D’abord, il s’agit de
reprendre la route, pour se rendre jusqu’au point de départ de notre petit
safari marin, réservé sur Internet, et qui part de Ventry. Un lieu qui, pour
vous donner une idée, apparait à peine sur maps (il faut zoomer jusqu’à y voir
les vaguelettes sur la mer)… Direction donc, la péninsule de Dingle, qui fait
face au Ring of Kerry, la principale attraction touristique de cette région
sud-ouest de l’Irlande : une avancée sur la mer, qui offre une route de
200km de vallons, de falaises sur la mer et de certaines des plus hautes
montagnes de toute l’île. Pour cette fin de journée, le temps est nuageux, et
le ciel n’est plus qu’un amas de nuages qui se cognent les uns sur les autres
sur fond bleu.
Pour relancer l’ambiance (plus
personne n’avait envie de rouler, et la route au début n’est qu’un enchainement
de lignes droites) nous rétablissons un concours qui faisait fureur dans mon
enfance : le premier à voir la Mer a gagné. Principe débile s’il en est,
surtout que personne ne définit jamais qui gagne quoi, que peut faire le
perdant, y-a-il une compensation pour le conducteur qui regarde la route. Mais
enfin ça a le mérite de nous rentre tous très attentifs à notre environnement.
En effet, entre la péninsule de Kerry et celle de Dingle la mer s’enfonce dans
les terres assez profondément, nous savons qu’elle apparaitra bientôt à gauche
de la voiture.
Michel a très légèrement tué
le jeu. Il faut dire qu’il le remporte haut la main, ça ne fait aucune
discussion… Mais qu’avec le GPS à 15 cm devant le pif, c’est tout de suite plus
facile. Au zoom maximum, le bougre disposait d’une résolution qui devait
approximer la centaine de mètres, alors ça n’a pas été bien compliqué. A
remarquer que suite aux plaintes (et à la disqualification qui a suivi), tout le
monde a bien cru gagner cinq ou six fois, car dans un brouhaha général nous
avons tous désigné la flotte. Jusqu’à ce qu’elle soit bien visible, et même
ensuite. Juste pour se rappeler avec excitation que oui, nous y sommes, au bord
de la mer. Nous avons beaucoup anticipé
cette sortie en bateau, au point de regarder dans les semaines qui ont précédé
notre départ les différents rapports de la société qui fait les tours en
mer : plusieurs dauphins ont été repérés, et même, la semaine précédente,
des baleines (une bleue, et des plus petites).
Presque à l’embranchement de
la péninsule de Dingle, il y a une plage gigantesque qui malgré la température
pas franchement folichonne pour la baignade, attire beaucoup de monde. Pour
faire une petite pause, nous nous garons dans un virage en surplomb, qui nous
donne une vue impressionnante sur ces trois ou quatre kilomètres de sable
blanc, avec en fond les montagnes du Kerry qui se découpent sur le ciel sombre.
Les plaisanciers sont garés à même la plage, les voitures alignées dans des
rangées disparates directement sur le sable, et plusieurs groupes d’adolescents
s’invectivent joyeusement à quelques mètres des embruns. Pour nous c’est la
joie de profiter de cette odeur iodée absente de Dublin, de ces vaguelettes que
nous sommes impatients d’affronter, de cette sensation immuable que là, on
profite de nos vacances à fond.
Enfin, au bord de mer, la
conduite devient un peu plus intéressante. Comme les locaux n’ont pas pu
planter de haies sur ces collines qui plongent directement dans l’océan, on
peut à la fois conduire de façon sportive et observer le paysage… Au risque de
s’y perdre un peu, puisque Julie m’indiquera une sortie un peu tôt : on va
se retrouver comme des cons sur un chemin de terre qui fait cul-de-sac au bout
de 30m. Comme il est dix-sept heures, le soleil bas et les nuages créent des
jeux de lumière sur cet ensemble de vallons parfois escarpés, aux moutons
inlassables et au vert de cent couleurs différentes. C’est beau,
indubitablement plus sauvage et isolé que tout ce que nous avons traversé
jusqu’ici. La côte est splendide, toute en roches que viennent prolonger les
prés, découpés de murets de pierres centenaires.
Nous passons d’ailleurs par le
chef-lieu, Dingle, petit port de pêche complètement saturé de touristes,
agglutinés sur le parking de trente places qui fait à lui seul doubler la
population du coin… Car même cette petite ville (c’est un grand mot) ne fait
que quelques centaines de mètres de long, entre le pont qui défie le ressac
depuis la Renaissance et la fin de la jetée des plaisanciers. Pour vous donner
l’exemple le plus parlant, nous n’avons décompté que trois pubs ! C’est
malheureux, on se sent presque triste pour eux. Enfin, presque, hein. Parce
qu’entre la Mer, le paysage, les moutons et la Guinness, on les envie pas mal
aussi. Mais nous continuons (sans écraser personne, et le long du port c’est
une gageure) notre périple vers Ventry, censé être un village encore plus
petit.
Soyons honnêtes, celui qui a
mis ce patelin sur la carte a cru faire une farce hilarante. Ventry a été comme
une apparition, presque furtive. Après un énième cap sur la route sinueuse, on
s’engage à droite entre trois ou quatre maisons blanches et jaunes, avant le
panneau qui nous indique fièrement la localité. On a eu le temps de se dire
qu’à présent, il nous restait juste à trouver la jetée et un endroit où se
garer, et c’en était déjà terminé. D’un coup, comme ça, déjà plus de maisons.
J’ai fait demi-tour, on a retenté l’expérience. Au ralenti, parce que croyez
bien que sinon, on y serait encore… Le cœur du village, ou pour parler vrai,
l’ensemble du bled se résume à une place centrale recouverte d’un gazon
immaculé, ou trônent quelques bouquets de fleurs longeant la route.
Autour,
l’inévitable pub domine la baie et les quinze-vingt autres maisons. Un
restaurant (un vrai) est situé avec ses trois places de parking à la sortie du
village. Il n’y a que deux ruelles, l’une qui descend vers un quai de pierre
d’une trentaine de mètres de long, blottie entre deux massifs d’hortensias, et
une qui monte sur quatre maisons de profondeur à flanc de colline. C’est là que
nous laisserons finalement la voiture : un peu en avance sur l’horaire,
nous constatons que notre petit navire n’est pas encore accosté au quai, aussi
passons-nous par le pub.
Comme je l’ai dit plus tôt,
nous parlons français entre nous, aussi on ne fait pas trop attention mais
c’est vrai que nous sommes vites catégorisés comme des étrangers (difficile dès
lors de faire illusion même avec un bon anglais). Deux adolescentes en
profiteront pour me « draguer » (ou tout simplement me débiter tous
les mots qu’elles connaissent en français) tout en pouffant entre elles.
Dilemme de l’étranger donc, impossible de savoir si c’était bien ou mal
intentionné. Nous ne nous en formaliserons pas, en s’installant sur la terrasse
du pub : les filles ont d’ores et déjà commandé des jus de fruits et du
Coca pour passer le temps. Si le ciel se couvre peu à peu, nous avons quand
même le temps de passer une quinzaine de minutes sous un soleil resplendissant.
De là où nous sommes, nous avons une vue globale sur la petite baie de Ventry,
qui compte autant de barques de pêche que de maisons (c’est-à-dire peu,
finalement), colorées et ballotées sur les vaguelettes créées par le vent.
Inutile de bouger avant
d’apercevoir le bateau de notre petit safari se profiler à l’horizon, mais dès
qu’il est en vue, nous nous précipitons sur la petite jetée.
Pas besoin de vérifier les
horaires à la capitainerie du port (y’a pas), il suffit d’attendre que le
navire atteigne le bout du quai, pour venir se ranger dans un ralenti
parfaitement exécuté. Le « Blasket Princess » (euh, d’accord, c’est
le nom du bateau) débarque ses passagers actuels, et nous pouvons prendre place
sur le pont principal. L’équipage se répartit très simplement entre le
capitaine, un vieux bourrin d’une cinquantaine d’années à l’anglais
incompréhensible, qui va rester au commande du Princess tout au long de notre
petit voyage, et son second, un jeune irlandais au pull marin en grosses
mailles et à l’anglais incompréhensible, qui va servir de guetteur pour
localiser les innombrables découvertes de ce safari marin.
Le bateau en lui-même est un
petit chalutier transformé : une large plage arrière qui offre de la place
pour les 8-10 touristes qui embarquent, la cabine principale qui offre un abri
en cas de gros temps juste derrière le poste de pilotage du capitaine (tout est
en bois et craque, il doit y avoir de l’ambiance en cas de gros grain). Enfin,
pour compléter le tableau, il faut signaler le roof, petit pont accessible par
une coupée centrale (celui qui prononce le mot échelle est jetée à la mer,
simple rappel), qui offre une vue surélevée alentours, mais dont les barres de
maintien sont évocatrices : accès interdit à ceux qui ne profiteraient pas
de belles oscillations ! Clairement, le gros moteur diésel n’a pas à
fournir un gros effort pour nous emmener faire nos trois heures de
ballade : son vrombissement doux fait comme douce mélodie passées les
premières minutes sur la mer. C’est un délice, d’ailleurs, ce tour en bateau.
C’est fou comme j’aime cette sensation… Ce vent qui court sur les embruns et
vient s’échouer sur les flancs du bateau, emportant avec lui la profonde odeur
de la côte découpée…
Larguez les amarres, souquez
les artebuses, nous partons à l’aventure ! Au fait, c’est quoi ce nuage,
là, derrière ?
Limite poétique cet épisode ! Bravo!!
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