lac, la place forte serait perdue. Peu importe que
les murs soient épais, que la zone de débarquement était exposée, que peu
importe le nombre d’envahisseurs, la taille de la porte des remparts était
suffisamment fine pour qu’ils doivent tous rentrer à la queue-leu-leu. Et
pire : la prophétie s’est réalisée. Elle s’est réalisée parce que ces
imbéciles y ont tellement cru que le jour ou une trentaine d’ennemis se sont
pointés en barque pour prendre le château par surprise, les défenseurs ont eu
une frousse tellement immense qu’ils se sont tous carapatés. Tu parles d’une
histoire glorieuse, hein !
Nous passons une bonne
quinzaine de minutes à côté de l’eau. Le site est splendide, plusieurs bateaux mouches
viennent faire étape sur l’un des pontons de bois accolés aux quais en pierre
de taille. Et ces montagnes… Nous essayons en vain d’apercevoir celle que nous
avons grimpé aujourd’hui, mais nous n’en verrons rien, elle est cachée par les
arbres. Des canards viennent paresseusement quémander leur dû auprès des
quelques autres familles qui flânent autour de l’eau, et sur un petit repli
gazonné… Quelques enfants jouent là avec les volatiles dans un silence tout
relatif. Quel bel endroit ! Il y a un calme ceint d’une sorte de respect
pour la vieille pierre, aussi ridicule soit son histoire. Tout de même, une
garnison a occupé le château jusque dans les années 50…
Ah, si seulement il nous
restait des jambes ! Un chemin peu couru s’enfonce dans la forêt à droite
du monument, avec cette promesse voilée de suivre les délicats et dentelés
bords du lac… Mais ce dernier fait des kilomètres, et même si ce chemin est
sablé, couvert par les arbres qui font comme une arche au-dessus de lui, nous
avons déjà donné assez pour la journée ! Nous promettons de nous venger
dans les heures à venir en faisant un significatif tour du centre-ville dès que
nous aurons rejoint Michel au B&B. Le trajet de retour sera pour sa part
plus long que l’aller, la faute à ces maudites calèches qui encombrent la route
dans les deux sens, empêchant les touristes à moteur de rouler à plus de
10km/h, une vitesse il est vrai tout à fait hallucinante. Cela donnera
d’ailleurs lieu à une scène sortant de l’ordinaire. A notre dernier feu rouge,
juste avant notre carrefour, il aura fallu patienter plusieurs minutes (le
passage est éternel) avec deux chevaux piaffant juste derrière le coffre :
tout regard dans les rétroviseurs, et c’est une vue directe sur les naseaux de
la bête !
Nous rejoignons Michel, qui
s’était à peine réveillé, avant de partir pour le centre-ville. Et là j’aime
autant vous dire que nous retrouvons la civilisation : le Ring of Kerry
étant un lieu très couru en cette saison, nous nous attendions à voir un peu
plus de monde aujourd’hui. Mais où étaient-ils ? Je ne peux pas répondre,
mais ce soir-là, ils étaient à Killarney… Les trois rues piétonnes sont
littéralement prises d’assaut. Nous, on l’a joué intelligente : il est
encore tôt, nous avons donc le temps de flâner dans les rues tout en repérant
notre futur restaurant. Cette fois c’est certain, il fera de la cuisine
Irlandaise, il aura des musiciens et ce sera peut-être un bar en fin de
soirée !
Plus engageant encore, nous trouvons cette perle rare dans le
Routard : on sait même où aller !
Ahah!! La perle rare ;) allez, faisons dans le pathos, c'est ton récit qui est une perle !!
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