Petit problème lorsque notre
bateau arrive en face du quai : il semblerait que nous ayons passé un peu
trop de temps à regarder si oui ou non les poissons lunes étaient intéressants…
La marée est trop basse pour que notre tirant d’eau nous permette d’accoster
sur la digue de béton. Bon, après un petit détour, il sera facile de regagner
la côte puisque nous récupérons le zodiac du Blasket Princess amarré non loin.
Sauf que, législation oblige (je suis étonné qu’on ne nous l’ait pas demandé
plus tôt), il faut mettre les gilets de sauvetage. Oh la la, je ne sais pas si
vous imaginez le degré de sexytude qu’on peut atteindre avec un gilet orange
boudinant au-dessus de nos K-way… C’est assez épique, finalement.
Avant d’embarquer,
je regarde au moins trois ou quatre fois avec Julie si le sac étanche du réflex
est bien fermé (si le sac coule, ça nous fait une belle jambe, mais s’il tombe
juste dans l’eau, c’est une bonne solution). Sauf qu’une fois que je l’ai sur
le dos, je me rends compte que je voulais prendre une séquence avec la GoPro,
qui est profondément dans le sac. Julie fait mine de la chercher vite fait,
mais c’est notre tour d’embarquer, aussi elle s’arrête immédiatement :
j’en profiterai pour bouder jusqu’à toucher terre (peut-être, oui, peut-être
suis-je de mauvaise foi).
Passé la piégeuse zone
recouverte par les algues et propice à toutes les chutes de vidéo-gag, nous sommes tous les quatre à terre. Nous
marchons jusqu’au restaurant, mais c’est sans enthousiasme car le second nous a
informé que le chef est français, qu’il cuisine beaucoup de poisson (tsss)… Et
puis les prix, quoi, c’est pas ce à quoi on s’attend à Ventry. Après un
conciliabule de trois secondes (pub ? pub !), nous retournons voir la
carte de menu du bar local. On y retrouvera d’ailleurs une partie des autres
marins d’eau douce, malheureux aventuriers du Blasket (attention, on n’en est
pas à se payer des pintes non plus).
A ma grande surprise, la carte
n’est pas trop portée sur l’huile de friture, enfin, pas sur tous les plats
quoi. Je ferais même une entorse à ma sacro-sainte règle (« pas de poisson
ça vit dans l’eau ») culinaire pour déguster un filet que j’imagine très
fraichement pêché… Parce que sinon, c’est que les bateaux dans l’anse sont des faux,
et ça rendrait vraiment le hameau désert ET ridicule. Et pour se remettre de
toutes ces émotions, rien ne remplace une Guinness, non ? C’est l’occasion
de regarder autour de nous. Le bar est immense, peut-être témoins de soirées
plus animées qu’aujourd’hui, et dégage une atmosphère assez chaude (la faute
peut-être à un carrelage plus orange que de raison, et une peinture jaune un
peu passée). Et si les chromes sont de mise sur le cale-pied et les rebords du
bar, ce sont aussi des témoins un peu anciens. Les tabourets sont de mise, et
le mobilier en bois peint (du noir, comme c’est gai) a un peu souffert. La
salle est divisée en deux ou trois parties par de larges panneaux de
croisillons de bois, qui donnent des atmosphères intimes… tout en nous persuadant
qu’il n’y a pas beaucoup de clients.
Dehors, sur l’unique place de
Ventry, trois ou quatre gamins s’ébattent dans l’herbe à côté d’un massif de
fleurs, surveillés par leurs parents qui les gardent à l’œil en sirotant leurs
bières. Avec le soleil qui se couche paresseusement de l’autre côté de la baie,
la scène donne un cachet pittoresque et
serein au village. Les enfants jouent et rient, les parents sont détendus, le
soleil étend ses rayons sur la mer calme… Il va être l’heure de manger :
la mer, ça creuse. A ma grande surprise, le « fresh cod and chips »
n’est pas une adaptation locale du fish-and-chips anglais : mon morceau a
probablement été cuit vapeur, on peut donc profiter de son excellent goût
originel plutôt que de sentir le beurre et la friture... Même si, ne râlez pas
trop vite, il y a quand même des potatoes servies avec, ils ne sont pas avares
non plus. Une super surprise, que vont aussi partager Julie et Marie qui ont
choisi le même plat que moi. Michel, dans son habitude qui va presque tourner
au challenge durant la semaine, va pouvoir consommer un presque burger :
il bénéficie d’une belle pièce de bœuf irlandais.
Volontairement, nous faisons
durer un petit peu le repas, en savourant chaque bouchée, mais aussi en se
prenant en photo, en évoquant à qui mieux-mieux notre sortie en mer (ah, les
promises baleines…) ou nos débuts de vacances. Michel commande aussi un Irish
Coffee, mais là le fait de rester plus longtemps n’est qu’un bon prétexte…
C’est que, à neuf heures, il y a de l’animation au bar : deux musiciens
sont d’ores et déjà en train de se préparer et d’accorder leurs instruments en
vue de la cession de « live music » prévue ce soir. Je ne sais pas
pourquoi, mais dans nos esprits, on s’attendait un peu à l’évènement de la
semaine. Sans doute l’incongruité d’un concert dans un pub aux trois quart
vide, au milieu d’un village perdu : cela prendrait sans doute des
proportions énormes, les fans allaient jaillir de je-ne-sais quelle trappe au
plafond, des roux en habit de la Saint-Patrick viendraient payer leurs tourner
(et pourquoi pas faire un peu de claquettes sur le parquet, tant qu’on y est). Bref
un truc un peu plus épique que deux quarantenaires un peu voutés qui jouent
pour l’un de la guitare folk et pour l’autre de l’accordéon.
Voilà, on ne va pas se mentir,
on avait un peu pitié d’eux avant que ça commence. Pourtant, les deux musiciens
sont d’expérience, et même s’ils ne sont pas dans un répertoire trop débordant
de jovialité, ça reste de la vraie musique irlandaise. Dans un bar. De quoi
donc, barrer cet item de notre liste… Enfin, presque. Les titres passent, qui
nous mettent de plus en plus dans l’ambiance (même si apparemment, nous sommes
presque les seuls), et il manque toujours notre morceau préféré. C’est-à-dire
que oui, nous connaissons une et une seule chanson (à boire) irlandaise. Assez
bien pour chanter le refrain comme des ivrognes dans la voiture, c’est vous
dire la confiance. Aussi, lorsque le chanteur-guitariste demande à l’audience si
les gens souhaitent un morceau en particulier, nous n’hésitons pas longtemps
(et nous sommes les seuls à répondre) : The Irish Rover !
Apparemment, ce n’était pas
trop dans leurs intentions initiales, une vraie chanson de bar. Donc ils
rigolent, haussent les épaules, et c’est parti pour les premiers accords. Ils
auraient difficilement pu se défausser de la demande : tout irlandais de
plus de quatre-cinq ans connait la chanson, et je crois que c’est dans la loi
de savoir la jouer sur au moins deux ou trois instruments différents avant sa
majorité. Mais pour le coup, ceux qu’on entend le plus chanter dans
l’assemblée, c’est nous. Oui, oui, nous. Qui avons sorti pour l’occasion les
feuillets imprimés avec les couplets de la chanson. Qui reprenons en tapant nos
chopines le refrain. Qui, n’ayons pas peur des mots, faisons vivre un peu le
pub.
A part nous, qui sommes encore
dans l’extase du moment présent (on a eu notre chanson ! Pour nous !
Par des locaux !), une tablée de groupies s’est assemblée juste à côté. Trois
nanas, qui ont pour la majorité dépassé la fleur de l’âge, mais qui ne boudent
pas leur plaisir à écouter les deux musiciens. Elles tapent des mains, se
sentent en confiance, redemandent de l’alcool. D’ailleurs elles taquinent la
plus jeune des trois, visiblement timide à l’égard du groupe. On pensait très
clairement que c’était une histoire de béguin (d’autant que ses amies ne
faisaient pas dans la finesse), jusqu’à ce que la femme en question se lève, et
aille poser en personne une question au guitariste. Ce dernier acquiesce avec
joie… Mais de quoi s’agit-il ? Eh bien tout simplement, elle retourne à sa
place et sort d’un grand sac rembourré une sorte de tambour plat, dont la peau
tendue est recouverte de motifs celtiques, et une baguette de bois épais.
C’est une sorte de
percussionniste, évidemment. D’ailleurs, elle est très douée, et en fera la
démonstration avec les deux musiciens, qui sont vraiment heureux de l’avoir
avec eux pour jouer. De temps en temps, c’est un peu hors tempo, mais c’est vraiment
fun à regarder. Elle tient le tambour sur la tranche, et sa main droite agite
la baguette dans un balancier de la main qui permet une fréquence élevée et une
belle résonnance. Pervers comme je suis, je ne vois malheureusement que le
mouvement de sa main, qui va donner un surnom à la fois à l’instrumentiste et à
toute la profession : voici que nous connaissons la branleuse (je vous
laisse comprendre par vous-même). Les trois compères s’améliorent, et nous
resterons encore une bonne vingtaine de minute à les écouter. Ensuite, force
est de constater que la fatigue nous rattrape. Avec ce genre de journée
derrière nous, pas facile de tenir en soirée !
Il est l’heure de reprendre la
route… Pour une expérience tout à fait spéciale, et dont Julie ne s’est toujours
pas tout à fait remise : la conduite de nuit, sous la pluie, sur les
minuscules routes irlandaises. Si de jour, c’est une poésie, de nuit… Bon,
j’avoue, c’est vraiment plus tendu. J’ai l’œil habitué à regarder la ligne de
droite pour ne pas rester aveuglé lors des croisements, mais ici, ça ne sert à
rien d’autre qu’à me faire loucher sur les pleins phares des autres
utilisateurs. Les routes n’ayant pas subitement gagné trois mètres de large au
cours de l’après-midi, il s’agit de calculer les croisements beaucoup plus
tard, et de conduire un peu plus au jugé. La pluie n’aide pas beaucoup, et l’un
dans l’autre le trajet parait dangereux, sinueux, infini (seul le GPS, ce faux
ami, sait où nos nous trouvons). Le dernier quart d’heure en particulier, avec mes
yeux de plus en plus usés, donne des frissons à mes passagers autant qu’à moi.
Mais bon, comme toute bonne
aventure, elle a une fin heureuse. En l’occurrence, lorsque je tourne la clef
de contact dans l’arrière-cour de notre B&B, je sais que je peux éteindre
toute concentration. Et heureusement d’ailleurs : il est l’heure pour un
sommeil mérité, lit à barreaux ou pas. D’ailleurs, le duvet est très agréable,
et je n’ai même pas le temps de… *ronfle*
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