dimanche 13 juillet 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 32

Episode 32: Au Royaume d'Iron Dick

Ce matin, nous sommes tous bien reposés et dans une forme impressionnante. Pas trop d’efforts physiques hier, une belle soirée au bar, notre capital motivation est de retour au top niveau. C’est donc l’heure du défi matinal avec le retour de l’ineffable Full Irish Breakfast, dont le nom évoque à lui seul une bataille contre les éléments. Mais quel délice ! Nous repartons de la table du petit déjeuner pleins comme des sacs, après un enchaînement irraisonnable de toasts, miel, bacon, œufs, confiture, salade de fruits, tomate, boudin blanc… Aucun d’entre nous n’a tenté le saumon au petit déjeuner, je pense que la vision que j’ai offert hier (je me tenais un peu le bide pendant la rando) aura calmé les autres concurrents.

Une fois bien installés dans la voiture, il est temps de continuer notre road-trip irlandais. Nous continuons vers le Nord, sur une côte de plus en plus sauvage dans une campagne de moins en moins touristique. Le temps s’est dégagé durant la nuit, et même si la route est encore mouillée, il n’y a plus que quelques nuages moutonnants sur un grand fond de ciel bleu. La mer est calme, au point que de Roundstone, nous n’entendons plus le clapotis régulier de l’eau sur la digue. Après le traditionnel arrêt à l’épicerie (nous commençons à nous demander comment innover sur les repas des prochains jours), nous quittons le petit village. Et malgré la météo, le gras, le livre de randonnée tout pourri et l’absence chronique de chemins de marche, il restera l’un de nos endroits préférés. Il y a un calme et une beauté intrinsèque ici que nous n’avons trouvés nulle part ailleurs. C’est notre souhait à tous que de revoir Roundstone un jour pour de nouvelles aventures.

Le voyage commence par un grand tour sur les routes côtières du Connemara. Plutôt que d’en sortir en quatrième vitesse, nous choisissons de profiter du paysage qui nous a manqué la veille, de découvrir qui se cachait derrière les bancs de brouillards, et mine de rien de se réconcilier un peu avec ce gigantesque dédale de collines abruptes, de vallées glaciaires et de fjords à saumons. Sur une route minuscule, nous traversons quelques villages de pêcheurs et des hameaux de fermiers aux moutons multicolores. C’est beau. La mer est en fond de carte postale, et nous ne la quittons pas des yeux (surtout Marie, qui continue de compter sur les baleines). Nous avons à un moment une impression de « déjà vu » qui se propage jusqu’à ce que l’on reconnaisse au GPS que nous sommes passés ici hier. Etrange, cette métamorphose totale d’un paysage du gris au bleu, d’un vert profond à des couleurs vives et enjouées. Les villages morts d’hier sont les joyaux d’aujourd’hui. Portes colorées, jardins bouffants de nature, petits vieux souriants posés sur les bancs. Tout était pourtant là, sous nos yeux.

Poussés par la curiosité (et nos vessies) nous décidons d’aller nous garer à Kylemore Abbey pour la voir sous le soleil. Et bien nous en prend, le joyau du Connemara resplendit sous la lumière d’une magnifique matinée. On discerne un chemin de montagne qui s’éloigne au-dessus, jusqu’à une improbable chapelle à mi-pente. Il doit y avoir une belle vue, de là-haut ! Malheureusement, je suis freiné par mes camarades, et nous repartons vers l’Est puis au Nord. Il n’y a pas grand monde ce matin, ni au château (nous nous sommes garés au premier parking, un véritable exploit) ni sur les routes. Cela ne pouvait signifier qu’une chose : aidé par les panneaux, c’est l’autorisation de pousser à « 100 » ! Et dans cette immensité de tourbe, de collines froissées par les années, il n’est pas difficile de lâcher les chevaux. Le Quashqaï, apprivoisé après quelques jours de route, ronronne gaiement dans les virages, donne l’impression de pouvoir nous emmener jusqu’au bout de ces routes crevassées, sinueuses et disparaissant à l’infini dans les paysages.

Quelques kilomètres plus au nord, nous quittons le Connemara lorsque l’on s’aperçoit que la route est à nouveau bordée de ces hautes haies d’une bruyère impénétrable. Plus de sommets pelés à l’horizon (sauf dans le rétro), nous sommes dans le Mayo (et non La Mayo, et tant mieux). Depuis Roundstone, il nous faudra près d’une heure et demie pour atteindre notre premier objectif, reconnu sur Google Maps, lors de la préparation du voyage. Il s’agit d’un monastère fortifié en ruines, celui du fameux Iron Dick… Mais est-ce bien le bon ? La question se pose alors que nous sommes dans une région riche en ruines, en monuments, en bras de mer. Rien sur place n’évoque le personnage de Fer. Cependant, en arrivant sur place, on oublie tous nos doutes : c’est magnifique et c’est tout ce qui compte. Unique voiture garée sur une large allée goudronnée, nous sommes entre une petite rivière qui se jette dans le bras de mer voisin et un gigantesque cimetière celtique. Posé sur un promontoire, entouré de massifs de fleurs et en avancée sur l’eau, le monastère en ruines est d’une beauté calme et intemporelle.

Au XVIIè siècle, le Mayo, cette région marécageuse, aux bras de mer infinis, petites îles et collines basses était le parfait repère pour la piraterie. Les cotres attaquaient le commerce jusqu’à Belfast avant de se replier dans les méandres et d’y disparaître les cales pleines. Et dans le coin, c’était une femme qui était à la tête de ce juteux commerce. Une pirate, régnant sur une communauté de plus d’une centaine de familles. Mais pour éviter de perdre sa tête dans l’affaire, elle décida de se marier à l’une des plus riches lignées de la région. Histoire en plus de mettre un titre et des terres dans cette grande entreprise. Malheureusement, la justice n’abandonna pas la traque, et elle finit capturée (et peut-être exécutée). Ses deux enfants ont fait leur vie, mais le mari, dans un geste de repentance, s’en fut dans notre fameux monastère, où il devint moine malgré son surnom d’ « Iron Dick » (en espérant que Dick vienne de son prénom).

Nous voici donc devant l’imposante construction de pierre. Les murs qui subsistent, tournés vers le ciel, sont parés d’arches et d’ogives ciselées et gravées du trèfle irlandais. Sur le méandre qui court jusqu’à la route, une petite grève de pierre est aménagée, et une grande barque déposée de guingois, appuyée sur un muret qui soutient le talus. Nous décidons de faire quelques photos de groupe ici, mais elles se révèleront plus périlleuses que prévu. Impossible en effet de se poser sur l’embarcation, pleine jusqu’à la gueule d’eau de pluie à cause du déluge d’hier. C’est glissant, et il faudra faire des efforts pour faire croire sur la photographie que nous passons juste un bon moment appuyés sur cette barque. Ensuite, chacun des quatre voyageurs suit son propre chemin pour profiter du monastère. Non content d’être mitoyen d’un cimetière, ce dernier dispose comme celui de Cashel de son propre lot de pierres tombales tapissant le sol. Etrange sensation que de marcher sur la dernière demeure de Patrick Mc Guinness, mort en1821. 

La vue de l’autre côté est également saisissante. Les murs et le talus plongent sur quelques mètres dans les eaux calmes du bras de mer qui serpente entre des dizaines d’îlots surchargés d’arbres verts. Juste en face, on devine un hameau derrière les troncs, et quelques bateaux colorés ancrés là viennent ajouter une touche de rouge et de vert, leurs mâts ballotés doucement par le reflux. Nous restons un petit quart d’heure à déambuler sur place, à chercher le bon angle pour capturer croix celtiques et vieilles pierres, fleurs et grès massif, mer et âmes des Irlandais du Mayo qui vécurent ici. Même pour nous qui ne sommes pas religieux pour un sou, l’endroit dégage une spiritualité certaine. Nous reprenons la voiture pour quelques minutes à peine, car la tour-château de la pirate nous attend à quelques encablures de là… Sur la mer. Donc plusieurs kilomètres sur terre. Guidés cette fois par le GPS, nous nous engageons sur une route ridiculeusement minuscule. Ici, je ne souhaite même pas croiser une Twingo, il n’y a vraiment pas de marge, et des peupliers centenaires bordent la mince bande goudronnée qui s’en va vers la côte.

Le château, tour unique mais largement fortifiée, surgit après un virage, comme une apparition intemporelle. Construit directement sur la ligne de marée, il a l’air posé sur la plage. D’ailleurs, une famille d’Irlandais s’active à la pêche à pied à quelques dizaine de mètres de là. Seuls une fois encore, nous nous garons à quelques mètres, et venons inspecter la grande tour de pierre. Rectangulaire, elle est surmontée d’un toit en pente et de petites tours d’angle, qui viennent un peu égayer la sévérité du reste. Purement défensif, il ne doit pas y faire bien clair : en tout et pour tout, trois petites fenêtres viennent percer les murs épais, et je soupçonne qu’elles ne sont là que pour d’éventuels archers. Une plaque explique quelques faits sur la tour, érigée pour « la Reine des pirates ». A l’époque, les alentours n’étaient pas si déserts : tout un village de bois et un marché occupaient le champ d’un vert profond ou paissent aujourd’hui de magnifiques moutons à tête noire. Et au sommet de la tour, la chambre de la propriétaire, où, selon la légende, l’amarre de son navire était attachée au pied de son lit.


Une fois que Julie a fait trois fois le tour de l’imposante structure de pierre (elle cherche à se soulager sans se faire remarquer), nous pouvons repartir. Et après un franc exercice de conduite (il a fallu croiser quelqu’un sur la route ou je ne pouvais pas croiser quelqu’un) la discussion s’engage. Bien entendu, ce que nous avons vu ce matin n’était ni flamboyant ni extraordinaire. Pourtant, c’est bel et bien l’Histoire qui a façonné ces deux endroits et laissé vagabonder notre imagination sur les pirates, sur un éventuel butin caché ou sur la longueur du membre d’Iron Dick. C’est peut-être ce qui fait la spécificité du Mayo et de notre voyage aujourd’hui. De petits lieux, emprunts d’une beauté peu touristique mais que les sagas historiques montrent sous un jour nouveau. 
Nous ne sommes d’ailleurs pas au bout de nos surprises : Après Dick, on file chez Patrick. 

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