jeudi 15 mai 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 17

Episode 17: Mise en forme

En se réveillant ce matin, on ne peut s’empêcher d’être de bonne humeur, et dans une forme olympique. Déjà, parce que suite à la pluie d’hier soir, il fait un beau temps qui semble idéal pour la randonnée. Le Bed and Breakfast dans lequel nous sommes installés est silencieux, bien tenu et les chambres sont excellentes : nous avons tous les quatre profité d’une bonne nuit de sommeil. Et comme nous sommes en voyage, inutile de faire une grasse matinée : à huit heures pétantes (oui, sans doute les frites d’hier soir qui passent mal) nous nous retrouvons à la table du petit déjeuner. 

On a beau être les premiers, la sympathique tenancière nous installe et nous propose ni plus ni moins qu’un menu (nous ne sommes pas habitués à commander à la carte dès le matin, mais pourquoi pas). On y retrouve tout ce que l’on peut souhaiter : muesli, l’œuf sous toutes ses formes, des toasts, de la purée de haricots blancs… Le tout en plus de la pléthorique pile d’en-cas qui sont proposés en buffet : jus de fruits, confitures, boules de pain, salade de fruits, on ne sait plus où donner de la tête.

Nous ne jouerons pas les aventuriers culinaires pour aujourd’hui, et commandons pour la plupart d’entre nous des œufs (sauf Marie évidemment qui n’aime pas ça) brouillés sur des toasts. Mais nous prenons quand même le temps de nous renseigner (nous sommes encore là demain) sur cet item du menu : l’Irish breakfast. Et la description même que la propriétaire nous en fait donnerait l’eau à la bouche à n’importe quel patient atteint de surcharge pondérale : du bacon, des œufs frits, du boudin… Demain, c’est promis, on part en voyage pour le gras. En attendant, nos assiettes débordantes arrivent déjà, et c’est comme une fête qui se mange entre amis… Les toasts sont parfaits, l’œuf est bien salé et encore brûlant à cœur : un délice. N’oublions pas que nous allons faire du sport, donc pour faire bonne mesure, nous mangeons encore des tartines de confiture, des yaourts, jusqu’à n’en plus pouvoir.

Alors que d’autres touristes arrivent à leur table avec de pitoyables mines de saut du lit, nous sommes en forme et opérationnels : sus aux montagnes locales ! Nous montons nous changer pour la randonnée et préparer les sacs. Prévoyants comme nous sommes, ça implique pas mal d’affaires mais surtout les K-ways, le sac du réflex, des biscuits… Et de la place, pour le pique-nique de midi. Nous arrivons à être à peu près opérationnels pour neuf heures et quart (Michel semble un peu ronchonnant mais il n’est sans doute pas tout à fait réveillé), heure à laquelle nous prenons notre Quashquaï pour partir en ville, tout en faisant attention de ne pas écraser le chat dans l’allée. Julie, qui avait fait un repérage sur le net, nous emmène tout droit sur le parking du seul supermarché qui soit en face de l’office de tourisme. Comme souvent, on lui doit une fière chandelle, car si l’intérieur de l’office est tout en open-space, moderne et accueillant, on aurait facilement pu passer une demi-heure à le chercher.

Les filles se chargent de notre repas de midi, tandis que nous qui sommes censés être responsables du sens de l’orientation, allons prospecter pour trouver une randonnée. Il y a plusieurs prospectus, et comme je le craignais, ce n’est pas toujours clair : ni pour savoir d’où partir, ni pour être certain que ce n’est pas simplement une route praticable en voiture. Celle qui me tente le plus dans un premier temps est la Gullimichmich Mountain (ou quelque chose comme ça), qui n’est autre que le plus haut sommet d’Irlande. Oui, je vise modeste, comme d’habitude. Pourtant je suis un peu inquiet, parce que le prospectus indique la présence d’un passage indiqué juste pour les psychopathes ou les alpinistes : un « Wall of Death » qui nous refroidit un peu. On aurait pu hésiter longtemps, mais je décide de prendre l’initiative d’aller demander à l’une des sympathiques conseillères qui s’ennuient assises à leur bureau. En effet, si le résultat peut être douteux en France, j’ai tellement confiance dans le capital amical de l’irlandais qu’ici j’aime aller parler aux gens.

Soyons francs, mon interlocutrice n’a clairement pas fait de randonnée dans les quinze dernières années. Pourtant, elle connait son sujet et c’est assez impressionnant. Avec une série de quatre à cinq questions, elle nous a bien cernés (en plus, on a déjà enfilé nos costumes de randonneurs, donc…). Rapidement, elle me propose trois parcours bien différents. Le pic des fous, apparemment, est assez déconseillé : il n’y fait pas toujours beau, c’est très ardu et il semble que ce soit la destination favorite des hélicoptères de secours du coin. Il y a donc deux autres cartes, la première étant une ascension de 3 heures au maximum, la seconde indiquée pour 5-6 heures. Immédiatement, j’ai toute mon attention portée sur la seconde, quitte à oublier d’écouter l’anglais rapide de la conseillère, qui me parle du trajet. Pour que ce soit plus sûr, elle me scanne un bout de carte, me donne le dépliant, me fait presque jurer sur la Bible que nous serons prudents, puis nous laisse repartir.

Entre temps, les filles sont venues nous rejoindre, avec les sacs à dos bien garnis : même blessés, réfugiés au fond d’une grotte, on ne mourra pas de faim avant plusieurs jours. Du coup, c’est avec un grand sourire aux lèvres que nous partons à l’aventure : à partir de maintenant, nous pouvons tranquillement profiter de notre journée au grand air. Enfin, si le temps se maintient à la même couleur, c’est-à-dire le bleu. La première partie du trajet nous fait longer le très grand lac (dites Lough, ça fait local) au sud de Killarney, jusqu’à… Une étable. Sur le plan, ça a l’air facile, mais je vous promet qu’au moment de tourner, c’est pas les doutes qui manquent. D’autant que la route que nous empruntons n’a rien à envier par endroits à certaines routes de Guadeloupe (c’est pas nous qu’on le dit)… C’est minuscule. Le GPS déclare vite forfait, du style « eh, vous êtes pas en pleine forêt, là ? », aussi on ne peut s’en remettre qu’à nous-mêmes pour trouver le fameux virage à droite qui nous emmène au départ de la randonnée.

Sauf qu’on le trouve pas. Lorsqu’à un moment donné, on retombe sur une route un poil plus grosse (ouais, une rue quoi), nous savons que nous avons échoué. Tant pis, on va chercher un virage à gauche, en roulant plus doucement en sens inverse ! La route paraît encore pire, c’en est à un point ou je klaxonne dans un virage tellement c’est resserré et qu’il n’y a aucune visibilité. Et puis finalement, au sommet d’une côte bien raidasse, un chemin de gravier part sur notre gauche. Bien caché entre deux buissons, il fallait vraiment rouler doucement pour le voir… Deux kilomètres plus loin, nous sommes au départ de la grande ballade. Enfin, nous ne sommes pas tout à fait surs. C’est que, la route continue et tourne vers la droite. Et que la zone pour se garer est… Comment dire… resserrée.

On va pousser un peu plus loin, si ça se trouve il y a un parking, et un panneau de randonnée ! Mais non en fait, la « route » arrive dans un lotissement de quatre-cinq maisons. Non seulement on se fait aboyer dessus, mais je n’ai absolument pas le choix, il faut que je rentre chez quelqu’un pour avoir la place de faire demi-tour (Julie sort courageusement pour diriger la manœuvre). Retour, donc, à ce petit virage. Quashquaï aidant, je m’aventure dans les hautes herbes sans trop de risques. Le temps de sortir, mettre les chaussures de marche, et nous sommes prêts pour l’ascension ! Le chemin est assez facile à suivre passé les deux premiers buissons : ça monte, sec et presque en ligne droite, le long d’un ruisseau qui serpente sur ce long versant couvert de buissons impénétrables. Le temps s’est un peu couvert, aussi le sentier fraie-t-il son passage dans des dizaines de nuances de vert foncé, entre de gros épineux et des touffes de blé, de hautes herbes posées sur de la mousse et ces petits buissons bas qui ressemblent à un panier presque déjà tressé. Pour nous quatre, nous prenons régulièrement des photos : il faut dire que les pauses sont les bienvenues pour souffler un bon coup… Cette montée, elle décrasse salement les poumons.

A suivre ce ruisseau, on tombe sur différents tableaux vraiment sublimes, où l’eau se faufile entre des piles de rochers dénudés, où le chemin traverse le cours sur de grandes pierres plates posées dans un gravier blanc… Et si les gros plans ne vous intéressent pas, il y a la vue grandiose qui se découvre au fur et à mesure que l’on prend de l’altitude : on voit clairement la grande Killarney, étendue le long des axes routiers et accolée au lac. On ne voit pas encore la pleine surface que prend ce dernier, que lesquelles des dizaines de petites îlots couverts de grands arbres forment de là où nous trouvons comme un tapis de mousse dans une grande flaque. Le vent aussi rentre peu à peu dans la partie, mais ça ne nous décourage pas outre mesure, il fait bon avoir un peu d’air dans une montée pareille. Contrairement aux magnifiques chemins balisés d’Alsace, zigzaguant jusqu’aux sommets, étendant leurs virages à flanc de coteaux, ici… Eh bien ils ne se sont pas beaucoup posé la question : tout droit, c’est très bien aussi.


Au cours de notre ascension, j’ai vite l’œil attiré par de subtils mouvements. Et à mieux y regarder, il y a plusieurs moutons disséminés dans cette longue pente. Pour la plupart, ils n’ont absolument rien à faire de notre présence sur place. Deux ou trois nous regardent passer avec la curiosité qu’on peut apporter à un objet décoratif, mais généralement ils se sont contentés de continuer à brouter sans discontinuer. Certains sont mêmes posés sur leur garde-manger. Couchés dans les hautes herbes sur un promontoire, ils admirent la vue le temps de mastiquer, puis replongent la tête dans l’herbe : même pas besoin de se déplacer ! Sans doute la version geek chez le mouton. Après une énième pause pour souffler, nous repassons une dernière fois au-dessus de notre ruisseau. Le sentier s’éloigne autour de la montagne, qui est plus haute qu’il n’y paraît vue du parking, tout en montant régulièrement. Devant un petit crachin passager et surtout la morsure du vent, nous sortons nos K-ways qui vont nous protéger de l’angine efficacement. 

Mais alors que l’on remet les sacs à dos, prêts à repartir, un constat terrifiant s’impose : nous sommes suivis. Pire, pour de bons marcheurs. 

Nous sommes rattrapés. 

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