dimanche 20 juillet 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 34

Episode 34: La course au tumulus

Alors que les autres ont pris une belle avance sur moi (je traîne avec le zoom pour prendre des clichés des vaches… Oui, oui je sais), arrive un second et impromptu moment ornithologique. Tout un groupe de petits oiseaux vient se poser à côté des vaches. Je les prendrai au premier coup d’œil pour de simples moineaux, mais c’était avant de les voir courir dans les hautes herbes, par de petits bonds qui ne ressemblent à rien de ce que je connais. Les oiseaux viennent bondir sous le nez des bovidés, stoïques jusqu’au bout, alors que j’ai grand mal à en prendre un seul cliché correct : quelle vitesse ! Clairement à l’aise dans les prés, ces petites boules de plumes ne s’arrêtent que quelques fractions de secondes, volètent sur quelques mètres, reprennent leur ballet. J’aurais pu rester observer ça une bonne vingtaine de minutes de plus, jusqu’à ce que je me rende compte que les autres sont à trois cent mètres de là, presque déjà à la voiture, qu’ils s’impatientent. Je n’ai pas besoin de le voir avec précision pour deviner la moue de Julie, qui a les bras croisés avec l’expression typique du « mais qu’est-ce qu’il fait mon chéri ? ».

L’explication ne les convainc pas tout à fait (il y avait des petits oiseaux, ça sonne sans doute trop niais), apparemment tout le monde est impatient de reprendre la route. Il faut dire que nous avons un certain nombre de kilomètres à avaler pour nous rendre dans le comté suivant, le Donegal. Et que nous avons encore prévu au moins un arrêt sur le trajet. Sur le parking, nous aérons un peu la voiture (il fait à nouveau très chaud), l’occasion de remarquer que le vieux est toujours dans sa voiture, rejoint par celle qui est sans doute sa compagne. Cela créé vite un nouveau malaise, alors nous partirons rapidement, tout en nous autorisant les conjectures : étaient-ils empaillés ? Prisonniers ? Par acquis de conscience, nous allumons une radio locale pour vérifier que deux personnes âgées ne sont pas portées disparues. Nous n’entendrons rien de tout cela. Non, à la place, nous avons droit à une émission d’une radio de Cork (et pourtant c’est loin, Cork) qui malgré l’anglais rapide et accentué du présentateur, va nous tenir en haleine pour les prochaines heures. Enfin, au moins moi, parce qu’à l’arrière, la sieste est de retour.

Je conduis le long de la mer, vers l’Est, pour contourner un grand bras de mer séparant le Mayo du Sligo, avant le Donegal. Les marées sont importantes ici, parce que sur près de vingt bornes, j’ai l’impression singulière qu’à ma gauche, derrière le rideau de bocage, il n’y a qu’un gigantesque banc de sable parcouru par quelques filets d’eau. La route quant à elle n’est pas bien passionnante, je reste la majorité du temps bloqué derrière plusieurs camions qui sont sortis en masse. D’autre part il y a, une petite demi-heure plus tard, un choix à faire pour notre dernière visite. Nous avons le choix entre le plus ancien site néolithique d’Irlande, appellation pompeuse pour un ensemble de menhirs qui n’a peut-être rien de prestigieux, et le tumulus d’une reine féodale locale, enterrée au sommet d’une colline abrupte. Comme, à l’exception des falaises, il n’y a pas beaucoup de reliefs dans le coin, nous optons pour la grimpette, à Knocknarea. Une randonnée, c’est toujours le meilleur moyen d’oublier les kilomètres en voiture. Sauf que voilà, la route pour accéder au départ n’est pas des plus évidentes. 

Le GPS nous conduit fidèlement, mais la route est minuscule, passant dans deux hameaux de quelques maisons, avant de monter à flanc de colline, véritable défi lancé à notre diésel un peu poussif. Heureusement, nous n’aurons personne à croiser dans la montée, ce qui nous permet d’arriver à un petit parking, ou sont installées sept ou huit voitures (enfin ! nous avons trouvé les touristes !) et un bus.

J’aurais bien pris quelques minutes pour faire une « power nap » comme dans les Burren, mais je n’en aurais pas l’occasion : nous devons faire quelques calculs. Il faudra être vers six heures et demie à notre B&B, situé à Donegal. Et selon Julie, il reste encore deux heures de route pour rejoindre le chef-lieu du comté. Nous avons donc précisément 55 minutes à consacrer à l’ascension de la colline, voir le tumulus et redescendre. Ouch ! Le tempo est très court, la faute à la vue magnifique et à nos excursions dans le Mayo. Mais devons-nous nous décourager pour autant ? Bien sûr que non. Nous irons le plus loin possible durant une demi-heure et nous rebrousserons chemin, voilà tout. Et puis au pire, nous sommes encore tout à fait capable de hausser le pas, non ? Il nous reste des forces ! Donc, nous avons tout juste le temps de nous habiller avant de foncer sur le chemin.

La randonnée est taillée pour la vitesse : personne ici ne s’est ennuyé à dessiner des virages, ou bien aucun des agriculteurs des champs de gauche et de droite n’ont voulu lâcher du lest : dans une ligne bien dessinée entourée par de hauts talus, le chemin monte droit vers le sommet. Il y a bien quelques arbres qui viennent ombrager un peu le tableau, mais on se croirait plus sur une tranchée ou une ligne de démarcation que dans une promenade du dimanche. Et puis pour nous, ce n’est pas dimanche : à coup de souffles maîtrisés (pff, pff, pff, pff) nous gravissons lentement mais surement la colline. Le paysage est champêtre, avec quelques vaches Guinness qui broutent en nous regardant passer. A droite, une forêt de pins, et à gauche, une vue ouverte sur l’ensemble de la baie qui démarque le Sligo du Mayo. Forcément, nous n’allons pas voir le temps passer, ni vraiment nous arrêter pour capturer le paysage au Reflex. C’est du sport, ma bonne dame ! Arrivés à peu près à mi pente, nous soufflons un peu en passant entre deux champs. C’est que, comme tout le reste du dénivelé s’étale devant nos yeux, nous savons qu’il sera cruel.

Les passagers du bus garé au parking nous croisent alors, tout un groupe de jeunes adultes typiques, les visages fermés, cherchant du réseau, avec des bonnets pour les uns, des mini-shorts pour les autres, et cet air ahuri qu’ont tous les adolescents de par le monde. Enfin, surtout en France. Parce que oui naturellement, pour râler dans un paysage pareil, il fallait qu’ils soient français. Tous les profils sont là, entre les pouffiasses en train de dénigrer leur camarade deux mètres devant, les mecs qui crient de leur voix cassée et pré pubère… Les solitaires et les profs, forcément maniaco-dépressifs devant l’assemblée, complètent le tableau. C’est qu’on se bidonne, nous ! L’occasion de se rappeler nos propres années collège, pas forcément glorieuses. Enfin, on discute surtout pour tenter d’oublier le dénivelé, qui se corse sérieusement, à tel point que nous improvisons nous-mêmes nos petits virages en zigzag pour ne pas avoir l’impression de grimper une échelle. C’est ardu, les gravillons menacent de nous faire glisser, et un beau soleil de seize heures vient éclairer la scène. Le souffle court, nous nous motivons par le fait de réaliser un exploit, à notre échelle certes, mais tout de même gratifiant.

Nos physiques ne nous trahiront pas cette fois ! En sueur, haletants, nous parvenons au sommet quelques minutes plus tard après une dernière montée très physique, sorte de planche finale à passer. Devant nous, le tumulus. Ce dernier se présente comme un cairn, empilement de près de six mètres de haut de pierres claires, au sommet duquel une petite pyramide plus fine s’élève comme tendue vers le ciel. Il y a quelques autres visiteurs en haut, mais c’est surtout le bruit du vent que nous entendons. Située au bout de la baie, sans véritable obstacle depuis la mer, la colline accueille le vent comme un réfugié son passeport. Nous empruntons le sentier qui fait le tour de la grande structure, et qui offre une vue splendide sur le paysage alentours. 

Il n’y a en effet plus un seul arbre à notre hauteur, seulement des buissons d’une bruyère épaisse et vert-brun, végétation qui cache des flaques d’eau et des lits de cailloux blancs. Comme on aimerait avoir deux ou trois demi-journées devant nous pour emprunter ces sentiers ! Nous nous contentons de les observer se perdre vers la mer au loin, ou descendre vers les hameaux des habitants du coin. Après quelques photos de groupe, nous sommes suffisamment requinqués pour plaisanter et faire les idiots sur les clichés des autres, véritable concours de grimaces qui verra son apothéose avec la tête à Julie, qui improvise ce que nous appellerons brièvement « la tête du chameau ».

Avant de redescendre, un point chrono : nous avons mis trente minutes pour effectuer la montée (new world Record) et nous sommes reposés cinq minutes au sommet. Il ne nous reste plus qu’à fondre sur le parking, nous jeter dans la voiture et repartir ! Finalement, nous aurons même le temps de faire quelques photos. Nous ne sommes plus dans la même course, et les muscles à la descente sont toujours les plus traitres : pas question alors qu’il nous reste encore de beaux jours en Irlande d’aller se tordre une cheville dans le Sligo, sans doute le comté ou nous avons passé le moins de temps. Pour ma part aussi, point besoin de trop se donner alors qu’il faut conduire : je vais finir la descente avec Marie, bonne dernière, et évoquer avec elle nos écritures du moment et futures, puisque c’est un des grands sujets que nous avons en commun. J’irai jusqu’à croire un moment que les autres se sont cachés pour nous faire peur (bouh ! Mwahahaha, les gamins), mais ils se sont simplement laissés courir, lâchant les jambes dans cette descente en ligne droite.

Cinquante minutes, c’est finalement le temps que nous aurons mis pour faire l’aller-retour complet. Le tumulus de Knocknarea, qui restera un grand moment de sport pour nous et un petit challenge sur la route, nous aura bien décrassé les poumons, en plus d’offrir un paysage magnifique. Le reste du chemin jusqu’à Donegal sera calme, paraîtra un rien infini sur la fin (le passage de Sligo nous prendra du temps), et surtout, servira plus que le reste à nous creuser l’appétit : au moment de passer dans le Donegal, nous sommes tous affamés. 
Et en retard. 
Et il faut encore s’installer !


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