Alors que les autres ont pris
une belle avance sur moi (je traîne avec le zoom pour prendre des clichés des
vaches… Oui, oui je sais), arrive un second et impromptu moment ornithologique.
Tout un groupe de petits oiseaux vient se poser à côté des vaches. Je les
prendrai au premier coup d’œil pour de simples moineaux, mais c’était avant de
les voir courir dans les hautes herbes, par de petits bonds qui ne ressemblent
à rien de ce que je connais. Les oiseaux viennent bondir sous le nez des
bovidés, stoïques jusqu’au bout, alors que j’ai grand mal à en prendre un seul
cliché correct : quelle vitesse ! Clairement à l’aise dans les prés, ces
petites boules de plumes ne s’arrêtent que quelques fractions de secondes,
volètent sur quelques mètres, reprennent leur ballet. J’aurais pu rester
observer ça une bonne vingtaine de minutes de plus, jusqu’à ce que je me rende
compte que les autres sont à trois cent mètres de là, presque déjà à la
voiture, qu’ils s’impatientent. Je n’ai pas besoin de le voir avec précision
pour deviner la moue de Julie, qui a les bras croisés avec l’expression typique
du « mais qu’est-ce qu’il fait mon chéri ? ».
L’explication ne les convainc
pas tout à fait (il y avait des petits oiseaux, ça sonne sans doute trop
niais), apparemment tout le monde est impatient de reprendre la route. Il faut
dire que nous avons un certain nombre de kilomètres à avaler pour nous rendre dans
le comté suivant, le Donegal. Et que nous avons encore prévu au moins un arrêt
sur le trajet. Sur le parking, nous aérons un peu la voiture (il fait à nouveau
très chaud), l’occasion de remarquer que le vieux est toujours dans sa voiture,
rejoint par celle qui est sans doute sa compagne. Cela créé vite un nouveau
malaise, alors nous partirons rapidement, tout en nous autorisant les
conjectures : étaient-ils empaillés ? Prisonniers ? Par acquis
de conscience, nous allumons une radio locale pour vérifier que deux personnes
âgées ne sont pas portées disparues. Nous n’entendrons rien de tout cela. Non,
à la place, nous avons droit à une émission d’une radio de Cork (et pourtant
c’est loin, Cork) qui malgré l’anglais rapide et accentué du présentateur, va nous
tenir en haleine pour les prochaines heures. Enfin, au moins moi, parce qu’à
l’arrière, la sieste est de retour.
Je conduis le long de la mer,
vers l’Est, pour contourner un grand bras de mer séparant le Mayo du Sligo,
avant le Donegal. Les marées sont importantes ici, parce que sur près de vingt
bornes, j’ai l’impression singulière qu’à ma gauche, derrière le rideau de
bocage, il n’y a qu’un gigantesque banc de sable parcouru par quelques filets
d’eau. La route quant à elle n’est pas bien passionnante, je reste la majorité
du temps bloqué derrière plusieurs camions qui sont sortis en masse. D’autre
part il y a, une petite demi-heure plus tard, un choix à faire pour notre
dernière visite. Nous avons le choix entre le plus ancien site néolithique
d’Irlande, appellation pompeuse pour un ensemble de menhirs qui n’a peut-être
rien de prestigieux, et le tumulus d’une reine féodale locale, enterrée au
sommet d’une colline abrupte. Comme, à l’exception des falaises, il n’y a pas
beaucoup de reliefs dans le coin, nous optons pour la grimpette, à Knocknarea.
Une randonnée, c’est toujours le meilleur moyen d’oublier les kilomètres en
voiture. Sauf que voilà, la route pour accéder au départ n’est pas des plus
évidentes.
Le GPS nous conduit fidèlement, mais la route est minuscule, passant
dans deux hameaux de quelques maisons, avant de monter à flanc de colline,
véritable défi lancé à notre diésel un peu poussif. Heureusement, nous n’aurons
personne à croiser dans la montée, ce qui nous permet d’arriver à un petit parking,
ou sont installées sept ou huit voitures (enfin ! nous avons trouvé les
touristes !) et un bus.
J’aurais bien pris quelques
minutes pour faire une « power nap » comme dans les Burren, mais je
n’en aurais pas l’occasion : nous devons faire quelques calculs. Il faudra
être vers six heures et demie à notre B&B, situé à Donegal. Et selon Julie,
il reste encore deux heures de route pour rejoindre le chef-lieu du comté. Nous
avons donc précisément 55 minutes à consacrer à l’ascension de la colline, voir
le tumulus et redescendre. Ouch ! Le tempo est très court, la faute à la
vue magnifique et à nos excursions dans le Mayo. Mais devons-nous nous
décourager pour autant ? Bien sûr que non. Nous irons le plus loin
possible durant une demi-heure et nous rebrousserons chemin, voilà tout. Et
puis au pire, nous sommes encore tout à fait capable de hausser le pas,
non ? Il nous reste des forces ! Donc, nous avons tout juste le temps
de nous habiller avant de foncer sur le chemin.
La randonnée est taillée pour
la vitesse : personne ici ne s’est ennuyé à dessiner des virages, ou bien
aucun des agriculteurs des champs de gauche et de droite n’ont voulu lâcher du
lest : dans une ligne bien dessinée entourée par de hauts talus, le chemin
monte droit vers le sommet. Il y a bien quelques arbres qui viennent ombrager
un peu le tableau, mais on se croirait plus sur une tranchée ou une ligne de
démarcation que dans une promenade du dimanche. Et puis pour nous, ce n’est pas
dimanche : à coup de souffles maîtrisés (pff, pff, pff, pff) nous
gravissons lentement mais surement la colline. Le paysage est champêtre, avec
quelques vaches Guinness qui broutent en nous regardant passer. A droite, une
forêt de pins, et à gauche, une vue ouverte sur l’ensemble de la baie qui
démarque le Sligo du Mayo. Forcément, nous n’allons pas voir le temps passer,
ni vraiment nous arrêter pour capturer le paysage au Reflex. C’est du sport, ma
bonne dame ! Arrivés à peu près à mi pente, nous soufflons un peu en
passant entre deux champs. C’est que, comme tout le reste du dénivelé s’étale
devant nos yeux, nous savons qu’il sera cruel.
Les passagers du bus garé au
parking nous croisent alors, tout un groupe de jeunes adultes typiques, les
visages fermés, cherchant du réseau, avec des bonnets pour les uns, des
mini-shorts pour les autres, et cet air ahuri qu’ont tous les adolescents de
par le monde. Enfin, surtout en France. Parce que oui naturellement, pour râler
dans un paysage pareil, il fallait qu’ils soient français. Tous les profils
sont là, entre les pouffiasses en train de dénigrer leur camarade deux mètres
devant, les mecs qui crient de leur voix cassée et pré pubère… Les solitaires
et les profs, forcément maniaco-dépressifs devant l’assemblée, complètent le
tableau. C’est qu’on se bidonne, nous ! L’occasion de se rappeler nos
propres années collège, pas forcément glorieuses. Enfin, on discute surtout
pour tenter d’oublier le dénivelé, qui se corse sérieusement, à tel point que
nous improvisons nous-mêmes nos petits virages en zigzag pour ne pas avoir l’impression
de grimper une échelle. C’est ardu, les gravillons menacent de nous faire
glisser, et un beau soleil de seize heures vient éclairer la scène. Le souffle
court, nous nous motivons par le fait de réaliser un exploit, à notre échelle
certes, mais tout de même gratifiant.
Nos physiques ne nous
trahiront pas cette fois ! En sueur, haletants, nous parvenons au sommet
quelques minutes plus tard après une dernière montée très physique, sorte de
planche finale à passer. Devant nous, le tumulus. Ce dernier se présente comme
un cairn, empilement de près de six mètres de haut de pierres claires, au
sommet duquel une petite pyramide plus fine s’élève comme tendue vers le ciel. Il
y a quelques autres visiteurs en haut, mais c’est surtout le bruit du vent que
nous entendons. Située au bout de la baie, sans véritable obstacle depuis la
mer, la colline accueille le vent comme un réfugié son passeport. Nous
empruntons le sentier qui fait le tour de la grande structure, et qui offre une
vue splendide sur le paysage alentours.
Il n’y a en effet plus un seul arbre à
notre hauteur, seulement des buissons d’une bruyère épaisse et vert-brun,
végétation qui cache des flaques d’eau et des lits de cailloux blancs. Comme on
aimerait avoir deux ou trois demi-journées devant nous pour emprunter ces
sentiers ! Nous nous contentons de les observer se perdre vers la mer au
loin, ou descendre vers les hameaux des habitants du coin. Après quelques
photos de groupe, nous sommes suffisamment requinqués pour plaisanter et faire
les idiots sur les clichés des autres, véritable concours de grimaces qui verra
son apothéose avec la tête à Julie, qui improvise ce que nous appellerons
brièvement « la tête du chameau ».
Avant de redescendre, un point
chrono : nous avons mis trente minutes pour effectuer la montée (new world
Record) et nous sommes reposés cinq minutes au sommet. Il ne nous reste plus
qu’à fondre sur le parking, nous jeter dans la voiture et repartir !
Finalement, nous aurons même le temps de faire quelques photos. Nous ne sommes
plus dans la même course, et les muscles à la descente sont toujours les plus
traitres : pas question alors qu’il nous reste encore de beaux jours en
Irlande d’aller se tordre une cheville dans le Sligo, sans doute le comté ou
nous avons passé le moins de temps. Pour ma part aussi, point besoin de trop se
donner alors qu’il faut conduire : je vais finir la descente avec Marie,
bonne dernière, et évoquer avec elle nos écritures du moment et futures,
puisque c’est un des grands sujets que nous avons en commun. J’irai jusqu’à
croire un moment que les autres se sont cachés pour nous faire peur
(bouh ! Mwahahaha, les gamins), mais ils se sont simplement laissés
courir, lâchant les jambes dans cette descente en ligne droite.
Cinquante minutes, c’est
finalement le temps que nous aurons mis pour faire l’aller-retour complet. Le
tumulus de Knocknarea, qui restera un grand moment de sport pour nous et un
petit challenge sur la route, nous aura bien décrassé les poumons, en plus
d’offrir un paysage magnifique. Le reste du chemin jusqu’à Donegal sera calme,
paraîtra un rien infini sur la fin (le passage de Sligo nous prendra du temps),
et surtout, servira plus que le reste à nous creuser l’appétit : au moment
de passer dans le Donegal, nous sommes tous affamés.
Et en retard.
Et il faut
encore s’installer !
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