Au petit matin, il est temps
d’oublier les contrariétés d’hier soir. Le bruit stressant est loin derrière
nous, et puisque nous ne passons qu’une nuit dans le Donegal, peu importe que
cela se reproduise. Il y a une petite méprise ce matin, nous attendions nos
amis devant leur porte à l’heure dite, tandis qu’eux étaient descendus
directement à la table du petit déjeuner. Il faut dire que cette dernière est
bien accueillante : elle déborde de diverses pâtisseries, de plusieurs
variétés de pain… Et puis le full Irish qui nous est servis à moi et Michel est
simplement splendide. Mention spéciale aux boudins noirs et blancs qui sont
très chargés en blé et absolument délicieux. Nous prenons notre temps comme les
autres matins pour toucher à tout ce qui nous intéresse (et la liste est
longue, même si je ne suis pas le seul à faire un petit trop plein suite à tous
ces repas plutôt lourds).
Nous ne prenons pas trop notre
temps ensuite, car nous repartons sur la route aujourd’hui. Nous sommes bien
rôdés à présent, les valises sont prêtes en deux minutes, on sait tout de suite
quoi déballer, et l’organisation est parfaite. En quelques gestes bien réglés,
nous avons payé le B&B (pas donné mais qui valait le coup), rangé les deux
sacs dans la voiture, sélectionné le nécessaire à l’avant, et sommes prêts à
partir après avoir programmé l’ami GPS. Nous allons faire un premier arrêt au
supermarché aperçu la veille au soir, afin de rassembler de quoi pique-niquer
ce midi. Quant à moi, je retire de l’argent, enfin j’essaie : deux de nos
trois cartes de crédit du couple ne passent pas. De quoi avoir la sueur qui
coule le long du dos, avec le fameux questionnement… Pourra-t-on tenir jusqu’au
bout ? Eh bien sans doute, oui. Pour la suite, la route traverse Donegal
(et…. C’est déjà fini), et continue le long de la côte sur quelques kilomètres
avant de s’enfoncer dans une vallée bien paumée, avec juste quelques fermes de
part et d’autres.
A quelques hectomètres de notre
premier arrêt, la route se met à monter. Sérieusement. Attention, pas une
simple grimpette, non, une montée impressionnante. Je n’aurais pas envie de
passer là en vélo, ni de devoir faire un démarrage en côte. Même le Quashqaï se
plaint, c’est vous dire. Tout cela pour arriver sur un petit parking prévu pour
une trentaine de véhicules, et sur lequel sont garés en tout et pour tout, une
berline et un camping-car : nous allons être sacrément tranquilles ! Pas
de touristes ici ! Enfin, c’était l’impression générale, parce que dès le
moment où nous enfilons nos chaussures de marche, on se croirait à Palavas les
flots. « Mamaaaaaaaaan, iléou mon chapeauuuuu ? – Mais rho, je
sais pas chéri. – Papaaaaaaaaaa ? » Urgh. Des enfants. Plein
d’enfants. Dans le camping-car, français. Fuyons ! Nous démarrons par une
montée sur la route goudronnée à un pas cadencé et de belles foulées… Les
touristes (nous on ne compte pas) nous suivent et nous préférons leur prendre
le plus de temps possible pour ne pas les avoir sur nos talons.
Lorsque la route bascule dans
un virage à droite, et qu’elle semble atteindre peu à peu le sommet du lieu,
nous comprenons combien nous avons fait un bon choix. Nous sommes aux Slieve
League, les plus hautes falaises de toutes l’Irlande : 660 mètres. Mais
pour le moment, d’où nous sommes, ce sont plus des collines dont la pente sud
se perd sur un fond d’océan. C’est splendide, avec un relief magnifiquement
prononcé, des dévers de l’herbe verte et un véritable show offert par les
moutons à tête noire qui broutent de façon imperturbable le long du chemin. Et
plus nous continuons, plus l’altitude se fait remarquer. On comprend d’abord la
distance qui nous sépare de la mer, plus de deux cent mètres d’altitude. Puis
on aperçoit, au loin d’abord, quelques flancs de roches sombres qui plongent
dans les eaux sombres. Et nos regards ne sont pas encore concentrés au bon
endroit. Sur notre droite, apparition soudaine après un nouveau virage de la
route, c’est la révélation. On ne peut dire rien d’autre qu’un « oh »
devant l’énormité du paysage.
Ce sont de véritables petites montagnes qui
surplombent les flots, des falaises presque à pic, surplombées d’un chemin
côtier et de quelques marcheurs qui vu d’en bas, paraissent
microscopiques : cela donne une idée de l’échelle. C’est à couper le
souffle. La roche, tantôt noire et sombre, tantôt granitique voire carrément
rosée, passe d’une teinte à l’autre le long de ces pentes vertigineuses pour
aller se perdre dans l’océan agité. Il y a du vent ici ce matin, aussi l’écume
vient-elle rajouter de nouvelles lignes de perspectives à ce tableau
inoubliable. La côte fait un repli à notre droite, et le départ du chemin monte
peu à peu jusqu’aux sommets des falaises à partir de là où nous sommes. C’est
presque intimidant ! En contrebas, par contre, sous cette muraille
indescriptible de terre et de roche bouleversés, une petite plage offre son
sable jauni à l’assaut des vagues. On discerne aussi une grotte naturelle, abri
millénaire inaccessible, qui me fait aussitôt penser que si je deviens pirate
un jour, c’est ici que je viendrai cacher mon butin.
Nous restons là un moment,
devant une barrière de bois qui protège les visiteurs de tomber d’un espèce de
promontoire. Marie nous avoue un petit coup de mou (petit déjeuner salé ou bien
la faute au voyageur clandestin de l’équipe…), alors nous n’allons pas gravir
la pente bien longtemps. Déjà que nous étions venus pour quelques clichés d’une
belle vue ! Des clichés nous en avons, des souvenirs aussi, mais il y a
encore cette irrépressible envie de voir de plus haut, d’aller s’aventurer un
tout petit peu plus loin. La montée est ardue, même si nous ne prolongeons pas
le plaisir. On s’arrête à mi-hauteur pour aller prendre quelques clichés hors
du chemin. Assis sur des rochers au bord du précipice, seuls avec l’immensité
qui nous tend les bras, le lieu est poétiquement splendide. Il y aura quelques
vannes (dont cette photo en perspective qui donne l’impression que Julie balance
Michel du haut de la pente), mais aussi quelques réflexions plus philosophiques
comme par exemple la comparaison complètement délirante de la hauteur de Slieve
League en face de quelques unités connues. La tour Eiffel s’y prête bien, parce
qu’avec ses 330 mètres d’altitude, elle atteint tout pile la moitié de la
falaise. Oui, juste la moitié. On a donc deux tour Eiffel virtuellement
superposées sous les yeux. Et on n’arrive toujours pas à y croire.
Une fois tous les clichés et
les effets (je joue au polarisant) réalisés sur les moindres détails des
falaises ou sur l’ensemble du panorama, nous redescendons voir Marie, et pour
quitter le lieu, de plus en plus peuplé. Il y a bien une petite dizaine de
touristes supplémentaires qui sont venus s’ajouter entre le chemin du
promontoire et celui sur le bord de la falaise. Et puis aussi le marchand de
glaces a ouvert. Nous étions passés à côté en rigolant, au début. Mais ça, c’était
avant, n’est-ce pas ? Parce que là, il a beau n’être que dix heures et
demie du matin, nous n’arrivons pas à supporter la vue de ce sympathique
vendeur de cornets qui nous interpelle. Et puis quoi, on ne vit qu’une fois,
non ? Alors malgré l’horaire, nous commandons chacune la nôtre. Julie
prendra framboise, je me lance sur le rhum raisin (il y a pas d’heure, on vous
dit) absolument délicieux, en me disant que j’aurais sans doute droit au parfum
le plus exotique. Eh… Non. Si Marie choisit le chocolat, Michel part sur une
glace au parfum chewing-gum ( !?), d’un bleu absolument schtroumpfesque.
Nous rigolons beaucoup avec
nos glaces, en se prenant avec, en polaire, en face de la mer de ce matin
venteux au nord de l’Irlande. Si ce n’est pas un pur moment de bonheur tous les
quatre, je botte en touche !
Le vendeur quant à lui, peut nous remercier :
nombreux sont les gens à hésiter en passant à côté de sa petite remorque. Et il
leur suffit de nous voir pour craquer et franchir le rubicond. Nous revenons
doucement à la voiture, par la même route goudronnée qu’à l’aller. C’est une
vraie redécouverte, car sur tout le premier quart, le chemin ne présente pas du
tout la même vue à l’aller qu’au retour. Ni tout à fait la même ambiance. On
voudrait rester, mais nous avons prévu une difficulté montagnarde aujourd’hui :
le Mont Errigal. Et pour cela, il faut déjà le rejoindre ! Nous
redescendons la route sinueuse, pour s’enfoncer dans une campagne ponctuée de
nombreux bras de mer, d’improbables routes à « 100 », et d’une
montagne qui ne semble jamais arriver.
Errigal se fait attendre. Le
plus haut sommet du comté n’a jamais le même profil selon d’où on le regarde,
et il change même de couleur, prenant une teinte rosée au matin. Pour notre
part, on l’aperçoit de loin au détour d’une vue dégagée dans un virage sur une
colline, mais ensuite plus rien durant plus d’une demi-heure. Il y aura plusieurs vérifications au GSP durant
tout le trajet, avant d’en tirer les conséquences : avec ces chemins entre
villages, ces détours le long de la mer (mais… les baleines, quoi !), nous
avançons à une allure d’escargot. Me fait que Julie en particulier ait faim n’arrange
pas l’ambiance, aussi sommes-nous bien heureux de le voir une bonne fois pour
toutes grossir devant nous lorsque nous nous rapprochons. Puis, un peu
circonspects : on va pouvoir grimper ça ?! Même en tournant autour
avec la voiture, ce qui nous fait gagner un peu d’altitude, jusqu’au parking,
nous avons les yeux rivés sur Errigal. Vraiment, nous allons pouvoir grimper ça ?
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