Lorsque l’on entre dans
Donegal, on croit d’abord à une face de l’ami GPS. Nous sommes en effet bien
renseignés, c’est une ville où nous serons installés cette nuit, le chef-lieu
d’un énorme comté qui englobe une bonne partie du nord de l’Irlande. On
s’attend donc à bien plus qu’à la dizaine de maisons que l’on croise jusqu’à ce
que le guidage nous indique le lotissement où se trouve notre B&B. Exercice
peu évident d’ailleurs, car toutes les maisons se ressemblent. Il n’y a pas de
gigantesque panneau, pas d’enseigne au néon. Seulement un quartier calme, ou
les dizaines d’architectures modernes laissent apercevoir un bras de mer calme
venir lécher les pieds des arbres, quelques cinquante mètres en contrebas. Il
faudra faire deux tours complets du quartier (démarrage en côte livré de série)
pour pouvoir trouver. Mais une fois sur place, nous sommes très bien
accueillis.
Il semble qu’ici, les gens ont pris une habitude bizarre de
construire trop, beaucoup trop grand. C’est à se demander si toutes les
baraques alentours sont aussi énormes que celle où nous logeons : tout
l’étage est dédié aux visiteurs, qui disposent de quatre chambres, chacune avec
salle de bain. Et quand je dis chambre, il y aurait de la place pour installer
cinq ou six trous de minigolf à condition de bien pousser le lit… Si Julie
se met à un bout de la chambre et moi dans la salle de bain, il faut crier à
perdre voix pour s’entendre !
Comme les autres jours, et
même un peu plus ce soir, il ne faut pas traîner pour aller manger : nous
avons beau être à quelques centaines de mètres du centre-ville, nous ne savons
pas quelles sont les habitudes ici, et il est déjà près de sept heures lorsque
nous nous lançons dans notre recherche du jour. Toujours en repérage, nous
notons la présence d’un grand supermarché pour demain matin, et continuons vers
le cœur de Donegal. J’aime autant vous dire qu’on nous a survendu la taille du
truc : c’est vraiment minuscule comme cité. Mais par contre, elle a du
charme, ça oui ! La rue principale descend vers le quai encombré de
bateaux de pêche et de tourisme, pour tourner et remonter ensuite vers un
centre largement piéton ou s’alignent les quelques enseignes les plus prisées.
Pour notre part, nous n’aurons pas de grande chasse au restaurant aujourd’hui.
Malins, nous avons pris quelques cartes au B&B, dont plusieurs qui nous
assurent 10% de ristourne dans un très beau restaurant. C’est aussi le premier
et le seul établissement qui nous tente immédiatement : un magnifique
bâtiment de pierre et de bois de trois étages, qui domine l’eau et les quais de
ses grandes baies vitrées.
Et à l’intérieur, nous sommes
tout aussi vite conquis ! Tout est en petits paliers, et à chacun sa
fonction. Au rez-de-chaussée, un bar sert quelques clients dans une ambiance
assez sombre, sol en ardoise et grands tonneaux en guise de tables. Au-dessus,
la salle sous un très haut plafond part vers les baies vitrées, avec une
construction toute en poutres de bois clair qui supportent des murs de pierre.
La vue sur la baie est saisissante, on se sent spectateurs privilégiés de la
vie sur le petit quai de Donegal. Nous obtenons une table facilement, il faut
dire qu’il s’agit bien d’un restaurant, qui s’assume en tant que tel et non un
bar avec une carte des plats chauds. La carte parlons-en, après avoir commandé
quelques boissons, nous avons un choix pléthorique de dizaines, presque d’une
centaine, de dîners différents. Malheureusement pour nous, les descriptions des
plats ne sont pas toujours au rendez-vous, et c’est du très bon anglais.
Difficile de comprendre, malgré notre bon niveau, quel plat correspond à tel ou
tel ingrédient. Pour moi qui tente d’éviter les poissons trop poissonneux, ce
n’est déjà pas évident, mais pour Marie par exemple, c’est un vrai calvaire.
Nous essayons de la conseiller comme nous pouvons, mais nous avons déjà du mal
pour nous-mêmes. Enfin, sauf Michel, évidemment, puisqu’il prendra le classique
bœuf Irlandais.
Julie et moi prendrons même
une entrée, et remarquons à cet instant une feuille supplémentaire qui vient
encore rajouter une vingtaine de plats au menu. C’est cette dernière qui va
jeter la confusion. Parce que voyez-vous, nous n’avons pas eu le temps de vraiment
l’étudier lorsque la serveuse vient prendre nos commandes. Julie se lance en
premier, puis moi, et Michel par la suite. Marie, bonne dernière, panique un
peu au dernier moment, change son choix et commande un Fish and Chips. Ou est
la vanne alors ? Eh bien c’est que juste avant de se décider, elle nous a
assuré vouloir choisir quelque chose d’équilibré et de pas trop gras ce soir,
puisque nous avons le choix. C’est d’ailleurs un peu notre politique à tous,
mais bon, avec un Fish and Chips, ça ne sera pas facile. Entre temps, nous
aurons le temps de savourer nos boissons, cidre pour moi, Guinness pour Julie
et Michel, qui rate encore de très peu son fameux objectif des neuf marques.
L’occasion également de s’attarder sur une déco résolument marine, avec un
gigantesque gouvernail à l’horizontale qui fait office de lustre, des cordages
dans tous les sens (en guise de rampe, pour camoufler les câbles…) et des
objets de marine sur différents présentoirs. Sans compter la grande maquette au
pied de l’escalier, bien sûr.
D’abord, il y a les entrées.
Julie et moi profitons d’un simple potage, mais qui après une journée pareille
fait du bien là où il réchauffe… Et puis c’est l’occasion d’une belle
découverte, celle du Guinness Bread. Certes, on en avait déjà mangé avant, sous
l’appellation Soda Bread. Un pain noir, servi comme une tranche de cake, bourré
de graines, de bouts de légumes parfois, et très fort en goût. Excellent, et
plus encore lorsqu’il est à la bière. Nous profitons, parce que les vacances
c’est aussi la bonne fringale à l’étranger. La nourriture, et les fous-rires.
Et quand on parle de moment drôles à Donegal, le regard de Marie lorsque son
Fish and Chips est arrivé restera longtemps gravé dans ma mémoire, tout autant
que le plat. Le principe du Fish and Chips est facile, c’est un poisson panné
presque poché dans l’huile, servi avec des frites. Mais là, dans l’assiette de
Marie, l’objet magnifiquement luisant fait la taille d’une belle côte de bœuf,
et doit compter plusieurs gobelets d’huile. Autant pour le « je voudrais
manger léger ce soir » ! Hahaha, quelle tête !
Pour nous autres, nous avons
plus ou moins suivi notre ligne de conduite. Moi, surtout, j’ai une assiette de
crudités Irlandaises, servies avec un jambon à chapelure. Rien d’extravagant,
mais des légumes, c’est une exclusivité qui me manquait depuis plusieurs jours
(nous avons du mal à trouver des tomates, dans certaines supérettes). Julie
savoure ses pâtes en sauce (sauce à la crème pas allégée, si vous voyez ce que
je veux dire), et Michel son burger de bœuf bien chargé. Nous qui avions cru
pouvoir tenir jusqu’à la carte des desserts ! Non. Non, ce ne sera pas
pour ce soir. Le repas va passer doucement alors que le soleil passe sous
l’horizon, nous offrant tout le couchant via la gigantesque façade vitrée
(malgré les traces de gouttes, venues nous empêcher de faire les photos de
rigueur), avec d’autres rires, quelques visualisations de photos des jours
précédents… Nous décidons d’aller, malgré la fatigue, à la recherche d’un bar
où finir la soirée.
Sauf que voilà, il y a bien l’un
ou l’autre troquet dans le coin, mais on peut oublier tout autre endroit que la
place principale. Simplement, Donegal est tout petit. Et un peu mort, même
comparé à Roundstone, qui ce soir nous fait toujours office de modèle (pour un
patelin qui n’apparait même pas sur la majorité des cartes…). Alors que faire ?
Nous poussons nos recherches un peu plus loin, passons à côté de l’église
fortifiée (très bien illuminée) et du château fort (vachement sympa, mais les
autres ont l’air d’avoir vu assez de châteaux pour les dix prochaines années).
Il y a un ou deux restaurants remplis de personnes âgées, donc nous battons en
retraite. De retour sur la place piétonne au centre du bourg, nous évaluons
chacun notre niveau de fatigue. Si je suis dans la même situation qu’à Dublin
(prêt pour aller jusqu’au bout de la nuit), les autres sont assez crevés, et
nous n’avons pas le courage de passer vingt minutes supplémentaires pour
trouver un pub confortable.
Alors nous rentrons.
J’aime même vous dire que nous
rentrons vite, parce que je suis pris d’une envie pressante avant la montée de
colline obligatoire dans le quartier résidentiel (eh, c’est que je comptais un
peu trouver un pub, moi). La mort dans l’âme et avec les molaires qui baignent,
je serais obligé d’attendre d’être dans notre énorme chambre, à bon port. Non
sans avoir souhaité une bonne nuit aux autres et choisi nos petits déjeuners
pour demain matin : la preuve que même avec le bide prêt à craquer, je
suis encore capable de m’imaginer manger un Full Irish breakfast. Eh oui,
solide jusqu’au bout ! Dans la chambre, après les douches bien méritées,
nous profitons d’un long moment au calme. Je me questionne mentalement pour
réaliser un book sur notre voyage, peut-être un récit nous verrons en rentrant.
Et puis, je commence à lire. Julie aussi, s’il n’y avait pas ce bruit. C’est un
genre d’aspiration, un bruit mécanique comme une VMC. Le genre qui n’est pas
acoustiquement fort, mais que, une fois remarqué, ne peut pas s’oublier.
Impossible. Pas forcément régulier, en plus. Alors que nous ne sommes pas
vraiment fatigués, cela nous rend un peu fous. On ne trouve pas vraiment la
source en plus, ce n’est pas dans le couloir, pas dans notre chambre ni dans la
salle de bains, ce doit donc être au grenier, au-dessus. Julie, qui n’arrive
pas autant à rentrer dans l’action de son bouquin, s’endort furieuse.
Moi je lirais jusqu’à relever la tête du coussin, un
moment, car il y a quelque chose qui cloche : Un silence profond a envahi
le Donegal.
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