mercredi 10 septembre 2014

I.R.L.A.N.D.E. Voyage 1, épisode 48

Episode 48: Loi de Murphy et tête de Thor

Juste avant de quitter le parking de Carrick a rede, je décide de pousser un peu la marche sur une centaine de mètres, en continuant sur un chemin secondaire. Et de là, j’obtiens enfin la vue escomptée. Il est temps de monter le téléobjectif, et de regarder à quoi ressemble « en live » cette fameuse traversée de pont. Force est de constater qu’avec les vagues qui font des efforts sympathiques pour s’écraser le plus violemment possible sur le granit juste en dessous, l’image est fort sympathique… Mais on ne peut se départir d’une impression un peu industrielle : peu, voir aucun touriste ne reste bien longtemps sur le pont de corde. Pour nous qui voulions flâner, cela achève bien de nous convaincre. Il est temps de partir, et d’aller manger dans la prochaine ville, laquelle comme toutes ses voisines s’appelle Bally-quelque chose.

En arrivant dans le patelin, impossible d’éviter le traditionnel tracteur de foin, que l’on se coltinera suffisamment de virages pour évoquer sa légende. Il apparait en effet pour chacun au moment le plus inattendu, lorsque l’on a le plus besoin de s’arrêter, ou bien en dernier recours lorsqu’on est pressés d’aller quelque part. La légende veut (à raison) qu’il soit strictement impossible à dépasser jusqu’à ce que l’on soit résigné à accepter son sort. Et en effet, jusqu’aux faubourgs de Ballycastle, on ne pourra pas le lâcher. Affamés, nous nous garons après avoir tourné un peu, juste au-dessus du port (nous avons décrété que puisqu’on ne comprenait rien à l’horodateur, ce n’était pas payant). Le paysage nous rappelle clairement ces villes de Bretagne, dont le port est toujours le cœur et où il fait bon flâner le long des quais de plaisance.

Les maisons sont beaucoup plus anglaises, évidemment, toutes en pierre, avec leur portes peintes et leurs entrées surélevées… On est sur un quartier très traditionnel ! Lorsque l’on retourne vers la mer, il y a la partie commerciale du port, ou une grande barge de drague est en cours de déchargement. Un peu plus loin, c’est un chalutier qui se prépare à prendre la mer. C’est toujours un environnement chargé, rude, plein de couleurs et de senteurs uniques qui apparaissent en se promenant près des quais. Un peu plus loin, la forêt de mâts est au rendez-vous, mais nous décidons d’aller d’abord manger nos sandwichs… Surtout qu’il y a un parc, avec des bancs et suffisamment de badauds pour assurer une animation raisonnable (comprenez, de quoi commenter comme des petits vieux). Mais c’est au moment de manger que nous nous rendons compte que les nuages, là-haut, sont devenus soudainement plus bas et plus gris. Pourra-t-on éviter le grain ? On y croira, cinq minutes. Mais nous avons encore la bouche pleine alors qu’arrivent les gouttes… Il faut bientôt choisir de se réfugier sur un muret et sous un arbre… Et quelques minutes plus tard, quand les feuilles ne nous protègent plus, de sortir les K-ways !

Loi de Murphy oblige… La pluie a fait son apparition à plusieurs courtes reprises aujourd’hui, mais à chaque fois (A. Chaque. Fois) il s’est agi de moments où nous étions à l’extérieur. Une fois fini nos tranches de jambon (eh oui, encore du jambon), nos tranches de pain (eh oui, encore du pain) et nos bananes (rien de plus sexy qu’une banane), nous n’avons plus qu’à marcher jusqu’à la voiture, sans passer par les quais de plaisance : l’averse est trop forte, je suis toujours incertain sur le sort de la voiture (la Loi de Murphy prévoit un PV automatique…) et puis nous avons un programme de visites qui peut durer toute l’après-midi, alors autant décoller. Naturellement une fois le coffre ouvert, il ne pleut plus, donc je vais prendre un cliché ou deux des bateaux accostés au quai de commerce. Les dernières cages sont chargées sur le chalutier. C’est le moment d’intérioriser comme à chaque fois ce sentiment exaltant (et irrationnel) qui me crie de courir sur le quai, de tout balancer et de partir à l’aventure en laissant tout derrière moi. Oui, c’est n’importe quoi, évidemment. Mais c’est l’appel de l’inconnu qui me marmonne à l’oreille, et sa voix est douce.

C’est le moment de prendre ma place au volant : en parlant d’inconnu, nous y roulons ! Nous sommes assez tôt dans l’après-midi, aussi nous décidons d’un petit détour à Torr Head, que l’on peut définir comme le « coin haut droit » de la carte de l’Irlande. C’est aussi le point le plus proche de l’Ecosse… Mais la route pour y arriver, ah c’est tout une histoire. Il faut d’abord descendre vers le Sud, puis remonter le long de la côte, car de hautes et abruptes collines séparent le front de mer et le reste du pays. On circule donc sur une route « B », et celle-ci est réellement minuscule. A tel point qu’à l’intersection principale, un panneau interdit clairement l’accès aux caravanes et autres camions. Bref, à tout véhicule un tant soit peu encombrant. Parce que là, on n’est pas dans le « oui, ça passe limite ». Non, là, pour la grande majorité des virages il est improbable de vouloir croiser une trottinette ou dépasser un vélo. C’est un peu anxiogène d’ailleurs, car nous croiserons bien quelques voitures (serrage de fesses garanti et tout le monde roule au pas)… Mais ce qui nous motive, c’est ce paysage, absolument grandiose.

A notre gauche, les collines vertes et leurs moutons, séparés de petits murets de pierre centenaires et d’arbres esseulés. A droite, souvent un massif mal taillé de buissons en fleurs, puis un grand vide avant l’océan, une bonne centaine de mètres en contrebas. Et n’allez pas croire que c’est une ligne droite : les dix kilomètres à vol d’oiseau sur la carte vont nous prendre une grosse vingtaine de minutes de conduite. Agressive en montée, dressant les cheveux en descente, cette mince allée vers le bout du monde Irlandais est une véritable épopée en soi. Sublime, parée de ses couleurs les plus vives alors que le ciel se dégage, et sauvage aussi. Comme préservée… A l’évidence aucun bus ne passe par ici (les gens tiennent à leur vie, et puis c’est interdit). Une intersection surprend, et c’est presque un chemin de gravier qui va nous emmener jusqu’à la pointe. Un petit parking avec, surprise, deux autres voitures, nous accueille au bas d’une pente entre les champs. Une ancienne conserverie de saumon est le seul bâtiment de main d’homme, et il vient renforcer cette impression de grandiose infinité de nature : le corps principal de cet édifice de briques est en ruines, n’en restant que les piliers et quelques pans de mur envahis par une végétation dévorante.

Pour être tout à fait exacts, nous ne sommes pas encore à Torr Head. Et Marie, qui est absolument crevée et va rester faire une sieste dans la voiture, ne foulera jamais le site (d’ailleurs nous n’avons pas encore fermé le coffre qu’elle dort déjà). Car pour cela, il faut grimper un promontoire naturel, qui surplombe la mer et toute la côte alentours. Malgré la faible distance, on y mettra une petite dizaine de minutes (c’est abrupt, ma bonne dame). Mais nous sommes récompensés en haut, par la vue, naturellement, et par les ruines d’un ancien phare/poste d’observation. Une bâtisse en ruines, mais dont il reste la plupart des murs, ainsi que pas mal de ferraille rouillée… Pourtant aucun de nous trois ne peut s’empêcher de s’imaginer en détachement ici, un jour de tempête, à tenter de guider un pétrolier dans la passe… Bien des nuits épiques (et d’autres, chiantes) ont dû prendre place ici. Peut-être même des guets anxieux de repérer des sous-marins allemands… Il faut dire que l’emplacement est l’évidence même. De là-haut, on distingue clairement la côte écossaise. Ce n’est plus une simple bande de terre à l’horizon, mais bien un paysage, qui ressemble forcément à notre côté du détroit.

A l’époque de son utilisation, les quelques soldats/veilleurs de Torr Head bénéficiaient quand même de plus qu’un beau point de vue. Si les pièces de vie ne sont pas bien grandes, il y a tout le nécessaire, et même des sortes de demi-tranchées tout autour du bâtiment, lesquelles se prolongent vers des escaliers côté mer, et un sentier qui descend jusqu’à un quai, minuscule mais pratique. Pour notre part, nous ne ferons pas le trajet : non seulement nous ne voulons pas laisser Marie toute seule trop longtemps, mais surtout le sel et le vent de mer ont rongé le métal jusqu’à ne plus laisser à certains endroits que des moignons de marches. Un paradis pour le Tétanos, et un demi-tour pour nous ! Nous redescendons jusqu’au parking, avec une vue extraordinaire sur les collines et ces nuances de vert qui se déclinent à l’infini. Marie se réveille tout juste, elle n’aura finalement pas vu le temps passer. Et nous n’avons plus qu’à reprendre la même route minuscule qu’à l’aller. C’est la détente… Julie tente de capturer le paysage à gauche, avec la route en haut des falaises et les vagues juste en dessous, mais aucun cliché ne peut retranscrire cette ambiance. On se sent bien, même si je passe rarement la troisième : il fait beau, chaud, nous vivons notre expérience irlandaise à fond !


Et nous sommes sur le point d’avoir une pique d’adrénaline, en plus. Parce que oui, c’est arrivé... Un type en camping-car a décidé de prendre la route interdite. 
Et qui, à votre avis, va se retrouver en face ?

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