Pour traverser le Mayo, qui
est une région avancée sur la mer, nous prenons de plus en plus confiance dans
le GPS, et décidons d’emprunter un jeu complet de routes minuscules. Jouer à
cache-cache-tracteur en campagne, c’est aussi une version du « fun en
vacances ». La route est pétillante, fraîche. Il y a trous et bosses, on
ne s’ennuie pas cinq minutes, et en plus nous avons de la vue alentours, sur de
petites collines couvertes de moutons ou paissent quelques brins d’herbe
éparpillés (ou bien est-ce l’inverse…). Nous roulons ainsi presque trois quart
d’heure, qui font que malgré la liste pléthorique d’ingrédients ingérés ce
matin, il commence à se faire faim. Pourtant, réglés comme du papier à musique,
nous n’avons pas prévu de manger avant la prochaine étape. Nous sommes dans une
campagne désertée, dans une immense Irlande hors circuit qui se laisse traverser
d’un trait. C’est pour nous une découverte, qu’enfin il puisse y avoir un comté
ici pour lequel nous n’avons pas envie d’ouvrir notre propre B&B à quatre.
Enfin, nous retrouvons la mer,
devant nous. La côte est d’un vert surnaturel découpé par un bleu foncé sous
l’azur du ciel sans nuages. Nous avons besoin de mettre toute notre attention à
chercher la route, ou plutôt le chemin vers « Downpatrick’s
Head » : le GPS, qui s’était vicieusement fait oublier (faites-moi
confiaaaaaaance) nous rappelle qu’une fois passé le dernier village sur la
côte, il ne connaît pas les noms des caps, qu’il va falloir s’aider tous seuls.
Il faudra faire demi-tour, et revenir dans le minuscule hameau, qui semble être
la proie d’une drôle d’agitation. D’après ce que nous arrivons à comprendre,
c’est soit une grande fête d’anniversaire pour les enfants, soit un quelconque
évènement de village : bon nombre des autochtones sont assis dans des
chaises de jardin, à papoter dans un champ les uns avec les autres, tandis que les
gamins jouent un peu plus loin sous les arbres. C’est une scène paisible, qui
vient nous rappeler un peu que la roue tourne : nous sommes ici en
vacances, mais pour d’autres c’est juste un jour d’été comme il y en a tant.
Après trois kilomètres
supplémentaires sur une chaussée en gravier (pourvu que personne n’inspecte le
bas de caisse, on est bons), nous arrivons sur un petit parking bourré de
monde. On reconnaît l’affluence du mois d’aout au Mayo : en plus de la
nôtre, deux autres voitures sont là. C’est d’ailleurs un peu bizarre car dans
l’une des deux, il y a un petit vieux qui semble surveiller les alentours avec
attention. Et sans dénigrer la fonction de chien de garde, c’est un peu malsain
à regarder. On s’en va donc un peu plus vite que prévu vers le bout des
falaises. Nous sommes déjà bien au-dessus du niveau de la mer, mais le rocher
ne fait que monter dans une sorte de gigantesque tremplin vert tourné vers l’océan.
Mais en premier lieu, nous voici intrigués par des sortes de cages, qui
empêchent les gens de s’approcher d’un trou. On pense que c’est une énième
exagération sécuritaire, jusqu’à y jeter un œil. Ouch, il valait mieux protéger
les touristes : l’herbe recouvre jusqu’au bord un à-pic de dix mètres de
roche absolument vertical. En bas, d’autres rochers et…
Un fond de
ressac ! A plus de cent mètres de la côte, ce doit être un véritable
emmental là-dessous, pour y voir des vagues ! Toute le front de mer est-il
aussi percé ailleurs qu’ici ? Et surtout, question plus importante, ou est
la grotte de Tom Jedusor ?
Au fur et à mesure que nous
avançons, il y a deux autres « cages », plus impressionnantes encore.
A la dernière, la cavité souterraine est si importante que l’on y voit la
lumière du jour se refléter sur les vagues en contrebas, à plus d’une quinzaine
de mètres. Cela donne, malgré les grilles, l’impression de se tenir sur le
vide. Quelques mètres plus loin, il y a une plaque et une statue chrétienne
usée par le vent depuis trop d’années. Pourtant, c’est la plaque qui est
intéressante. Saviez-vous que la France a un jour décidé d’envahir
l’Irlande ? Eh ouais. Pour tenter de soustraire des soldats britanniques
du front de l’Est, Napoléon avait envoyé trois navires provoquer des
soulèvements indépendantistes en Irlande.
Malheureusement pour lui, et
comme vous pouvez vous en douter vu ce que l’histoire a retenu, ça n’a pas été
un franc succès. Les navires étaient usés et les soldats d’anciens bagnards…
Ils ont débarqué autour de Downpatrick’s Head, et ont réussi à soulever un seul
village. Après quoi, manque de chance ou pas, les loyalistes leur sont tombés
dessus et ont fait échouer la tentative après un petit siège. La petite plaque
(écrite en français) rend donc hommage à cette tentative proche du fail absolu,
mais qui vient ajouter une touche d’humour dans ce paysage sinon juste
majestueux.
En arrivant au bord de la
falaise, nous atteignons le véritable joyau de Downpatrick’s Head : un
bout de rocher, dressé seul au milieu de l’océan, véritable colonne de pierre,
exposant ses mille strates et son sommet plat inaccessible. Il est là, à moins
de cent mètres de nous, si proche et pourtant si loin, brisant les vagues en
avance sur tout le reste de l’Irlande. Nul doute qu’un jour il a été relié au
continent promontoire vers l’océan infini, mais aujourd’hui il est l’unique
veilleur en avant. Nous nous faisons la réflexion que si d’une manière ou d’une
autre il était possible de traverser, l’endroit serait idéal pour y garder les
moutons. Même si l’endroit est déjà un refuge naturel : des dizaines
d’oiseaux tournent au-dessus de la côte, font des plongeons impressionnants du
ciel jusqu’à la mer, trente mètres sous nos pieds. La falaise est splendide, et
fait comme les doigts d’une main posée sur la mer. Un plateau découpé, et ses
avancées sur l’eau. Il y a plus de vent que lors de notre visite à Moher, alors
même si le roc n’est de loin pas aussi élevé, le ressac est bien plus
impressionnant à regarder. Un vrai bonheur que d’entendre la mer s’écraser sur
les rochers, sur les dizaines de strates qui montent jusqu’à nos pieds
(remarquez la rime franche).
De là, nous flânons. Michel
part sur la falaise d’en face pour mieux nous photographier, minuscules humains
posés sur cette langue basaltique, tandis que Julie et moi nous extasions sur
la couleur des plaques d’herbe, littéralement vertes fluo. Beau moment pour la
photographie aussi, avec un sujet pour le coup monolithique, et pour autant
courbé, abimé, coloré. On rigole beaucoup, notamment de la peur du vide de
Marie, renforcée par le fait de savoir que sous nos pieds, le sol est plein de
rien, suivi par de l’air et de l’eau. Il y aura même l’occasion, quelques
minutes après, de faire crier les filles. Le bord de la falaise est en quelque
sorte en trois grandes marches d’escalier larges de deux mètres et profondes de
plus d’un mètre vingt. J’appelle donc les nanas, fait semblant de leur montrer
un point à l’horizon, et saute sur la première des marches en mimant un
trébuchement. Avec la perspective et les touffes d’herbe, l’effet est garanti.
Même si elles me voient me tenir le bide de rire quelques secondes plus tard.
Michel et moi, réflex à la main, sommes encore à la fête pour un bon quart
d’heure avant que nous décidions qu’il est l’heure de manger.
A l’exception d’un petit
groupe de trois personnes qui passera dans la demi-heure, nous sommes seuls à
manger là, au bout du monde. Quelle beauté ! Un joyau que nous aurons à
cœur de parcourir dans son intégralité cette fois, sans se lasser ni des éclaboussures
des embruns, ni des contrastes entre vert et bleu et brun sombre. Après le
repas, au cours duquel j’aurais l’occasion de dévorer mon cake aux fruits secs,
qui était délicieux (évidemment), nous continuons jusqu’à nous retrouver en
face d’un flanc de falaise bien spécifique. En effet pour une raison que nous
ne comprenons pas, tous les oiseaux du coin ont choisi de nicher sur un flanc
bien spécifique de cet invraisemblable mais magnifique ensemble géologique
qu’est Downpatrick’s Head. Ils sont donc regroupés là, mouettes de toutes
sortes, goélands, quelques cormorans aussi que nous apercevons au loin. Et un
animal très singulier, qui bien sur va nous prendre par surprise.
Je crois que c’est Julie qui
l’a vu en premier, et a tendu la main. Au premier regard, j’ai pensé comme les
autres « oh, un pingouin », sauf que voilà, six mètres à pic
au-dessus de la mer, ce n’était pas très facile à croire. D’autant que l’animal
s’est immédiatement envolé pour plonger dans l’eau, et de là se perdre dans la
masse d’autres volatiles qui peuplent le coin. Je sais que j’ai une
pauvreté certaine en ornithologie, mais je sais quand même qu’un pingouin, ça
ne vole pas (ou alors, toujours du haut vers le bas, comme nous). Aussitôt que
nous l’avons vu disparaître, nous avons sorti les grands moyens pour le
retrouver. Julie repère le coin à la jumelle, tandis que Michel et moi avons
monté les zooms sur les réflex. Big Lens est de retour ! Pour ma part, je
profite de ma stabilisation pour observer les nids. Mais dix minutes plus tard
(et une bonne centaine de mouettes), nous n’avons pas retrouvé l’animal. Peu
importe, nous rigolons bien à chercher cette licorne. Et c’est à nouveau Julie
qui va le repérer alors que nous envisageons de partir.
Cette fois, il ne pourra pas
échapper aux paparazzis ! Eh bien c’était exactement ce à quoi ça
ressemblait. La forme d’un petit pingouin, noir avec juste le cou blanc, un
long bec droit, et assez de testicules pour se jeter à flanc de falaise
directement dans la flotte (sans doute parce qu’il peut remonter, lui). Pour le
moment, nous nous contentons de le prendre en photo, avec suffisamment de
clichés pour pouvoir l’identifier le moment venu. Fiers de notre découverte,
heureux de toutes ces belles choses que nous avons observé à DownPatrick’s head,
nous décidons de rebrousser chemin et de revenir à la voiture. C’est que,
voyez-vous, nous avons largement dépassé l’horaire prévu pour le point de
pique-nique. Et nous ne nous sentons pas coupables pour un sou :
le Mayo,
ça décoiffe !
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