Juste avant de quitter le
parking de Carrick a rede, je décide de pousser un peu la marche sur une
centaine de mètres, en continuant sur un chemin secondaire. Et de là, j’obtiens
enfin la vue escomptée. Il est temps de monter le téléobjectif, et de regarder
à quoi ressemble « en live » cette fameuse traversée de pont. Force
est de constater qu’avec les vagues qui font des efforts sympathiques pour
s’écraser le plus violemment possible sur le granit juste en dessous, l’image
est fort sympathique… Mais on ne peut se départir d’une impression un peu
industrielle : peu, voir aucun touriste ne reste bien longtemps sur le
pont de corde. Pour nous qui voulions flâner, cela achève bien de nous convaincre.
Il est temps de partir, et d’aller manger dans la prochaine ville, laquelle
comme toutes ses voisines s’appelle Bally-quelque chose.
En arrivant dans le patelin,
impossible d’éviter le traditionnel tracteur de foin, que l’on se coltinera
suffisamment de virages pour évoquer sa légende. Il apparait en effet pour
chacun au moment le plus inattendu, lorsque l’on a le plus besoin de s’arrêter,
ou bien en dernier recours lorsqu’on est pressés d’aller quelque part. La
légende veut (à raison) qu’il soit strictement impossible à dépasser jusqu’à ce
que l’on soit résigné à accepter son sort. Et en effet, jusqu’aux faubourgs de
Ballycastle, on ne pourra pas le lâcher. Affamés, nous nous garons après avoir
tourné un peu, juste au-dessus du port (nous avons décrété que puisqu’on ne
comprenait rien à l’horodateur, ce n’était pas payant). Le paysage nous
rappelle clairement ces villes de Bretagne, dont le port est toujours le cœur
et où il fait bon flâner le long des quais de plaisance.
Les maisons sont beaucoup plus
anglaises, évidemment, toutes en pierre, avec leur portes peintes et leurs
entrées surélevées… On est sur un quartier très traditionnel ! Lorsque
l’on retourne vers la mer, il y a la partie commerciale du port, ou une grande
barge de drague est en cours de déchargement. Un peu plus loin, c’est un
chalutier qui se prépare à prendre la mer. C’est toujours un environnement
chargé, rude, plein de couleurs et de senteurs uniques qui apparaissent en se
promenant près des quais. Un peu plus loin, la forêt de mâts est au
rendez-vous, mais nous décidons d’aller d’abord manger nos sandwichs… Surtout
qu’il y a un parc, avec des bancs et suffisamment de badauds pour assurer une
animation raisonnable (comprenez, de quoi commenter comme des petits vieux). Mais
c’est au moment de manger que nous nous rendons compte que les nuages, là-haut,
sont devenus soudainement plus bas et plus gris. Pourra-t-on éviter le
grain ? On y croira, cinq minutes. Mais nous avons encore la bouche pleine
alors qu’arrivent les gouttes… Il faut bientôt choisir de se réfugier sur un
muret et sous un arbre… Et quelques minutes plus tard, quand les feuilles ne
nous protègent plus, de sortir les K-ways !
Loi de Murphy oblige… La pluie
a fait son apparition à plusieurs courtes reprises aujourd’hui, mais à chaque
fois (A. Chaque. Fois) il s’est agi de moments où nous étions à l’extérieur. Une
fois fini nos tranches de jambon (eh oui, encore du jambon), nos tranches de
pain (eh oui, encore du pain) et nos bananes (rien de plus sexy qu’une banane),
nous n’avons plus qu’à marcher jusqu’à la voiture, sans passer par les quais de
plaisance : l’averse est trop forte, je suis toujours incertain sur le
sort de la voiture (la Loi de Murphy prévoit un PV automatique…) et puis nous
avons un programme de visites qui peut durer toute l’après-midi, alors autant
décoller. Naturellement une fois le coffre ouvert, il ne pleut plus, donc je
vais prendre un cliché ou deux des bateaux accostés au quai de commerce. Les
dernières cages sont chargées sur le chalutier. C’est le moment d’intérioriser
comme à chaque fois ce sentiment exaltant (et irrationnel) qui me crie de
courir sur le quai, de tout balancer et de partir à l’aventure en laissant tout
derrière moi. Oui, c’est n’importe quoi, évidemment. Mais c’est l’appel de l’inconnu
qui me marmonne à l’oreille, et sa voix est douce.
C’est le moment de prendre ma
place au volant : en parlant d’inconnu, nous y roulons ! Nous sommes
assez tôt dans l’après-midi, aussi nous décidons d’un petit détour à Torr Head,
que l’on peut définir comme le « coin haut droit » de la carte de
l’Irlande. C’est aussi le point le plus proche de l’Ecosse… Mais la route pour
y arriver, ah c’est tout une histoire. Il faut d’abord descendre vers le Sud,
puis remonter le long de la côte, car de hautes et abruptes collines séparent
le front de mer et le reste du pays. On circule donc sur une route
« B », et celle-ci est réellement minuscule. A tel point qu’à
l’intersection principale, un panneau interdit clairement l’accès aux caravanes
et autres camions. Bref, à tout véhicule un tant soit peu encombrant. Parce que
là, on n’est pas dans le « oui, ça passe limite ». Non, là, pour la
grande majorité des virages il est improbable de vouloir croiser une
trottinette ou dépasser un vélo. C’est un peu anxiogène d’ailleurs, car nous
croiserons bien quelques voitures (serrage de fesses garanti et tout le monde
roule au pas)… Mais ce qui nous motive, c’est ce paysage, absolument grandiose.
A notre gauche, les collines
vertes et leurs moutons, séparés de petits murets de pierre centenaires et
d’arbres esseulés. A droite, souvent un massif mal taillé de buissons en
fleurs, puis un grand vide avant l’océan, une bonne centaine de mètres en
contrebas. Et n’allez pas croire que c’est une ligne droite : les dix
kilomètres à vol d’oiseau sur la carte vont nous prendre une grosse vingtaine
de minutes de conduite. Agressive en montée, dressant les cheveux en descente,
cette mince allée vers le bout du monde Irlandais est une véritable épopée en
soi. Sublime, parée de ses couleurs les plus vives alors que le ciel se dégage,
et sauvage aussi. Comme préservée… A l’évidence aucun bus ne passe par ici (les
gens tiennent à leur vie, et puis c’est interdit). Une intersection surprend,
et c’est presque un chemin de gravier qui va nous emmener jusqu’à la pointe. Un
petit parking avec, surprise, deux autres voitures, nous accueille au bas d’une
pente entre les champs. Une ancienne conserverie de saumon est le seul bâtiment
de main d’homme, et il vient renforcer cette impression de grandiose infinité
de nature : le corps principal de cet édifice de briques est en ruines,
n’en restant que les piliers et quelques pans de mur envahis par une végétation
dévorante.
Pour être tout à fait exacts,
nous ne sommes pas encore à Torr Head. Et Marie, qui est absolument crevée et
va rester faire une sieste dans la voiture, ne foulera jamais le site
(d’ailleurs nous n’avons pas encore fermé le coffre qu’elle dort déjà). Car
pour cela, il faut grimper un promontoire naturel, qui surplombe la mer et
toute la côte alentours. Malgré la faible distance, on y mettra une petite
dizaine de minutes (c’est abrupt, ma bonne dame). Mais nous sommes récompensés
en haut, par la vue, naturellement, et par les ruines d’un ancien phare/poste
d’observation. Une bâtisse en ruines, mais dont il reste la plupart des murs,
ainsi que pas mal de ferraille rouillée… Pourtant aucun de nous trois ne peut
s’empêcher de s’imaginer en détachement ici, un jour de tempête, à tenter de
guider un pétrolier dans la passe… Bien des nuits épiques (et d’autres,
chiantes) ont dû prendre place ici. Peut-être même des guets anxieux de repérer
des sous-marins allemands… Il faut dire que l’emplacement est l’évidence même. De
là-haut, on distingue clairement la côte écossaise. Ce n’est plus une simple bande
de terre à l’horizon, mais bien un paysage, qui ressemble forcément à notre
côté du détroit.
A l’époque de son utilisation,
les quelques soldats/veilleurs de Torr Head bénéficiaient quand même de plus
qu’un beau point de vue. Si les pièces de vie ne sont pas bien grandes, il y a
tout le nécessaire, et même des sortes de demi-tranchées tout autour du
bâtiment, lesquelles se prolongent vers des escaliers côté mer, et un sentier
qui descend jusqu’à un quai, minuscule mais pratique. Pour notre part, nous ne
ferons pas le trajet : non seulement nous ne voulons pas laisser Marie
toute seule trop longtemps, mais surtout le sel et le vent de mer ont rongé le
métal jusqu’à ne plus laisser à certains endroits que des moignons de marches.
Un paradis pour le Tétanos, et un demi-tour pour nous ! Nous redescendons
jusqu’au parking, avec une vue extraordinaire sur les collines et ces nuances
de vert qui se déclinent à l’infini. Marie se réveille tout juste, elle n’aura
finalement pas vu le temps passer. Et nous n’avons plus qu’à reprendre la même
route minuscule qu’à l’aller. C’est la détente… Julie tente de capturer le
paysage à gauche, avec la route en haut des falaises et les vagues juste en
dessous, mais aucun cliché ne peut retranscrire cette ambiance. On se sent bien,
même si je passe rarement la troisième : il fait beau, chaud, nous vivons
notre expérience irlandaise à fond !
Et nous sommes sur le point
d’avoir une pique d’adrénaline, en plus. Parce que oui, c’est arrivé... Un type
en camping-car a décidé de prendre la route interdite.
Et qui, à votre avis, va
se retrouver en face ?
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